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INAUGURATION DU BUSTE DE PIERRE TERMIER (1859-1930)
à l'Ecole des mines de Saint-Etienne le 21 octobre 1933

Par une délicate et généreuse intention, le Comité parisien formé pour élever à l'Ecole des mines de Paris un monument à la gloire de Pierre Termier, a offert une réplique de ce monument à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, où Termier professa avec éclat de 1886 à 1894 et où il a laissé tant de beaux souvenirs. Le buste a été réalisé en marbre pour les Ecoles des mines de Saint-Etienne et Paris, et en bronze pour la ville de Briançon.

Pour rendre plus solennel l'hommage qui devait être rendu par l'inauguration de ce monument à la mémoire de l'illustre géologue, la cérémonie avait été fixée à la veille de la remise de la croix de la Légion d'honneur à l'Ecole.

Ce 21 octobre, à 15 heures, sous le péristyle de l'Ecole, se trouvaient réunis, autour du directeur, des professeurs et des élèves de l'Ecole en tenue, un groupe important de membres du Comité Termier, d'amis et de disciples, entourant la famille du vénéré maître.

Celle-ci était représentée par ses filles, Mme Cailliès et Mme Artru, son gendre, M. Cailliès, deux de ses petits-enfants, M. et Mlle Artru et ses neveux M. et Mme Joseph Nicolet.

Citons quelques-unes des personnalités présentes :

M. Lantenois, inspecteur général des mines, président du Comité Termier ; MM. Galliot, Caltaux, Loiret, inspecteurs généraux des mines ; M. Heumann, secrétaire général de la Préfecture de la Loire ; M. Descombes, directeur de l'Ecole des mines, et MM. les professeurs ; M. Jarlier, ingénieur en chef des mines à Lyon ; M. Grosselin, président, et M. Chapot, secrétaire général de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris ; M. Théodore Laurent, président du Conseil des aciéries de la marine ; M. Deflassieux, président de la Société amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Saint-Etienne, et un grand nombre d'anciens élèves.

Parmi les amis stéphanois de Termier : MM. C. et Jean Rey-Herme, Me Jean Mazodier, M. Joseph Mazodier, Me Germain de Montauzan, M. de Rochetaillée, conseiller général, M. E. Raverot, etc., etc.

Après avoir écouté avec une profonde émotion les discours que nous reproduisons ci-dessous, l'assistance put admirer la belle œuvre du sculpteur Aimé Octobre et remercier encore les membres du Comité d'avoir ainsi contribué à perpétuer à l'Ecole le souvenir d'un professeur prestigieux et aimé entre tous.

Discours de M. LANTENOIS
Vice-Président du Conseil général des mines, président du Comité du monument Termier.

Nous sommes ici réunis pour inaugurer le monument de Pierre Termier, membre de l'Académie des sciences, inspecteur général des mines, ancien professeur de géologie à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, professeur de géologie générale à l'Ecole des mines de Paris, directeur du service de la carte géologique de la France.

Il s'est éteint doucement, à Grenoble, au milieu des siens, il y a trois ans à peu près jour pour jour, le 23 octobre 1930, à l'âge de 71 ans. après une vie splendide et douloureuse consacrée à la science, à sa famille, à l'humanité, à Dieu.

Au lendemain de sa mort, quelques-uns de ses amis, désireux de perpétuer son souvenir, ont pensé qu'il convenait d'honorer sa mémoire en érigeant là même où son enseignement pendant plus d'un tiers de siècle a brillé d'un si vif éclat, à l'Ecole des mines de Paris, un monument digne de l'homme et de l'œuvre si riche et si variée qu'il laisse derrière lui. Une réplique de ce monument pourra être érigée à l'Ecole des mines de Saint -Etienne. Je viens de citer les termes mêmes de la circulaire qui a été envoyée le 26 février 1932, par le comité exécutif du monument Termier, à toutes les personnes, anciens élèves de l'Ecole polytechnique, des Ecoles de mines de Paris et Saint-Etienne, géologues ou simples lecteurs de beaux livres de Termier, sociétés industrielles, groupements administratifs et divers, qu'il nous a paru utile d'atteindre. Mais, avant de lancer cet appel il avait fallu constituer un comité exécutif et un comité de patronage. Celui-ci comprend les personnalités les plus éminentes dt l'Institut, de l'Université, de l'administration et des sociétés industrielles, ainsi que de nombreux géologues étrangers avec lesquels le défunt entretenait des relations fréquentes. La liste des membres du comité de patronage est jointe à la circulaire. On y relève le nom de M. Albert Lebrun, ingénieur au corps des mines, président du Sénat, aujourd'hui président de la République.

Le succès de la souscription a répondu complètement à notre attente.

La somme recueillie s'élève à 116.081 francs. Elle comprend 681 souscriptions individuelles s'élevant à 76.776 fr., 34 souscriptions de sociétés s'élevant à 25.550 fr., 22 souscriptions de collectivités diverses s'élevant à 13.755 francs. Le nombre des souscripteurs dont la souscription atteint ou dépasse 150 francs s'élève à 292. Tous ont droit, d'après la circulaire précitée, à un exemplaire d'une médaille en bronze représentant, en réduction, le motif principal du monument projeté.

Parmi les généreux donateurs, je dois citer au premier rang l'Office national des combustibles liquides et diverses sociétés, services ou groupements [...].

Dès que le succès de la souscription a paru assuré, le comité exécutif s'est préoccupé de réaliser, dans les meilleures conditions possibles, le projet pour lequel il avait été fait appel aux souscripteurs.

Nous nous sommes adressés à un excellent statuaire. M. Octobre, ancien prix de Rome, médaille d'honneur au salon des artistes français de l'année 1931, très connu par ses productions artistiques, notamment par les deux belles statues de la danse antique et de la danse moderne qui figurent dans le péristyle du grand opéra de Paris.

Nous n'avons qu'à nous louer du talent, de la conscience professionnelle et du dévouement que M. Octobre a mis dans l'exécution de la tâche difficile qui lui était confiée et qui a consisté dans l'exécution de deux bustes en marbre identiques, destinés à être érigés, l'un à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, l'autre à l'Ecole des mines de Paris.

C'est l'un de ces deux bustes que vous allez admirer dans un instant. L'artiste a opéré sur simples photographies, pas très bonnes, puis a été aidé, pendant la préparation de l'ébauche, par les indications que lui ont données un petit nombre de parents et amis, grâce à quoi il est parvenu à réaliser ce miracle de fixer avec bonheur et fidélité les traits de notre grand et cher Termier éclairés par son beau regard, lointain et méditatif, miroir de sa haute intelligence et de sa grande âme.

La médaille a été établie d'après le buste. Nous la considérons comme très réussie.

La souscription est suffisante pour nous permettre de répondre à la proposition de la municipalité de Briançon, qui a offert un emplacement gratuit, dans un jardin, où le buste en bronze de Termier pourra être érigé, dans ce merveilleux pays clé montagne du Briançonnais, qui a été comme vous le savez, le pays de ses grandes découvertes géologiques, en face de ce qu'on est convenu, avec Termier, d'appeler « La quatrième écaille ».

Messieurs, il ne m'appartient pas de faire ici l'éloge complet et méthodique de Pierre Termier. Ce serait pour moi une tâche écrasante et d'ailleurs cet éloge serait hors de propos, car il a déjà été fait par des personnes très autorisées et dans les circonstances et les enceintes où il devait être prononcé, je veux dire au moment des obsèques de Termier par les représentants de l'Administration, de l'Institut et des corps savants, par ses amis, et plus tard, en 1931, à la société géologique de France, par M. Raguin, ingénieur au corps des mines, qui a lu une notice très complète sur les travaux géologiques de son maître aimé et vénéré. Un livre récent fort intéressant, dont le titre est Pierre Termier et qui raconte la vie de Pierre Termier, a paru récemment à la librairie Flammarion, sous la signature d'un homme de lettres distingué, M. André Georges. Précédemment, la nouvelle revue des jeunes a fait paraître dans son numéro du 14 mai 1932, sous la rubrique " Hommage à Pierre Termier ", une série d'articles [...]. Mais le véritable témoin de Pierre Termier n'est-ce pas ses propres écrits, littéraires et philosophiques, aussi bien que scientifiques.

En dehors de ses publications géologiques (notes, mémoires et conférences) dont la liste a été précieusement dressée par M. Raguin, et est jointe à sa notice (lue à la société géologique de France), dont j'ai parlé plus haut, vous savez que Termier fut un de nos très excellents écrivains français et qu'il a publié trois beaux livres, devenus aujourd'hui classiques et dont voici les titres : A la gloire de la terre, La joie de connaitre, La vocation de savant.

Mme Boussac-Termier, sa fille, a réuni, après sa mort, plusieurs de ses articles dans un volume modestement intitulé Mélanges, qu'elle a accompagné d'un avant-propos.

Messieurs, il est juste, il est opportun qu'à l'Ecole, des mines de Saint-Etienne, aussi bien qu'à l'Ecole des mines de Paris, le professorat de Pierre Termier soit glorifié par un de ses anciens élèves. Pour l'Ecole des mines de Saint-Etienne, j'ai demandé, d'accord avec M. le Président de l'association des anciens élèves, à M. Chastel, ingénieur civil des mines, ancien élève de Termier à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, administrateur de l'Ecole des mines de Saint-Etienne, ingénieur administrateur de la société de Penarrova, à prendre la parole au nom des élèves de cette école.

Du géologue, que dirions-nous qui n'ait déjà été dit d'une façon excellente et, je crois, définitive, par M. Raguin dans sa note lue à la société géologique.

Je me borne à rappeler ici que la région de Saint-Etienne a été le berceau des travaux géologiques de Termier. Le premier fascicule du bulletin du service de la carte géologique de la France, publié en 1889, est constituée par une étude du massif cristallin du Mont Pilat. La région de Saint-Etienne reprit plus tard pour Termier un intérêt particulier quand il y reconnut, avec Georges Friedel, des indices nombreux et inconstestables de charriages antéstéphaniens qui sont devenus, comme vous le savez, le point de départ d'une tectonique nouvelle du plateau central et de ses abords.

J'ai eu le grand plaisir d'assister, avant la guerre, en amateur, à une course géologique des élèves de l'Ecole des mines de Paris dans le massif cristallin compris entre Saint-Etienne et le Rhône, où Termier montrait à ses élèves les charriages hercyniens.

A la fin de cette tournée, comme je félicitais Termier de l'influence heureuse qu'il avait, à tous points de vue, sur ses élèves, il me répondit : « Faut-il parler d'élèves ? On ne devrait avoir que des disciples. »

J'ai eu le bonheur d'approcher souvent Termier lorsque j'étais ingénieur des mines, d'abord en Algérie, puis en Indochine, pendant mes congés. J'ai été, moi aussi, l'élève de Termier, au sens commun du mot. En effet, en 1908-1909, je me suis remis à Paris, sur les bancs de l'école pour étudier la pétrographie qui était, dans mon jeune temps, une science totalement ignorée. Notre professeur de géologie Beguyer de Chancourtois ne faisait pas, du reste, que l'ignorer, il la réprouvait.

Les roches cristallines, disait-il, doivent se déterminer sur le terrain.

Termier, vous le savez, était, lui, un excellent minéralogiste et pétrographe, et le prince, peut-on dire, de la science tectonique française. J'ai suivi également à Ecole des mines de Paris ses leçons de tectonique. Combien de fois en ces dernières années l'avais-je pressé de publier ou de laisser publier ses leçons, mais il s'y refusait obstinément. Les cours de géologie de l'Ecole des mines, aussi bien que ceux des Facultés, constituent - aimait-il à dire - un enseignement vivant que le professeur doit s'attacher à mettre au point chaque année. Les publier ce serait, non pas seulement les fixer, mais les figer -- ce que Termier, dans son amour ardent de la vérité, n'admettait en aucune sorte.

J'ai revu Termier dans les congres géologiques, à Toronto, à Bruxelles, à Madrid. Il m'a longuement honoré de son amitié, il m'a reçu chez lui à Paris et dans son domaine familial, à Varces-en-Isère. Pendant dix ans. tous les vendredis, en sortant du Conseil général des mines, nous avons eu, chemin faisant, un long entretien. J'ai donc connu l'homme.

C'est de l'homme dont j'oserai maintenant vous entretenir.

Vous savez tous ce que fut Pierre Termier. Un grand savant. Un pur héros. Un humble saint.

Un grand savant : Termier avait toutes les qualités, toutes les vertus du vrai grand savant : observateur infatigable, scrupuleux et tenace ; esprit synthétique au plus haut degré ; imagination créatrice, jointe à un esprit critique, très vif, qu'il exerçait et sur les autres et, encore plus, si je puis dire, sur lui-même, car il était d'une absolue bonne foi.

Ajoutez à cela la magie du verbe et de la parole. Tout a été dit là-dessus et bien dit. Dans mon allocution prononcée aux obsèques de Pierre Termier. j'ai raconté qu'au banquet final du congrès de Toronto, j'avais auprès de moi des Canadiens français qui étaient, pendant son discours, comme suspendus à ses lèvres. Les deux Frances se rejoignaient d'esprit et de coeur. Ouels beaux souvenirs !

Termier était, dis-je, un pur héros. Cela doit s'entendre dans la vie publique et dans la vie privée.

Dans la vie publique, Termier était l'homme épris de l'idée, qui vit pour l'idée, et qui agit par l'idée. C'est, dans tous les domaines, le propre du héros.

Dans la vie privée, Termier s'est dévoué héroïquement à sa famille. Qui l'a vu, à Varces, au milieu de ses nombreux enfants et petits-enfants, a vu une chose très belle.

Un saint : Chacun sait que Termier était un grand catholique. Il puisait dans sa foi une force morale prodigieuse. Sa vie a été traversée par des deuils très cruels qu'il a supportés avec une courageuse résignation. Il était très simple, tolérant, bon, doux et ferme, juste et bienveillant envers tous, et se montrait, dans la conversation, plein d'une aménité et d'une hauteur de vue qui sollicitait l'affection et imposait à tous l'admiration.

Tel était l'homme, le plus harmonieux que, pour ma part, j'ai jamais rencontré.

Aussi bien, une cérémonie comme celle d'aujourd'hui est, dans un certain sens, un acte de piété.

Nous aimons, nous vénérons, nous glorifions Pierre Termier, parce qu'il nous honore, et qu'il est pour nous un grand exemple, un grand souvenir.

Monsieur le Directeur de l'Ecole des mines, au nom du comité de patronage du monument Termier, je vous remets ce monument. Le buste de Termier est bien placé là où il est. Tous ceux qui pénètrent dans cette école par la porte principale pourront et devront saluer en passant, à droite, la plaque commémorative des élèves morts pour la patrie, à gauche, le monument du professeur, du maître qui a su former et élever l'esprit et le coeur des vivants.


Discours de M. DESCOMBES
Directeur de l'Ecole des mines.

L'une des idées maîtresses de Beaunier, ingénieur en chef des mines, le fondateur de l'école, qui a l'honneur de vous recevoir aujourd'hui, s'est manifestée dans la conception de l'enseignement destiné aux futurs directeurs et ingénieurs des exploitations minières ; quelques mots suffisent à la préciser : une pénétration mutuelle, large de la science et de l'industrie minérale.

Il est inutile d'insister sur les avantages que présente une telle méthode; mais je ne puis manquer d'indiquer l'une de ses plus heureuses conséquences. Elle a entraîné naturellement la collaboration des maîtres et de leurs élèves une fois sortis de l'école; de cette collaboration sont nées la confiance et l'estime réciproques.

L'Ecole nationale supérieure des mines de Saint-Etiennc ne saurait séparer ses maîtres et ses élèves; les uns et les autres ont contribué à la faire connaître; les uns et les autres ont été les artisans de son passé de gloire et de labeur; solidaires dans l'effort créateur d'une grande richesse morale et intellectuelle, solidaires ils resteront dans la pensée et le pieux souvenir de leurs successeurs.

C'est vous dire, Monsieur le Président, avec quelle fierté et quelle reconnaissance l'école accepte de recevoir en garde le buste de l'un de ses maîtres les plus illustres.

Pierre Termier a été nommé, en 1885, professeur de géologie, de minéralogie et de physique à l'école ; à Saint-Etienne, il se lia avec l'un de ses collègues Urbain le Verrier, fils du célèbre astronome. Urbain le Verrier fut pour lui, c'est Pierre Termier qui l'écrit, l'initiateur, l'animateur et le maître; c'est par lui que Pierre Termier connut, le métier de géulogue dans des courses communes à travers les monts du Forez, les montagnes de la Haute-Loire et la chaîne du Pilât. En 1890, Pierre Termier est chargé par Michel Lévy de l'étude des montagnes de la Vanoise, sur le conseil de Marcel Bertrand, ce n'était sans doute pas le premier contact de Pierre Termier avec les Alpes, mais cette époque marque le début de son étude de la grande chaîne des Alpes, cette oeuvre immense où il a laissé un nom impérissable.

L'école est particulièrement fière de compter parmi ses anciens maîtres celui dont le labeur de cinquante années fut imprégné, animé de l'idéal scientifique le plus élevé. Elle a pensé que dans sa maison le buste de Pierre Termier serait à sa place, en face du tableau qui porte les noms des anciens élèves morts victimes du devoir professionnel ou tombés au champ d'honneur.

Les jeunes, qui franchiront les portes de l'école, comprendront mieux que son passé riche de travail et de sacrifices douloureux est l'œuvre de ses maîtres et de ses élèves, membres solidaires d'une grande famille morale.

Monsieur le Président, il nous sera infiniment agréable de vous voir agréer les sentiments de respectueuse et profonde reconnaissance que j'ai l'honneur de vous exprimer au nom de l'école, de ses professeurs et de ses élèves, et nous vous demandons de bien vouloir transmettre à MM. les membres du comité du monument Pierre Termier l'expression de notre sincère gratitude. L'école n été particulièrement heureuse de s'associer à l'hommage rendu à celui qui porta l'un des plus grands noms de la science contemporaine, et dont le buste sera pieusement gardé par nous.

Nous nous inclinons respectueusement devant celles et ceux à l'affection desquels fut trop tôt enlevé celui qui fut un homme dans la plus noble acception du mot, et nous sommes heureux d'adresser nos meilleurs compliments au sculpteur. M. Octobre, qui réussit d'une façon parfaite à nous donner l'excellente image que nous admirons et qui fait vibrer dans le coeur de tant de ses élèves le souvenir d'un maître à la parole prestigieuse.

Je tiens enfin à remercier M. le Secrétaire général d'avoir bien voulu honorer de sa présence cette cérémonie où nous fêtons la mémoire de Pierre Termier, et je lui demande de bien vouloir transmettre à M. le Préfet de la Loire l'expression respectueuse de notre sincère gratitude pour l'intérêt bienveillant qu'il témoigne, à l'école.


Discours de M. André CHASTEL
Membre du Comité de l'Ecole, ancien élève de Pierre Termier à Saint-Etienne.

Il y a quelques jours, lorsque la Société amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Saint-Etienne me demandait de remercier le comité du monument P. Termier et de rappeler les souvenirs de notre professeur au cours de la cérémonie d'aujourd'hui, je n'élevais qu'une objection : celle de ne pouvoir exprimer comme je le voudrais les sentiments de reconnaissance et d'affection que nous avions tous pour Pierre Termier.

Pierre Termier fut élevé presque dans notre région. Né à Lyon en 1859. il entrait en octobre 1868 à l'institution Sainte-Marie de Saint-Chamond. Il y restait jusqu'en 1876, époque à laquelle il vint à Paris préparer son examen à l'Ecole polytechnique. Entré 10e en 1878. il en sortait major deux ans plus tard.

Après les stages réglementaires à l'Ecole des mines de Paris, un an dans l'artillerie à Grenoble, le jeune ingénieur au corps des mines terminait le 25 mai 1883 la série de ses nombreux examens pour lesquels il ne connut que des succès. En décembre 1883. il est nommé ingénieur du service de la région de Nice. En août 1885, il entre à l'Ecole des mines de Saint-Etienne comme professeur de physique, minéralogie et géologie. Il y demeure jusqu'en 1894, époque à laquelle il abandonne, non sans hésitation, son poste de Saint-Etienne pour celui de professeur de minéralogie à l'Ecole des mines de Paris. Il y restera attaché jusqu'au moment de sa mort, survenue d'une façon si inattendue le 23 octobre 1930.

Ses collègues de l'Académie des sciences, de la Société géologique de France, du Corps des mines, des savants français et étrangers, ont, dans plusieurs occasions, mis en évidence la haute valeur morale de P. Termier. Ils ont rappelé, mieux que je ne pourrais le faire, ses nombreux études, et notamment l'importance des travaux qu'il lit pendant qu'il était à la fois professeur dans notre école et collaborateur de la carte géologique de France.

Je voudrais néanmoins, pour ces années de 1885 à 1894, date de son séjour à Saint-Etienne, rappeler quelques souvenirs de ses anciens élèves, mettant en relief les belles qualités de celui qui fut notre professeur et maître.

Dès les premières leçons de 1885, nous fumes séduits par ce jeune professeur de 26 ans, qui, par l'élégance de sa parole et. la clarté de son exposition, savait obtenir de ses élèves une attention constante.

Ses leçons de géologie, toujours très documentées, quelquefois sans aucune préparation apparente, laissaient souvent deviner les études favorites du professeur.

Il v a quelques jours, dans une réunion de vieux camarades, nous rappelions encore avec émotion cette leçon sur le trias, dans laquelle... le professeur, après les descriptions des étages et des terrains, promène par la pensée son auditoire de futurs ingénieurs dans les diverses régions de ce trias qu'il vient de décrire; il l'amène ainsi de l'ouest à l'est, passant des marnes irisées au muschelkalk, puis aux grès bigarrés. Aux approches de la crête des Vosges - la frontière - cette course du géologue a allumé sa flamme patriotique. La randonnée devient une envolée. Le maître ému, pâle, en quelque sorte transformé devant un auditoire vibrant, arrivant sur cette crête, devant la vision subite de cette plaine d'Alsace, plaie encore béante au coeur du Français, crie de toute son âme éperdue son amour et son désir : « Alsace ! Alsace ! » L'auditoire, communiant intensément avec le maître, dans sa pensée d'amour de la patrie, spontanément, unanimement, applaudit à tout rompre.

Si je fais revivre cet épisode de l'enseignement de notre professeur, c'est qu'il montre combien par émanation de sa nature, aussi enthousiaste que sincère, il savait rendre son enseignement captivant, parfois même émouvant.

Termier n'était pas seulement un savant : il était aussi un organisateur et un conducteur d'hommes ; il l'a. montré notamment le 6 décembre 1891, lors de la catastrophe du puits de la Manufacture, où il fit l'admiration des sauveteurs de tous grades, par son calme, son courage, l'opportunité des conseils donnés, et prêchant d'exemple pour porter secours aux victimes.

Après leur sortie de l'Ecole des mines, les élèves de Pierre Termier ont toujours trouvé en lui un véritable ami, toujours prêt à les aider. J'ai recueilli, ces derniers jours, des souvenirs reconnaissants de plusieurs d'entre nous à qui il rendit de très signalés services, même en dehors de leur carrière industrielle.

Je me souviens des si judicieux conseils que je reçus au cours de quelques jours passés auprès de lui dans son petit laboratoire de minéralogie de Chantegrillet; il avait, vers cette époque, découvert un nouveau minéral feuilleté, la « leverrierite » dédiée à son grand ami, Urbain Le Verrier. J'eus l'occasion de dessiner les premiers exemplaires des cristaux nettement définis de leverrierite qui apparaissaient sous le microscope dans des plaques minces. Je me rappelle l'enthousiasme du maître voyant se confirmer ses suppositions.

Pierre Termier aimait passionnément la jeunesse. C'est avec une ardente conviction qu'il avait dû écrire dans son remarquable ouvrage : A la gloire de la terre, les paroles suivantes :

« La jeunesse est désintéressée, sans quoi elle ne serait pas la jeunesse. Elle a le dévouement instinctif comme l'enthousiasme. Les jeunes gens n'aiment pas qu'on leur parle trop tôt, et surtout exclusivement, des contingences de la vie. Ils veulent être tenus comme capables de mépriser l'argent, de préférer à la fortune l'amour, et l'honneur aux honneurs... : Il n'y a rien de plus digne d'amour que l'ame humaine, puisqu'il n'est rien d'aussi beau. »

Ces phrases si belles ne sont-elles pas parfaitement applicables à ceux de nos glorieux camarades qui, demain, vont motiver la remise de la croix de la Légion d'honneur à notre école.

Un point qui n'a peut-être pas été mis suffisamment en évidence dans les nombreux et si justifiés éloges de Pierre Termier est sa profonde influence spirituelle sur tous ceux qui l'ont connu : Termier, homme de science, était aussi un grand philosophe.

Il a écrit sur l'origine de la vie des pages lues avec ferveur par ses anciens élèves. Mais alors que de grands écrivains s'efforcent de rapprocher la raison et la foi, pour montrer comment les sciences préparent à mieux connaître Dieu. Pierre Termier n'affirme que ce qui est une vérité indiscutablement scientifique, rejetant tout ce qui peut n'être qu'une hypothèse, même séduisante. Ecoutons-le nous parler de la grande « énigme de la vie » :

« ...A partir d'une certaine heure, que les hommes ne sauront jamais, la vie est apparue, marquant le commencement des temps géologiques. Nous savons que la vie. au cours des âges, s'est transformée d'une transformation relativement rapide ; cette transformation ne s'est point opérée au hasard ; elle est sûrement régie par des lois. Mais quel est le plan et quelles sont les lois ? Ici, nous retombons en plein mystère. Je ne connais rien dans le monde entier qui m'incite à croire que l'homme puisse descendre de la brute et je n'incline pas davantage à chercher dans les protozoaires les ancêtres de nos animaux supérieurs. Je préfère avouer en toute humilité ma complète ignorance. »

Pour lui, sa conclusion a été mise en évidence aux yeux de tous : catholique fervent et très pratiquant.

Il n'en reste pas moins l'homme le plus tolérant, l'ami sincère de tous ses élèves, de beaucoup de ses collègues, quelles que soient leurs croyances, leur religion ou leur nationalité.

Termier a été professeur à l'Ecole des mines de Saint-Etienne pendant neuf ans, il l'a été pendant trente-six ans à l'Ecule des mines de Paris.

Cependant, malgré les très nombreux amis français et étrangers que son long séjour à Paris lui a procurés, malgré tous les nombreux et retentissants succès de ses études, ce sont encore les neuf ans passés à Saint-Etienne qui lui ont laissé les plus doux souvenirs. C'est en pensant, très probablement, à cette époque si pleine de joies pour lui qu'il a commencé son livre : La vocation de savant ; il le dédia ainsi : « A mes chères filles, Marie, Jeanne, Thérèse, Marguerite, Geneviève, en souvenir du passé bienheureux où l'on ignorait la douleur. »

Voilà pourquoi, Monsieur l'Inspecteur général des mines, qui représentez ici le comité du monument P. Termier, ses anciens élèves vous remercient profondément d'avoir pensé, dès le début de la création de ce comité, qu'une réplique du monument de Paris pourrait être érigée dans notre école.

Si, comme nous le croyons, P. Termier nous voit aujourd'hui, il doit être heureux de voir fixer son souvenir dans un milieu qu'il a particulièrement aimé. Et vous, futurs ingénieurs, que ce souvenir vous aide à marcher sur les traces de ce grand maître.


Termier caricaturé par un élève de l'Ecole des mines de Paris
(petite revue des élèves, 1927)
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