Emmanuel-Louis GRUNER (1809-1883)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1828 ; sorti classé 9ème sur 122 élèves) et de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1830, sortie en 1833 ; sorti major). Corps des mines.

Né le 11 mai 1809 à Berne (Suisse). Fils de Emmanuel GRUNER dit de WORS-LAUFFEN, négociant, et de Julie de JENNER. Marié à Emma MILSON. Décédé à Beaucaire (Gard). Père de Édouard Emmanuel GRUNER.


Biographies courtes de E.-L. Gruner

Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III

Né le 11 mai 1809, mort Inspecteur général de première classe en retraite, le 10 mars 1883. Promotion 1828 de Polytechnique. La partie essentielle de l'oeuvre de Gruner concerne la métallurgie : elle se trouve dans de nombreux Mémoires qui devaient être condensés dans ce Traité de Métallurgie dont il n'a pu faire paraître avant sa mort que le Tome I et la première partie du Tome II. Il cultiva la Géologie avec un égal succès. Nous aurons à reparler des principaux de ses travaux dans cette catégorie, tels que sa Carte géologique de la Loire et ses topographies des bassins houillers de la Loire et de la Creuse. Sa vie s'est presque entièrement écoulée dans les Écoles des Mines; professeur à Saint-Etienne de 1835 à 1848, il y revient comme Directeur de 1852 à 1857; il professe à Paris de 1858 à 1872, et remplit en même temps les fonctions d'Inspecteur de l'École de 1862 à 1870. La méthode et la philosophie de son enseignement accroissaient singulièrement l'importance des riches données techniques qu'il y répandait. Il acheva sa carrière administrative en présidant le Conseil général des Mines de 1872 à 1879. Dans cette existence si digne et si pleine, on ne doit pas oublier la création, en 1855, de la Société de l'Industrie minérale, dont la vitalité fait honneur à son fondateur.

Publié dans Notice historique sur l'Ecole des Mines de Paris, L. Aguillon, 1889

Gruner, né le 11 mai 1809, mort inspecteur général de 1re classe en retraite le 16 mars 1883, appartient à l'Ecole des mines de Saint-Etienne autant qu'à celle de Paris; il avait professé douze ans dans la première avant de professer quatorze ans dans la seconde. Il n'a abandonné l'Ecole des mines de Paris que pour prendre, en 1872, la vice-présidence du conseil général des mines qu'il garda jusqu'en 1879, où il fut atteint par la fatidique limite d'âge.

Gruner s'est livré avec un égal succès à la géologie et à la métallurgie. Comme géologue, ses travaux essentiels consistent dans la carte géologique de la Loire et les topographies des bassins houillers de la Loire et de la Creuse. M. Parran a fait plus particulièrement ressortir dans le Bulletin de la Société géologique (8e série, t. XII, p. 380) l'oeuvre de Gruner comme géologue. Comme métallurgiste, il a publié de très nombreux mémoires dans divers recueils, et il s'occupait encore à réunir ses travaux et son enseignement dans un grand Traité de métallurgie, lorsque la mort est venue le surprendre ; le tome I et la 2e partie du tome II ont seuls été publiés. M. Lodin, qui occupe aujourd'hui à l'Ecole la chaire de Gruner, a, dans une notice récemment publiée aux Annales des mines (3e livraison de 1888), signalé d'une façon détaillée l'oeuvre métallurgique de ce maître.

L'enseignement de Gruner se recommandait par sa méthode philosophique non moins que par le nombre et l'exactitude des renseignements.

Une des oeuvres qu'on doit également attribuer à Gruner est la constitution de la célèbre Société de l'industrie minérale de Saint-Etienne, à la vitalité persistante de laquelle il a contribué plus que personne.


Texte intégral des
DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNERAILLES DE M. L. GRUNER,
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES EN RETRAITE, Le 31 mars 1883.

Discours publiés dans Annales des Mines, 8ème série tome III, 1883 pp. 234 et suiv.

DISCOURS DE M. G. DE NERVILLE, Vice-président du Conseil général des mines,
AU NOM DU CORPS DES MINES.

Messieurs, je viens, au nom du Corps des Mines, adresser un suprême adieu à l'ingénieur éminent qu'il vient de perdre, à l'un de ses membres qui ont le plus illustré et dont le souvenir lui restera le plus cher.

Dans la brillante carrière que Louis Gruner a parcourue, l'homme d'un grand caractère a constamment doublé l'ingénieur et le savant. A la fois métallurgiste consommé, chimiste habile et patient, géologue du sens le plus pratique, professeur émérite, exploitant plein de sûreté, il a conquis partout, et surtout dans ce bassin de Saint-Etienne qui a été le siège de ses principaux travaux, je pourrais dire de sa vie militante, cette grande autorité qui le suivait comme une auréole, cette vénération si méritée qu'il inspirait à tous ceux qui l'approchaient, ingénieurs et ouvriers.

Messieurs, je n'entreprendrai pas d'énumérer, en ce moment, les vastes travaux qui ont rempli la vie de Gruner. Ils ont commencé , je puis dire ils ont surgi dès qu'il a été envoyé, au sortir de l'école, sur le sol minier du département de la Loire. Ils se sont continués sans interruption pendant près de cinquante ans ; il les poursuivait encore, il y a huit jours, avec une ardeur juvénile, dans le laboratoire de son fils, à Beaucaire, quand la mort est venue le surprendre.

Les Annales des Mines sont pleines de ses mémoires et de ses notices sur les questions les plus intéressantes et les plus variées ; études journalières et de détail qui ne l'ont pas empêché de trouver le temps de nous léguer un véritable monument : sa Description du bassin houiller de la loire, dont le monde industriel aussi bien que le monde savant ne sauraient lui être trop reconnaissants.

La houille, la fonte et l'acier, ces éléments de toute industrie, ont été l'objet principal de ses études de prédilection et le sujet de ses recherches les plus approfondies. Il s'est toujours proposé pour but d'étendre le champ des découvertes de la houille exploitable, dans les bassins qu'il explorait et dont il savait si bien analyser et en quelque sorte disséquer le terrain; à peine ai-je besoin de rappeler avec quel bonheur il y a souvent réussi. En même temps, il a été l'un des principaux et des plus ardents pionniers de cette révolution métallurgique en partie déjà accomplie, qui tend à substituer partout à l'emploi du fer celui de l'acier obtenu par des procédés de plus en plus économiques.

Son passage à l'Ecole des Mines de Paris comme professeur de métallurgie et bientôt après comme inspecteur des études, en le plaçant sur un plus grand théâtre et en lui créant de nouveaux devoirs, et de nouvelles affections aussitôt adoptées, l'a à peine séparé de cette autre et nombreuse phalange d'ingénieurs qu'il laissait dans le bassin de Saint-Étienne et dont il est toujours resté comme le chef vénéré.

Au Conseil général des Mines qu'il a présidé sept ans, oû l'ingénieur éminent avait de fréquentes occasions de se manifester, où son tact administratif et la fermeté de ses avis étaient de règle habituelle, nous avons souvent éprouvé quelle source de lumières nous devions à sa vaste science et à sa longue pratique des affaires, pratique toute spéciale qui lui venait de ses travaux si multipliés au contact des grandes industries et des grandes exploitations des mines. Quand l'heure de la retraite a sonné pour lui, et quand nous avons vu, avec les plus sincères regrets, disparaître de notre Conseil cette grande figure dont l'austérité était tempérée par la douceur et la bienveillance, nous avons tous compris que nous venions de perdre l'un de nos guides journaliers, le plus constant et le plus sûr.

La retraite qui nous l'enlevait n'a fait que lui donner l'entière disposition d'un temps précieux pour la continuation de ses travaux. Heureux s'il eût pu les terminer! Il exprimait naguère cette pensée d'une manière touchante dans la préface du tome II de son Traité de métallurgie générale, en demandant à Dieu « de lui prêter force et vie pour achever son oeuvre ». Son voeu n'a pas été exaucé; mais il laisse un fils, métallurgiste distingué, qu'il avait depuis longtemps associé à ses études et qui pourra accomplir cette pieuse mission.

Pour nous, Messieurs, nous ne perdrons jamais de vue l'exemple que nous laisse cette existence d'honnête homme, de savant et d'infatigable travailleur. Adieu, Gruner, ou plutôt au revoir!


DISCOURS DE M. LAN, Ingénieur en chef des mines, professeur à l'École des mines,
AU NOM DE L'ÉCOLE DES MINES,

L'ami que nous pleurons s'est doucement éteint, alors que, confiants dans sa verte vieillesse, nous espérions le voir longtemps encore parmi nous! Son esprit était si jeune et son coeur si vaillant ! Il semblait défier les atteintes de l'âge ! Debout, toujours ardent au travail, au devoir; - travail, devoir! deux mots qui résument la vie du regretté Louis-Emmanuel Gruner, de cet homme de bien que Dieu nous a repris !

D'origine suisse, admis, à ce titre, à l'École polytechnique, en 1828, il en sortit, l'un des premiers de sa promotion, élève-ingénieur des mines.

Après deux années d'études, il quitta l'École des Mines, pour voyager en Allemagne, terre classique de l'art minier ; il y demeura dix huit mois, se préparant patiemment aux services qu'il allait rendre, comme ingénieur professeur à l'École de Saint-Etienne, d'abord en service ordinaire, bientôt après chargé du cours de chimie et de métallurgie, qu'il garda pendant douze années. - Douze années (de 1835 à 1847) fructueusement employées, car dès 1834 et 1835 les Annales des Mines publiaient les notes et mémoires de son voyage en Allemagne ; - et, dans les volumes suivants, 1836, 1839, 1840, 1841, 1846, il traitait dans le même recueil les sujets les plus divers.

En 1841 parut son premier travail géologique sur le département de la Loire, origine de l'oeuvre la plus considérable peut-être de M. Gruner, oeuvre en deux parties : l'une, la Description géologique de la Loire terminée en 1857; l'autre, la Description du bassin houiller de la Loire, résumée déjà dans une première publication en 1847, puis lentement complétée par près de quarante ans de travail, pour faire, texte et atlas, un magnifique ouvrage, publié seulement l'an dernier, mais depuis longtemps déposé aux bureaux du service des mines de Saint-Etienne, précieuses archives pour les exploitants de ce bassin.

En même temps qu'il poursuivait, ces premiers travaux, M.Gruner allait en aborder d'autres : ingénieur en chef à Poitiers, en 1847, il étudia les bassins houillers du déparlement de la Creuse, qui firent l'objet d'un ouvrage spécial, paru en 1868. Durant son séjour à Poitiers (de 1847 à 1852), à la suite de diverses explorations, il écrivait la Classification des roches et filons du plateau central, sujet qu'il traita plus tard en détail devant la Société géologique de France (1865) et devant la Société de Lyon (1855-56 et 1857).

La haute notoriété que M. Gruner s'était acquise dans le département de la Loire le désignait naturellement pour le poste de directeur de l'École de Saint-Étienne : il y fut appelé en 1852.

Les six années qu'il y passa (1852-1858) furent comme le départ d'une carrière nouvelle : ses remarquables travaux géologiques, tout en l'occupant toujours, ne l'absorbaient plus exclusivement. L'École de Saint-Étienne, sous la direction d'un pareil chef, au milieu d'un monde sympathique d'ingénieurs, ses anciens élèves pour la plupart, prospérait et grandissait. L'ancien professeur de métallurgie se recueillant dans le laboratoire, où il avait entrevu plus d'un problème à résoudre, reprit d'abord ses premières études sur les combustibles. En 1852, 1854 et 1855 paraissaient dans les Annales des Mines les résultats de ses recherches sur la Classification des houilles de la Loire et de la Creuse. A cette époque aussi les progrès de la grande industrie faisaient présager des transformations prochaines dans l'art des mines et plus encore dans l'art métallurgique. C'est alors que M. Gruner, avec quelques collaborateurs dévoués, eut la pensée de fonder la Société de l'industrie minérale, société d'ingénieurs réunis dans le louable but de s'exciter mutuellement au progrès par des assemblées et par des publications périodiques. Le succès de cette création s'est affirmé rapidement : la Société a grandi et tient aujourd'hui une place dont l'honneur revient pour la majeure part à son fondateur : - n'a t-il pas assuré ses premiers pas, en y publiant ses propres travaux de 1855 à 1858, et en la soutenant de ses conseils, après avoir quitté Saint-Etienne pour venir occuper la chaire de métallurgie à l'École de Paris (1858) ?

De ce moment datent ses travaux métallurgiques les plus importants. - Après une série nombreuse de mémoires sur toutes les questions sidérurgiques, qui, depuis 1858 ou 1860, préoccupaient les savants autant que les industriels, - fabrications nouvelles de l'acier -, déphosphoration des fontes, aciers et fers -, emplois des gaz et des hautes températures etc., - après divers mémoires sur les métallurgies du plomb et du cuivre, M. Gruner tint à laisser de ses études métallurgiques, comme il l'avait fait de ses études géologiques, un témoin plus marquant que des notes et mémoires disséminés dans des recueils périodiques : en 1872, l'année même où il quittait les fonctions de professeur et d'inspecteur de l'École des Mines pour prendre le poste le plus élevé du Corps des Mines, la vice-présidence du Conseil général, il entreprenait la préparation d'un grand Traité de métallurgie. Sans que cette oeuvre nouvelle l'ait un seul instant détourné des hautes fonctions qu'il remplit jusqu'à l'heure de sa retraite, en 1879, il faisait paraître le premier volume de ce traité en 1875, puis la moitié du second en 1878 ; la suite était en préparation quand la mort est venue le surprendre.

A cette rapide et incomplète esquisse des travaux de notre chef regretté, est-il besoin de rien ajouter pour montrer à quel point il aima le travail ? - Mais comment ne rappeler que cette tâche accomplie, tout énorme qu'elle paraisse, ne suffisait pas à occuper sa vie? - Les aptitudes merveilleuses de sa forte intelligence n'étaient pas les seuls traits de cette nature d'élite : sous les manifestations de l'esprit, on sentait, chez lui, toujours battre le coeur! Sévère à lui-même, bon, indulgent aux autres, on peut dire qu'il n'aspirait qu'à rendre service.

Quel appui, quels conseils il a donnés tantôt aux ingénieurs, à ses anciens élèves, tantôt aux exploitants, aux industriels ! Les sociétés nombreuses qui ont fait appel à son expérience, à ses lumières, ne savaient souvent qu'admirer le plus, de son dévouement, de son intelligence, de sa modestie ou de son désintéressement !

Voilà l'homme que nous avons perdu, Messieurs: perte irréparable, vide immense, que sentiront cruellement tant d'ingénieurs formés à son enseignement, tant de personnes qu'il a obligées et plus encore les collaborateurs qui, comme nous, ont pu l'approcher de plus près.

Je viens, au nom de tous ceux-là, au nom de l'École des Mines, qui lui doit tant, dire un suprême adieu au Maître, à l'ami que nous avons tant aimé ! - Et je viens saluer sa famille éplorée. Ah ! si j'osais soulever le voile de son foyer domestique, de sa vie chrétienne, sous quels traits touchants vous verriez reparaître cet homme excellent ! Quels pleurs vous mêleriez aux pleurs de sa veuve et de ses enfants !

Pauvre famille ! Dieu t'a pris ton chef vénéré, mais tes pasteurs te l'ont dit: regarde au ciel! Le juste que tu pleures est mort pour la terre ; il vit dans le Seigneur !

DISCOURS DE M. FÉLIX LE BLANC,
AU NOM DU CONSEIL DE LA SOCIÉTÉ D'ENCOURAGEMENT POUR L'INDUSTRIE NATIONALE.

La mort qui vient de frapper l'homme éminent que nous accompagnons à sa dernière demeure, atteint cruellement la Société d'encouragement pour l'industrie nationale. Louis Gruner, inspecteur général des mines en retraite, faisait partie, depuis 1872, du Comité des arts chimiques du conseil de cette Société. Il était l'un de ses membres les plus assidus et son concours, en raison de sa haute compétence, particulièrement dans les questions de chimie et de métallurgie, était hautement apprécié. La bienveillance de son caractère, si élevé et si honorable, lui avait, comme partout, gagné les coeurs.

Organe du Comité des arts chimiques de la Société, je viens offrir, en son nom, sur cette tombe, un témoignage de respect et d'affection pour la mémoire de notre vénéré collègue.

Le conseil se rappelle l'intérêt de ses communications, faites, à la fois, avec simplicité, clarté et précision.

Gruner nous avait exposé la substance de ses publications sur le pouvoir calorifique et la classification des houilles, sur la chaleur absorbée, aux températures élevées, par la fonte, les laitiers, etc.

En 1872, Gruner a publié un mémoire important, relatif à l'action de l'oxyde de carbone, à diverses températures, sur le fer métallique et ses oxydes ; il vérifia et expliqua les faits avancés par M. Bell. Ce travail, présenté à l'Académie des sciences, a été l'objet d'un rapport très favorable de M. Henri Sainte-Claire Deville et l'Académie ordonna l'insertion du mémoire de Gruner dans le Recueil des savants étrangers.

A la suite de quelques doutes soulevés sur l'existence, en France, de gisements de minerais de fer propres à la fabrication de l'acier, Gruner exposa que la France possédait de nombreux gisements de minerais, qui pouvaient parfaitement convenir à cette fabrication.

En 1875, Gruner exposa les résultats de ses travaux sur la sidérurgie, consignés dans un grand mémoire publié dans les Annales des Mines. Ce mémoire, l'un des plus importants sur la matière, depuis les mémorables travaux d'Ebelmen, constitue, pour ainsi dire, la physique et la chimie du haut-fourneau. Toutes les questions chimiques y sont savamment étudiées, ainsi que les questions qui qui s'y rattachent.

Les collègues de Gruner à la Société d'encouragement se rappellent avec quelle netteté il nous exposait les essais faits pour déphosphorer la fonte dans le convertisseur de Bessemer, en la transformant en acier. Il établissait bien que la déphosphoration n'était pas due, comme le croyait le savant métallurgiste Lowthian Bell, à la haute température exclusivement, mais à l'influence des parois réfractaires calcaréo-magnésiennes, presque exemptes d'alumine et dans lesquelles la silice ne devait pas dépasser une certaine proportion. Dans ces conditions, des fontes, contenant 1,5 p. 100 de phosphore, pouvaient fournir, finalement, un acier contenant moins d'un millième de phosphore.

Le bulletin de notre Société contient le discours prononcé, en 1878, par Gruner, lors de l'ouverture du Congrès tenu à Paris par la Société de l'industrie minérale, à l'occasion de l'Exposition universelle. On y trouve une revue des progrès de la métallurgie.

Un rapport de Gruner nous a fait connaître les propriétés d'un acier, dans lequel l'analyse lui a révélé la proportion de 8 p. 100 de tungstène. Cet acier, d'une dureté extrême, était fabriqué, en Angleterre, dans le comté de Glocester, par la Société dite titanique. (En réalité cet acier ne contenait pas de titane.)

La Société d'encouragement doit encore à Gruner un important rapport sur la fabrication des rails en fer phosphoré, fondu, à Terre-Noire, près Saint-Etienne, sous la direction de M. Euverte.

A la fin de l'année dernière, la Société entendait un très intéressant rapport de Gruner sur la métallurgie du cuivre par l'emploi du convertisseur de Bessemer, en opérant sur le résultat d'une première matte de concentration du minerai. Les sept ou huit opérations, antérieurement pratiquées et consistant en une série de fontes et de grillages successifs, se trouvent remplacées par une opération unique, pratiquée, aujourd'hui, dans l'usine de Védène (Vaucluse), où M. Manhès applique le traitement au Bessemer. On peut obtenir ainsi, en une seule opération, un produit contenant environ 99 p. 100 de cuivre. Il faut dire que ce résultat n'a été atteint qu'après des changements opérés dans le dispositif du Bessemer ordinaire, notamment en adoptant des tuyères latérales pour l'injection de l'air. Toutes ces circonstances sont savamment exposées dans le rapport de Gruner et il est permis de croire que ses conseils ont été d'un puissant secours au directeur de l'usine de Védène.

Gruner laisse inachevé un important Traité de métallurgie, dont le premier volume a été présenté, en 1875, à la Société d'encouragement.

Le 15 janvier dernier, Gruner présentait à l'Académie des sciences un intéressant mémoire sur l'oxydabilité relative des fontes, des fers et des aciers, sous l'influence de l'air humide ou de l'eau de mer.

Enfin, tout récemment, dans la séance de l'Académie des sciences du 18 février dernier, Gruner faisait présenter le deuxième volume de sa description géologique du bassin de la Loire. Le premier volume avait donné une description générale; le second volume contient la description détaillée du bassin houiller de la Loire, fruit des études prolongées de l'auteur.

En présentant cet ouvrage à l'Académie des sciences, M. Daubrée s'exprimait ainsi :

« Cet ouvrage monumental, qui a occupé M. Gruner pendant plus de quarante années, fait connaître, d'une manière exacte et approfondie, la constitution du bassin houiller de Saint-Étienne. Il jette beaucoup de lumière sur des questions importantes de la science, en même temps qu'il fournit des données précieuses aux exploitants présents ou futurs. » Nous ne commettrons pas la faute d'ajouter à cette appréciation des travaux géologiques de Gruner, émanant juge aussi compétent.

Tous ceux qui ont connu le savant dont nous déplorons la perte, n'ignorent pas qu'à l'élévation de l'esprit il joignait les qualités qui constituent l'homme de bien et il comprendront avec quelle émotion nous venons lui dire un dernier adieu, au nom des membres du Conseil d'une Société dont il était l'honneur et la force.


DISCOURS DE M. PARRAN, Ingénieur en chef des mines, vice-président de la Société géologique de France
AU NOM DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE.

Messieurs, la Société géologique de France a été douloureusement émue par la perte de celui qu'elle comptait au nombre de ses membres les plus anciens, les plus éminents, les plus honorés.

Gruner fut reçu en 1848 membre de la Société; il fut appelé en 1865 à l'honneur de la présider.

Notre bulletin renferme de lui d'intéressants mémoires dans lesquels il a consigné non seulement ses propres découvertes, mais encore celles des nombreux ingénieurs dont il avait été le maître, dont il était resté l'ami, et dont il était heureux de communiquer les travaux à la Société.

S'il m'était permis de mêler l'expression de mes sentiments personnels à ceux dont la Société m'a fait l'interprète, je dirais, pour ma part, tout ce que je lui dois; je rappellerais ses conversations instructives dans les salles de collections de l'École de Saint-Étienne. Il y passait de longues heures, employées au classement des matériaux recueillis dans ses courses, et me faisait part, il y a de cela 30 ans, de ses précieuses observations sur les terrains de Saint-Etienne et du Roannais et sur les gisements métallifères du plateau central, qui ont fait époque dans la science.

Je ne saurais ici donner l'énumération des travaux géologiques de notre confrère. La Société voudra, certainement, en consacrer le souvenir par une notice spéciale, honneur qu'elle réserve à ses membres les plus distingués. Mais je ne puis passer sous silence son ouvrage sur le département de la Loire, véritable modèle d'observation et de classification, dont le temps et les recherches micrographiques récentes n'ont fait que rehausser la valeur.

Les études géologiques, si attachantes pour tous ceux qui sont épris des beautés de la nature, avaient à ce titre, pour notre ami, un charme tout particulier. La foi vivante dont il était profondément pénétré lui faisait admirer l'oeuvre du Créateur et le rapprochait de Lui.

Au nom de la Société géologique de Fiance, je dépose sur cette tombe l'expression de nos douloureux regrets.

Cher ami, cher confrère, recevez nos derniers adieux !


DISCOURS DE M. LÉVY,
AU NOM DES ANCIENS ÉLÈVES DE L'ÉCOLE DES MINES DE SAINT-ÉTIENNE.

Messieurs, je viens en ma qualité d'un des plus anciens élèves de Louis Gruner à l'École des Mines de Saint-Étienne, dont il a été professeur, puis directeur, depuis l'année 1835 jusqu'en 1859, et au nom de mes camarades, exprimer ici le profond chagrin que nous éprouvons en perdant un maître vénéré et aimé.

Que d'obligations nous lui devons tous! Avec quelle sollicitude il s'intéressait à l'avenir de ses élèves ! A tous il a tendu une main bienveillante et amicale.

Pour moi, qui ai eu le bonheur de l'approcher bien souvent, j'ai pu apprécier d'une façon toute particulière, l'étendue de ses qualités, la bonté inappréciable de son coeur. Que de fois j'ai eu recours, et tant d'autres avec moi, à ses conseils paternels, dictés par une remarquable connaissance des hommes et des choses et par un jugement d'une rectitude parfaite.

Jamais nous n'avons entendu parler qu'avec une admiration sans mélange de son talent d'ingénieur-professeur et de ses vertus de toutes natures. Peu d'hommes ont su acquérir à un degré semblable le respect, l'affection sincère de leurs élèves et des personnes de tous rangs qui ont eu le bonheur, et, j'ose le dire, l'honneur de le connaître. Tous nous rendons hommage à l'illustre savant qui a fait faire tant de progrès à la métallurgie et qui se dérobait, par une modestie proverbiale, aux justes éloges qui lui étaient décernés.

Les anciens élèves de l'École des Mines de Saint-Étienne lui avaient décerné le plus beau titre d'estime qui fût à leur disposition, en le nommant président d'honneur de leur Société amicale de secours.

Puisse sa famille en pleurs, son cher fils et son digne élève, puiser dans les regrets sincères et unanimes que sa perte fait éprouver à ses très nombreux amis, une consolation à la douleur qui vient de les atteindre d'une façon si cruelle.

Adieu cher, vénéré et aimé maître ! Reposez en paix et recevez la récompense qui est due à votre coeur d'or et à vos vertus exemplaires !


Photo ENSMP