LOUIS-ANTOINE BEAUNIER, inspecteur général au corps royal des mines, maître des requêtes au conseil d'état, officier de la Légion-d'Honneur, était né à Melun, le 15 janvier 1779. Son père, fils d'un notaire de cette ville, n'ayant pas suivi la carrière paternelle, s'était livré avec succès à la culture des lettres, et voulait diriger lui-même l'éducation de ses deux fils; mais, porté en 1791 aux premières places de l'administration départementale par la confiance de ses concitoyens, il fut proscrit peu de temps après, et obligé de se cacher à Paris. Quelques amis lui firent obtenir, du comité de salut public, une de ces mises en réquisition, par lesquelles un assez grand nombre de personnes furent placées à l'abri d'une partie au moins des effets du régime de la terreur. Les jeunes Beaunier étudièrent le dessin et la peinture dans l'atelier de Regnault, et l'un d'eux a suivi avec distinction la carrière des arts. M. Beaunier père fut attaché successivement à diverses administrations ; il a été depuis, pendant assez long-temps, chef de bureau au ministère de l'intérieur, et ensuite chef de division à la direction générale des ponts et chaussées. Plusieurs productions littéraires l'ont fait connaître d'une manière avantageuse.
Deux arrêtés du comité de salut public, des 13 et 18 messidor an II (juillet 1794), ayant institué une Agence des mines, sous les ordres de laquelle devaient être placés 8 inspecteurs, 12 ingénieurs, et 40 élèves, Louis-Antoine Beaunier, alors âgé de 16 ans, se présenta aux examens ouverts en exécution de ces arrêtés, et il fut reçu élève des mines le 19 ventôse an III (9 mars 1795). Peu après, la loi du 30 vendémiaire an IV ayant ordonné que le nombre des élèves des mines serait réduit à vingt, par un concours entre tous les élèves précédemment admis, il fut l'un des élèves conservés.
Dans l'intervalle des époques des cours de l'Ecole des mines, M. Beaunier parcourut en 1795 les Pyrénées et le Languedoc, avec MM. Picot-la-Peyrouse et Duhamel, et en 1797 les Alpes italiennes et dauphinoises, sous la conduite de Dolomieu. En octobre 1798, n'ayant pas encore vingt ans, il fut nommé, au concours, ingénieur des mines, et pendant dix-huit mois il fut employé au laboratoire de l'Ecole des mines sous les ordres de Vauquelin, et chargé de coopérer aux examens des élèves sur la chimie et la métallurgie. Il fit à cette époque, avec M. Cordier, de nombreuses expériences, sur les divers minerais de manganèse, français, dont les résultats sont consignés dans le tome X du Journal des mines [voir le tome X, numéro LVIII, Messidor].
En 1800, M. Beaunier visita, par autorisation du ministre, mais à ses frais, les montagnes et les mines de l'Auvergne et du Lyonnais. En 1801, il séjourna, pendant plusieurs mois, avec M. de Gallois, sur les mines de plomb de Poullaouen et d'Huelgoat. Au retour, les voyageurs se partagèrent la rédaction de leurs observations communes. M. Beaunier se chargea des parties qui avaient rapport à la préparation mécanique des minerais et à leur traitement métallurgique, ainsi qu'à des expériences sur les trempes, et à d'autres expériences sur l'appréciation de la température dans les fourneaux, aux principales époques des opérations. Ses mémoires sur ces divers sujets ont été publiés dans le Journal des mines, t. XII et XVI. Les manuscrits des rédactions de M. de Gallois ont été malheureusement perdus.
C'est après sept années ainsi employées en voyages et travaux théoriques et pratiques, aussi instructifs que variés, qu'en 1802, époque à laquelle les ingénieurs des mines furent, pour la première fois, placés à poste fixe dans les diverses parties de la France, M. Beaunier fut chargé du service d'un arrondissement, composé des départemens des Ardennes, des Forêts, de la Meuse, de la Marne et de Seine-et-Marne. Atteint par une maladie grave, au milieu de sa première tournée, il ne put reprendre son service que l'année suivante, et son mérite fut si promptement apprécié par les administrateurs avec lesquels ce service le mettait le plus en relation, que dès 1804, les préfets des Forêts et des Ardennes demandèrent avec instance au ministre de l'intérieur à être seuls chargés de contribuer au traitement de l'ingénieur des mines (De 1802 à 1810, une partie des appointemens des ingénieurs des mines était payée par les départemens qui composaient les arrondissemens de ces ingénieurs), pour toute la somme qui avait été mise à la charge des cinq départemens, afin que l'arrondissement de M. Beaunier pût être réduit à leurs deux départemens, auxquels sa présence continuelle et l'emploi de tout son temps seraient d'une très grande utilité. Dès lors en effet, l'activité, le zèle et la conduite du jeune ingénieur, ainsi que l'étendue de ses connaissances et les résultats de ses travaux sur la statistique minérale, étaient l'objet des éloges de l'administration centrale et des préfets. Le tome XVI du Journal des mines contient un rapport qu'il a rédigé en 1803, sur l'ancienne mine de cuivre de Stolzenbourg.
La circonstance remarquable que présente le début de la carrière d'ingénieur de M.Beaunier, s'est fréquemment renouvelée pendant le cours de cette carrière: partout où un administrateur avait appris à le connaître, il voulait l'attacher à son département, l'y conserver ou l'y faire revenir.
En l805, sur la demande du préfet de la Moselle et du conseil général de ce département, l'arrondissement de M. Beaunier fut formé par les départemens de la Moselle et des Forêts, et sa résidence fut fixée à Metz. Ce changement lui procurait la double satisfaction d'être placé près d'un préfet (M. de Vaublanc), compatriote et ancien ami de sa famille, et d'un ingénieur en chef (M. Duhamel), qui avait été le guide de ses premières courses minéralogiques, et pour lequel il avait conservé un sincère attachement.
La régularisation difficile des exploitations de minières de fer de Saint-Pancré et d'Aumetz, commencée par les soins de M. Héron de Villefosse, son prédécesseur, fut l'un des principaux objets des travaux de M. Beaunier dans le département de la Moselle : l'Atlas de Saint-Pancré, qu'il dressa alors, a rendu facile l'exécution de toutes les mesures administratives concernant les gîtes de ces minerais, précieux pour les forges du pays, et dont l'exploitation avait eu lieu, pendant long-temps, avec beaucoup de désordre.
A cette époque on discutait au conseil d'état les bases d'un projet de loi sur les mines. Napoléon, qui appréciait les difficultés de cette législation exceptionnelle, interrogea assez longuement, en passant à Metz, en 1806, l'ingénieur des mines qui lui fut présenté et il parut frappé de la justesse et de la lucidité de ses réponses.
Des discussions et des réclamations, nombreuses et compliquées, s'étant élevées dans le département du Gard, relativement à l'exploitation dés mines de houille des environs d'Alais, un décret impérial, du 18 septembre 1807, ordonna l'envoi extraordinaire d'un ingénieur sur les lieux, à l'effet d'examiner tous les titres et toutes les prétentions qui se trouvaient en conflit, et de proposer, tant pour les anciennes concessions, que pour des concessions nouvelles, les limites et les conditions les plus convenables. M. Beaunier fut chargé de cette mission importante. Le rapport très développé qu'il rédigea en 1808 lui mérita des éloges unanimes, et ses propositions furent adoptées par le préfet, par l'administration des mines et par le ministre de l'intérieur, pour être soumises au gouvernement.
Le préfet du Gard sollicitait vivement alors, près du ministre de l'intérieur, une disposition qui fixât M. Beaunier dans ce département; offrant pour contribuer à son traitement, sur le vote du conseil-général, une allocation annuelle de 2400 francs; mais le retour de l'ingénieur était aussi vivement réclamé par les préfets des Forêts et de la Moselle :il revint dans son arrondissement, à la fin de 1808.
Un décret du 13 septembre 1808 ayant prescrit la division en soixante concessions des terrains houillers des environs de Sarrebrück, qui jusqu'alors avaient été exploités exclusivement par des fermiers du domaine de l'état, l'administration chargea, en 1809, MM. Beaunier et Calmelet, sous la direction de M. Duhamel, des opérations préliminaires à cette division. Il fallait acquérir une connaissance complète du sol à diviser et des couches de houille qu'il renferme, en coordonnant le lever géométrique et le nivellement général de tous les indices de houille épars sur le sol, avec le lever et le nivellement de tous les travaux des mines. Ce travail considérable, le premier de ce genre qu'on ait fait en France, fut exécuté par les ingénieurs avec un soin et un talent remarquables, pendant l'été de 1809 et le commencement de l'hiver suivant.
Mais déjà la confiance de l'administration supérieure rappelait M. Beaunier dans le midi de la France. Plusieurs concessions de mines importantes de houille-lignite venaient d'être accordées dans le département des Bouches-du-Rhône. Dans le Gard, un décret du 12 novembre 1809, modifiant d'une manière notable les propositions du ministre, avait régularisé seulement trois concessions, et laissait encore beaucoup à faire pour l'institution de quatre concessions voisines. De nouvelles instances du préfet obtinrent que M. Beaunier vînt reprendre sur de nouvelles bases et compléter son précédent travail. On le chargea en même temps de déterminer les ouvrages d'art auxquels les concessionnaires des mines des départemens du Gard et des Bouches-du-Rhône devaient être assujettis, et d'en diriger l'exécution.
M. Beaunier ne partit pour cette nouvelle mission, qu'après avoir reçu la récompense due à ses travaux précédent : nommé ingénieur en chef le 29 juin 1810, son arrondissement fut formé de huit départemens, au nombre desquels furent compris les Bouches-du-Rhône et le Gard.
L'examen d'un objet important lui était recommandé par le ministre de l'intérieur, comme confidentiel: le prix de la houille venait de s'élever, sur le marché de Marseille, dans une assez forte proportion, et quelques consommateurs réclamaient, à ce sujet, contre le système des concessions, qu'on venait d'appliquer au département, accusant en même temps les concessionnaires et même l'administration d'une connivence coupable. M. Beaunier prouva, dans ses rapports, que la hausse dont on se plaignait n'était due qu'à des causes naturelles, principalement à l'accroissement considérable et subit que l'érection d'un grand nombre de fabriques de soude avait produit dans la consommation de la houille, et que les concessionnaires de mines ne profitaient de cette hausse de prix que dans une bien faible proportion.
Le lever des plans souterrains de toutes les mines de houilles des Bouches-du-Rhône, et le nivellement général de tous les terrains concédés furent prescrits en mars 1811, par le ministre de l'intérieur, sur les propositions de M. Beaunier. Au mois de juin suivant, un nouveau rapport, concernant les mines de houille du Gard, termina l'instruction locale qu'avait exigée l'exécution du décret du 12 novembre 1809, et dont la préparation avait été confiée à M. l'ingénieur Guenyveau.
Peu de mois après, M. Beaunier perdit son père. Se trouvant à Paris à l'occasion de ce douloureux événement, en mars 1812, il fut précipitamment envoyé à Liège avec M. Cordier, inspecteur divisionnaire, pour y faire une enquête sur les causes des événemens désastreux dont les mines de Liège étaient alors le théâtre.
Cette mission dura trois mois et fut très laborieuse : indépendamment du procès-verbal de l'enquête relative à la mine de Beaujonc, le comité, institué à Liège par un arrêté du ministre, et composé de MM. Cordier, Beaunier, Mathieu, Blavier, et Migneron secrétaire, dut proposer les mesures d'urgence à appliquer à chacune des mines de houille du département de l'Ourthe, qui offraient des causes immédiates ou prochaines de danger, ainsi que les développemens dont les règlemens de police relatifs aux mines lui paraissaient susceptibles; il dut enfin présenter ses vues, sur les moyens de coordonner les dispositions législatives et le régime administratif des mines de France avec les anciens usages et règlemens du pays de Liège, à l'effet de ménager, s'il était possible, un avenir exempt de nouvelles catastrophes aux deux cents exploitations de houille de la contrée. Cette dernière partie du travail fut plus spécialement l'ouvrage de M. Beaunier.
Les circonstances déplorables qui avaient occasioné l'institution du comité de Liège, et les rapports de ce comité contribuèrent à faire sentir, d'une manière plus frappante, les dangers que l'on courait, en étendant le droit d'user et d'abuser à la jouissance des mines concédées, et la nécessité de la haute surveillance exercée par le gouvernement sur les exploitations de mines, dans l'intérêt de l'ordre public. Lors de leur retour, MM. Cordier et Beaunier furent chargés, avec M. Lefebvre d'Hellencourt, inspecteur général, de préparer un projet de règlement général de police souterraine, projet qui a servi de base au décret du 3 janvier 1813 sur cet objet.
Le préfet du département de l'Ourthe avait écrit au directeur général des mines, pour le prier de fixer M. Beaunier à Liège, comme ingénieur en chef. M. Beaunier réclama contre cette démarche, faite à son insu : il revint à Paris, et ce fut pour être presque aussitôt chargé d'un autre travail extraordinaire.
Les mines de houille du département de la Loire, que leur richesse et leur position, au centre de la France et dans un territoire appuyé à deux grands fleuves, peuvent faire considérer comme les mines les plus importantes du royaume, étaient depuis long-temps le théâtre d'extractions désordonnées, par suite d'anciennes coutumes locales, dont une législation incertaine n'avait pu combattre les effets. La loi du 21 avril 1810 sur les mines, et l'affermissement général de l'ordre en France, permettant à l'administration de chercher à régulariser l'exploitation de cette source précieuse de richesse publique, on reconnut qu'il était nécessaire de commencer par définir exactement l'objet sur lequel on voulait agir, ainsi qu'on l'avait fait en 1809 pour le bassin houiller de Sarrebrück. Mais, dans le département de la Loire, le travail était plus compliqué, en raison de la variété de gisement que présentent dans ce bassin divers systèmes ou groupes de couches de houille, ainsi que de la grande quantité de fouilles et d'exploitations, entreprises depuis long-temps sur ces couches, et n'ayant entr'elles aucune coordination. La direction de cette Topographie extérieure et souterraine du territoire houiller de Saint-Etienne et de Rive-de-Gier fut confiée à M. Beaunier, auquel M. Guenyveau, alors ingénieur du département de la Loire, et MM. Chéron, Gabé, Dubosc et de Gargan, aspirans, furent adjoints comme collaborateurs. Les difficultés, que la résistance de plusieurs exploitans de mines semblait d'abord opposer, furent bientôt levées par l'active intervention de M. Beaunier, et les opérations s'exécutèrent pendant la fin de 1812 et le commencement de 1813. Leurs résultats, comprenant les plans d'une étendue superficielle de près de 26 mille hectares, le nivellement de lignes de plus de 200 kilomètres de développement, le tracé des affleuremens des nombreuses couches de houille et celui de l'intersection de toutes ces couches avec un plan horizontal donné, la position de toutes les ouvertures des mines en activité et des mines abandonnées, les plans intérieurs de 67 mines, l'annotation des anciens déhouillemens et des circonstances les plus remarquables de l'exploitation, l'indication des moyens d'écoulement naturel des eaux dans les diverses localités, etc., sont consignés dans un atlas de 46 grandes feuilles, un registre de nivellement et un volume de texte, qui contient un aperçu géologique de la contrée, la description des mines de houille, des observations générales sur la richesse, les débouchés, l'administration de ces mines, et des vues d'amélioration. Ce beau travail peut servir de modèle à tous les travaux du même genre ; un extrait du texte a été inséré en 1816 dans le tome Ier des Annales des mines, avec la carte d'assemblage des feuilles de l'atlas.
Cette mission n'avait pas empêché M. Beaunier de rester chargé en chef du service dans l'arrondissement dont Nîmes était le chef-lieu, et dans lequel il fut même obligé de faire une tournée pendant le cours des opérations de Saint-Etienne. Ces dernières n'étaient pas encore complètement terminées, lorsqu'il fut nommé, en février 1813, directeur de l'école pratique de Geislautern, en remplacement de M. Duhamel, appelé à Paris comme inspecteur général.
Un arrêté des consuls du 23 pluviôse an X ( 13 février 1802) avait ordonné l'institution de deux écoles pratiques des mines, à Geislautern, département de la Sarre, et à Pesey, département du Mont-Blanc ; mais, par suite de l'insuffisance des fonds, on n'avait pu organiser qu'à Pesey un établissement d'instruction. A Geislautern l'école n'était qu'en projet, et l'établissement consistait en une grande usine à fer et une mine de houille, dirigées au compte de l'administration des mines. Cette direction ouvrit à l'esprit de M. Beaunier une nouvelle carrière, en développant la faculté d'application pratique dont il était éminemment doué. Tout ce qui pouvait perfectionner les procédés ou accroître les produits de Geislautern fut l'objet de ses investigations empressées, et l'administration économique et la comptabilité d'une usine lui devinrent promptement aussi familières que les détails techniques. Les événemens politiques, qui bientôt après enlevèrent à la France le pays de Sarrebrück, ne permirent pas le développement de ses vues; mais, dès les premiers mois de sa gestion, avant la fin de 1813, il était parvenu à faire fabriquer à Geislautern de l'acier fondu, supérieur en qualité aux aciers de Liège, et d'un prix moins élevé.
Dans l'hiver de 1813 à 1814, lorsque toute la contrée environnante était en proie aux ravages du Typhus, les soins actifs et éclairés de M. Beaunier préservèrent Geislautern de la contagion. On venait, de tous les villages voisins, s'adresser à lui, pour avoir les matériaux et les procédés des fumigations de Chlore, auxquelles il semblait impossible de ne pas attribuer une exception aussi frappante à la calamité générale.
Réfugié et enfermé à Metz pendant l'invasion de 1814, M. Beaunier retourna à Geislautern lors de la paix, pour être obligé de fuir de nouveau en juin 1815. Cette fois, ce ne fut pas sans courir des dangers personnels, et il dut ensuite employer autant d'adresse que de courage, pour sauver le matériel, les produits et les pièces de comptabilité de l'établissement qui lui était confié. Profondément affligé des maux de son pays, auquel il voyait d'ailleurs avec un chagrin particulier que les belles mines et usines des environs de Sarrebrück allaient devenir étrangères, il était péniblement affecté aussi du renversement de sa position : « Me voici, » écrivait-il à un ami, « chassé d'un lieu auquel deux ans de douleur m'avaient fortement attaché, et je vois en un instant s'écrouler tout l'échafaudage de petite gloire et de bien-être que j'avais élevé pour l'avenir, non sans de grands labeurs..... Mais, grand Dieu, que mes peines personnelles sont peu de chose, auprès des sentimens que les maux de la patrie me font éprouver ! »
Elevé à la première classe de son grade le 1er janvier 1816, M. Beaunier fut chargé d'un arrondissement, comprenant les départemens de la Nièvre, du Cher, de l'Allier et de Saône-et-Loire. On lui confia, de plus, le service du département de la Loire, conjointement avec M. de Gallois, en réunissant à Saint-Etienne ces deux ingénieurs en chef, comme commission temporaire, pour le service des mines de ce département, et principalement pour l'application du régime légal des concessions à des exploitations aussi irrégulières que nombreuses. Le travail topographique, exécuté par M. Beaunier en 1812, établissait les bases sur lesquelles cette régularisation devait être appuyée; mais l'opération administrative était encore hérissée de difficultés : d'un côté, l'ancienneté des usages locaux, qui subordonnaient entièrement dans ce pays l'exploitation des mines à la propriété du sol, et les habitudes invétérées, même les droits réels qui en résultaient; la multiplicité des intérêts et des prétentions qui, à l'annonce d'un changement, s'èlevaient et se croisaient dans tous les sens; enfin des préventions presque hostiles contre toute intervention de l'administration des mines ; de l'autre côté, la rigueur des principes posés par les lois, et la nécessité, que la nature des choses impose d'ailleurs, de régler l'exploitation des mines dans un but d'utilité générale, rendaient ces difficultés presque inextricables. L'aménité du caractère de M. Beaunier, les formes conciliantes de son esprit, la confiance qu'il sut inspirer aux exploitans et aux propriétaires de sol, contribuérent peut-être plus que toute autre chose à obtenir, sinon la fusion complète d'intérêts si différens, au moins la réunion des principaux intéressés en groupes tellement formés, qu'il fût possible de les coordonner avec les divisions tracées par l'administration, d'après la disposition des gîtes de houille. Ce sont aussi les longs efforts de M. Beaunier, ses instantes sollicitations, et l'enchaînement convaincant des faits, des raisonnemens, des considérations qu'il a développés dans ses rapports, qui ont amené l'administration à se départir des règles sévères qu'elle s'était imposées jusqu'alors, comme principes des concessions de mines, et à admettre, pour le règlement des droits des propriétaires du sol, et pour la coordination des intérêts des propriétaires et des exploitans, des dispositions spéciales, sans l'adoption desquelles il eût été probablement impossible d'obtenir la régularisation des mines de houille de la Loire.
C'est ainsi qu'on a pu instituer dans l'arrondissement de Saint-Etienne 56 concessions de mines de houille; c'est ainsi que les possessions, les jouissances, toujours contestées jusqu'alors ou contestables à chaque instant, pour les mines comme pour les droits de tréfonds, étant devenues des propriétés légales, ont acquis sur-le-champ des valeurs incomparablement plus grandes, et que cette contrée a pu voir se développer sans obstacle la richesse minérale dont elle a été dotée par la nature.
Ces opérations, auxquelles ont pris part successivement MM. les ingénieurs DesRoches, Burdin, Thibaud et Delsériès, ont duré plusieurs années ; mais d'autres objets d'une grande importance occupaient en même temps M. Beaunier. Dès le commencement de 1816, il avait appelé l'attention de l'administration supérieure sur les graves inconvéniens qui provenaient, dans les mines de France, de l'ignorance générale des maîtres mineurs, en ce qui concerne les premiers principes de la géométrie et de l'art des mines, ce qui rendait le plus souvent inefficaces les visites des exploitations par les ingénieurs, et les conseils donnés par eux à des hommes qui ne pouvaient ni les comprendre ni les suivre. Il faisait voir que la création d'une école élémentaire, destinée à former des chefs d'atelier et même des directeurs d'exploitation, était nécessaire, pour que les ingénieurs des mines pussent être utiles et les exploitations améliorées ; il proposait d'établir cette école avec l'unique secours des fonds sauvés à l'école de Geislautern, et de la placer à Saint-Etienne, comme dans la localité où elle pouvait réunir le plus de moyens d'instruction pratique, et être le plus immédiatement profitable. La justesse de ces vues frappa l'administration : l'Ecole des mineurs fut instituée, par une ordonnance royale du 2 août 1816, conformément au plan proposé par M. Beaunier; le 19 du même mois il en fut nommé directeur. Il sut faire marcher de front l'organisation d'un établissement, dans lequel il fallait tout créer, et le professorat qu'il y exerça pendant plusieurs années, avec les travaux administratifs difficiles qu'il dirigeait seul pendant le long voyage en Angleterre de M. de Gallois; et non-seulement ses prévisions relatives à l'école ont été promptement justifiées par le succès, mais ce succès a été tel, qu'il a fallu, en peu d'années, donner un développement de plus en plus considérable, à une institution dont l'heureuse influence s'est fait sentir de plus en plus, dans les mines de toutes les parties de la France, et qui, aujourd'hui, fait participer constamment 120 élèves (dont 80 élèves ouvriers), à deux degrés différens d'instruction.
M. Beaunier voulut en outre profiter de son séjour dans un pays aussi fécond en ressources pour l'industrie minéralurgique, en créant des entreprises industrielles qui fussent utiles à son pays. Dès 1817 il chercha à introduire clans la fabrication des aciers français un perfectionnement depuis long-temps désiré, en faisant raffiner à la houille, par les méthodes allemandes, les produits des aciéries de Rives, et en donnant à ces aciers raffinés les diverses qualités que réclament les usages divers auxquels ils sont destinés. Ayant obtenu, de M. le directeur général, l'autorisation de diriger à cet effet une entreprise particulière, il fit établir à La Bérardière, près Saint-Etienne, par un capitaliste avec lequel il était lié, une usine, qui, dès la première année, livra au commerce des produits supérieurs. Encouragés par le succès, les propriétaires étendirent de plus en plus leur entreprise, d'abord en fabriquant à Beaupertuis, près Rives, leurs aciers bruts, puis en produisant eux-mêmes les fontes d'acier dans le haut-fourneau de Saint-Hugon, relevé pour cet objet de ses ruines, construit et dirigé par M. Beaunier.
M. Beaunier introduisit aussi à La Bérardière la fabrication de l'acier fondu : en 1819, l'ensemble des usines était déjà monté de manière à produire annuellement 240,000 kilog. d'acier naturel raffiné, et 30,000 kilog. d'acier fondu soudable. Dès 1818 les produits de ces usines avaient obtenu une médaille d'or, de la société d'encouragement pour l'industrie nationale; en 1819, à la suite de l'exposition des produits de l'industrie française, le gouvernement accorda aussi à M. Beaunier une médaille d'or, et la décoration de la Légion-d'Honneur. A l'exposition suivante, en 1823, il fut fait rappel de la médaille d'or de 1819, tant pour les fontes d'acier de Saint-Hugon que pour les aciers bruts de Beaupertuis, et pour les aciers fondus et autres, de toutes qualités, obtenus à La Bérardière. Peu de temps après M. Beaunier cessa de diriger ces établissemens.
Il s'occupait alors, et déjà depuis plusieurs années, d'un autre progrès industriel, plus important encore : il voulait introduire en France les chemins de fer, en construisant une voie de ce genre, qui unirait le Rhône à la Loire, à travers le bassin houiller de Saint-Etienne, chemin devant procurer immédiatement à la richesse minérale de ce pays des débouchés faciles, et former peut-être, dans la suite, un anneau de la grande chaîne de communication commerciale entre Marseille, Paris et le Havre. Quelques capitalistes éclairés, appréciant promptement la haute valeur de l'idée de M. Beaunier, s'associèrent avec lui pour la mettre en pratique, en commençant par la communication entre Saint-Etienne et la Loire, et ils lui en confièrent l'exécution. Il alla en Angleterre étudier les chemins de fer les plus perfectionnés à cette époque. Une ordonnance du 26 février 1823 autorisa la compagnie qu'il avait formée, à exécuter le chemin de fer de Saint-Etienne à Andrezieux; une autre ordonnance, du 30 juin 1824, approuva le tracé et les plans dressés par M. Beaunier, pour une longueur développée de 23 kilomètres : le chemin fut construit sous sa direction pendant les années suivantes, et livré au public en août 1827.
Dans cette opération, M. Beaunier avait à lutter contre les obstacles que présente toujours la création d'une industrie nouvelle, et à se préserver des mécomptes, des fautes que l'inexpérience fait presque toujours commettre dans la pratique. Le peu de longueur totale de son chemin, et la quotité connue et modérée du tonnage, qu'il ne pouvait pas espérer de voir dépasser tant que les canaux latéraux à la Loire ne seraient pas achevés, ne permettant pas de compter sur des bénéfices prochains considérables, commandaient l'économie dans les constructions. De cette circonstance, et de la configuration étroite et sinueuse de la vallée du Furens, que le chemin de fer devait suivre, résultait par exemple l'impossibilité d'un tracé avec des courbes à très grands rayons, telles que celles qui ont été construites plus tard sur d'autres voies du même genre. M. Beaunier dut aussi employer la fonte, comme matière première de ses rails, et non le fer malléable, qu'on a plus généralement employé depuis 1827, et le renchérissement considérable ( de 35 fr. à 50 fr. ) que la fonte éprouva en 1815 et 1826, accrut, dans une proportion notable et tout-à-fait inattendue, les dépenses premières de son entreprise. Enfin cette entreprise ne put être complétée ainsi qu'il l'avait conçue : la continuation du chemin de fer, de Saint-Etienne au Rhône, fut concédée à une autre compagnie; une troisième compagnie obtint le prolongement de la ligne du côté opposé, c'est-à-dire en descendant la Loire d'Andrezieux à Roanne, prolongement à l'étude duquel M. Beaunier avait consacré beaucoup de temps et de soins; et le chemin de fer de Saint-Etienne à Andrezieux est resté isolé, avec le désavantage, résultant de ce qu'il est placé entre deux chemins de même nature, beaucoup plus longs, pour lesquels, par conséquent, les frais annuels d'administration doivent être une fraction d'autant plus faible du montant de l'intérêt du capital engagé. De plus, les perfectionnemens apportés à la navigation des canaux du nord de la France, ont amené les houilles belges à Paris, à meilleur marché et en plus grande abondance, au moment méme où a commencé la viabilité du chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire, ce qui a enlevé à ce chemin une partie des produits qu'il semblait devoir offrir. Et pourtant, l'entreprise a heureusement résisté aux secousses qui depuis six ans ont ébranlé ou anéanti tant de spéculations industrielles plus brillantes, et la prospérité de son avenir paraît assurée, ainsi que l'accomplissement des prévisions de M. Beaunier, bien secondé dans sa gestion, il faut en convenir, par la sagesse et par l'entière confiance de l'administration de sa compagnie.
C'est en menant ainsi de front trois ou quatre genres de travaux différens, dont chacun aurait paru pouvoir suffire à une vie active, que M. Beaunier a passé douze années à St-Etienne. En 1822, étant encore ingénieur en chef du département de la Loire, il fut chargé de faire une tournée d'inspecteur divisionnaire, dans les département de l'Auvergne, du Dauphiné et de la Provence. Le compte qu'il a rendu de cette inspection, est surtout remarquable par des cartes géographiques départementales qui y sont annexées, et sur lesquelles il a tracé, au moyen de signes variés et d'annotations marginales, le résumé complet de la statistique minérale de chaque département.
Le 26 mai 1824, le grade d'inspecteur divisionnaire fut conféré à M. Beaunier, qui conserva la direction de l'école des mineurs, mais qui dut venir à Paris, tous les ans, pour participer pendant l'hiver aux travaux du conseil général des mines.
En novembre 1828, une commission chargée, sous la présidence du ministre du commerce et des manufactures, d'examiner diverses questions de législation commerciale, ouvrit une enquête sur la question des fers. Sur la demande adressée au ministre par les maîtres des forges du département de la Loire, M. Beaunier fut appelé et interrogé par la commission. Ses réponses, publiées en 1829, dans l'Enquête sur les fers, renferment, avec des renseignemens intéressans sur l'état de l'industrie du fer à cette époque, des aperçus frappants de vérité et en partie tout-à-fait neufs : sur la connexité de l'industrie du fer avec le développement de l'exploitation de la houille, l'établissement des chemins de fer, des canaux et des autres voies de communications, ainsi que relativement à la comparaison des effets que produirait sur toutes ces industries l'abaissement du prix des fers, dans les deux cas où cet abaissement serait obtenu par la réduction du droit établi sur les fers étrangers, ou par la concurrence entre les produits des usines françaises. En 1832, une enquête analogue ayant été ordonnée sur la question des houilles, M. Beaunier fut encore appelé à donner des renseignemens et à faire connaître son avis : le tout a été inséré par extrait dans le volume relatif à cette seconde enquête, publié en 1833.
Les sociétés industrielles s'empressaient aussi de recourir à ses conseils. En 1829, la compagnie des mines et du chemin de fer d'Epinac le pria de faire partie du conseil d'administration de cette entreprise, et il dut au moins céder aux sollicitations des chefs de la société, en faisant un voyage à Epinac, à l'effet d'examiner l'état des choses et la meilleure direction à donner au chemin de fer. En 1831, à la prière de la société des fonderies et forges d'Alais, il dressa, pour les mines de houille appartenant à cette compagnie, un projet de grands travaux d'aménagement, qui a reçu un commencement d'exécution, et dont l'achèvement aura pour effet d'assurer aux usines d'Alais un approvisionnement en combustibles, indépendant des concessions voisines.
Directeur de l'école des mineurs, et directeur du premier chemin de fer que l'on ait construit en France, M. Beaunier était appelé, par cette position, à recevoir un grand nombre de voyageurs, quelquefois d'un rang élevé, et par lesquels son mérite et son caractère étaient promptement appréciés : l'estime, on pourrait même dire l'amitié de tous, lui étaient de ce moment acquises ; mais il s'était acquis au plus haut degré l'estime et la confiance des habitans de Saint-Etienne, même sous les rapports les plus étrangers aux objets de ses études et de son service. Il fut délégué par la ville de Saint-Etienne, en plusieurs occasions importantes, soit auprès des ministres, soit, en 1831, lors des funestes evenemens de Lyon, auprès de M. le duc d'Orléans, auquel, peu de mois auparavant, il avait servi de guide dans la visite du chemin de fer, des usines et des mines; enfin, son élection comme membre du conseil municipal de Saint-Etienne, lorsque déjà il ne résidait plus habituellement dans cette ville, est un témoignage frappant de la considération et de la reconnaissance qu'on lui avait vouées.
En septembre 1830, M. Beaunier fut appelé au conseil d'état, comme maître des requêtes en service extraordinaire ; le 27 avril 1832, lors de la suppression du grade d'inspecteur divisionnaire des mines, il fut nommé inspecteur général de première classe; en janvier 1833, il fut élevé au grade d'officier de la Légion-d'Honneur. [NDLR : voir la composition du conseil général des mines en 1834 ainsi que les inspections générales des mines en 1834]
Bien qu'il fût obligé, par ses nouvelles fonctions, à une résidence presque constante à Paris, on crut devoir lui conserver encore la Direction de l'école des mineurs de Saint-Etienne, à l'administration de laquelle l'ascendant qu'il s'était justement acquis sur tous ses collaborateurs, rendait toujours cette direction, même éloignée, extrêmement utile.
A Paris, et indépendamment de sa coopération habituelle aux travaux du conseil général des mines, M. Beaunier fut successivement chargé de la préparation de plusieurs dispositions législatives ou administratives, importantes pour le corps des ingénieurs des mines, pour l'exploitation des mines, pour l'industrie minérale. Ses travaux de statistique dans plusieurs départemens l'avaient fait remarquer dès son début dans le service d'ingénieur; il était resté pénétré de l'importance que présente la réunion coordonnée de semblables collections de faits, et ses propositions ont beaucoup contribué à faire instituer, en janvier 1834, près de l'administration des mines, la Commission de statistique de l'industrie minérale, dont il fut nommé président. Les premiers résultats, recueillis et publiés par cette commission, à la suite du compte rendu des travaux des ingénieurs pendant l'année 1834, ont attiré l'attention ; les résultats du même genre, qui vont être publiés pour 1835, auront encore plus d'intérêt.
Tels sont les principaux travaux qui ont rempli la vie de M. Beaunier. Aucune carrière d'ingénieur des mines n'a été plus active, plus variée ; aucune n'a eu, successivement, ou même simultanément, pour objet, plus de fonctions importantes, plus de missions extraordinaires ; et cependant, souvent, dès sa jeunesse, l'état de sa santé ou les symptômes d'infirmités cruelles venaient s'opposer à l'accomplissement de ses travaux, et même affecter péniblement son esprit. Il n'avait pas encore vingt-huit ans, lorsque l'un de ses yeux s'affaiblit d'une manière rapide, et cessa bientôt à peu près complètement de voir. Peu de temps après des symptômes analogues se manifestèrent à l'autre oeil; un commencement de cataracte se déclara, et M. Beaunier eut l'effrayante perspective de devenir aveugle même avant la vieillesse. Cette crainte ne s'est pas réalisée ; mais, depuis l'âge de quarante ans, des douleurs rhumatismales, vives et fréquentes, combattues sans succès par l'usage répété des eaux thermales, une irritation gastrique contre laquelle il avait sans cesse à se défendre, enfin des mouvemens du sang, qui se manifestaient de temps en temps d'une manière inquiétante, lui laissaient peu d'intervalles de bonne santé.
Ces intervalles devinrent plus rares, depuis une maladie qui, en 1829, avait été causée en grande partie par une trop forte tension d'esprit, par des inquiétudes et des chagrins trop vivement ressentis. Souvent, dans ses dernières années, il se trouvait hors d'état de suffire aux travaux dont il était chargé ; souvent il parlait de sa retraite, ou même de sa fin, comme devant être prochaine; et la force de sa constitution, et la vigueur et la jeunesse de son esprit, empêchaient ses amis d'ajouter foi à ces tristes pressentimens.
En juillet 1835, une atteinte goutteuse le priva d'abord de l'usage de la main droite, et se compliqua bientôt avec des affections intestinales, graves et douloureuses. Pendant un mois, M. Beaunier fut en proie aux souffrances les plus vives, qu'il supporta avec courage et résignation. Il y a succombé, le 20 août 1835, âgé seulement de cinquante-six ans.
Peu de morts peuvent être plus regrettables, non-seulement pour le corps des mines et pour l'administration, mais pour le pays.
Doué d'un esprit juste, lucide et inventif, qui envisageait toujours les questions de haut, les voyait sous toutes leurs faces et dans tous leurs détails, possédant en outre à un degré peu commun la faculté d'appliquer les conceptions administratives, de même que les données scientifiques, M. Beaunier portait toujours la lumière sur les objets de son examen. Il se fût distingué dans les positions les plus élevées, ainsi qu'il s'est distingué comme ingénieur et comme industriel. II était promoteur zélé, mais éclairé, du progrès, dévoué à tout ce qui était bon et utile, incessamment préoccupé de tout ce qui lui semblait pouvoir contribuer au bien-être des hommes, à l'amélioration du sort des classes ouvrières, à la prospérité de la France.
Par ses rares et heureuses qualités, par son caractère aimable, M. Beaunier inspirait à ses chefs, comme à ses camarades et à ses subordonnés, une estime et une affection particulières ; et ces sentimens, il les inspirait même aux personnes qui n'avaient avec lui que des relations passagères. Bien éloigné de s'enorgueillir de cette sorte de succès, il semblait, dans des circonstances qui auraient pu paraître assez importantes pour lui, éviter les occasions d'en tirer le moindre avantage.
Lors de sa nomination comme chevalier de la Légion-d'Honneur en 1819, il fut assez modeste pour s'applaudir de ce que la décoration lui était donnée en qualité de manufacturier. «Si je l'avais reçue comme ingénieur, écrivait-il, il me faudrait en avoir honte : les plus dignes auraient dû passer avant moi.»
Il conserva toujours cette modestie, qui allait jusqu'à le rendre timide : au conseil d'état, il ne se décidait qu'avec la plus grande peine à demander la parole, même dans les discussions relatives aux sujets qu'il possédait le mieux.
Dans la société, M. Beaunier avait un esprit distingué et simple, original sans affectation, gai et bienveillant. On reconnaissait en lui un tact, une finesse d'observation et de discernement remarquables ; mais sa bonté, sa cordiale aménité étaient plus remarquables encore. Il faut avoir connu les charmes d'une longue intimité avec lui, pour savoir tout ce que ses amis ont perdu.... Pour apprécier tout ce qu'il valait comme fils, comme frère, comme second père de la fille de son frère, il faut l'avoir vu dans l'intérieur de sa famille, au bonheur de laquelle il avait consacré son existence.
M. Cordier, dont le nom s'est placé naturellement plusieurs fois, dans la mention de travaux qui lui ont été communs avec M. Beaunier, M. Cordier, son collègue au conseil d'état, comme au conseil général des mines, a prononcé, le 21 août, sur la tombe de notre camarade, un touchant discours, dont nous reproduirons ici les derniers mots :
« Les services que M. Beaunier a rendus au pays sont à jamais inscrits dans les fastes de l'ingénieur, et le souvenir s'en perpétuera au sein du corps des mines, où son nom vivra entouré d'estime, de respect et de reconnaissance. »
Plaque commémorative de la construction des premiers chemins de fer de France, installée par la mairie de Saint-Etienne devant la gare de Saint-Etienne Chateaucreux, au-dessous du buste de Marc Seguin. Photo R. Mahl.
Beaunier était entré directement à l'Ecole des mines de Paris le 19 ventôse an III (9 mars 1795) dans la première promotion de quarante élèves qui y furent successivement admis. Il passa ingénieur au second concours ouvert à cet effet, en octobre 1798, il resta dix-huit mois au laboratoire, employé par Vauquelin, et occupé à faire passer aux élèves leurs examens sur la chimie et la métallurgie.
Peu de carrières ont été plus et mieux, remplies que celle de Beaunier, dans toutes les branches industrielles et administratives dont le Corps des Mines peut être appelé à s'occuper.
Nous avons dit ses travaux de début dans le levé du bassin houiller de la Sarre. Il y fut, en outre, chargé de diriger l'usine et les mines de Geislautern, qui devaient être transformées, on le sait, en École pratique. Nous indiquons ci-dessus son rôle et son action, de 1813 à 1824, pour l'assiette de la propriété minière à Saint-Étienne. Les services éminents rendus par lui à cet égard le firent envoyer pour le même but dans les Bouches-du-Rhône et le Gard, en vue des concessions à instituer dans le bassin de Fuveau et dans celui d'Alais.
Nous le verrons plus tard poursuivant, à la Bérardière, des essais heureux pour la fabrication d'aciers fondus avec des fers français (1819-1823), créant et constituant en 1823-1827 le premier chemin de fer qui ait été concédé en France, et enfin fondant et dirigeant à Saint-Ëtienne, de 1816 à sa mort, l'École des mines de cette ville.
Les mémoires de Boussingault, élève à l'Ecole des mineurs à partir de 1818, décrivent Beaunier sous un angle inattendu :
" Le directeur M. Beaunier était un homme du monde. On disait tout bas que son talent de chanteur n'avait pas peu contribué à son avancement : c'était fort probable. Cependant je puis dire qu'il savait et professait fort bien la géologie. Sous l'empire, il dirigeait l'école des mineurs établie à Kaiserslautern et ce fut sur sa proposition qu'on créa l'école de Saint-Etienne ".
Pour un portrait de Beaunier, voir le site des noms de rues de Saint-Etienne
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