Tous les strasbourgeois connaissent le quai Lezay-Marnésia au centre de la ville. Mais connaissent-ils précisément les origines et les accomplissements de cet administrateur hors pair, préfet de Napoléon Ier, qui décéda dramatiquement en 1814 alors que la suite de sa carrière sous la Restauration promettait d'être brillante ?
Adrien-Paul-François-Marie de Lezay-Marnésia (1769-1814), dont l'intervention personnelle avait permis à Calmelet de devenir ingénieur en chef à 28 ans, fut préfet du Bas-Rhin de 1810 à 1814. Ce préfet a beaucoup plus impressionné les strasbourgeois que ses successeurs, par son charisme et ses nombreuses idées fortes. Il est décédé brutalement au moment de la Restauration, dans sa voiture personnelle près de Haguenau.
Par décret impérial du 12 février 1810, le préfet du département Rhin-et-Moselle à Coblence, Lezay-Marnésia, fut nommé préfet du Bas-Rhin.
Adrien de Lezay-Marnésia, est alors âgé de 40 ans. Né le 9 août 1769 à Moutonne (Jura) d'une ancienne famille noble d'extraction espagnole (son père est marquis), liée d'amitié avec les Beauharnais, le nouveau préfet fit ses études successivement à l'école du couvent de Belley, au «Collegium Carolinum» de Brunswick puis, sous l'émigration, à l'Université de Goettingen. Alors qu'il vivait caché à Forges-les-Eaux en Normandie sous la Terreur, Lezay y rencontra son épouse, la jolie et spirituelle veuve Françoise de Briqueville, de vieille noblesse normande. La chasse aux émigrés sous le Directoire l'obligea à s'expatrier en Suisse et ce n'est que le 27 mai 1801, après avoir été rayé de la liste des émigrés, qu'il put revenir en France. En avril 1802 le Premier Consul lui confia une mission diplomatique en Hongrie et le 14 mai 1803 il le nomma ministre de France à Salzbourg. Parfait bilingue, (il avait été étudiant à l'Université de Goettingen, près de Hanovre), Adrien de Lezay-Marnésia était chargé depuis le 15 mai 1806 de l'administration du nouveau département rhénan Rhin-et-Moselle, où il eut l'occasion d'apprécier Calmelet, et d'où il est muté à Strasbourg. Comme préfet du Bas-Rhin, il réussit à faire réaliser un travail de terrain à des sous-préfets paperassiers, il s'appuya sur des notables locaux, il fit la chasse à la corruption, fit protéger les houblonnières, introduisit la culture du tabac en Alsace, fit reconstruire des routes et installer des bancs tous les 500 m sur les routes. Il s'oposa courageusement aux "colonnes mobiles" qui donnaient la chasse aux jeunes gens réfractaires à la mobilisation obligatoire. Grand ami du pasteur Oberlin du Ban-de-la-Roche, il ouvrit des soupes populaires et réduisit la mendicité, et créa des classes et des écoles, notamment le lycée impérial Fustel de Coulanges à Strasbourg, et la première école normale. Il était obsédé par l'objectif de rendre les alsaciens bilingues, comme il l'était lui-même à la perfection.
Lezay-Marnésia mourut le 9 octobre 1814 à 11 h, dans des circonstances atroces : sans état d'âme il était passé sous les ordres du nouveau roi Louis XVIII. Le duc de Berry ayant été pressenti comme gouverneur de la France de l'Est, le préfet le recevait le 5 octobre à Landau. Il voulut ensuite précéder le prince pour le recevoir dans tous les honneurs à Strasbourg. Or, à la sortie de Haguenau, les chevaux qui tiraient son cabriolet léger s'emballèrent, et dans l'accident qui s'en suivit, le préfet fut poignardé dans le ventre par son épée d'apparat. Il put néanmoins être ramené d'urgence à Strasbourg où il règla les affaires d'urgence, et, restant lucide jusqu'au bout, et conscient de sa mort prochaine, il demanda à ses serviteurs de s'agenouiller autour de sa femme qui priait à son chevet, tout en entendant le confesseur réciter l'office des morts avec l'assistance.
Adrien de Lezay-Marnésia se serait senti attiré irrésistiblement par une femme étrange, de confession orthodoxe : Juliane de Vietinghoff, baronne de Krüdener, originaire de Riga, une proche de la cour du Tsar Alexandre.
Après sa mort, le comte de Kergariou fut nommé préfet du Bas-Rhin le 23 octobre 1814.