NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR JULES CALLON
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES.
Par M. JACQMIN, ingénieur en chef des ponts et chaussées, Directeur de la compagnie des chemins de fer de l'Est.

Annales des Mines, 7e série tome VIII, 1875.

Un nouveau nom vient s'ajouter à la liste déjà bien longue des pertes subies par le corps des mines depuis trois ans: c'est celui de Callon, inspecteur général et professeur à l'École des mines.

Après Combes, Sauvage, Audibert, Delaunay, Le Chatelier, il faut inscrire de Billy, Elie de Beaumont hier ; Callon aujourd'hui.

Parmi ces hommes éminents à tant de titres, trois appartiennent à une même promotion d'admission à l'École polytechnique (celle de 1834), Delaunay, Le Chatelier et Callon.

Delaunay, membre de l'Institut et directeur de l'Observatoire, périt misérablement dans une barque en voulant aller visiter la digue de Cherbourg. A vingt mois de distance, la maladie vient frapper les inspecteurs généraux Le Chatelier et Callon.

On pouvait, on devait espérer qu'à la période d'action dans laquelle chacun de ces ingénieurs avait si vaillamment servi succéderait une période plus calrne d'études, également féconde pour le pays. Dieu ne l'a pas voulu, et il a rappelé à lui ces âmes d'élite.

Tous les ingénieurs des mines connaissent l'intimité qui existait entre Callon et Le Chatelier, et, lorsqu'il eut le malheur de perdre son ami, Callon voulut rendre à sa mémoire un douloureux hommage. En relisant la Notice qu'il lui a consacrée, on est frappé de cette triste pensée, que tout a été semblable chez ces deux hommes : même origine, mêmes labeurs, même maladie peut-être, même mort prématurée; ils entrent ensemble aux grandes écoles, ils font ensemble leur voyage de mission ; nommés ingénieurs le même jour, ils sont, trente ans plus tard et le même jour encore, nommés inspecteurs généraux. En retraçant les premiers travaux de Le Chatelier, Callon faisait l'histoire des siens; en parlant de l'intelligence si vive, du coeur si chaud, de l'aménité si parfaite de son ami, Callon semblait écrire les passes de sa propre biographie.

La biographie de Callon est difficile à faire. Sa vie a été si remplie, son oeuvre a été si considérable, qu'il faut en aborder successivement les divers côtés.

Dans les pages émues qu'il a lues sur une tombe encore ouverte, M. l'ingénieur en chef des mines Dupont a donné les grands traits de la vie de Callon et dit les services qu'il avait rendus comme ingénieur et comme professeur.

Ces services ne sont pas les seuls, et la grande industrie minière et métallurgique peut revendiquer Callon comme un de ses chefs les plus éclairés. Pendant de longues années, il a été administrateur délégué de la compagnie des mines de la Grand'Combe, ingénieur-conseil de la Régie d'Aubin appartenant à la compagnie des chemins de fer d'Orléans, de la compagnie des Charbonnages belges et de beaucoup d'autres entreprises aussi importantes.

L'influence que Callon a exercée dans ces grandes affaires, au moment même où l'industrie prenait en France un essor inespéré, a été considérable, et elle mérite d'être signalée. Il convient également de rappeler la part qu'il a prise aux travaux de la commission centrale des machines à vapeur. Enfin Callon a beaucoup écrit, et ses ouvrages comportent et méritent une étude approfondie.

La veuve et les deux fils de Callon ont pensé qu'il pouvait appartenir à son parent, témoin de presque toute sa vie, de rappeler ses principaux travaux et surtout de dire quel a été cet homme aussi bon par le coeur qu'éminent par l'intelligence. J'essayerai de répondre au désir d'une famille cruellement frappée. Je n'appartiens pas au corps des mines ; mais il y a entre les ponts et chaussées et les mines tant de liens d'affection que les camarades de Callon ne considéreront pas ces pages comme l'oeuvre d'un étranger.

« Travaille comme ton cousin Jules Callon », était la recommandation qui m'était faite il y a plus de quarante ans. Si dans sa jeunesse studieuse et calme Callon méritait d'être cité comme modèle à ses proches et à ses condisciples, sa vie tout entière peut être donnée comme exemple aux ingénieurs et à tous les hommes qui veulent servir leur pays. Une seule année, la dernière, hélas ! il a mérité une critique : il n'a pas voulu compter avec sa santé, il a prodigué ses forces sans mesure, et il a succombé.

Nous n'avons pas cherché à établir dans un ordre purement chronologique la liste des travaux accomplis par Callon dans les fonctions publiques, les entreprises industrielles, les missions temporaires; une telle liste, d'une longueur exceptionnelle, renseignerait mal sur sa vie, et ne laisserait pas voir ce qui en a été le caractère distinctif, - l'ordre et la méthode.

Callon a suivi, en quelque sorte parallèlement, trois grandes directions :

1° Le professorat aux Écoles des mines de Saint-Étienne, d'Alais et de Paris;

2° L'organisation et le développement de plusieurs entreprises industrielles de premier ordre ;

3° La surveillance générale des machines à vapeur et l'étude de leur régime légal.

Aux travaux que comportait chacune de ces divisions de sa vie venaient s'ajouter incessamment des affaires en quelque sorte accessoires, mais souvent d'une extrême importance. Nous voulons parler :

  • De ses rapports sur les expositions universelles ;

  • De ses mémoires sur diverses questions relatives à la géologie et à l'art des mines;

  • De ses communications à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale ;

  • De ses études sur des entreprises de mines en France et à l'étranger, études faites en réponse à des demandes de consultations et donnant lieu à des réponses fortement motivées ;

  • Enfin d'une correspondance immense avec ses collègues, ses amis et ses anciens élèves.

    On peut se demander comment un seul homme a pu suffire à une telle tâche. La réponse est facile : Dieu avait accordé à Callon deux grandes grâces : en le faisant naître au sein d'une famille honorable entre toutes, il lui avait donné une intelligence exceptionnelle.

    Callon, reconnaissant de ces dons, avait mis au service de cette intelligence si grande une volonté de travail incomparable. Entrant résolument et dès ses plus jeunes années dans la voie laborieuse suivie par son grand-père, son père et son frère aîné, tous trois ingénieurs civils du plus haut mérite, il n'a jamais cessé de travailler. L'effort n'apparaissait pas au dehors, mais il était énergique et continu, il a duré prés de cinquante ans.

    Par sa famille paternelle, Callon était d'origine anglaise. Son arrière-grand-père, John Callon, propriétaire d'une fabrique de velours à Warrington, dans le Lancashire, mourut en 1779, laissant quatre fils et deux filles; ces enfants, appartenant comme leurs parents à la religion catholique, furent tous élevés en France.

    Trois des fils de John Callon fondèrent en Normandie, à Pont-Audemer et aux environs de Rouen, des filatures de coton et de velours avec des métiers anglais à peu près inconnus en France. C'était en 1788. Le moment était mal choisi par des étrangers pour l'introduction en France d'une industrie nouvelle. Leur nationalité, la substitution du travail mécanique au travail à la main, tout désignait les frères Callon aux fureurs populaires. Une partie des métiers furent incendiés, et après de courageux efforts l'entreprise dut être abandonnée. L'aîné, William, retourna en Angleterre, les autres se fixèrent en France, et l'un d'eux, Charles, embrassa la carrière d'ingénieur civil, carrière dans laquelle il a été remplacé par son fils Pierre, et par son petit-fils Charles, frère aîné de l'ingénieur des mines.

    Le nom de M. Charles Callon, professeur à l'Ecole centrale des arts et manufactures et ancien président de la Société des ingénieurs civils, est connu de toutes les personnes qui ont eu à s'occuper de travaux hydrauliques: les deux frères ont suivi avec un égal succès deux branches de l'art de l'ingénieur.

    I. - École des mines.

    Avant de dire quels ont été les travaux de Callon dans le professorat, il n'est pas inutile de rappeler ce qu'avait été sa jeunesse et de dire avec quelle préparation il abordait la tâche toujours redoutable de l'enseignement. Si le professeur a sur son auditoire une influence morale due soit à des études antérieures incontestées, soit à une pratique étendue, son succès est assuré. À ce point de vue, peu d'ingénieurs ont eu sur leur auditoire plus d'autorité que celui dont nous racontons ici la vie.

    Pierre-Jules Callon, né au Houlme (Seine-Inférieure) le 9 décembre 1815, venait avec sa famille à Paris en 1825 et entrait comme externe dans une petite pension qui suivait les cours du collège Chariemagne. Nous n'étions pas nombreux dans la pension Scribe; les répétitions y étaient chose à peu près inconnue; mais des intelligences comme celle de Callon n'avaient pas besoin de ces stimulants, et plusieurs fois son nom retentit aux distributions de pris du concours général. Excellent élève de lettres, il passait à l'étude des sciences sans effort apparent, et, après une année de mathématiques spéciales, il entrait le deuxième à l'Ecole polytechnique en 1834. Conservant ce rang à sa sortie, il quittait l'École des mines en 1838, le premier sur la liste de sa promotion ; son camarade Le Chatelier était le second.

    Après une mission accomplie en Allemagne avec Le Chatelier, Callon était nommé, le 18 mai 1839, professeur à l'École des mineurs de Saint-Étienne. Il y arrivait en possession d'une instruction littéraire et scientifique des plus étendues, instruction à laquelle il ajoutait successivement la connaissance des langues anglaise, allemande et espagnole. Avec l'habitude et le goût du travail, il possédait ce merveilleux instrument, la méthode. Jamais pressé, mais toujours prêt, il commençait sa carrière dans des conditions de succès que l'on a égalées, mais jamais dépassées.

    1. École des mineurs de Saint-Ëtienne. - L'École des mineurs de Saint-Étienne a été fondée par le gouvernement pour former des ingénieurs chargés de la direction des mines et des établissements métallurgiques; elle fournit aussi quelques sujets pour des emplois de garde-mines.

    Le personnel de l'École se compose d'un ingénieur en chef des mines directeur, et de trois ingénieurs professeurs. Callon, nommé en remplacement de M. Gervoy qui prenait la direction des mines de Villars et plus tard celle du chemin de fer de Lyon à Saint-Étienne, fut chargé du cours de mécanique et d'exploitation des mines. Son séjour à Saint-Etienne dura près de six années, pendant lesquelles il joignit à la préparation de son cours des études approfondies sur les mines qui existaient dans tout le département. En même temps il continuait ses études littéraires et lisait avec une grande ardeur les livres des principaux économistes, notamment ceux de J. B. Say dont il faisait une analyse complète.

    A cette époque, l'économie politique exerçait sur l'esprit des jeunes ingénieurs une séduction plus grande qu'aujourd'hui. On allait même volontiers jusqu'aux questions d'économie sociale, et plus d'un ingénieur consacrait une partie de ses loisirs à discuter les doctrines d'Enfantin et de Considérant. Plus sage, Callon sut se borner à l'étude des doctrines économiques, sans être attiré le moins du monde vers les doctrines fouriériste et saint-simonienne.

    En 1844 il obtint du ministre des travaux publics l'autorisation de faire un voyage de trois mois dans l'Amérique du Nord. Le ministre, en répondant à sa demande, lui traçait son itinéraire et lui demandait d'étudier:

    Le mode d'exploitation de la houille, de l'anthracite et des minerais de fer ;
    La fabrication de la fonte et du fer, celle des rails, des essieux et des bandages.

    Nous n'avons pas retrouvé les notes qu'il a rédigées pendant et après ce voyage, c'est-à-dire durant les derniers mois de son séjour à Saint-Étienne qu'il quittait à cette époque pour se rendre à Alais.

    2. École des maîtres-ouvriers mineurs d'Alais. - L'École des maîtres-ouvriers mineurs d'Alais est peu connue dans le nord de la France, et il nous paraît utile d'entrer à son sujet dans quelques détails qui montreront Callon aux prises avec des difficultés absolument nouvelles pour un jeune Professeur, - l'organisation d'une affaire.

    Il ne s'agissait plus seulement, en effet, de suivre pour un cours le programme tracé par plusieurs prédécesseurs; il fallait, tout en s'occupant du programme à rédiger pour une école toute nouvelle, montrer les services qu'on devait attendre de l'institution projetée, assurer le recrutement des élèves, songer à leur instruction religieuse et morale en même temps qu'à leur instruction professionnelle, et enfin veiller à ces mille détails qu'implique l'établissement d'un internat depuis les plus relevés jusqu'aux plus humbles.

    L'École d'Alais a été créée par ordonnance royale du 22 septembre 1843. Cette ordonnance peut être citée comme un modèle de prévision ; elle établit avec une grande netteté le but que l'on poursuit, et qui est de donner une instruction théorique, modeste mais suffisante, à des jeunes gens justifiant, par la production de leur livret, qu'ils ont pendant un an au moins travaillé comme ouvriers dans une mine.

    Les cours doivent comprendre l'arithmétique et la géométrie élémentaire, l'arpentage, le dessin linéaire, les levers souterrains, des notions de physique, de chimie, de minéralogie, de géologie et d'exploitation des mines. Tout cet enseignement doit être présenté sous la forme la plus simple et approprié à des hommes de la classe ouvrière.

    Dans l'intervalle des leçons de chaque année, les élèves, pendant deux périodes différentes de trois mois chacune, sont exercés à la pratique du travail des mines dans les différentes exploitations du bassin minéralogique d'Alais.

    Enfin on institue un conseil d'administration dans lequel sont représentées toutes les forces vives de la circonscription, le sous-préfet, un membre du conseil général, le maire d'Alais, l'ingénieur en chef des mines du département, l'ingénieur-directeur de l'École et deux concessionnaires de mines.

    Les moyens matériels étaient modiques; la ville offrait une partie des bâtiments de son collège et une somme de 4.555 francs; le département du Gard donnait 3.000 fr.; l'État payait le traitement de l'ingénieur-directeur et de deux aides ; enfin les directeurs des mines de la Grand-Combe, de Rochebelle, de Bességes et celui des Forges et fonderies d'Alais, offraient leur concours pour tout ce qui pouvait faciliter l'instruction pratique des élèves de la future École.

    La plupart de ces offres dataient de 1841 et beaucoup de temps fut perdu. Avant d'être ouverte, l'École était attaquée. On ne fera, disait-on, que de faux ingénieurs, que des demi-savants; on découragera les bons ouvriers. M. l'ingénieur en chef des mines Dupont a parfaitement rappelé ces fâcheux pronostics.

    Callon fut nommé directeur le 25 février 1845; il se mit résolument à l'oeuvre, et le 25 juillet paraissait un règlement d'administration publique complétant l'ordonnance de 1843. Ce règlement précise :

    Les modestes connaissances exigées des candidats; la lecture, l'écriture, les quatre règles, une orthographe passable ;

    La division de l'enseignement en période théorique et en période pratique, les bases de cet enseignement, etc., etc.

    Nous devons à l'obligeance de M. Dupont la communication des programmes arrêtés par le conseil d'administration le 22 octobre 1845. Ils répondent aussi parfaitement que possible au but désiré. On sent que le professeur ne perd pas un instant de vue son auditoire ; il parle arithmétique, géométrie, mais à des ouvriers, simplement et en ayant soin de revenir souvent en arrière pour s'assurer que tous ont compris. Dans l'exploitation des mines, tout ce qui touche aux accidents, aux éboulements, à la ventilation, est l'objet de la plus vive sollicitude ; et c'est ainsi que, pénétré de l'importance de ces sages conseils, plus d'un élève devenu maître-ouvrier aura su, au milieu des dangers qui surgissent dans la vie des mines, prendre une mesure utile et sauver son existence et celle de ses camarades.

    Après les programmes d'études viennent avec la précision polytechnique :

    a) Les tableaux de l'emploi du temps, jour par jour, heure par heure;

    b) Les mesures d'ordre, de discipline et d'hygiène, comme la toilette à grande eau le matin dans la cour, qui donnera à des mineurs le goût et l'habitude de la propreté! Ainsi encore le règlement des corvées. Il n'y a pas de domestiques dans l'École, tous les élèves ont été ouvriers et le redeviendront; aussi chacun à son tour veille-t-il à l'ordre et à la propreté de la maison; il suffit pour cela de se lever à quatre heures du matin ;

    c) Enfin, la composition de l'ordinaire.

    Callon, qui a dû toute sa vie tant de succès à la méthode, en assure les bienfaits à tous ceux qui l'entourent et presqu'à leur insu.

    Il est quelquefois question de modifier l'enseignement de l'École polytechnique. On dit qu'il faut diminuer la théorie et aborder de suite les idées pratiques. Rien de plus erroné à mon avis. Voici un homme, des premiers de sa promotion, un des plus forts en analyse, l'émule de Delaunay, eh bien ! personne ne l'égalera dans l'organisation de son École d'Alais : il précisera ce qu'il faut acheter d'huile pour la modeste cuisine de ses élèves.

    Quand l'enseignement donné à une seule promotion produit des hommes comme Michel, Molard, Delaunay, Le Chatelier, Callon, pour ne parler que des morts, on peut dire que cet enseignement laissait peu à désirer, et que si une réforme était à faire, il conviendrait de revenir aux programmes d'une époque qui a donné tant d'hommes distingués au pays.

    Le succès répondit aux efforts de Callon : depuis trente ans l'École d'Alais reçoit chaque année de quinze à vingt élèves, - il n'y a pas de place pour un plus grand nombre, - et chacun de ces élèves sait que son avenir est assuré. Un des successeurs de Callon à l'École d'Alais, M. l'ingénieur des mines Ledoux, en rédigeant récemment une note sur cet établissement, ajoutait ces mots : « Le plan d'études tout entier et l'organisation de l'École ont été si bien étudiés par Callon, que l'on n'a rien eu à y changer par la suite et qu'ils fonctionnent encore aujourd'hui comme le premier jour. »

    Callon fut appelé à Paris le 19 novembre 1848. Son départ pouvait compromettre l'institution naissante, mais il fut heureusement remplacé par son camarade Dupont; l'École eut cette bonne fortune d'être conduite pendant ses quinze premières aimées par deux hommes dévoués, Callon et Dupont. Ce dernier a eu la modestie de dire qu'il n'avait eu qu'à suivre le sillon tracé par son vaillant prédécesseur. Sans doute le sillon était tracé et la graine même avait déjà germé, mais la plante était jeune encore, et il a fallu bien des efforts pour arriver à récolter des fruits et des fruits abondants. Il a fallu assurer le recrutement de l'École, placer les élèves sortis, les suivre, les conseiller; il a fallu prouver à tous que ces jeunes ouvriers étaient devenus des maîtres, établir enfin que le titre d'élève de l'École d'Alais était un titre sérieux.

    Tout cela a été fait, et que M. Dupont me permette de le dire, son nom est largement associé à celui de Callon dans le succès de l'École d'Alais.

    Peut-être me reprochera-t-on ces détails; mais sans méconnaître ce qui a pu être fait d'utile à l'étranger, il me semble qu'il ne faut pas oublier notre pays et qu'il convient de dire qu'il existe en France une école excellente, fondée avec les ressources les plus modestes, et qui rend à une grande région des services incontestés.

    Formons le voeu de voir se multiplier les écoles de maîtres-ouvriers, et, si je n'ajoute pas ici le mot mineurs, c'est parce que les programmes de Callon peuvent s'adapter à un grand nombre d'industries.

    Deux événements importants dans la vie de Callon se sont accomplis à Alais : le 9 juin 1846, il était autorisé par le ministre des travaux publics à accepter les fonctions de directeur des mines de la Grand'-Combe, et l'année suivante, le 24 mai 1847, il se mariait. Il épousait la fille de M. de Monet de La Marck, ingénieur en chef des ponts et chaussées du département de l'Hérault. Fils d'ingénieur, il épousait la fille d'un ingénieur, et il entrait dans une famille pour laquelle la science a été l'objet d'un véritable culte. M. l'ingénieur en chef de La Marck [Guillaume Emmanuel Auguste DEMONET-LAMARCK dont le nom est devenu "de Monet de la Marck", né en 1791, X 1808], qui a la douleur de survivre à son fils, brillant officier de marine mort en Cochinchine [Eugène de Monet de la Marck, 1826-1867, X 1845], et à son gendre, Jules Callon, est le fils du grand naturaliste La Marck, membre de l'ancienne Académie des sciences et auteur de l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres.

    3. École des mines de Paris. Nous avons dû dire ce qu'était l'École des maîtres-ouvriers mineurs d'Alais; nous n'avons pas à donner de semblables détails pour la grande École des mines de Paris, dont tout le monde connaît les célèbres collections et l'enseignement élevé.

    L'École des mines a compté parmi ses professeurs Haüy, Vauquelin, Berthier, Senarmont, Ebelmen, Rivot, Élie de Beaumont, Callon ; elle a eu pour directeurs Dufrénoy et Combes. Les grandes traditions léguées par ces hommes illustres sont fidèlement suivies par M. Daubrée et ses éminents collaborateurs, et je m'applaudis presque de ne point appartenir au corps des mines, afin de pouvoir dire librement combien un tel établissement et de tels hommes honorent le pays.

    Pour tout ingénieur des mines désireux de prendre part à l'enseignement, arriver à l'École de Paris est un honneur suprême; ingénieur ordinaire, on ambitionne une chaire ; inspecteur général, on ne peut la quitter.

    Callon fut appelé à Paris le 16 novembre 1848 ; il était attaché au service des départements de Seine-et-Oise, Seine-et-Marne et Loiret, et à l'École des mines comme professeur suppléant des cours de mécanique et d'exploitation des naines. Peu de temps après il était successivement appelé au service des machines à vapeur du département de la Seine, à la commission centrale des machines à vapeur, enfin à l'École polytechnique comme répétiteur du cours de mécanique. Il ne garda que deux ans ces dernières fonctions.

    Le 24 août 1856, Callon fut nommé professeur titulaire des cours dont il n'avait été chargé que comme suppléant de Combes. Tout en conservant les bases adoptées par son illustre prédécesseur, il put donner à son enseignement la direction qui lui paraissait le mieux répondre aux besoins de son auditoire.

    Les professeurs qui ont l'honneur d'être chargés d'un cours, soit à l'École des mines, soit à l'École des ponts et chaussées, rencontrent deux difficultés spéciales : d'une part leur auditoire n'est pas homogène, d'autre part l'enseignement théorique et l'enseignement pratique doivent être associés dans une juste mesure.

    Les deux écoles reçoivent chaque année les élèves sortis de l'École polytechnique, des élèves externes, des élèves étrangers et des élèves libres.

    Les jeunes gens sortis de l'École polytechnique sont les premiers de leur promotion. A de rares exceptions près, depuis bien des années, les vingt et une places offertes habituellement par le gouvernement, trois mines et dix-huit ponts, pour parler le langage des jeunes camarades, sont prises par les vingt et un premiers sur la liste.

    La différence de préparation qui existe entre ces auditeurs et les autres élèves est donc très-grande ; elle a été diminuée - mais point comblée - par l'institution des cours préparatoires que doivent suivre ceux des élèves externes qui désirent à leur sortie obtenir un diplôme d'élève breveté.

    En second lieu, les Écoles des mines et des ponts et chaussées sont des écoles d'application comme l'École de Fontainebleau (combien d'années n'avons-nous pas dit l'école de Metz!); le professeur doit donc appliquer les théories exposées à l'Ecole polytechnique et non pas les poursuivre et les développer. Mais s'il est facile de poser ce principe, il l'est moins de le suivre, surtout dans le cours de mécanique dont Callon était chargé ; si la théorie domine, on revient à la mécanique rationnelle; si la pratique l'emporte, on se borne presque à la technologie.

    Pendant huit ans nous avons fait à l'École des ponts et chaussées le cours de machines à vapeur et d'exploitation des chemins de fer, et nous avons profondément senti cette double difficulté; nous estimons, que Callon a su admirablement la vaincre. En analysant la partie de ses cours qui vient d'être imprimée, nous nous efforcerons de faire ressortir combien facilement ses leçons, tout en partant des sommets élevés de la mécanique rationnelle, arrivaient à des séries de conclusions pratiques, conclusions aussi utiles aux futurs ingénieurs de l'Etat qu'aux futurs ingénieurs civils des mines.

    Callon a professé pendant vingt-quatre ans à l'Ecole des mines, de 1848 à 1872; il n'a manqué qu'une leçon, le jour de la naissance de son second fils. Bien souvent, dans l'intervalle des leçons, il faisait des courses de Paris aux extrémités de la France, passait en wagon deux nuits sur trois, rentrait chez lui à cinq heures du matin, mettait ses notes en ordre et montait à l'heure dite à l'amphithéâtre. Sa diction était lente à dessein, sa voix un peu sourde et voilée; mais pendant deux heures il savait retenir l'attention de son auditoire.

    « L'éducation d'un ingénieur n'est complète, a écrit Callon dans son Cours d'exploitation, que lorsqu'il a vu par lui-même et dans le dernier détail un grand nombre et une grande variété de gisements. »

    Peu de personnes soupçonnaient ce labeur écrasant; on savait Callon au courant des moindres perfectionnements, des moindres faits qui se produisaient dans l'industrie des mines, mais on ignorait à quel prix il se tenait à ce niveau élevé !

    A plusieurs reprises, celui qui écrit ces lignes a exprimé à Callon le désir de le voir prendre un peu de repos ; il lui disait que personne ne trouverait mauvais qu'un ingénieur plus jeune le suppléât dans une partie de ses cours et fît pour lui ce que lui-même avait fait huit ans pour M. Combes. Callon s'y est refusé obstinément Mes cours, me disait-il, sont pour moi un plaisir, un délassement. Ce n'est qu'en décembre 1872 que, vaincu par la fatigue, il a demandé un congé; mais au lieu d'employer ce congé à se reposer, il a entrepris l'immense publication qui devait résumer l'oeuvre de toute sa vie. Jamais il n'a tant travaillé pour l'École des mines et pour l'honneur du corps auquel il appartenait qu'en laissant aux générations qui s'y succéderont le secours écrit de son enseignement.

    Tout en s'acquittant avec un zèle extrême de ses fonctions de professeur, Callon fut attaché par le ministre des travaux publics à un certain nombre de commissions, les unes permanentes, comme celles des machines à vapeur, des Annales des mines, des règlements et inventions concernant les chemins de fer ; les autres temporaires, mais constituées en vue d'études importantes. Nous citerons parmi ces dernières les commissions chargées d'étudier : La révision de la loi sur les mines, Les tramways de Paris et les chemins métropolitains.

    II. - Affaires industrielles.

    Le professorat, nous l'avons dit plusieurs fois, ne suffisait pas à satisfaire l'activité intellectuelle de Callon ; aussi désirait-il vivement entrer dans une de ces grandes entreprises industrielles qui sont devenues, pour n'en citer que quelques-unes, les compagnies de chemins de fer du Nord, de Paris-Lyon-Méditerranée, d'Orléans, de l'Est, d'une part, les sociétés minières ou métallurgiques de la Grand'-Combe, du Creuzot, d'autre part.

    Le moment était du reste favorable. Ces grandes entreprises s'organisaient sur plusieurs points de la France et les jeunes ingénieurs se présentaient pour y prendre part. A Paris, Maniel et Le Chatelier, en 1846, entraient à la compagnie du Nord; dans l'est, Sauvage commençait, sous les ordres de M. Thirion, le chemin de fer de Metz à Sarrebruck; dans le département du Gard, M. Paulin Talabot, qui a eu, dans l'organisation des chemins de fer, des mines et des usines à fer dans toute l'Europe, une part si considérable pendant quarante années, recherchait pour les chemins de fer du Gard des ingénieurs jeunes et intelligents; il prit Audibert pour les chemins de fer et Callon pour les mines. Ici nous éprouvons un embarras semblable à celui que nous avons signalé au début de cette étude. Comment suivre Callon dans chacune des affaires industrielles auxquelles il a été attaché, soit à titre permanent sous les noms de directeur, d'ingénieur-conseil ou d'administrateur délégué, soit à titre temporaire comme ingénieur consultant?

    L'analyse des cent et quelques dossiers que nous avons retrouvés, leur seule énumératïon même découragerait tout lecteur; ce que nous voulons montrer, ce sont les services rendus par Callon au pays ; il suffira dès lors de le voir à l'oeuvre dans les affaires auxquelles il a été attaché pendant plusieurs années.

    Nous citerons à cet égard :

    En France:
    

    Les mines de la Grand'-Combe; Les établissements d'Aubin, de Denain et Anzin; Les mines de Ronchamp et de Marles;

    A l'étranger :

    Les charbonnages belges; Les mines de Sarre-et-Moselle; Les mines de Baruelo et de Belmez, en Espagne ; de Grolta-Calda, en Sicile.

    Pour les autres affaires nous chercherons à dégager de la correspondance de Callon les règles, en quelque sorte fondamentales, qui lui paraissaient devoir être suivies aussi bien dans l'étude que dans la pratique.

    TRAVAUX DE CALLON EN FRANCE.

    Mines de la Grand'-Combe. - La compagnie des mines de la Grand'-Combe est une des plus grandes entreprises minières de la France ; Callon y a été attaché à des titres divers pendant vingt-neuf ans, de 1846 à 1875. Directeur pendant deux ans, ingénieur-conseil à partir de 1848, enfin administrateur délégué en 1863, il a été, selon l'expression du président actuel du conseil d'administration de la société, M. l'ingénieur en chef Thirion, l'âme de l'entreprise.

    Nous l'avons dit en parlant de l'École des mineurs d'Alais, - si peu connue, - on semble ignorer ce qui se passe dans notre pays ; on se passionne pour des questions politiques générales ou locales sans importance, mais personne ne songe à faire l'histoire industrielle de la France. On en parle cependant volontiers, mais pour réclamer l'association des capitaux, l'émancipation de l'ouvrier, etc. Si l'on dit timidement qu'il a déjà été fait de grandes choses dans ce sens, que les chemins de fer, les grandes entreprises de mines sont le résultat de l'association, on vous répond « monopole, féodalité financière, oppression de l'employé de l'ouvrier. »

    Il faut pourtant s'entendre. Si l'on a désiré l'association des capitaux, c'est apparemment pour qu'elle produisît quelque chose. Il n'y a pas de création plus démocratique que celle des grandes compagnies de mines ou de chemins de fer ; les petits capitalistes porteurs de trois ou quatre actions, de cinq ou six obligations, souvent moins encore, qui les jours d'échéance font queue à nos guichets, doivent être bien étonnés, le soir en lisant leur journal, de découvrir qu'ils sont des seigneurs féodaux.

    Quant à l'oppression, les chefs des compagnies sont assiégés de demandes d'emploi auxquelles ils ne peuvent faire droit, parce que toutes les places vacantes sont prises par les fils des opprimés.

    Enfin, il faut émanciper les ouvriers; mais la première chose à faire est de les émanciper de la faim, et pour cela de leur assurer du travail.

    Heureusement qu'à côté de tous les rhéteurs, de tous les sophistes, il y a des hommes énergiques qui travaillent silencieusement, qui constituent des instruments de production puissants et qui sauvent le pays. Montrons, pour nous renfermer dans notre sujet, ce qui a été fait à la Grand'-Combe.

    La législation qui, dans notre pays et dans la plus grande partie de l'Europe, régit les mines et la propriété minière, prévoit le morcellement. Elle a redouté le monopole de la production, et par suite l'élévation des prix, mais elle a dépassé le but. La plupart du temps, le morcellement des concessions n'a abouti qu'à l'apparition de sociétés impuissantes; on a gratté le sol aux affleurements, on a fait quelques sondages pour ne pas encourir la déchéance et l'on a attendu.

    Dans le département du Gard, la situation de l'industrie houillère n'était pas brillante vers 1830: beaucoup de concessions morcelées dans les vallons abrupts des Cévennes, mais peu de capitaux, peu de population, et point de moyens de communication.

    Des hommes intelligents et courageux, à la tête desquels se trouvait M. Paulin Talabot, commencèrent par grouper six concessions houillères accordées de 1782 à 1817 à diverses personnes; puis ils obtinrent la concession des chemins de fer d'Alais à Beaucaire et, d'Alais à la Grand'-Combe; en 1837 était constituée la société en commandite des mines de la Grand'-Combe et des chemins de fer du Gard. La réunion des concessions dans une seule main donnait déjà une grande unité de direction. Dès que les chemins de fer assurant un débouché dans la vallée du Rhône furent ouverts, on développa l'extraction qui en dix ans, de 1836 à 1845, s'éleva de 34.432 tonnes à 295.618 t.

    Ce développement de la production était magnifique ; mais l'exploitation se faisait « sans aucun projet d'ensemble, sans méthode et sans ordre; on attaquait les charbons les plus facilement accessibles et les plus rapprochés des routes.

    « Dès l'année 1846, l'administration de la compagnie comprenait qu'elle devait apporter dans l'exploitation de ses richesses la régularité et la méthode, et elle faisait commencer l'étude des terrains et de l'aménagement général. »

    Nul plus que Callon ne pouvait répondre au désir que l'on manifestait de voir apporter dans une affaire de la régularité et de la méthode.

    Cependant les problèmes à résoudre étaient considérables ; il fallait, sans rien interrompre :

    1° Développer les travaux commencés dans des conditions convenables ;

    2° Modifier la marche dans les galeries mal attaquées;

    3° Reprendre les vieux travaux là où il existait encore beaucoup de houille, combattre les feus naturels, se préserver des eaux accumulées dans les vieux travaux noyés ;

    4° Adopter des modes de roulage mécaniques, désirables partout, mais indispensables dans un pays où la main-d'oeuvre était rare ;

    5° Enfin, assurer l'avenir par l'aménagement.

    Callon se mit résolument à l'oeuvre ; il se trouvait en face d'un problème vraiment magnifique pour un ingénieur: arracher du sein de la terre les richesses qu'elle renferme et demander aux forces naturelles la plus grande partie du travail à accomplir. Son champ d'études avait une superficie de 92.000 hectares, deux fois l'étendue du département de la Seine ; le relief du sol était fort accidenté et présentait des différences d'altitude de plus de 300 mètres.

    Ces différences d'altitude permettaient de recourir à l'action de la gravité, soit pour aller chercher dans des carrières et amener à l'intérieur des mines les remblais destinés à remplacer le charbon dans les excavations, soit pour conduire au dehors les wagons chargés de houille, et ramener sur quelques points les wagons vides au point de départ.

    Le système général d'exploitation du bassin de la Grand'-Combe se divise en deux branches bien distinctes : dans une partie, la plus anciennement attaquée, on exploite par galeries et avec des plans inclinés débouchant au jour; dans la seconde partie, la plus importante pour l'avenir, on exploite et l'on exploitera par puits.

    Les plans inclinés étaient donc connus à la Grand'-Combe avant 1846; mais, à partir de cette époque, leur application se poursuit sur la plus grande échelle ; ils sont poussés aux plus hauts sommets pour charger les remblais, ils descendent dans les mines et reparaissent au jour pour conduire les houilles aux quais de chargement ou aux usines dans lesquelles elles seront lavées, transformées en coke ou en agglomérés (*). En 1874 il a été fabriqué, à la Grand'-Combe, 178.000 tonnes d'agglomérés; quelques années auparavant on laissait dans certaines exploitations 40 p. 100 de houille extraite: personne ne savait utiliser les charbons en poudre.

    Il nous serait impossible de décrire tous ces plans inclinés sur lesquels la gravité remplit toujours son rôle silencieux; sur quelques points, deux ou trois ouvriers agissent sur des freins et suffisent à assurer la marche régulière de 1.800 bennes par vingt-quatre heures. Les wagons vides sont remontés tantôt par les wagons pleins, tantôt par des appareils hydrauliques qu'alimentent les eaux des mines.

    Cette première partie du service assurée, il fallait s'occuper de l'avenir. - Il n'y a pas, en effet, de travaux de plus longue haleine que les travaux de mines; il faut des années pour foncer des puits, ouvrir des galeries, et l'importance de ces travaux est la meilleure réponse à faire aux partisans des exploitations morcelées. - L'allure générale des couches fut reconnue dans une partie de la concession, l'emplacement des puits déterminé avec une grande précision et l'aménagement assuré pour une production normale de 700.000 tonnes; en 1874 on en a extrait 613.000.

    Mais il rie suffit pas de rédiger des projets et de résoudre les difficultés d'un ordre purement scientifique. Des difficultés d'un autre ordre s'imposent aux ingénieurs et aux hommes placés à des titres divers à la tête des grandes entreprises industrielles : il faut trouver des collaborateurs à tous les degrés, et assurer à chacun d'eux, aux plus humbles surtout, les moyens de se procurer les choses nécessaires à la vie.

    A la Grand'-Combe la tâche n'était pas aisée ; les plateaux, couverts de châtaigniers et de bruyères, se refusent à la culture des céréales ; la population est très-clairsemée dans les Cévennes et, en 1836, bien que les mines fussent déjà exploitées, la commune de la Grand'-Combe n'avait que 674 habitants; trente ans après, elle en avait 9.367.

    Nous tracerons une nomenclature succincte des travaux faits par la société de la Grand'-Combe pour donner satisfaction aux besoins matériels et moraux de cette agglomération importante :

    Construction de casernes offrant 33.500 mètres d'espace couvert ;

    Organisation d'un magasin de subsistances et d'objets de première nécessité permettant de vendre le pain, le vin, la viande au-dessous des prix courants, et fonctionnant dans les années difficiles comme régulateur des prix (le montant des ventes faites par ce magasin a crû d'année en année et, en 1874, il s'est élevé à 1.917.000 francs; aucune difficulté ne s'est produite);

    Construction d'une église catholique qui a coûté 410.000 f, d'une chapelle à Champclauson, d'un temple protestant, d'une mairie, d'écoles de garçons et de filles dirigées par les frères des écoles chrétiennes et par les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, d'écoles protestantes, de salles d'asile, de presbytères, etc...

    Les chefs de l'entreprise de la Grand'-Combe peuvent justement s'enorgueillir des résultats obtenus. L'avenir matériel est assuré par des travaux préparatoires presque complètement achevés et qui aménagent plus de 80 millions de tonnes de houille. En même temps il existe entre les ouvriers et la direction un accord complet et une confiance mutuelle; le pays tout entier arrive à l'aisance. Depuis 1848 il n'y a eu ni grèves, ni révoltes, ni agitations politiques, et tout fait espérer la continuation d'un état de choses si honorable pour les patrons et pour les ouvriers.

    Sans aucun doute ces grands résultats sont principalement dus aux efforts persévérants de la direction locale de M. Beau et de ses collaborateurs dévoués; mais nous n'hésitons pas à dire que l'on doit en attribuer une part, et une part importante, à l'administrateur délégué. Par sa connaissance approfondie du pays et de sa constitution géologique, par sa haute raison, par sa bienveillance, Callon a exercé à la Grand'-Combe une influence considérable. Il y allait souvent et il y séjournait volontiers. Dans cette atmosphère, en quelque sorte sympathique, de succès légitimes, de bon ordre, de travail, il se savait respecté de tous, aimé de tous ceux qui l'avaient approché.

    Monument élevé à la mémoire de Callon. - A la nouvelle de la mort de Callon, tous les conseils d'administration des entreprises auxquelles il était attaché ont consigné aux registres de leurs délibérations l'expression des sentiments que leur faisait éprouver une si grande perte. Le conseil d'administration de la Grand'-Combe a fait plus : dans sa séance du 11 juin 1876, il a décidé qu'un monument serait élevé à la mémoire de Callon sur une des places de la Grand'-Combe, et qu'une inscription commémorative rappellerait les services rendus par cet ingénieur éminent. « La compagnie, dit la délibération, n'oubliera pas qu'elle lui est, en grande partie, redevable de sa prospérité. »

    Établissements d'Aubin. - En 1857, la compagnie des chemins de fer d'Orléans, héritière pour la plus grande partie de la compagnie du Grand-Central, s'est trouvée, de ce fait, en possession des établissements d'Aubin. Ceux-ci comprenaient :

    a) Plusieurs concessions houillères tant dans le bassin d'Aubin que dans celui des environs de Rodez;

    b) Quatre usines à fer ;

    c) Des concessions de minerai de fer, de cuivre et de plomb argentifère.

    Après avoir constitué, pour l'exécution des chemins de fer qui provenaient de cet héritage, un réseau spécial et en avoir donné la direction à M. l'ingénieur en chef Thirion, le conseil d'administration de la compagnie d'Orléans, un peu embarrassé des difficultés que paraissait comporter la gestion de ces établissements, jugea utile de nommer auprès du comité et de la direction un ingénieur-conseil chargé d'étudier toutes les questions techniques. « Les fonctions d'ingénieur-conseil, lisons-nous dans le rapport de 1858, ont été confiées à M. Callon, ingénieur en chef des mines, dont le nom fait autorité dans l'industrie. »

    Le premier soin de la direction du réseau central avait été d'examiner si la production des houillères et des établissements métallurgiques était en rapport avec le développement des voies de circulation et avec les besoins de la compagnie d'Orléans; on jugea prudent de limiter la production houillère à 80.000 tonnes, et celle des rails à 7.000 tonnes, sauf à imprimer aux exploitations une activité nouvelle dès que l'on serait en possession des chemins de fer en construction.

    En même temps les conditions de l'exploitation technique étaient l'objet de l'attention la plus sérieuse.

    Des schistes charbonneux, qui avaient été employés comme remblais et qui s'échauffaient d'une manière inquiétante, furent enlevés et remplacés par des remblais terreux.

    Deux années suffirent pour arriver à une marche normale; la production houillère s'élevait :

    En 1860, à 146.000 tonnes;
    En 1868, à 186.000 tonnes.

    Concentrée à Aubin, la fabrication des rails donnait:

    En 1860, 12.500 tonnes;
    En 1868, 26.600 tonnes.

    Dans cet intervalle, la compagnie d'Orléans, sur les conseils de la direction du réseau central, aliénait les concessions et les établissements éloignés d'Aubin, de manière à ne conserver qu'un centre de production aussi bien pour la houille que pour le fer.

    Les rapports présentés chaque année aux assemblées générales des actionnaires par le conseil de la compagnie d'Orléans permettent de suivre les progrès réalisés tant sous le rapport de l'augmentation des produits que sous celui de la diminution du prix de revient. Les paragraphes consacrés dans ces rapports à la régie d'Aubin montrent que le prix des rails, fixé d'abord à 550 francs la tonne, s'abaisse successivement à 230 francs et à 200 francs, et descend même au-dessous de ce dernier chiffre.

    La régie d'Aubin offrait aux ingénieurs qui en étaient chargés un grand attrait. Le but à atteindre était la fabrication des rails; mais, comme on avait sur place le combustible et les minerais, on se trouvait dans une indépendance que peuvent rarement obtenir les forges obligées de compter, les unes avec les producteurs de minerais, les autres avec le commerce des combustibles.

    Par les conseils de Callon, les réformes d'abord, les perfectionnements ensuite, furent introduits partout :

    Les mines sont sagement aménagées en vue d'une production déterminée;

    La marche des hauts fourneaux, malgré la pauvreté et la nature rebelle des minerais, est régulière et la consommation du coke réduite ;

    Les fours à coke sont transformés.

    Callon eut à lutter contre une difficulté spéciale, - la mauvaise qualité de l'eau dont on pouvait disposer pour l'alimentation des chaudières à vapeur. Ces eaux contenaient de l'acide sulfurique, et la destruction des tôles était tellement rapide que les réparations ne coûtaient pas moins de 60 à 70.000 francs par an. On prit le parti héroïque d'aller chercher les eaux du Lot à 9 kilomètres de distance et à un niveau inférieur de 100 mètres à celui des établissements. L'opération a complètement réussi; les chaudières ont été alimentées d'une manière normale, et l'eau a pu être donnée au village de Gua, dans lequel cinq à six cents familles d'ouvriers manquaient absolument d'eau potable.

    La sollicitude de Callon se portait en même temps, et toujours de la façon la plus active, sur les mines métalliques, et les travaux, après un mûr examen, étaient concentrés sur un filon de plomb argentifère exploité par le puits de la Baume. En 1867, l'exploitation donna 626 tonnes de minerai qui furent vendues directement au commerce et produisirent une somme de 500.000 francs supérieure à tous les frais d'exploitation et de recherches.

    En résumé, l'acquisition des établissements d'Aubin, qui avait été plutôt subie qu'acceptée par la compagnie d'Orléans et qui paraissait dès le principe constituer la partie la plus onéreuse de l'héritage de la compagnie du Grand-Central, n'est plus une charge pour la compagnie d'Orléans. Celle-ci y trouve au contraire un appoint précieux pour les approvisionnements de la traction et de la voie, et, pour ce dernier service, un instrument de modération dans les prix généraux du marché des rails.

    Les motifs qui avaient engagé la compagnie d'Orléans à constituer le réseau central n'existaient plus en 1867, et M. l'ingénieur en chef Thirion se retirait après avoir accompli la tâche difficile qu'il avait acceptée. Callon prit alors la direction de la régie d'Aubin, et dans cette situation nouvelle il eut occasion de déployer, lors des circonstances graves que tout le monde connaît, la sagesse et l'énergie de son caractère.

    En mars 1870 il quittait la compagnie d'Orléans en y laissant, dit le Rapport de cette année, les meilleurs souvenirs.

    Hauts fourneaux et forges de Denain et Anzin. - Pendant six années, de 1866 à 1872, Callon a fait partie du conseil d'administration de la compagnie des hauts fourneaux et forges de Denain et Anzin, et il pouvait être considéré comme le directeur technique de ce grand établissement.

    Durant cette période, l'organisation des usines fut améliorée, l'outillage en partie renouvelé, et la production annuelle atteignit le chiffre de 40.000 tonnes.

    Sur les conseils de Callon, le projet d'une aciérie semblable à celles qui existent dans le centre et dans le midi de la France fut préparé; mis à exécution depuis son départ, ce projet a doté le département du Nord d'une industrie nouvelle et considérable.

    Mines de Ronchamp (Haute-Saône). - Le bassin houiller de Ronchamp, situé à la pointe sud-est du département de la Haute-Saône, à 22 kilomètres de Belfort, aux portes de l'industrieuse Alsace, trouve très à portée un débouché facile et important. Callon y a rempli pendant de longues années les fonctions d'ingénieur-conseil, et il a pris part aux plus grandes opérations :

    a) Fonçage de quatre puits de 300 à 600 mètres de profondeur; deux autres commencés; tous à travers des terrains difficiles;

    b) Établissement des fours à coke;

    c) Création d'un réseau de voies ferrées, etc., etc.

    En me donnant ces détails, un des membres du conseil de Ronchamp ajoutait : « Par son sens éprouvé, par son calme constant au milieu des discussions quelquefois pénibles, comme en face des plus graves accidents, Callon nous inspirait à tous autant de confiance que d'affection. »

    Nous retrouvons partout la même impression ; on ne pouvait en effet se trouver en contact avec Callon sans prendre confiance en lui et sans l'aimer.

    Callon eut à traiter à Ronchanap une question qui se présente bien souvent dans l'industrie des mines et que nous retrouvons constamment sous sa plume, - la réunion en une seule de deux ou de trois concessions.

    Les concessions dites de Ronchamp et d'Éboulet demandaient au gouvernement l'autorisation de se réunir, et l'on ne manquait pas d'objecter que cette réunion aurait pour conséquence l'élévation des prix, l'oppression du pays par une société devenue trop puissante, etc., etc..... Callon répondait :

    « L'objet de la réunion projetée n'est pas de constituer un monopole, mais au contraire de lutter contre un monopole déjà constitué, celui des mines de Sarrebrück, monopole d'autant plus dangereux qu'il est entre les mains d'un gouvernement étranger. En cas de guerre, l'industrie de tout l'est de la France pourrait se trouver subitement paralysée, s'il n'existait pas en France même des mines établies dans des conditions qui leur permettent de soutenir la concurrence des charbons étrangers. »

    Les faits n'ont-ils pas répondu aux prévisions de Callon, et ne devons-nous pas désirer l'accroissement par tous les movens possibles de la puissance de production du seul bassin houiller que la France possède encore sur ses frontières de l'Est?

    Mines de Marles (Pas-de-Calais}. - La compagnie des mines de Marles exploite une des riches concessions du Pas-de-Calais. Fondée en 1852, elle s'est développée lentement. En 1867, au moment où Callon devint son conseil, elle n'avait qu'une fosse en activité et une autre en construction. Depuis cette époque, cette seconde fosse a été achevée et mise en service ; une troisième est en foncage, et des travaux sont en cours d'exécution pour doubler le rendement de la première. L'extraction qui, en 1867, ne dépassait pas 100.000 tonnes, a atteint, en 1873, le chiffre de 251.000 tonnes. Dans deux ans la concession sera en mesure de livrer au commerce chaque année, si celui-ci les réclame, de 450 à 500.000 tonnes.

    La concession de Marles, comme toutes les houillères du Pas-de-Calais et du Nord, rencontre une difficulté considérable, - le recrutement de la population ouvrière: dans ces riches départements la main-d'oeuvre abonde et l'ouvrier ne descend pas toujours volontiers dans la mine.

    La correspondance de Callon révèle cette incessante préoccupation. Nous lisons dans une de ses lettres de 1872:
    « Le recrutement est pour nous en ce moment la grande affaire ; nous sommes limités, non par la puissance de production des travaux, non par le manque d'babitations pour les hommes, mais par le manque d'hommes pour nos chantiers et nos maisons.

    « ... Il faut éviter vis-à-vis des autres industries l'apparence d'une compétition trop directe, d'une sorte de mise aux enchères qui se traduirait bien vite en augmentations de salaires onéreuses et inefficaces. » En 1874, il revient encore sur cette grave question : « La hausse des salaires est due à la fois à l'augmentation du prix des journées, fait général contre lequel il était impossible de lutter en présence de ce qui se passait dans les autres charbonnages, et à la diminution de l'effet utile de l'ouvrier, conséquence malheureusement assez ordinaire de l'augmentation du prix de la journée. »

    Callon signale et insiste sur un fait économique douloureux : dans beaucoup d'industries, la production diminue en raison inverse de l'élévation des salaires; mieux payé, l'ouvrier travaille moins. Comment un pays tout entier peut-il s'enrichir si la production diminue, si même elle reste stationnaire? Rien de plus légitime que l'aspiration de l'ouvrier à un salaire meilleur, nous le proclamons hautement, mais, cette augmentation obtenue, qu'il ne cesse pas de travailler !

    TRAVAUX DE CALLON A L'ÉTRANGER.

    Les travaux de Callon à l'étranger ont été considérables. Nous avons dit que dès 1844 il obtenait du ministre des travaux publics l'autorisation d'aller en Amérique, depuis il a fait un nombre considérable de voyages en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne. Nous ne citerons que quelques-uns de ces travaux.

    Société anonyme de Charbonnages belges.- La compagnie de Charbonnages belges, dont Callon a été administrateur de 1866 à 1875, se compose des concessions de l'Agrappe et Grisoeuil et de l'Escouffiaux, d'une étendue totale de 4.061 hectares, dans le bassin du couchant de Mons.

    L'extraction par année est en moyenne de 4 millions d'hectolitres ; elle n'a pas sensiblement varié depuis vingt ans.

    Mines de Sarre~et-Moselle. - Peu de temps après l'ouverture du chemin de fer de Metz à Sarrebruck, on se préoccupa de mettre en valeur les gîtes de houille formant, sur le territoire alors français, le prolongement des couches puissantes exploitées sur le territoire allemand. Plusieurs sociétés se formèrent et entreprirent des travaux qui pour la plupart n'aboutirent qu'à des mécomptes, à raison des difficultés que présentait la traversée des morts terrains très-épais et très-aquifères.

    Deux sociétés sur neuf (le morcellement des concessions avait été largement appliqué) atteignirent la houille : celle de L'Hôpital et celle de Carling.

    La société de L'Hôpital, qui avait commencé ses travaux longtemps après les autres, put recourir aux procédés de fonçage Chaudron, et elle réussit facilement.

    La compagnie de Carling entreprit le fonçage de son puits par les anciens procédés; jusqu'à 160 mètres de profondeur, elle eut à lutter contre de véritables torrents d'eau, et elle ne parvint à organiser qu'une exploitation fort restreinte et souvent interrompue. Mais Callon était son conseil, et c'est grâce à son concours que tant de difficultés furent vaincues.

    Plus tard, quand il fut nommé ingénieur-conseil de la société générale, Callon profita de cette situation pour constituer et préparer, sous le patronage de cette grande compagnie financière, la fusion des neuf compagnies du bassin français. L'affaire était arrivée à terme lorsque survinrent les événements de 1870 qui la firent abandonner. Reprise depuis, elle a été menée à bonne fin sur des bases peu différentes de celles qui avaient été adoptées en 1870, et, quoique allemande par le fait de l'annexion, l'entreprise de Sarre-et-Moselle est restée à peu près exclusivement entre des mains françaises. Callon n'avait pas conservé dans la nouvelle organisation un titre officiel; mais son expérience était souvent, à titre officieux, mise à contribution.

    Là comme à Marles, comme à Ronchamp, comme à la Grand'-Combe, et nous pouvons dire comme dans toutes les entreprises, sa mort laisse un vide qui ne sera pas comblé.

    Mines de houille et établissements métallurgiques en Espagne.- Callon s'est beaucoup occupé du développement de l'industrie minière et métallurgique en Espagne ; il a fait de nombreux voyages à ce pays, et dans toutes les questions techniques son nom avait acquis une très-grande autorité.

    Il nous est impossible d'analyser les rapports qu'il a laissés sur l'Espagne; il a successivement étudié et souvent à plusieurs reprises :

    Les minerais de fer de Bilbao et de toute la côte;

    Les mines de cuivre gris argentifère de l'Aragon;

    Les mines de plomb de Linarès;

    Les mines de mercure des Asturies;

    Les bassins houillers de presque toute la Péninsule.

    Dans toutes ces études, Callon montre à la fois sa profonde instruction professionnelle et son immense bon sens. Après avoir apprécié les richesses enfouies dans le sol, il recherche s'il existe des chemins, s'il est possible d'en créer, s'il y a une population ouvrière, ce qu'il faut faire pour en attirer une et surtout pour la retenir.

    Sur quelques points il conseille de construire des usines à fer; il prouve qu'on peut arriver en Espagne à produire du fer à aussi bon marché qu'en Belgique. Sur d'autres points, au contraire, il faut, suivant lui, se contenter de chercher à vendre soit la houille, soit les minerais.

    Nous dirons quelques mots de deux affaires qui ont été créées à la suite des travaux de Callon : nous voulons parler des charbonnages de Baruelo et de Belmez.

    Charbonnage de Baruelo. - Il y a une quinzaine d'années Callon fut chargé par la société du Crédit mobilier espagnol d'étudier la formation carbonifère de la Castille, et de déterminer sur quels points de ce vaste bassin il conviendrait d'ouvrir une exploitation destinée à assurer le service du chemin de fer du Nord.

    Après un long et pénible voyage à cheval dans les Asturies et sur le versant sud de la chaîne Cantabrique, il fit un remarquable rapport sur la question qui lui était posée. Adoptées par le Crédit mobilier espagnol, ses conclusions déterminèrent la création à Baruelo d'un grand centre minier.

    La population ouvrière, installée dans des régions à peu près désertes, s'élève aujourd'hui à 5000 âmes, et la production houillère dépasse 100.000 tonnes.

    Compagnie houillère et métallurgique de Belmez. - En 1866, les principaux concessionnaires du bassin houiller de Belmez et de l'Espiel s'efforcèrent de constituer en une seule société les deux cents et quelques mines qui existaient dans ce bassin. Il fut impossible de réaliser une fusion complète ; mais on parvint à grouper un assez grand nombre de concessions qui se réunirent sous le nom de Compagnie houillère et métallurgique de Belmez. La présidence du conseil d'administration de cette société étrangère fut donnée à Callon, qui avait pris une grande part à l'étude de la valeur des concessions isolées. Dans cette situation, il eut occasion de rendre un véritable service à toute l'industrie espagnole. La loi du 6 juillet 1859 sur les mines avait poussé le système du morcellement des concessions au delà de toute mesure; la propriété minière était divisée en une multitude de petits rectangles sur chacun desquels, à peine de déchéance, le concessionnaire était obligé d'employer un nombre déterminé d'ouvriers pendant un nombre fixé de jours dans l'année. Une loi votée par le congrès, le 13 juillet 1867, a modifié cette situation d'une manière notable, et les personnes qui poursuivirent en Espagne cette révision d'un régime ancien s'inspirèrent fréquemment des conseils de Callon.

    Callon aimait l'Espagne et nous l'avons, à plusieurs reprises, entendu dire que ce magnifique pays ne manquait que d'une chose, - le travail ou un instrument de travail. Il aura beaucoup travaillé pour lui assurer ce bienfait.

    Compagnie soufrière de Grotta-Calda (Sicile). - Les procédés d'exploitation des mines de soufre en Sicile sont probablement encore aujourd'hui sur beaucoup de points ce qu'ils étaient il y a mille ou quinze cents ans : des enfants pénètrent dans des galeries irrégulières à travers lesquelles le passage est à peine possible, et ils rapportent sur leur dos quelques kilogrammes de minerai. Cette méthode barbare entraîne une énorme mortalité parmi ces enfants et une dégradation physique et morale pour ceux qui y résistent quelques années.

    D'après les conseils de Callon, une exploitation comparable aux grandes exploitations du continent a été organisée, pour arriver aux richesses enfouies dans la mine de Grotta-Calda. Un puits de 140 mètres a été foncé et muni d'une puissante machine d'extraction ; des routes ont été créées pour permettre les transports. En un mot, les méthodes de l'exploitation moderne et humaine se substitueront aux méthodes de l'exploitation ancienne et cruelle.

    De telles transformations ne s'opèrent qu'au prix du temps; les travaux décidés en 1869 s'achèvent en ce moment seulement, mais tout fait espérer que les capitaux français engagés dans cette affaire y trouveront une rémunération convenable.

    Affaires diverses. - Les affaires dans lesquelles Callon a été consulté sans prendre part à leur gestion sont, nous l'avons dit, très-nombreuses. Ces consultations lui étaient demandées :

    Soit par de grands établissements de crédit, tels que le Crédit mobilier et la Société générale ;

    Soit par des tribunaux de première instance ou d'appel qui, en l'associant à des hommes tels que Combes, Juncker, Sauvage, Flachat, montraient leur désir de voir élucidées par les ingénieurs les plus capables du pays les questions difficiles qu'ils avaient à résoudre ;

    Soit, enfin, directement par des propriétaires d'usines, des ingénieurs, des diplomates même, désireux les uns et les autres d'être renseignés sur des affaires concernant leurs intérêts, leur service ou la prospérité de pays étrangers.

    Le rôle des hommes placés à la tête de grands établissements de crédit fondés en vue de développer l'industrie et le commerce, est fort difficile. Ils sont véritablement assiégés de demandes de concours pécuniaire. S'il s'agit de mines, d'usines situées souvent à des distances fort éloignées, quelquefois hors d'Europe, il faut être renseigné sur la situation actuelle de ces mines et de ces usines, sur les chances favorables qu'elles peuvent espérer, sur la capacité des hommes qui les dirigent.

    La confiance que les plus grandes sociétés financières de Paris avaient, à cet égard, dans le jugement de Callon était extrême ; nous en avons trouvé une singulière preuve.

    Des maîtres de forges, dans le but de développer leur industrie, s'étaient adressés à deux grands établissements de crédit pour obtenir de l'un ou de l'autre un concours financier de 1.500.000 francs. C'est à Callon que la demande est transmise par ces deux établissements, convaincus l'un et l'autre que personne ne pouvait mieux que lui les éclairer.

    Les affaires dont l'examen était confié à Callon, soit comme expert, soit comme arbitre, étaient toujours des plus graves. Citons :

    Les dommages causés à une région par l'exploitation souterraine de ses mines ;

    L'appréciation des modifications, en bien ou en mal, apportées à la chose louée par le fermier d'un établissement métallurgique ou d'une mine;

    L'analyse de procédés de fabrication, tels que l'utilisation de la chaleur perdue des hauts fourneaux, l'emploi des convertisseurs Bessemer, la fabrication du coke et les revendications que l'existence des brevets d'invention fait naître dans ces matières délicates.

    Nous retrouvons dans toute la correspondance de Callon le développement de deux pensées critiques-qui se reproduisent constamment, - d'une part et en haut : absence de direction technique considérant les choses d'un point de vue élevé et dans leur ensemble ; - d'autre part et en bas : absence de plans, de registres, de journaux constatant ce qui a été fait et laissant l'exploitant du jour dans l'ignorance de ce qu'a fait l'exploitant de la veille.

    Faut-il le dire en un seul mot? absence de méthode.

    Les choses ont certainement changé; mais les services rendus par Callon, comme directeur technique, dans un grand nombre d'entreprises, auront certainement éclairé beaucoup de personnes à cet égard.

    Il faut un intermédiaire entre un conseil composé d'hommes éclairés, intelligents, au courant des affaires commerciales, mais qui souvent ne peuvent donner qu'un temps limité à une affaire, il faut, dis-je, un intermédiaire entre ces hommes et les agents locaux chargés souvent d'un service spécial.

    Avec la meilleure volonté du monde, les agents locaux ne peuvent voir les choses d'ensemble. L'un concentrera son activité sur les services extérieurs d'une mine ; l'autre, sur les puits et sur le service des galeries. Aucun d'eux ne songera que l'avenir de l'exploitation peut être transformé par la substitution d'un système à un autre. Tel ingénieur local saura que sa ventilation serait bien améliorée s'il pouvait combiner ses travaux avec ceux d'une concession voisine; mais il n'a pas qualité pour entreprendre et conduire à bonne fin des négociations de cet ordre.

    Nous pourrions multiplier indéfiniment ces exemples; tous montrent les avantages d'une direction supérieure réglant les conflits qui peuvent se produire, s'occupant de substituer des méthodes perfectionnées à des méthodes nouvelles, enfin s'occupant de l'avenir.

    En ce qui concerne, si nous pouvons nous exprimer ainsi, la vie intérieure de la mine, Callon n'est pas moins affirmatif dans ses conseils. Il demande incessamment qu'il soit tenu des registres journaliers, hebdomadaires ou mensuels selon les cas, pour constater l'avancement des puits ou des galeries, les quantités extraites, les incidents qui se sont produits surtout au point de vue de la ventilation, la date des visites faites par les ingénieurs, le résumé des conseils qu'ils ont donnés aux maîtres-mineurs.

    Avec ces registres accompagnés de croquis cotés et de plans qui les résument, on verra dans l'intérieur d'une mine comme dans un grand chantier extérieur. Si des travaux sont abandonnés et que l'on veuille un jour les reprendre, à ce moment on saura quelles ont été les difficultés anciennes et l'on pourra se préparer à vaincre les nouvelles.

    Le grand ennemi dans une mine, c'est l'inconnu. Il dépend de nous, dit, écrit et répète sans cesse Callon, de le vaincre, puis, dans une lettre écrite en 1872, il ajoute :

    « Je suis très-persuadé qu'on peut facilement, en entrant dans la voie que je viens d'indiquer, augmenter beaucoup l'utilité de ces registres, non-seulement pour ceux qui pourront avoir plus tard à les consulter, mais pour ceux mêmes qui les rédigent, en les amenant natutellement à résumer leur idées pour en consigner l'expression sur leurs registres. J'ai toujours considéré que des rapports étaient utiles au moins autant à ceux qui les rédigent qu'à ceux qui ont à les lire. »

    Bans les nombreuses questions posées à Callon, il en est une que nous avons vue plusieurs fois reproduite, celle de savoir s'il convenait de réunir en une seule plusieurs exploitations d'une même circonscription, s'il convenait, en un mot, de faire une fusion.

    On reconnaîtra qu'il est difficile de présenter sur un pareil sujet une sorte de théorie, et cependant Callon y parvient. Il commence par établir, d'une manière très-précise, la situation de chaque concession, exploitation ou établissement. Si la concession n'existe encore que sur le papier, il précise quels sont les obstacles qui se sont opposés à la mise en valeur, tels qu'absence de capitaux, d'ouvriers, de chemins de débouchés. Si la concession est exploitée, si l'établissement marche, il examine quelles sont ses charges en actions, en obligations, quel est son fonds de roulement, quels sont ses revenus et quel en est le caractère fixe ou accidentel, quels sont enfin les obstacles qui peuvent s'opposer au développement de chaque établissement isolé.

    Cette première reconnaissance opérée, Callon suppose la fusion réalisée; il évalue la diminution de dépenses que pourra réaliser une direction unique substituée à des directions isolées, et quelles seront les conséquences de cette unité d'action. Ainsi telle concession de mine mal ventilée sera transformée si, en poussant une galerie sur une concession voisine, elle peut atteindre un puits d'aérage. Ainsi, en réunissant les produits de deux ou trois exploitations, on arrivera à offrir au commerce, avec plus de sûreté et de régularité, les qualités constantes qu'il réclame. Ainsi encore deux ou trois forges feront à la fois de la fonte brute, du moulage, peut-être même du fer. Callon examine si l'une d'elles ne travaillerait pas d'une manière plus fructueuse en ne produisant que de la fonte en gueuse, et telle autre en ne faisant que du moulage ou bien du fer pour des boulons, et non pas pour des rails, ou inversement, etc., etc.

    Voilà la question générale résolue; il faut maintenant préciser pour chaque établissement les conséquences de la fusion. Callon reprend alors le chemin qu'il a parcouru; il démontre à la concession dont l'exploitation était mal ventilée qu'elle doit tenir compte à la concession voisine d'une partie de la valeur du puits d'aérage dont elle va tirer parti; il prouve à tel maître de forges que s'il cesse de faire de la fonte brute, - qu'il ne produisait pas économiquement, - sa situation sera améliorée; à tel autre que les qualités du minerai qu'il possède sont éminemment propres à faire des fers fins et qu'il faut renoncer aux rails et aux fers à plancher, etc.

    Quelquefois la fusion projetée ne devra aboutir qu'à un syndicat pour le placement des produits ; dans ce cas, chaque usine conserve sa liberté pour fabriquer des objets définis, mais elle n'a plus à s'occuper de la vente, et la gestion technique se sépare de la gestion commerciale.

    Rien de plus complexe que tout ceci; mais avec son bon sens imperturbable Callon porte la lumière partout, et quand on arrive à la fin de ses lettres et de ses mémoires, on se dit : Mais la chose est des plus simples, comment ne l'avions-nous pas vu?

    III. - Commission centrale des machines à vapeur.

    La commission centrale des machines à vapeur doit être comprise au nombre des plus anciennes commissions permanentes instituées au ministère des travaux publics ou à la direction générale des ponts et chaussées et des mines, placée autrefois dans les attributions du ministère de l'intérieur .

    Le rôle de ces commissions permanentes est considérable. Il consiste à étudier, pour une catégorie déterminée d'affaires, les dossiers adressés à l'administration centrale et à rédiger des avis qui préparent soit les décisions ministérielles, soit les projets de décrets à transmettre au Conseil d'État.

    La première pièce officielle que M. l'ingénieur en chef Hanet Cléry, successeur de Callon, et moi, ayons pu trouver, est une circulaire en date du 1° avril 1824, et dans laquelle M. le directeur général Becquey, en transmettant aux préfets une instruction sur les machines à vapeur, écrit ces lignes : « J'ai réuni une commission composée des ingénieurs des deux corps les plus versés dans ces matières, et je les ai invités à présenter un projet d'instruction sur les mesures de précaution habituelles à observer. »

    Cette commission fut probablement conservée pour étudier les questions nouvelles que la vulgarisation des machines à vapeur ne pouvait manquer de faire naître. Quoi qu'il en soit, à partir de 1829, la commission des machines à vapeur figure dans les Annales des ponts et chaussées, et l'on peut suivre la trace de ses travaux. Elle n'a eu que trois présidents, MM. de Prony, Cordier et Combes, avant le président actuel, M. l'inspecteur général des mines Grüner, bien digne de recueillir un tel héritage.

    Callon a fait partie de la commission centrale des machines à vapeur pendant vingt-trois ans, de 1852 à 1875, et il figurait à bon droit parmi les ingénieurs les plus versés dans cette sorte de matières. Il a été secrétaire adjoint de 1852 à 1860, et secrétaire-rapporteur de 1860 à 1872. Dans cette dernière période de douze ans, il a rédigé et présenté à la commission quatre cent vingt-huit rapports. M. l'ingénieur en chef Hanet-Cléry estime que ces travaux peuvent se classer en quatre catégories de rapports relatifs :

    1° Aux explosions ou accidents de chaudières ou de machines ;

    2° A des questions très-nombreuses et très-variées d'inventions;

    3° Aux questions techniques et contentieuses soulevées par l'application des ordonnances royales, des décrets impériaux et des arrêtés ministériels;

    4° Enfin, à des questions spéciales, telles que l'emploi des gaz comprimés, la circulation des machines sur les routes ordinaires, etc.....

    M. Hanet-Cléry ajoute, - et membre moi-même depuis 1865 de la commission centrale des machines à vapeur, je m'associe pleinement à cette conclusion : « Le caractère principal de l'oeuvre de M. Callon est une profonde connaissance technique de la matière, un grand sens pratique et un esprit de libérale et intelligente tolérance dans l'application des règlements. »

    Jusqu'en 1865, le régime légal des machines à vapeur a reposé sur un principe fondamental, - l'intervention administrative s'exerçant de trois manières:

    Par l'autorisation préalable;
    Par la réglementation dans la construction ;
    Par la surveillance dans l'emploi.

    A l'origine et pour les périodes dans lesquelles la machine à vapeur a été peu connue, nous sommes loin de blâmer et de regretter l'intervention de l'Etat, les constructeurs hésitant sur les dispositions à prendre. Le public avait besoin d'être rassuré, et il ne pouvait l'être que par l'État.

    Du reste, l'administration n'avait point formulé une doctrine immuable, car entre le décret de 1810 qui classait les machines à vapeur parmi les établissements dangereux et insalubres, et l'ordonnance de 1843, il y a eu une transformation considérable : l'administration s'éclaire et, par des actes successifs, elle éclaire le public, mais elle ne renonce pas à intervenir.

    Tant que le nombre des machines à, vapeur dans notre pays ne fut pas considérable (en 1842 il n'y en avait que 3.053), on n'eut véritablement pas à se plaindre de la situation au point de vue légal; mais lorsque vingt ans plus tard, en 1861, le nombre de ces machines s'élevait à 15.816, et que de tous côtés surgissaient des appareils nouveaux, beaucoup de bons esprits se demandèrent si le moment n'était pas venu de modifier complètement la législation.

    La commission centrale des machines à vapeur prît l'initiative, et, sur sa proposition, le ministre des travaux publics demanda aux ingénieurs chargés de l'inspection des appareils à vapeur, aux commissions de surveillance, aux sociétés industrielles et aux principaux constructeurs ou manufacturiers de chaque département, leurs observations sur les modifications dont les règlements de l'époque leur paraîtraient susceptibles.

    Il était impossible de prendre des bases plus étendues. Les réponses arrivèrent de tous côtés au ministère; elles furent transmises à une sous-commission dont Callon était le secrétaire. Nous avons sous les yeux le rapport qu'il a rédigé à cette occasion, et nous ne pouvons que regretter que ce travail soit à peu près inconnu. En voici quelques passages :

    « Les formalités auxquelles est soumise actuellement une demande en autorisation, mettent enjeu sans utilité réelle un grand nombre de fonctionnaires ; l'enquête de commodo et incommodo n'amène dans la pratique que des lenteurs sans résultat utile; les délais réglementaires ne sont jamais ou presque jamais observés ; en fait, les appareils sont habituellement établis et en activité quand intervient l'arrêté d'autorisation qui les concerne. Il résulte de cet état de choses, pour l'administration locale, une situation également difficile et compromettante, soit qu'elle veuille tenir la main à l'exécution rigoureuse de toutes les prescriptions de l'arrêté d'autorisation, soit qu'elle en tolère l'inexécution partielle. »

    Signaler de tels faits, c'était condamner à jamais le régime de l'autorisation préalable.

    Les prescriptions anciennes relatives aux épaisseurs des chaudières, aux détails de construction, à la surveillance, pouvaient-elles être maintenues ? Callon va nous répondre :

    « Depuis 1843, l'éducation du monde industriel, constructeurs et manufacturiers, a fait de grands progrès...

    « Telle prescription, plus ou moins nécessaire alors, peut aujourd'hui être adoucie, sinon même supprimée, sans qu'il en résulte aucun inconvénient ; telle autre même doit être supprimée parce qu'elle est contredite par l'expérience et la pratique.

    « En général, une réglementation excessive, et qui veut trop prévoir, est exposée au double inconvénient ou de prescrire des choses inutiles, ou d'entraver les essais, les tentatives qui sont la condition essentielle du progrès industriel.

    « Le moment semble donc venu d'entrer dans une voie nouvelle, de compter davantage sur les lumières et l'intelligence des industriels, sur le soin de leurs intérêts, qui sont en définitive les premiers compromis en cas d'accident, sur leur initiative personnelle tempérée par une responsabilité réelle et sérieuse ; en un mot, de cesser de tout vouloir prévenir de peur d'avoir éventuellement quelque chose à réprimer. »

    Callon ne blâme pas, du reste, les règles anciennement adoptées par l'administration, « non-seulement avec l'assentiment, mais même jusqu'à un certain point sous la pression de l'opinion publique, empressée au moindre indice de danger ou d'incommodité de réclamer la tutelle du gouvernement, sauf à chacun à se plaindre des règlements qui l'entravent personnellement en applaudissant à ceux qui le protègent ou sont censés le protéger. »

    Mous en avons assez dit pour que l'on comprenne avec quel sage esprit Callon et ses collègues abordent toutes les questions qui leur sont soumises ; les conclusions de la commission furent adoptées par l'administration supérieure et sanctionnées par le décret du 25 janvier 1865.

    Le régime nouveau, contre lequel jusqu'à ce jour aucune réclamation ne s'est fait entendre, au moins par l'industrie, peut être résumé en peu de mots :

    L'administration publique ne se désintéresse pas des machines à vapeur; elle est enseignée sur leur existence par une déclaration obligatoire.

    Chaque constructeur peut donner à ses chaudières telle épaisseur qui lui convient ; mais il faut et il suffit que ces chaudières résistent à des épreuves définies.

    Enfin, les ingénieurs de l'État continuent à exercer une certaine surveillance, mais leurs attributions sont simplifiées. Ils n'ont plus à exercer une sorte de tutelle générale; ils veillent à l'exécution des dispositions réglementaires, au bon entretien des chaudières et des appareils de sûreté; mais ils laissent aux tribunaux ordinaires le soin d'apprécier les dommages qui peuvent résulter du voisinage d'une machine à vapeur.

    Tel est le régime nouveau, et nous pensons qu'il a réalisé un progrès considérable. Les Anglais, qui ont débuté par la liberté absolue, en ont reconnu les inconvénients, et ils son arrivés à une réglementation semblable à la nôtre au fond, mais qui dans la forme en diffère essentiellement. Chez eux la surveillance est exercée, non par l'administration, mais par des agents nommés et entretenus par des associations privées. Callon serait allé volontiers jusque-là. Dans son Cours sur les machines à vapeur, il parle avec les plus grands éloges des résultats obtenus par l'association alsacienne des propriétaires d'appareils à vapeur. Le contrôle exercé par l'association de Mulhouse s'étend « aujourd'hui à près de 3.100 chaudières qui se trouvent surveillées d'une façon infiniment plus efficace qu'elles ne peuvent l'être par une administration publique.»

    Nous partageons complètement les convictions de Callon sur ce point. Dans les rapports de l'État avec l'industrie, la solution la plus désirable c'est la liberté, mais la liberté accompagnée de sa soeur la responsabilité.

    La machine à vapeur est un outil d'un usage universel. Sans aucun doute il est douloureux de voir un ouvrier se blesser ou blesser ses camarades en se servant maladroitement d'un outil; mais personne ne songera à réglementer l'usage d'une hache ou d'un marteau. Cessons de demander à l'administration de tout prévoir, de tout prescrire; cessons d'écrire sur nos chemins de fer : Il est interdit de traverser la voie. Écrivons : Il est dangereux, et chacun saura ce qu'il peut faire et risquer.

    Nous désirons que la machine à vapeur s'introduise partout, que dans le plus petit atelier elle libère l'homme et surtout la femme, qui douze heures par jour tournent une roue; nous y arriverons, et l'honneur de Callon sera d'avoir contribué dans une large part à la transformation légal des appareils à vapeur.

    IV.- Publications diverses faites par Callon.

    Callon écrivait avec une très-grande facilité; mais ses moindres écrits révèlent toujours cette qualité maîtresse, l'ordre. Quand il avait à traiter un sujet, il semblait ne pas s'en occuper, il en parlait peu ou point: mais il faisait d'assez longues courses à pied, il écrivait de temps à autre quelques mots sur le premier morceau de papier venu, puis un matin il prenait la plume et écrivait sans arrêt, presque sans rature, des rapports ou des mémoires quelquefois fort longs, et dans lesquels l'exposition des faits, la discussion à des points de vue multiples et les conclusions s'enchaînent si naturellement que la lecture s'en poursuit sans aucun effort.

    En lui accusant réception d'une lettre dans laquelle il avait exposé ses idées sur le mode d'exploitation d'une mine, le président du conseil d'administration de la société concessionnaire de cette mine ajoutait au bas de la lettre officielle de ce conseil ces mots : « Permettez-moi de vous remercier personnellement de votre lettre si instructive à tous égards; c'est tout un mémoire concentré en quatre pages; vous n'avez pas à redouter les contrefacteurs. » Bien des lettres adressées à Callon sont conçues dans le même esprit; on ne cesse de le remercier de son extrême clarté.

    Callon lisait la plume à la main, il notait les passages qui le frappaient et souvent il se livrait pour son instruction à une discussion approfondie.

    Cherchons à l'imiter en divisant en plusieurs groupes ses nombreux écrits.

    Le premier groupe, et à coup sûr un des plus importants, comprendrait les travaux manuscrits, les rapports demandés par les ministres, par de grandes sociétés industrielles, par divers tribunaux, par des gouvernements étrangers. Dans la collection de ses rapports manuscrits à la commission centrale des machines à vapeur, on compte, nous l'avons dit, 428 pièces, et nous ne sommes pas certain d'avoir tout retrouvé.

    En parlant de sa participation pendant plus d'un quart de siècle aux grandes affaires de mines de l'Europe, nous avons donné une idée des immenses travaux qu'il accomplissait, chaque jour ses enfants découvrent dans ses papiers un document intéressant, souvent aussi l'indication que le résumé d'une affaire a été remis à telle ou telle personne.

    Les travaux imprimés sont plus faciles à réunir; nous pouvons citer, en suivant à, peu près l'ordre des dates, les ouvrages ci-après:

    1° Cours de mécanique autographié, pour les élèves de l'École des mineurs de Saint-Étienne;
    2° Éléments de mécanique à l'usage des candidats à l'École polytechnique; Paris, 1851;
    3° Mémoires insérés dans les Annales des mines;
    4° Rapports à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale ;
    5° Rapports relatifs aux expositions universelles de Paris et de Londres;
    6° Rapports à diverses sociétés industrielles, et notamment à la Société des mines de la Grand'-Combe;
    7° Une brochure politique parue en juin 1871, sans nom d'auteur, et qui n'a été connue que d'un petit nombre d'amis de Callon ;
    8° Enfin, Cours professés à l'École des mines de Paris, machines et exploitation des mines, 4 volumes grand in-8° avec 4 atlas; Paris, 1873-1875.

    Nous ne parlerons pas des deux premiers ouvrages destinés uniquement aux élèves de Saint-Étienne et aux candidats à l'École polytechnique; mais nous entrerons dans quelques détails sur ceux qui suivent, et nous nous efforcerons de donner une idée complète des deux derniers. Cependant nous ajouterons que, dans les deux premiers cours, Callon ne perd pas un instant de vue ses élèves et ses lecteurs, il ne s'avance que pas à pas, pour ceux qui commencent, il cherche des démonstrations élémentaires, mais rigoureuses.

    Mémoires insérés dans les Annales des mines. - Les mémoires insérés dans les Annales des mines de 1840 à 1871 sont au nombre de dix-neuf, non compris la Notice nécrologique sur Le Chatelier parue au Recueil de 1873.

    Ces dix-neuf mémoires se divisent de la manière suivante :

    Une notice sur la fabrication de la fonte et du fer dans le Hartz, et sur l'emploi de l'air chaud dans les hauts fourneaux et les feux d'affinage de ce pays;
    Un mémoire sur l'exploitation de la calamine et la fabrication du zinc dans la haute Silésie;
    Trois mémoires sur des questions générales relatives à l'exploitation des mines;
    Un mémoire divisé en deux parties sur la géologie et l'exploitation des mines de la Grand'-Combe;
    Deux travaux sur la statistique minérale de l'empire d'Autriche ;
    Deux rapports sur des appareils proposés par deux inventeurs, MM. Galibert et Palazot;
    Enfin neuf rapports sur des accidents, sur le sauvetage d'ouvriers engloutis dans un éboulement, sur des explosions de machines à vapeur.

    Tous les ingénieurs des mines ont lu ces travaux, que nous ne pourrions analyser qu'au risque de trop augmenter cette Notice.

    Rapports à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale. - Les rapports et communications de Callon à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale sont au nombre de vingt et un. Ils ont été insérés dans les Bulletins de 1874 à 1870 ; la Notice sur Le Chatelier a été insérée dans les Bulletins de 1874.

    M. G. Maurice, ingénieur civil des mines, ancien élève de l'École des mineurs de Saint-Étienne, a bien voulu analyser ces travaux de Callon, son ancien professeur. Nous ne pouvons que renvoyer à cet excellent travail ; nous dirons seulement la précision avec laquelle Callon abordait toutes les questions, aussi bien celles qui touchaient à l'art des mines que celles auxquelles il semblait devoir rester étranger. Il parlait des métiers à tisser, de la fabrication des voitures de luxe, etc., aussi bien, mieux peut-être, que n'auraient pu le faire des chefs de ces diverses industries.

    Rapports relatifs aux expositions universelles. - Des événements aussi considérables dans l'histoire de l'industrie que les expositions universelles ne devaient pas laisser indifférent un esprit élevé et étendu comme celui de Callon; aussi prit-il une part chaque fois plus importante aux quatre expositions universelles qui se succédèrent à Londres et à Paris.

    En 1851, le ministre lui donnait une mission spéciale « à l'effet d'étudier les produits réunis dans l'exposition universelle, en profitant de cette occasion pour visiter à Londres, même en Belgique, dans le nord de la France et dans les provinces Rhénanes, les principaux établissements industriels qui pourraient lui offrir un intérêt spécial à raison du double service dont il était chargé comme professeur à l'École des mines et comme attaché à la surveillance des machines à vapeur. »

    Le rapport adressé au ministre par Callon est très-complet et très-intéressant.

    Au point de vue de l'art des mines, il présente une statistique plus complète que toutes celles qui avaient paru jusqu'alors. Il décrit certains procédés, alors nouveaux, de l'extraction et de l'aérage des mines; il parle des mesures prises par le gouvernement anglais, à l'imitation de ce qui avait déjà lieu en France, pour l'établissement d'un service d'inspection dans l'intérêt de la sûreté des ouvriers et d'un enseignement spécial de l'art des mines.

    Au point de vue de l'exposition elle-même, Callon signale les mesures libérales prises par la commission anglaise, la mise en marche d'une partie des machines exposées, les catalogues illustrés... Tout cela va de soi aujourd'hui; mais, il y a vingt-cinq ans, ces innovations méritaient d'être appréciées. Une chose frappe surtout Callon : le gouvernement anglais est resté étranger à l'oeuvre accomplie; elle est due entièrement à l'initiative individuelle, au concours libre et spontané d'un petit nombre de citoyens; puis la masse de la nation est fière de la great exhibition devenue une entreprise vraiment nationale.

    Nous avons fait en France de véritables progrès à cet égard; chaque année des expositions importantes s'organisent presque sans l'intervention du gouvernement, et les souhaits que Callon formulait en 1861 commencent à s'accomplir.

    À l'exposition de 1855 qui eut lieu à Paris, Callon fut nommé membre du jury de la première classe, - art des mines et métallurgie. Ses collègues français étaient Élie de Beaumont, Dufrénoy, Le Play et Chancourtois ; il fut nommé secrétaire et, à ce titre, chargé d'un travail considérable. La première classe était divisée en neuf sections ; le rapport du jury fut présenté par M. Emile Rainbeaux, administrateur des mines du Grand-Hornu (Belgique).

    L'exposition universelle de 1862, en Angleterre, nous montre Callon chargé du rapport sur les machines à préparer et à filer les fibres textiles, c'est-à-dire d'un travail bien éloigné de ses habitudes professionnelles.

    Il n'était cependant pas absolument étranger à l'industrie textile qui avait longtemps occupé son aïeul et son père. Pendant les six années qu'il avait passées dans le département de la Loire, il avait étudié avec beaucoup de soin, et avec l'ardeur tranquille qu'il apportait à toutes choses, les brillantes industries de Lyon et de Saint-Etienne; il s'était imposé la tâche de voir et d'annotter, pour sa propre satisfaction, tout ce qui concernait l'industrie des matières textiles. Aussi, collègue de MM. Jean Dollfus et Villeminot-Huard, il se trouvait rapidement en parfaite communauté d'idées avec ces grands industriels, et il rédigeait avec le succès le plus marqué un rapport complet sur la préparation et la filature des fibres employées par l'industrie.

    Nous ne suivrons pas Callon dans l'étude des machines à éplucher le coton et à teiller le chanvre, des chardon-lieuses, des cardeuses et des peigneuses, des machines à filer et à tisser; mais il y a dans son travail des passages qui ne sauraient être trop médités parce qu'ils sont toujours vrais. Il faut qu'à la supériorité du goût, que nul ne conteste à la France, celle-ci joigne l'égalité dans l'outillage. Ce sera un grand pas de fait, mais ce n'est pas le seul; il faut, d'une part, renoncer à réclamer en toutes choses l'intervention du gouvernement, et, d'autre part, obtenir chez nous la stabilité dans les professions.

    « En dehors des questions de douane, dit Callon, le rôle du gouvernement ne peut être que fort secondaire, car l'industrie textile est une de celles qui par leur caractère progressif, leur variété, leur mobilité, échappent le plus complètement au système de l'intervention administrative, utile dans certains cas et dans une certaine mesure, mais qui sert aussi souvent de frein que d'aiguillon et qui a toujours l'irréparable tort d'affaiblir l'énergie de l'initiative individuelle. »

    Servie par des ingénieurs qui écrivent les lignes que nous venons de copier et dont elle fait des professeurs, l'administration française est une administration libérale; ce qui n'est pas libéral, c'est le pays lui-même qui parle sans cesse de liberté, mais qui sans cesse aussi réclame la réglementation.

    Sur cette question si grave de l'instabilité des professions, écoutons encore Callon :

    « ..... En Angleterre, bien plus souvent qu'en France, un établissement industriel reste dans la même famille pendant plusieurs générations; le fils suit la carrière du père ; son éducation se termine plus vite ; il est plus tôt associé aux travaux de la maison ; il fournit une carrière industrielle plus longue qu'en France ; il y acquiert une expérience et des traditions précieuses que nous ne pouvons avoir au même degré. La règle en Angleterre cest que le fils adopte la carrière de son père. On peut dire que c'est chez nous l'exception. Ce qui est la règle chez nous, c'est de se retirer le plus vite possible dès que l'on a atteint un chiffre de fortune en rapport avec ses goûts; c'est surtout de donner à ses enfants une instruction littéraire très-complète, ou du moins très-longue à acquérir, et surtout très-propre à les placer dans un courant d'idées qui les éloigne de la profession paternelle. »

    En 1867, nous partageâmes avec Callon l'honneur d'être appelé par M. Le Play parmi les ouvriers de la première heure. Une commission composée de MM. Combes, Flachat, Bourdon, Maniel, Le Chatelier, Callon, Mangon, Cheysson et moi, fut chargée de rechercher les moyens de donner la vie à la grande galerie des machines, c'est-à-dire de distribuer l'eau, le gaz et la force motrice à tous les exposants qui en feraient la demande. Il fallait avant tout conserver la forme elliptique du bâtiment et respecter scrupuleusement la division par nationalités, et, dans chaque nationalité, par industrie.

    Nous eûmes de nombreuses réunions et deux partis se dessinèrent immédiatement; les uns, - et parmi eux Le Chatelier, - inclinaient à tenter une grande expérience et à demander soit à l'eau, soit à l'air comprimé, la force nécessaire; les autres, - et dans leur nombre Callon, - soutenaient qu'il ne fallait rien donner à l'imprévu et que la vapeur seule permettait de répondre aux données fort complexes du problème. Cette dernière opinion prévalut. Dans ces discussions Le Chatelier et Callon apparurent avec leurs grandes qualités, mais en même temps avec les différences de ces qualités : le Chatelier, plus audacieux, plus artiste, si le mot est permis en pareille matière ; Callon, plus calme et plus précis.

    Collègue de Callon dans plusieurs autres réunions ou commissions, notamment dans celle qui fut chargée de suivre les travaux de ventilation exécutés par M. de Mondésir pour le palais du champ de Mars, nous avons constamment admiré la finesse de ses observations, la netteté de son jugement et la sûreté de ses conclusions.

    Callon fut chargé du rapport du jury sur le matériel et les procédés des extractions des mines.

    Rapports à diverses sociêlès industrielles.- Les ingénieurs attachés aux grandes sociétés industrielles ont à remplir une tâche qui échappe généralement aux ingénieurs de l'État, celle de présenter chaque année une situation financière et de montrer que les capitaux dont l'emploi leur a été confié ont obtenu ou obtiendront dans un court délai une rémunération convenable.

    Certains grands travaux de l'État ne comportent pas ce mode d'appréciation, et l'on ne saurait évaluer en argent les bienfaits à attendre d'un phare construit sur les rochers de la mer de Bretagne ; mais dans bien des cas, il ne serait pas inutile de rechercher si à la réalisation de tel ou tel projet correspond un résultat certain. Malheureusement le mode de comptabilité par exercice, la mobilité dans les fonctions s'opposent souvent à ce mode d'appréciation. Tant mieux si un ouvrage est utile, tant pis si aucun bateau ne passe dans une écluse récemment construite; les commissions parlementaires, la cour des comptes, vérifient, certifient la régularité des écritures, mais personne ne demande si l'argent a été utilement dépensé.

    Il n'en est pas de même dans l'industrie : non-seulement il faut que le capital dépensé obtienne un intérêt rémunérateur, il faut encore qu'il s'amortisse. Chaque année les ingénieurs, directeurs, administrateurs délégués, conseils de ces grandes entreprises, quel que soit le nom qu'on leur donne, ont à présenter sous une forme claire et précise les résultats obtenus. Callon a eu maintes fois à faire des travaux de cette nature, et il s'en est toujours acquitté avec le plus grand ordre et la plus grande lucidité; il a tracé des cadres que ses successeurs n'auront qu'à remplir.

    Brochure politique. - Nous étonnerons certainement beaucoup des amis de Callon en parlant de lui comme d'un écrivain politique, et comme d'un écrivain politique d'un rare talent. Comment un homme si calme, si mesuré, si maître de lui en tout temps et en toutes choses, a-t-il pu aborder un sujet aussi brûlant que celui de la politique? Il est facile de répondre : Callon aimait passionnément son pays. Il serait allé, - il l'a écrit, - jusqu'au chauvinisme. Lorsqu'il s'est vu enfermé à Paris pendant le premier siège privé de ses relations habituelles, inquiet du sort de ses fils dont l'un faisait comme officier de mobiles la campagne de l'armée du Nord, tandis que le second, confié aux soins de Le Chatelier, suivait avec les fils de ce dernier les cours du lycée de Bordeaux, Callon a écrit au jour le jour un certain nombre de pages résumant ses impressions et qui, à l'origine, n'étaient destinées qu'à ses enfants et à ses proches. Mais lorsqu'à la guerre étrangère succèdent la guerre civile et les horribles temps de la Commune de Paris, il ne peut retenir un véritable cri d'angoisse, et il considère comme un devoir pour tout citoyen d'écrire et de dire ce qui dans sa pensée pouvait assurer notre salut.

    Sa brochure, publiée chez Dentu en juin 1871, porte ce titre, : Réflexions sur les événements des dix derniers mois par un Provincial habitant Paris; elle a 63 pages grand in-8° et est datée : Bordeaux, 28 mai 1871. Cette date seule est une indication des pensées qu'inspirait une époque si néfaste.

    Callon était rentré à Paris au moment de l'investissement de la ville par les armées allemandes, et il avait écrit au ministre des travaux publics pour se mettre à sa disposition, pour étudier ou contribuer, après étude, à réaliser pratiquement les applications mécaniques qui pourraient être proposées.

    Les réserves de Callon se comprennent un présence des propositions étranges qui se formulaient chaque jour, et nous concevons qu'il hésitât a participer à la construction de la forteresse-barricade, blindée, flexible et mobile, dite Batignollaise, dont nous avons retrouvé le prospectus dans ses papiers.

    Pendant le siège, il fit partie d'une commission chargée d'étudier les projets relatifs à l'approvisionnement de Paris par les voies navigables et autres; il s'occupa des ballons captifs, qui devaient permettre à des observateurs de reconnaître la position des travaux ennemis; le ravitaillement demeura une chimère, et après quelques essais les ballons captifs furent dégonflés.

    Jugeant « inutile de faire connaître un nom qui n'avait en matière politique aucune notoriété », Callon n'a pas cru devoir signer cette brochure; nous l'avons regretté, parce que son nom si connu aurait à coup sûr appelé l'attention sur un travail aussi vigoureusement écrit et aussi ferme dans les conclusions que nous allons faire connaître. Nous avons éprouvé une extrême difficulté pour rendre compte de cette étude du Provincial habitant Paris; nous pensions qu'il suffirait de citer quelques lignes, au besoin quelques paragraphes; mais à chaque page nous nous disions : Voilà des passages qu'on ne saurait omettre, et nous aurions recopié la moitié du livre. Essayons d'en donner une faible idée.

    Des événements aussi considérables que ceux qui se sont succédé pendant dix mois, de juillet 1870 à mai 1871, sont dus à des causes multiples; il faut donc chercher quelles étaient pour notre pays notre politique extérieure, notre situation intérieure et surtout notre situation morale.

    Quelle était surtout notre situation intérieure ? « Dans les classes supérieures les besoins, ou ce que l'on veut appeler les besoins dans un monde où il n'y a, dit-on, de nécessaire que le superflu, avaient crû plus vite encore que les fortunes particulières. ... Les classes laborieuses suivaient d'un oeil jaloux le développement des habitudes de luxe et de jouissances matérielles. Elles les imitaient dans la mesure de leurs moyens. « ... Il fallait jouir, jouir à tout prix, et depuis le plus haut fonctionnaire jusqu'au dernier manoeuvre, chacun avait tendance à trouver que son travail était excessif et sa rémunération insuffisante, qu'il n'avait pas besoin de se gêner, et que, quoi qu'il fit, il en donnait bien assez pour son argent à l'administration ou au patron qui l'employait.

    « En résumé, le sentiment du devoir partout affaibli, le travail individuel réduit par des habitudes croissantes de dissipation, les appétits matériels prodigieusement développés, la gène dans un grand nombre de familles due en partie au renchérissement des choses et plus encore au changement dans le mode de vivre; comme conséquence de cette gêne le mécontentement presque partout; enfin, l'éternelle jalousie du plus pauvre contre le plus riche de jour en jour plus surexcitée : telle était la véritable situation de cette société si brillante et en apparence si heureuse et si prospère. »

    C'est au milieu d'une société si malade que tombe à l'improviste le couronnement de l'édifice, la liberté à peu près illimitée de la presse et la réouverture des clubs coïncidant avec le développement de l'Internationale.

    Nous ne saurions raconter les événements qui se précipitent, mais nous pouvons dire que jamais on n'en a mieux analysé le récit :

    « M. de Bismarck, préparé de longue main, disant et redisant à ses Allemands et à l'Europe, qui ont fait semblant de le croire, qu'il ne faisait que se défendre contre un adversaire par lequel il avait eu l'art de se faire attaquer; »

    Nos troupes expédiées sans ordre aux frontières, entassées pour vivre et disséminées pour combattre;

    Puis l'ennemi surgissant de tous côtés à la fois, des surprises et toujours des surprises ; Enfin la catastrophe de Sedan.

    Averti par tant de malheurs, le pays va-t-il se recueillir un instant et réunir tout ce qui lui reste de forces pour résister à l'étranger? Il n'en est pas question, et arrive la révolution du 4 septembre, que Callon n'hésite pas à qualifier d'immense malheur public.

    D'une part, cette révolution mettait le pouvoir aux mains d'hommes qui pouvaient être animés des meilleures intentions, qui pouvaient être des hommes de plume ou de parole habiles, mais qui avaient peu d'action surtout sur ceux qui les avaient nommés, et qui dans tous leurs actes se préoccupaient plutôt « de donner des gages à la démocratie que de la consistance aux troupes ».

    D'une autre part, du jour où M. de Bismarck « n'a plus eu devant lui que le gouvernement de la Défense nationale, il a dû être absolument rassuré sur toute éventualité d'une intervention tant soit peu sérieuse de la part des puissances européennes. Il est douteux, en effet, que la prétention de certains de nos républicains en France, d'être les apôtres de la future République universelle, soit du goût des autres peuples, ou, du moins il n'y paraît guère; en tout cas, il est très-certain qu'elle n'est pas du goût de leurs gouvernements ».

    Pouvons-nous espérer dans l'avenir une situation meilleure? pouvons-nous remonter le courant qui nous a entraînés si loin et si bas ? Oui, dit Callon, et nous le dirons avec lui, mais à une condition : Au lieu de songer à réformer le gouvernement, il faut que chaque citoyen se réforme lui-même ; il faut « réveiller chez nous-mêmes, par un effort sérieux et constant de notre volonté individuelle, et chez les autres par l'influence de nos paroles, et mieux encore de notre exemple, des sentiments qui depuis trop longtemps sommeillent chez nous, et qui peuvent se résumer en un seul : le sentiment du devoir à accomplir sous toutes ses formes, envers soi-même, envers sa famille, a envers la société. Le devoir ainsi compris comporte en effet la renonciation à des habitudes de vie dissipée et irrégulière, l'ordre, l'économie, la modération dans les dépenses de la famille, l'assiduité et la conscience dans le travail, ïa ferme volonté de faire respecter en toute occasion le droit et la loi. »

    Réalisons cette grande réforme, et le reste nous sera donné par surcroît. Si nous obéissons tous à la loi, on n'osera plus dire que l'insurrection est le plus saint des devoirs, si nous reconnaissons tous que par le progrès pacifique et régulier de l'opinion publique, il n'est pas de réforme qui ne puisse s'accomplir, nous considérerons désormais comme des factieux les hommes qui, sous un titre quelconque, voudront s'emparer du pouvoir.

    Reconnaissons avec Callon que, depuis soixante ans, chacune des révolutions que nous avons traversées n'a eu d'autre résultat que de produire un temps d'arrêt dans les progrès du pays, et que dès lors nous avons un bien grand intérêt à faire, comme on l'a dit, l'économie d'une ou de plusieurs révolutions nouvelles. Aucune ne donnerait la solution de la question sociale, et d'ailleurs y a-t-il une question sociale dans le sens qu'on donne habituellement à ce mot? Callon se prononce hardiment pour la négative.

    « Il y a, dit-il, une société qui est en progrès constant, manifeste, au point de vue matériel ; cette société est en possession des principes de liberté, d'égalité, de justice, qui semblent les plus propres à assurer la continuation de ce progrès, et qui sont d'accord avec le sens intime et la conscience humaine. Il n'y a plus à demander que des améliorations de détail auxquelles personne ne se refuse, et qui viendront successivement à mesure que l'opinion publique, éclairée par une discussion pacifique, en reconnaîtra l'opportunité. »

    Nous nous trompons peut-être, mais il nous semble que la connaissance de cette partie des travaux de Callon augmentera encore, s'il est possible, l'estime qu'inspiraient son talent et son caractère. Sans aucun doute, les Réflexions d'un Provincial ne révèlent aucun fait nouveau, elles n'en ont pas la prétention; sans doute encore ce qu'il dit bien des gens l'avaient pensé; mais peu auraient su l'écrire, et cette communauté de sentiments qui s'éveille à chaque page entre le lecteur et l'écrivain est la meilleure des récompenses que celui-ci puisse ambitionner.

    Cours professés à t'École des mines de Paris. - Nous arrivons à l'oeuvre magistrale de Callon, à la publication de ses cours à l'École des mines de Paris, publication malheureusement inachevée, mais qui rend déjà les plus grands services.

    Callon, nous l'avons dit, a professé pendant vingt-quatre ans. Dans ce long intervalle de temps, il a perfectionné sans cesse l'ordre de ses leçons et le détail de son enseignement. Mêlé de la façon la plus active à presque toutes les entreprises minières de la France et à celles d'une grande partie du continent, initié par sa connaissance des langues anglaise, allemande et espagnole à tout ce qui se publiait sur l'art des mines, il rapportait tout à ses cours, et il a élevé un véritable monument,

    Ces cours sont au nombre de deux :

    Cours de machines;

    Cours d'exploitation des mines.

    Chacun d'eux devait avoir trois volumes avec un atlas par volume ; deux volumes et deux atlas seulement ont été publiés pour chacun des deux cours. Une traduction anglaise de ce grand ouvrage est, en ce moment même, en cours de préparation.

    Cours de machines. - Avant de présenter d'une manière sommaire les divisions principales du cours, divisions dans lesquelles on retrouve une pensée et un ordre philosophiques, il convient d'insister sur une considération placée par Callon en tête de son ouvrage, et qui a une grande importance. Le cours s'adresse à des jeunes gens déjà instruits, qui seront ou ingénieurs de l'État, ou directeurs d'établissements industriels divers. En ce qui concerne les machines, ces jeunes gens ne seront donc pas des spécialistes; ils auront à se servir de machines et non pas à en construire. Il faut dès lors, et cela suffit, qu'ils soient en état de discuter les conditions générales de l'établissement d'une machine dans un cas donné, ou le mérite d'une modification qui pourrait leur être proposée.

    On ne saurait songer à donner à personne une instruction universelle; il faut donc admettre le grand principe de la division du travail. Un directeur de mines, s'il a besoin d'une machine d'épuisement, risquerait fort en la construisant lui-même de ne produire qu'un instrument médiocre, tandis qu'il en obtiendra un excellent en s'adressant à un constructeur de ces sortes d'appareils, et de même dans toutes les autres industries.

    Le livre de Callon contient donc pour chaque groupe de questions traitées :

    a) Les principes généraux et les idées qui s'y rattachent;

    b) Les applications connues de ces principes;

    c) Le choix à faire de ces applications dans les circonstances principales qui se produisent dans l'industrie.

    Placé en face d'une question nouvelle, l'élève de Callon, - et chaque lecteur devient son élève, - aura donc d'abord une méthode d'étude générale, puis les solutions proposées dans des circonstances qui auront toujours de l'analogie avec celles qui se présenteront.

    Ces principes posés, nous pouvons aborder la nomenclature toujours si sèche d'un cours de mécanique.

    Définitions et notions préliminaires, moteur en général et moteurs animés.

    Hydraulique. - L'écoulement de l'eau est étudié successivement ;

    a) Par des orifices en mince paroi;

    b) Dans des tuyaux;

    c) Dans des canaux.

    Les principes posés, comment utiliser la chute de l'eau? Dans des roues à axe horizontal, dans des roues à axe vertical?

    Tous les récepteurs hydrauliques connus, quels sont ceux dont l'ingénieur doit faire choix pour répondre le mieux possible aux conditions dans lesquelles il se trouve placé?

    Dans cette première partie de son cours, Callon attachait avec raison une grande importance à l'étude comparative complète qu'il présentait entre les divers appareils récepteurs connus, tant au point de vue de la chute disponible qu'au point de vue de l'emploi à faire de la force utilisée (lettre à M. Daubrée, 29 avril 1875).

    Pneumatique. - Écoulement des gaz à température constante, à chaleur constante, des gaz chauffés artificiellement. Emploi de l'air comme moteur.

    Les applications se présentent en foule dans l'art des mines et du métallurgiste. Ventiler une mine, enlever l'air corrompu, et amener de l'air pur aux ouvriers est un problème d'écoulement des gaz; pour faire fondre les minerais, il faut que les machines soufflantes lancent des torrents d'air dans le haut fourneau ; si cet air est chauffé, les formules ne sont plus les mêmes, etc.

    La compression de l'air permet des solutions absolument nouvelles dans le problème de la transmission des forces. Ces questions, étudiées hier dans le percement du Mont Cenis, aujourd'hui dans celui du Saint-Gothard, amèneront peut-être demain une révolution dans l'extraction des roches à des profondeurs telles qu'il est impossible d'y faire vivre de nombreux ouvriers.

    Emploi de la chaleur comme force motrice, théorie mécanique de la chaleur et propriétés mécaniques des vapeurs.

    Nous ne pouvons songer à rappeler les découvertes plus philosophiques que matérielles qui ont conduit à la théorie mécanique de la chaleur, théorie qui forme aujourd'hui une des bases les plus importantes de la physique et de la chimie. Callon montre quelles conséquences il convient de tirer des lois nouvelles, combien il importe de chercher à élever la température des corps que l'on emploie pour augmenter l'écart entre le calorifère et le réfrigérant; mais il montre en même temps combien les propriétés des corps employés jouent un rôle favorable ou défavorable dans l'élévation de la température.

    Étude des appareils récepteurs propres à utiliser la force motrice de la vapeur d'eau. Organes des machines à vapeur. Classification des appareils. Choix d'une machine à vapeur destinée à un usage industriel déterminé.

    Le lecture de ce dernier chapitre rendra aux ingénieurs et aux industriels les plus grands services. A chaque instant il faut acheter une machine, mais quelle machine? Faut-il prendre une machine à marche lente ou à marche rapide? Faut-il un moteur unique ou faut-il diviser ses moyens d'action? Sur chacune de ces questions, Callon donne un avis, et un avis motivé; tous y trouveront une réponse aux questions qui les préoccupent.

    Production de la vapeur. Du choix d'un générateur destiné à un usage industriel déterminé. Alimentation, explosions des chaudières.

    Nous arrivons à un chapitre, le XXIVe, qui est pour nous un chef-d'oeuvre de bon sens; il n'y a pas de problème plus douloureux à étudier que celui des explosions. Callon, après avoir étudié les circonstances dans lesquelles se sont produites presque toutes les explosions connues en France, arrive à cette conclusion qu'une surveillance intelligente et continue suffit toujours à prévenir ces redoutables accidents:

    « Une chaudière qui reste longtemps en service, sans être visitée et sans recevoir les réparations que peuvent indiquer ces visites, est une chaudière qui finira nécessairement par éclater.

    « Une chaudière bien conduite, dont l'état d'entretien est contrôlé par des visites et des épreuves suffisamment fréquentes, est une chaudière qui n'éclate pas. »

    Les chemins de fer français occupent aujourd'hui près de cinq mille locomotives: la vapeur y est poussée à de très-hautes pressions ; le fait de la translation incessante est une cause de destruction inconnue dans les machines fixes; cependant rien de plus rare que les explosions d'une locomotive. Mais aussi de quels soins, de quelle surveillance ces machines ne sont-elles pas l'objet! En marche, deux hommes intelligents ne la quittent pas des yeux; chaque jouir au dépôt, et plusieurs fois dans le même jour, la machine est examinée; des nettoyages incessants assurent la propreté de ses organes de vaporisation. Que l'on donne aux machines fixes le dixième des soins que l'on donne aux locomotives, on aura ce que nous promet Callon, des chaudières qui n'éclatent pas.

    Cours d'exploitation des mines. - En France, l'art des mines a heureusement subi depuis quarante ans des transformations profondes, et les ouvrages les mieux faits sont rapidement en retard.

    Callon, dans les deux premiers volumes de son Cours d'exploitation des mines, s'efforcera, dit-il, de décrire :

    a) Les engins d'épuisement et d'extraction;

    b) Les moyens mécaniques créés pour la ventilation;

    c) Les méthodes d'exploitation pour les gîtes puissants;

    d) Les préparations mécaniques des minerais;

    e) Les procédés pour faciliter l'entrée et la sortie des ouvriers;

    f) Les modes de transport à l'intérieur des mines.

    Sans doute le dernier mot n'a pas été dit pour chacune des questions qui précèdent, et le livre de Callon vieillira à son tour; mais ce qui ne vieillira pas, c'est son mode d'exposition des faits, son appréciation des méthodes suivies. On pourra faire un livre qui continuera le sien, mais qui ne le remplacera pas.

    Comme pour les machines à vapeur, nous donnerons la nomenclature des matières exposées; mais nous n'avons pas à faire des réserves semblables à celles que nous avons faites en parlant machines et mécanique. Ici l'ingénieur et le directeur des mines doivent, dans la division du travail, être des hommes techniques, et approfondir tous les détails :

    a) Définitions. Notions préliminaires. Gisements.

    b) Travaux d'exploration et de recherche. Sondages.

    c) Travaux d'abatage.

    d) Application des moyens mécaniques à l'abatage.
    La substitution du travail mécanique au travail à la main est un des problèmes qui s'imposent avec le plus de force dans l'industrie des mines. D'une part, la demande dépasse presque toujours l'offre; d'autre part, le travail dans la mine n'est pas très-attrayant par lui-même, et l'on conçoit facilement que l'ouvrier préfère une autre occupation. Enfin les puits descendent de plus en plus bas, les galeries se prolongent, la température s'élève et l'air se renouvelle plus difficilement. Pour tous ces motifs, la main-d'oeuvre fait défaut et il faut la remplacer par le travail mécanique ; jamais, du reste, l'émancipation du travailleur par l'emploi de moteurs inconscients n'aura été plus méritée, car il y a peu de métiers aussi pénibles que celui du mineur.

    e) Boisage et muraillement. Cuvelage. Travaux dans les terrains aquifères.

    f) Aménagements. Travaux préparatoires.

    Callon insiste avec énergie sur la question de l'aménagement; il faut savoir à l'avance ce que l'on veut faire, préparer l'avenir, mais surtout ne jamais le compromettre.

    g) Principales méthodes d'exploitation. Roches d'origine filonienne ou d'origine sédimentaire.

    h) Exploitations souterraines et à ciel ouvert.

    i) Transport dans l'intérieur des mines. Emploi de moyens mécaniques. Extraction.
    L'emploi des moyens mécaniques pour le transport s'impose au même degré que pour l'abatage; ces hommes noirs qui poussent des wagonnets dans des galeries où il faut marcher plié en deux rappellent trop les hommes noirs que La Bruyère voyait courbés vers la terre. Un bon câble, actionné par une machine, les remplacera à l'avantage de tous.

    j) Assèchement des mines par les cuvelages étanches, par les galeries d'écoulement, par l'épuisement à l'aide de moyens mécaniques.

    k) Ventilation et éclairage des mines. Ventilation naturelle et artificielle.

    Dans les deux cours que nous venons d'analyser, les planches ont une importance considérable, dans le cours d'exploitation surtout, elles saisissent la vue, et l'homme le plus étranger à l'art des mines en conçoit rapidement le but et les moyens.

    Il reste, ainsi que nous l'avons dit, deux volumes à publier : le premier, - pour les machines, - devant comprendre la résistance des matériaux et la construction des machines -, le second, la préparation mécanique des minerais, ainsi que des généralités sur l'organisation et la direction des sociétés d'exploitation. Nous espérons que les papiers laissés par Callon permettront à ses fils de publier la presque totalité du complément du travail de leur père. Ils auront sous les yeux non-seulement les notes relatives aux cours proprement dits, mais encore toute sa correspondance, dans laquelle on trouve à chaque instant des considérations fines, des aperçus ingénieux, qui, parfaitement applicables à l'affaire au sujet de laquelle ils sont formulés, peuvent être facilement élevés à l'état de principes et de règles générales.

    A cet égard, - et nous insisterons sur ce mérite particulier du grand ouvrage de Callon, - on trouve unie à une parfaite connaissance des questions techniques une science économique profonde. Pour lui, une mine est bien un chantier dans lequel on extrait de la houille ou du minerai; mais c'est en même temps « un des spécimens les plus remarquables de l'activité humaine et de son triomphe sur la matière. »

    Dans presque tous les chapitres se trouvent des considérations économiques qui jettent une vive lumière sur beaucoup de questions controversées, telles que l'avenir des mines de houille, le rapport entre l'élévation du prix de la main-d'oeuvre et celle du prix des choses que le prix de la main-d'oeuvre doit permettre d'acquérir, la lutte entre les mines de l'Ancien et du Nouveau Monde pour les métaux précieux, la substitution du travail mécanique au travail manuel, etc., etc.


    La science sociale, que Callon étudiait dans les livres à Saint-Étienne, et qu'il n'avait cessé d'observer dans les faits pendant trente-cinq ans, avait toujours eu un vif attrait pour lui. « J'aurais aimé à faire un cours d'économie politique, disait-il quelques heures avant sa mort, je me sentais préparé. » Heureusement, par sa vie tout entière il était préparé aussi à paraître devant Dieu.

    Maintenant est-il possible de résumer en quelques lignes une vie aussi remplie que celle que nous avons essayé de raconter? Nous ne l'espérons pas.

    Comme ingénieur et professeur, Callon a dû à un mérite reconnu de tous ce rare bonheur d'enseigner, - et avec un égal succès, - l'art des mines :

    Aux ouvriers, à Alais ;

    Aux ingénieurs et directeurs, à Saint-Étienne et à Paris ;

    Aux concessionnaires et administrateurs, par ses conseils, ses notes, ses rapports, sa correspondance immense.

    Rien de tout ce qui touche à l'art des mines par un côté quelconque ne lui a été étranger. Proclamons-le donc un maître en l'art des mines, et un maître dont le souvenir et les leçons vivront longtemps.

    Comme ingénieur et économiste, Callon a étudié toute sa vie le grand instrument de la transformation du travail dans les temps modernes, - la machine à vapeur. Il partage avec Combes l'honneur d'avoir fait substituer à l'ancien régime légal de îa réglementation le régime de la liberté et de la responsabilité,

    Comme écrivain, Callon laisse un ouvrage considérable, résumant l'expérience acquise pendant quarante années de travaux, et que de nombreuses générations d'ingénieurs ne cesseront d'étudier.

    Comme citoyen, il a donné à tous l'exemple d'une vie entière consacrée au travail et au devoir, et il a su formuler en termes virils des conseils qui, s'ils sont suivis, assureront la régénération de notre cher pays.

    Comme homme enfin, que pouvons-nous ajouter à ce que nous avons dit de sa vive intelligence, de son amour du travail, de la bonté de son coeur? Jamais volontairement il n'a causé de mal à personne, et autour de lui il n'a fait que des heureux.

    En rentrant auprès des siens au retour d'un long voyage, ou le soir de chaque journée si régulièrement, si complètement consacrée au travail, Callon avait cette égalité de caractère, cette gaieté douce et aimable que Dieu donne comme la première récompense du devoir accompli.

    Pouvons-nous parler de la douleur de sa famille, du vide affreux qu'une mort si rapide et si imprévue laisse dans une maison qui n'avait jusqu'ici connu que le bonheur? De telles douleurs ne se décrivent point, et la religion seule en adoucit l'amertume; seule elle donne la certitude de la réunion dans le sein de Dieu; seule elle permet à la noble veuve de Callon de tirer de l'excès même de sa douleur une consolation, celle de pouvoir dire à ses fils : Soyez ce qu'était votre père.

    Paris, le 18 juillet 1875.