Publié dans Annales des Mines, octobre 1954
L'Ecole Polytechnique, à l'occasion du centenaire la naissance d'Henri POINCARÉ, se devait de manifester solennellement sa fidélité au souvenir du plus savant qu'elle ait jamais formé. Certes une telle gloire déborde largement le cadre d'une école et même d'un pays; c'est ce qu'a si justement exprimé M. Emile Borel, lors de la disparition du célèbre géomètre en déclarant : « L'intelligence humaine est en deuil : Henri POINCARÉ n'est plus. » Cependant, l'Ecole Polytechnique a tenu une place privilégiée dans la carrière et dans le coeur de POINCARÉ : elle l'a connu comme élève, comme répétiteur d'analyse, comme professeur d'astronomie générale et comme membre de son conseil de perfectionnement; elle lui conserve une particulière reconnaissance pour tout le lustre dont elle lui est redevable : c'est ainsi que, lors d'une cérémonie mémorable, le Président du Conseil de l'époque, a pu dire : « Il me suffit, pour attester le rôle de l'Ecole Polytechnique, d'invoquer ces deux grands noms : Henri POINCARÉ, le plus grand des penseurs de ce dernier siècle, et le vainqueur de la plus grande des guerres : le Maréchal FOCH. »
Pour donner une image aussi fidèle que possible d'Henri POINCARÉ, il a semblé qu'un exposé, même essentiellement destiné à commémorer son oeuvre scientifique devait tout d'abord mettre en lumière les traits caractéristiques de l'homme.
Du point de vue moral, Henri POINCARÉ n'a cessé de montrer un sentiment du devoir, une générosité et un désintéressement admirables. Pour illustrer cette assertion, trois exemples seulement vont être cités.
Son sentiment du devoir, il le manifesta en particulier, comme tout jeune ingénieur des mines, en n'hésitant pas à descendre, au mépris d'un péril mortel, dans une mine où couvait l'incendie à la suite d'un coup de grisou terriblement meurtier.
Sa générosité, il en fit la preuve en donnant aux célèbres fonctions fuchsiennes, dont il est le père incontesté et dont l'invention reste un des plus beaux fleurons de sa couronne, le nom du professeur allemand Fuchs pour reconnaître les efforts tentés par celui-ci dans la même direction : c'était une preuve bien remarquable d'altruisme que de se dépouiller ainsi d'une partie de sa gloire scientifique, le plus précieux des biens au coeur d'un savant.
Quant à son désintéressement, l'exemple qui va être donné est rapporté d'après Maurice d'Ocagne, personnalité scientifique bien connue à l'Ecole Polytechnique. A la mort de Callandreau, professeur d'astronomie et de géodésie, le Ministre de la Guerre de l'époque décida de supprimer ce cours pour raison budgétaire. Atterré par la disparition d'un enseignement aussi important, POINCARÉ, bien que déjà surchargé de besogne, se proposa pour le professer sans aucune rémunération. Le Ministre accepta, et c'est dans ces conditions que POINCARÉ fut chargé à l'Ecole du cours d'astronomie générale.
Toutes ces vertus, Henri POINCARÉ, né et élevé à Nancy, les devait pour une part à son terroir lorrain qui le dota en outre d'un ardent patriotisme et surtout à son milieu familial dont tant de membres firent preuve d'une éminente distinction : son père, Léon Poincaré, fut professeur à la Faculté de Médecine de Nancy; son oncle, Antoni, polytechnicien, fut inspecteur général des Ponts et Chaussées; ses cousins germains étaient Raymond Poincaré, futur Président de la République, et Lucien Poincaré. futur recteur de l'Académie de Paris; sa jeune soeur qu'il chérissait devint la femme et la collaboratrice de l'illustre philosophe Emile Boutroux. Henri POINCARÉ fit ses études au lycée de Nancy où il se révéla aussitôt comme un élève extraordinairement doué aussi bien d'ailleurs pour les lettres que pour les sciences. Son seul point faible était le dessin et, par la suite, il eut quelque peu à en souffrir. Il ne quitta sa ville natale et sa famille que pour entrer à l'École Polytechnique, premier de sa promotion.
En ce qui concerne la « vie intellectuelle », pour parler le langage des psychologues, celle d'Henri POINCARÉ était essentiellement marquée, d'une part, par un pouvoir exceptionnel de concentration de l'esprit et, d'autre part, par une extraordinaire mémoire. Certes, on ne peut songer à analyser le don transcendantal qu'est le génie, mais on est en droit de penser que la réunion de ces deux facultés, surtout élevées à un si haut degré, doit en augmenter singulièrement le rendement.
La puissance de concentration de l'esprit de l'illustre savant était évidente pour tous ceux qui l'ont bien connu. Maurice d'Ocagne, en particulier, a parlé de ces périodes où POINCARÉ, poursuivant sa méditation, perdait la notion de l'ambiance où il se trouvait. « Cette absence, dit d'Ocagne, se lisait sans hésitation sur ses traits; il n'avait alors aucune conscience de ce qui se passait autour de lui. » D'habitude il semble que la faculté d'abstraction et la puissance de concentration de la pensée soient l'apanage des jeunes géomètres et qu'elles diminueraient plutôt avec l'âge. Tous les grands géomètres d'ailleurs, comme POINCARÉ lui-même, ont été précoces, et certains, bien que très tôt disparus, ont pu laisser une oeuvre originale et féconde, par exemple Abel ou Galois, ce dernier tué en duel à 21 ans.
Quant à la mémoire dont était doté POINCARÉ, tous ceux qui l'ont approché, tels Appell, Darboux, d'Ocagne et Lecornu en sont restés émerveillés. Appell déclare que POINCARÉ enfant pouvait toujours dire à quelle page, à quelle ligne d'un livre il avait vu telle ou telle chose, et ajoute qu'il a conservé une mémoire aussi remarquable pendant toute sa vie, ce que confirme Lecornu qui a été élève à l'École en même temps que POINCARÉ, puis son collègue comme professeur et son confrère à l'Académie des Sciences. Il est hors de doute que la fécondité de POINCARÉ qui, mort à 58 ans, a laissé à la postérité une oeuvre non seulement d'une incomparable valeur, mais comprenant une véritable multitude de travaux, de cours, de mémoires et de notes intéressant les branches les plus variées de la science, n'aurait pu se manifester à ce degré sans la mémoire extraordinaire dont il était doué. Un autre que lui, obligé de se reporter à des références, de procéder à des vérifications - toutes opérations que lui évitaient l'étendue et la fidélité de sa mémoire - n'aurait pu, à génie égal, trouver en aussi peu d'années le temps de réaliser une production si étonnamment abondante.
Les grandes inventions, chez POINCARE plus que chez tout autre, ont pour bases des rapprochements. Ce fait avait frappé M. Jacques Hadamard : « Nul mieux que POINCARÉ, a-t-il écrit, ne sut découvrir ces relations imprévues, sans doute parce que personne ne sut mieux dominer la science de tous les côtés à la fois. » Et POINCARÉ lui-même a déclaré : « Parmi les combines que l'on choisira, les plus fécondes seront souvent celles qui sont formées d'éléments empruntés à des domaines très éloignés. »
La question s'éclaire en se reportant au texte classique où POINCARÉ nous conte la genèse des fonctions fuchsiennes. Successivement il est conduit à des rapprochements avec la série hypergéométrique, avec les fonctions elliptiques, avec les transformations de la géométrie non-euclidienne, avec les transformations arithmétiques des formes quadratiques ternaires indéfinies. Certains de ces rapprochement étonnent d'ailleurs POINCARÉ lui-même. Il prononce le mot d'« illuminations »; dans d'autres textes il parlera d'intuition, d'inspiration, d'étincelle sacrée ou d'étincelle divine. En réalité, ce qui est en cause n'est autre que le génie mathématique. Mais POINCARÉ nous précise qu'avant que surviennent ces illuminations, un long travail de concentration de l'esprit, conscient et surtout inconscient est indispensable. Il convient d'ajouter que l'étincelle sacrée ne peut intervenir que si une mémoire active et extrêmement étendue - telle que celle de POINCARÉ - lui présente les matériaux permettant à la flamme de jaillir.
Il ne saurait être question d'étudier ni méme seulement d'énumérer ici les travaux de POINCARÉ; ils intéressent en effet toutes les sciences rationnelles ; mathématiques, physique, astronomie, mécanique, géodésie et aussi la philosophie scientifique. Dans cet exposé on se bornera donc essentiellement à indiquer les voies principales qu'a ouvertes POINCARÉ et à tenter de dégager un aperçu d'ensemble de l'oeuvre gigantesque qu'il a accomplie.
C'est dans le domaine de la mathématique pure, aristocratie de la science, que POINCARÉ porta son effort principal. Il s'est, en particulier, proposé d'intégrer toutes les équations différentielles linéaires à coefficients algébriques. C'est pour y parvenir qu'il a imaginé ces nouvelles transcendantes, les fameuses fonctions automorphes dont il vient d'être parlé. Il en a développé la théorie, donné la représentation par des séries et a finalement abouti, non seulement à l'intégration recherchée, mais aussi à montrer que les coordonnées d'un point quelconque d'une courbe algébrique quelconque peuvent s'exprimer par des fonctions fuchsiennes.
Ce sont ces magnifiques résultats que visait Camille Jordan, que j'ai eu l'honneur d'avoir ici-même comme professeur, lorsqu'il disait : « Il faut le reconnaître : nous assistons en ce moment à une révolution de tous points comparable à celle qui s'est manifestée il y a un demi-siècle par l'avènement des fonctions elliptiques.»
Les travaux de POINCARÉ en mathématiques pures sont si nombreux et si importants qu'il est difficile d'opérer un choix parmi eux. On mentionnera encore pourtant ceux consacrés à la théorie des nombres et le mémoire célèbre où il étend aux intégrales doubles la théorie de Cauchy relative aux intégrales prises le long d'un contour fermé.
Mais il faut aussi signaler spécialement d'autres mémoires relatifs ceux-là à la théorie des courbes définies par les équations différentielles. Le but poursuivi est de se rendre compte, dans le champ réel, de l'allure générale des courbes intégrales; l'étude en cause est donc purement qualitative et rejoint ainsi le domaine de l'« analysis situs » (aujourd'hui nommée topologie) que POINCARÉ avait en particulière affection et à laquelle il a consacré plusieurs mémoires.
L' « analysis situs » est une des disciplines les plus profondes de la science mathématique. On sait que cette discipline, d'un caractère essentiellement qualitatif, étudie les relations qui subsistent dans une figure lorsqu'on la déforme d'une manière quelconque, mais sans déchirure ni soudure. Du point de vue de « l'analyis situs » un cercle, par exemple, est équivalent à une ellipse ou même à toute courbe fermée sans point double, mais ne l'est pas à un segment de droite parce que celui-ci n'est pas fermé.
L' « analysis situs » donne lieu à une série de propositions parfaitement enchaînées et, en les prenant pour base. Riemann avait établi une des théories les plus interessantes et les plus fécondes de l'analyse pure. POINCARE, qui lui a donné un remarquable essor, a fait appel à elle dans nombre de ses travaux mathématiques et en particulier dans ses études sur l'intégration qualitative des équations différentielles.
Dans le domaine de la physique le génie de POINCARÉ s'est manifesté avec le même éclat et il n'existe d'ailleurs guère de frontière entre la mathématique pure et la physique mathématique. Mais, tandis que l'oeuvre mathématique de POINCARÉ s'est développée tout entière avec une majestueuse continuité, ses conceptions en physique, soumises pendant longtemps aux seules lois de la mécanique classique, se sont trouvées ensuite affectées par l'avènement de la physique relativiste, à la naissance de laquelle il a d'ailleurs puissamment contribué, puis de la physique quantique.
C'est principalement pendant les dix années où POINCARÉ occupa à la Faculté des Sciences la chaire de professeur de physique mathématique qu'il réalisa la première partie de son oeuvre. Ses cours, d'une incomparable qualité, ne se bornaient pas à mettre les auditeurs au courant des travaux déjà faits sur les questions traitées; ils précisaient en outre bien des points jusque-là laissés dans l'ombre et comportaient des développements importants entièrement originaux. Parmi ces cours on peut citer et admirer : Thermodynamique; Capillarité; Propagation de la chaleur; Oscillations électriques; Electricité et Optique. Dans ces derniers il faut mentionner particulièrement la partie relative aux théories de Maxwell et à la théorie électromagnétique de la lumière, alors presque inconnues en France; et également celle relative aux travaux de Hertz que POINCARÉ ne se borna pas à exposer, mais auxquels il ajouta des précisions toutes nouvelles et apporta même des rectifications nécessaires.
C'est dans cette même période que POINCARÉ établit ses célèbres Mémoires sur les équations aux dérivées partielles de la physique mathématique.
En ce qui concerne l'avènement de la physique relativiste, le rôle de POINCARÉ a été d'une importance capitale et peut-être non apprécié à sa valeur véritable. Les travaux de Lorentz l'avaient vivement intéressé et il y avait apporté une contribution personnelle de premier plan. En particulier dans un remarquable mémoire, écrit avant la publication des travaux d'Einstein et paru dans les Comptes Rendus du Cercle mathématique de Palerme, l'étude pénétrante qu'il fit de la dynamique de l'électron assura à la théorie de Lorentz une parfaite cohérence et il est certain que ce mémoire restera classique dans l'histoire du principe de la relativité. Rendant à POINCARÉ un juste hommage, M. Louis de Broglie a pu écrire : « Sans Lorentz et sans POINCARÉ, Einstein n'eût pu aboutir. »
De ce qui précède, il résulte qu'Henri POINCARÉ a fait largement bénéficier de son génie la physique mathématique et la physique théorique. S'il n'a pas été personnellement un expérimentateur, il s'est tenu au courant de toutes les expériences et en a même provoqué. Il a d'ailleurs proclamé bien haut : « L'expérience est la source unique de la vérité : elle seule peut nous apprendre quelque chose, elle seule peut nous donner la certitude. »
Dans le domaine de l'Astronomie et de la mécanique céleste, Henri POINCARÉ s'est également acquis une renommée universelle.
On mentionnera tout d'abord son magnifique succès à un concours ouvert aux mathématiciens du monde entier pour l'obtention d'un prix fondé en 1889 par le roi de Suède et Norvège à l'occasion de son soixantième anniversaire. Parmi les membres du jury figuraient Hermite et Weierstrass; parmi les concurrents Henri POINCARÉ et Paul Appell; c'est assez dire qu'il s'agissait d'une épreuve de tout à fait exceptionnelle qualité. Le prix revint à POINCARÉ pour son mémoire « Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique ». Les principaux résultats énoncés dans ce mémoires furent ensuite repris et développés par POINCARÉ dans son ouvrage « Les Méthodes nouvelles de la Mécanique céleste » et dans les leçons de mécanique céleste qu'il professa à la Sorbonne à partir de 1896. Dans ces travaux, après avoir mis en évidence les défectuosités des méthodes antérieurement suivies, POINCARÉ fait appel à des instruments nouveaux, les « invariants intégraux », les « solutions périodiques » où les trois corps reviennent périodiquement dans les mêmes positions relatives et les « solutions asymptotiques » qui, sans être périodiques, tendent à le devenir au bout d'un temps infini.
On citera encore, puisque là aussi il faut choisir, la théorie des marées et surtout le célèbre mémoire sur les figures d'équilibre d'une masse fluide en rotation, où POINCARÉ montre qu'il peut exister d'autres figures d'équilibre que l'ellipsoïde de révolution de Mac Laurin et que l'ellipsoïde à trois axes inégaux de Jacobi.
POINCARÉ a également étudié la Cosmogonie dans ses « Leçons sur les hypothèses cosmogoniques ». Il y fait un examen critique magistral de toutes les hypothèses émises par des savants aussi éminents que Laplace, Arrhenius, Helmholtz et Lord Kelvin au sujet du plus ardu et du plus délicat des problèmes : celui de l'origine du monde, et, avec sa haute probité scientifique, il n'hésite pas à déclarer : « Après cet exposé on attend sans doute de moi une conclusion et c'est cela qui m'embarrasse. Plus on étudie cette question de l'origine des astres, moins on est pressé de conclure... » Il fallait cependant, dit Darboux, un savant tel que POINCARÉ pour suivre, avec autant de pénétration, ces discussions qui exigent la réunion des connaissances du géomètre, du physicien et même du géologue.
La Géodésie, enfin, a toujours vivement retenu l'attention de POINCARÉ qui a consacré un chapitre de « Science et Méthode » à la gloire de la géodésie française. Lorsque l'Académie des Sciences obtint du Gouvernement l'envoi à l'Equateur d'une mission chargée de reprendre l'oeuvre géodésique qui avait honoré notre pays au XVIIIe siècle, c'est POINCARÉ qui présida et anima la Commission de contrôle des opérations. On doit encore spécialement mentionner son important mémoire sur « les mesures de gravité et la géodésie ».
Reprenant la tradition des Pascal, des Descartes et des Leibnitz, Henri POINCARÉ ne s'est pas contenté d'être un homme de science éminent : il a également accompli, dans le domaine de la Philosophie, une oeuvre remarquable et qui, d'ailleurs, a fait sensation dès sa publication. POINCARÉ procédait, principalement dans son premier ouvrage, « La Science et Hypothèse » à la critique des fondements de nos connaissances scientifiques. Cette attitude d'un aussi illustre savant provoqua de profonds remous dans l'opinion et beaucoup allèrent jusqu'à taxer POINCARÉ de scepticisme.
Certes POINCARÉ a poussé très avant la liberté d'examen vis-à-vis de notions essentielles qui bénéficiaient d'un prestige paraissant hors de toute atteinte. Mais rechercher la vérité, sans tenir compte de la tradition ou de l'autorité, c'est en réalité être proprement cartésien, et non pas sceptique. Un sceptique s'exprimerait-il comme le fait POINCARÉ dans un autre de ses ouvrages « La Valeur de la Science » où l'on peut lire des passages tels que ceux-ci :
« Si j'ajoute que l'harmonie universelle du monde est la source de toute beauté, on comprendra quel prix nous devons attacher aux lents et pénibles progrès qui nous la font peu à peu mieux connaître. »
Et ailleurs : « La meilleure expression de cette harmonie, c'est la loi. »
Ou encore : « Non, les lois scientifiques ne sont pas des créations artificielles. »
Quelles sont les causes de ce malentendu sur la position philosophique réelle de POINCARÉ ? Elles sont de deux sortes :
Entraîné par l'extraordinaire engouement qu'avait provoqué « La Science et l'Hypothèse », un vaste public dont la plus grande partie n'était nullement préparée à l'examen de semblables problèmes, avait pris part leur discussion. C'est ce qu'a noté l'illustre physicien Lippmann en ces termes pleins de sens et aussi d'humour :
« La philosophie de POINCARÉ qui implique une profonde connaissance de la mécanique et de la physique mathématique, qui est une des plus abstruses et des plus inaccessibles qu'on puisse trouver est, par surcroit, devenue populaire : ce qui montre combien elle est difficile à comprendre. »
A cette première cause de malentendu il faut encore ajouter que certains écrivains, bien que de tendances très différentes de celles de POINCARÉ, étaient fort désireux de s'annexer, même au prix d'une interprétation assez abusive, une recrue aussi éminente.
En fait, Henri POINCARÉ se refusait à admettre aveuglément les axiomes et les propositions premières et avait résolu d'en rechercher la valeur fondamentale réelle : il est d'ailleurs à noter que si son libre examen a abouti à ébranler nombre de ces notions essentielles, les progrès si rapides de la physique et de la mécanique relativistes et quantiques les ont ensuite perturbées beaucoup plus profondément encore.
Mais, pour suivre l'ordre chronologique, c'est d'abord dans le domaine de la géométrie que s'exerça la critique de POINCARE. Vivement intéressé par la géométrie non euclidienne, à laquelle il eut recours pour le développement de sa magistrale théorie des fonctions fuchsiennes, il rappelle l'impossibilité de déduire le célèbre Postulatum d'Euclide des autres axiomes qui sont à la base de la géométrie, ce qu'avaient vainement tenté de faire des savants aussi illustres que Legendre et Lagrange. Il montre que la géométrie de Lowatschewski par exemple, où l'on admet la possibilité de faire passer par un point plusieurs parallèles à une droite donnée, comporte une suite de théorèmes d'une logique aussi impeccable que la géométrie euclidienne; il montre aussi que l'on peut passer d'une géométrie à l'autre de telle sorte qu'il ne pourrait y avoir de contradiction dans l'une qui ne fût aussi dans l'autre.
Du point de vue de la logique pure les deux géométries sont donc également valables. Ainsi le Postulatum d'Euclide n'est qu'une convention. Mais le choix de cette convention n'est pas arbitraire : la géométrie euclidienne est en effet, dit POINCARE, la plus « commode ». Il faut noter au passage que ce terme de « commode » revient à de multiples reprises dans son oeuvre et cette expression familière et quelque peu vague a certainement contribué à accréditer la légende du scepticisme de POINCARE à l'égard de la Science. En réalité, POINCARÉ explique que par « commode » il faut entendre : simple et propre à la satisfaction de nos besoins. Dans le domaine de la mécanique et de la physique classique POINCARE aboutit à des résultats du même ordre : « La loi de l'accélération, la règle de la composition des forces ne sont-elles que des conventions arbitraires ? Conventions ? oui; arbitraires? non; elles le seraient si on perdait de vue les expériences qui, si imparfaites qu'elles soient, suffisent à les justifier. » Quant aux masses, ce sont seulement des « coefficients qu'il est commode d'introduire dans les calculs ». En ce qui concerne les théories physiques, l'hypothèse y joue un rôle capital. « Or ces hypothèses ne peuvent pas être vraies ou fausses, elles ne peuvent être que commodes ou incommodes. »
Mais, malgré le haut intérêt de ces discussions relatives à la mécanique et à la physique classiques, il est d'un intérêt encore plus grand et plus actuel d'examiner comment POINCARE a réagi en présence des thèses relativistes et quantiques qui, comme il a été dit, atteignent encore beaucoup plus profondément les théories classiques que les réserves qu'il avait formulées. C'est surtout à partir de 1904 et après le Congrès de Saint-Louis où il se rendit avec Paul Langevin qu'il apporta le concours de son puissant génie aux théories de la relativité. « Il voyait avec un peu d'inquiétude, nous dit Langevin, ébranler le vieil édifice de la dynamique newtonienne. » Mais bientôt POINCARE allait lui-même apporter une contribution capitale à la construction de l'édifice nouveau.
Quant aux théories quantiques, la mort survenue brusquement l'empêcha de prendre une position définitive à leur égard. Dans ses « Dernières Pensées », il fait toutefois ressortir leurs graves conséquences : avènement de la discontinuité dans les lois naturelles et atteinte à la tradition classique de la représentation des phénomènes par des équations différentielles.
De tout ce qui précède il résulte que la philosophie de POINCARE est caractérisée par la profondeur, l'originalité et l'indépendance qui étaient les attributs de son génie.
Telle est l'oeuvre de géant qu'a accomplie Henri POINCARE et dont le présent exposé ne peut donner qu'un faible aperçu. Elle suffirait à assurer la renommée de plusieurs savants de très haute distinction. Le plus beau monument qu'on pouvait songer à élever à la mémoire d'Henri POINCARE, « celui qu'il aurait le plus volontiers agréé », a dit en 1913 Darboux, alors secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, était la publication de ses oeuvres scientifiques.
Grâce à l'Académie des Sciences et en particulier à M. le professeur Gaston Julia qui fut l'âme de l'entreprise, grâce à la Société des Amis de l'Ecole Polytechnique et à l'Ecole Polytechnique elle-même, grâce au Centre national de la Recherche scientifique, grâce au généreux concours de l'industrie française, ce monument à la mémoire d'Henri POINCARE est aujourd'hui réalisé : il constitue le reliquaire de son incomparable génie.
C'est pour le Corps des Mines un sujet d'impérissable fierté que d'avoir compté Henri Poincaré parmi ses membres. Certes, son génie appartient à l'histoire de la science et, plus généralement, à celle de l'humanité. Mais il a paru opportun, à l'occasion de son centenaire, de rendre à son activité d'ingénieur un hommage particulier. La partie véritablement active de la carrière d'Henri Poincaré dans les mines a été d'une extrême brièveté; mais elle a été suffisamment remplie pour lui permettre d'y faire preuve des plus hautes qualités de conscience professionnelle.
On voudra bien excuser le caractère nécessairement succinct des notes qui vont suivre. Faute de témoignages directs sur cette époque déjà lointaine, force a été de nous en tenir aux rares documents écrits qui subsistent. Nous devons ici exprimer notre reconnaissance à MM. Léon Poincaré et Léon Daum qui ont bien voulu nous donner accès à de précieux souvenirs de famille, ainsi qu'au Directeur des Mines et à l'Ingénieur en chef des Mines de Strasbourg, qui ont bien voulu nous communiquer les archives de leurs services.
En octobre 1875, Poincaré entre à l'École des Mines en compagnie de Bonnefoy et de Petitdidier. C'était l'époque où Daubrée dirigeait l'École, où Haton de la Goupillière y enseignait à la fois l'exploitation des mines et les machines, de Chancourtois la géologie et Mallard la minéralogie.
En dépit des instances d'Ossian Bonnet, qui avait essayé d'obtenir en sa faveur quelques loisirs à consacrer à la recherche, Poincaré dut mener de front, au cours de ses trois années à l'École des Mines, une scolarité complète et les travaux mathématiques qui devaient aboutir à sa thèse.
A titre simplement documentaire, nous reproduisons le tableau des notes obtenues par Poincaré à l'École des Mines. Sans s'y arrêter plus que de raison, et sans oublier que Poincaré assurait deux activités intellectuelles distinctes, on peut voir qu'il s'intéressa particulièrement à la minéralogie, à la géologie, à l'exploitation des mines et aux machines, de préférence à la docimasie et au dessin. Si l'on en croit le témoignage d'Appell, rappelé à l'un de nous par le général Dassault, Poincaré fut même le seul à satisfaire du premier coup, devant Mallard, à l'examen de minéralogie, qui était particulièrement difficile à l'époque, et que ses deux camarades durent repasser l'année suivante.
Poincaré se montrait également très curieux du monde extérieur, et sa correspondance familiale garde le récit de ses joyeux ébats au cours des tournées géologiques organisées par l'École (Normandie, 1876).
En un temps où les voyages étaient plus rares et plus difficiles qu'aujourd'hui, l'École des Mines offrait déjà à ses élèves l'occasion de missions intéressantes à l'étranger et c'est ainsi que Poincaré se rend en Autriche-Hongrie en 1877 et dans les pays Scandinaves en 1878.
A la suite de cette première mission, Poincaré rédige deux mémoires consacrés l'un à l'exploitation des mines de houille de la Staatsbahn de Hongrie, l'autre à la métallurgie de l'étain dans le Banat. Après son second voyage, il rédige deux mémoires sur les exploitations minières des pays Scandinaves.
Nous voyons Poincaré y dessiner, sans grand art peut-être, mais avec toutes les cotes utiles, un gazogène et une cornue Bessemer, ainsi que des éléments de carte géologique.
Au cours de sa première année d'École des Mines, Poincaré avait passé la licence es sciences. Dès 1878, il débute par un mémoire sur les propriétés des équations différentielles où il prolongeait les travaux de Briot et Bouquet. La même année, il soumet sa thèse au jugement d'un jury composé d'Ossian Bonnet, de Bouquet et de Darboux. Sans pouvoir nous arrêter ici à cette thèse, où Poincaré s'attaquait au problème de l'intégration des équations aux dérivées partielles, soulignons qu'elle étonna Darboux par son extraordinaire richesse et par son caractère profondément intuitif. C'est dire qu'à sa sortie de l'École des Mines, Poincaré était déjà consacré comme un grand mathématicien et marqué pour l'enseignement supérieur.
Nommé ingénieur ordinaire par arrêté du 28 mars 1879, Poincaré est désigné le 3 avril pour le poste de Vesoul. ce qui comblait ses voeux en le rapprochant de sa famille lorraine.
Ce sous-arrondissement dépendait alors de l'arrondissement minéralogique de Chaumont. Poincaré était, en outre, attaché au Service du Contrôle de l'Exploitation des Chemins de fer de l'Est. L'exploitation principale dont Poincaré avait la surveillance était celle des houillères de Ronchamp. Au cours des huit mois qu'il devait passer à Vesoul, Poincaré visita ces mines au moins cinq fois, ce qui donne la mesure de la conscience avec laquelle il remplissait les devoirs de sa charge.
C'est ainsi que l'on retrouve la trace de son passage, le 4 juin 1879, au puits Saint-Charles, dont le champ d'exploitation avait été presque entièrement déhouillé, et où Poincaré note avec précision les caractéristiques de ce gisement à la fois pauvre et irrégulier. Le 25 septembre, il visite le puits Sainte-Pauline, et on le voit s'intéresser successivement à l'aérage, aux dégagements de gaz et aux venues d'eau. Le 27 octobre, il se rend au puits Saint-Joseph inspecter les travaux d'un cuvelage en fonte. Sa dernière visite est datée du 29 novembre 1879 au puits du Magny.
C'étaient là, au début, de simples tournées de surveillance, rentrant dans la mission normale de l'ingénieur du contrôle. Mais le danger n'épargne pas les grands. Poincaré devait être appelé le 1er septembre 1879 à descendre, au péril de sa vie, au puits du Magny, où une explosion de grisou venait de faire seize victimes.
Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire in extenso son rapport d'enquête en suivant l'original qui appartient à la collection de M. Léon Daum (fig. 4 et 6).
PROCÈS-VERBAL DE L'INGÉNIEUR DES MINESHouillères de Ronchamp-Éboulet Le l" septembre 1879, une explosion de grisou se produisit au puits du Magny, dans la concession d'Eboulet (Haute-Saône), et coûta la vie à seize personnes. Dès que nous en fûmes averti, nous nous rendimes sur les lieux et nous recueillîmes sur les circonstances et les causes probables de l'accident les renseignements qui suivent :
Description générale des travauxLe puits du Magny, récemment foncé, ne servait à l'extraction de la houille que depuis le 8 juillet 1879. Aussi les travaux étaient encore très peu développés et le champ d'exploitation, qui devait communiquer plus tard avec ceux du Chanois et de Sainte-Barbe, était complètement isolé. Il était desservi par deux puits placés à 17 mètres l'un de l'autre et servant, le premier à l'extraction, le second au retour d'air. Le diamètre du premier était de 3,5 mètres; celui du second de 2,2 mètres environ. Dans cette partie de la concession, la première couche de houille se trouve à 650 mètres de profondeur environ. Sa puissance moyenne est de 1 mètre. Au-dessous, on rencontre successivement :
Le puits d'extraction du Magny avait, puisard compris, une profondeur totale de 693 mètres. La recette inférieure était à 655 mètres au-dessous du sol. Trois galeries faisaient communiquer les deux puits avec les tailles. Deux de ces galeries, partant du puits principal, rencontraient la houille après des parcours de 50 et 80 mètres et se réunissaient bientôt en une seule galerie d'allongement cotée 107.63 mètres au-dessus d'un plan de comparaison situé à 400 mètres au-dessous du niveau de la mer. Le troisième travers-bancs servant au retour d'air, faisait communiquer les tailles de droite avec le puits d'aérage. Cette galerie avait environ 100 mètres de longueur. De la galerie d'allongement dont nous avons parlé, partait un montage en plan incliné, dont la longueur totale était de 120 mètres. Ce montage se divisait en deux parties dont la pente était différente : la première avait une pente de 30 centimètres sur une longueur de 30 mètres, la seconde une pente de 27 centimètres sur une longueur de 90 mètres; de sorte que la différence totale du niveau était de 34 mètres. Cette variation de l'inclinaison avait forcé à établir, dans le montage, deux freins et deux chaînes sans fin pour la descente des chariots. Du montage, partaient à droite et à gauche, neuf galeries de niveau qui menaient aux fronts de taille. Entre les tailles et le montage, et entre ces diverses galeries de niveau, se trouvaient des massifs remblayés; mais les dimensions de ces massifs étaient très variables. Les premières galeries de niveau de gauche avaient jusqu'à 45 mètres de longueur, tandis que l'épaisseur du septième massif remblayé à gauche n'était plus que de 3 mètres. La longueur des galeries de niveau à droite variait de 22 à 7 mètres. La dernière taille de gauche était réunie à la dernière taille de droite par une demi-lune qui contournait le sommet du montage, et qui servait au courant d'air. A droite de cette demi-lune, étaient encore une taille et un massif remblayé. Enfin, outre tous ces travaux auxquels on arrivait par la recette inférieure du puits, à 655 mètres au-dessous du sol, il y avait une petite galerie percée dans le rocher; elle n'avait encore que quelques mètres et était située à 50 mètres au-dessus de la recette inférieure. Les travaux étant encore peu développés, l'extraction était faible, et d'environ 70 tonnes par jour. Mais, le puits Saint-Joseph étant fermé depuis la veille, 80 ouvriers de ce puits devaient descendre au Magny le jour même de l'accident, de sorte que l'exploitation n'aurait pas tardé à devenir plus active.
AérageJusqu'au commencement de juillet, la mine était en traçage et n'était ventilée que par l'aérage naturel; mais dès qu'on commença à exploiter réellement la couche, on remarqua des dégagements de gaz qui ne permettaient plus de se contenter de ce moyen de ventilation. Aussi, sans attendre l'arrivée d'un grand ventilateur à force centrifuge que la société avait commandé, on établit par le petit puits du Magny un appareil d'aérage provisoire. Cet appareil était un ventilateur à ailettes dont le diamètre était de 1,50 mètre seulement, mais qui pouvait faire facilement 400 à 450 tours par minute. Il était commandé à l'aide d'une courroie passant sur deux poulies par la machine de fonçage du petit puits, de manière à faire huit tours quand l'arbre de la machine en faisait un. Des expériences anémométriques faites avant l'accident avaient permis de se rendre compte du volume d'air qu'on faisait ainsi passer dans les travaux. Ces expériences datent du 26 juillet et du 21 août 1879. Les résultats en sont résumés dans le graphique A qui est joint au procès-verbal. Il montre qu'avec l'aérage naturel, le volume d'air passant dans la mine était de 2,70 mètres cubes avec une dépression de 19 millimètres d'eau. Quand le ventilateur était en place, mais au repos, la ventilation naturelle se trouvait un peu génée, de sorte que le volume d'air descendait à 2,20 mètres cubes et la dépression à 15 millimètres. Quand la machine faisait 48 tours par minute et, par conséquent quand le ventilateur en faisait 384, le volume d'air s'élevait à 4 mètres cubes et la dépression a 45 millimètres. Les mesures anémométriques étaient prises à l'orifice du puits d'aspiration de l'air : au pied de ce puits, c'est-à-dire à la sortie même des travaux, le débit était de 4,10 mètres cubes ce qui prouve que les pertes dans le puits étaient peu considérables. Dans les derniers jours qui précédèrent l'accident, le nombre de tours de la machine avait été porté à 55 par minute, celui des tours du ventilateur à 440, de sorte que le volume d'air qui circulait dans les travaux était de 4,45 mètres cubes et la dépression de 52 millmètres. Ces chiffres montrent que l'orifice équivalent était de 0,23 mètre carré environ, c'est-à-dire que la ventilation de la mine était assez difficile. L'exploitation était, en effet, à ses débuts et les travaux peu développés. D'autres chiffres feront d'ailleurs reconnaître plus aisément si l'aérage était en rapport avec les besoins de la mine. Chaque homme avait 200 litres par seconde et l'air qui remplissait les travaux était entierrement renouvelé en trois minutes et demie. Voici de quelle manière était conduit ce courant d'air dans l'intérieur des travaux : l'air entrait par le puits principal, suivait l'un des travers-bancs et pénétrait dans la galerie d'allongement un peu au-delà du point où le montage y aboutit. Il suivait ainsi toutes les tailles de gauche, puis la demi-lune, et redescendait les tailles de droite jusqu'au troisième travers-bancs qui le conduisait au petit puits d'aérage. Le courant d'air que nous venons de suivre est le courant d'air principal qui est indiqué sur le plan par des flèches rouges. Mais les fuites de l'air à travers les portes, à travers du remblai, fuites qu'il est difficile d'éviter, déterminaient des courants secondaires dont la marche était différente, de sorte qu'il y avait un peu moins d'air dans la partie supérieure des travaux que dans les tailles inférieures. L'un de ces courants secondaires avail été ménagé à dessein. L'avant-dernier massif remblayé à gauche, avait une largeur de 3 mètres seulement sur une longueur de 10 mètres, et équivalait, en quelque sorte, grâce aux vides qui existent toujours dans le remblai, à une galerie de petite section. Une quantité d'air notable traversait donc ce massif et, balayant les quarante derniers mètres du montage, tournait à gauche, en arrivant au sommet et allait rejoindre le courant principal à l'entrée de la demi-lune. Ce courant secondaire était indispensable, car la diffusion n'aurait pas donné un aérage suiffisant des travaux supérieurs; mais on ne pouvait pas non plus lui ouvrir un passage plus large en supprimant, par exemple, les deux portes de la sixième galerie de niveau. En effet, si on l'avait fait, l'air rencontrant peu de résistance dans le montage dont la section est très large, s'y serait précipité en ne laissant qu'un faible courant dans les tailles dont la section est beaucoup plus étroite. Or, c'est dans les tailles qu'il importait de faire passer un volume d'air considérable, car la surfaee de houille découverte y était trois fois plus grande que sur le trajet du courant secondaire et, de plus, étant fraîche, devait dégager beaucoup plus de grisou par mètre carré. Donc, on ne pouvait sans danger faire circuler plus de vent dans le plan incliné, et les ingénieurs avaient utilisé le volume d'air dont ils disposaient, d'une façon aussi rationnelle que possible. Le bas du montage et les traverses inférieures n'étaient aérés que par diffusion; mais cela ne pouvait avoir d'inconvénient, car ces galeries passaient à travers des remblais, et il ne pouvait s'y dégager de grisou qui n'avait d'ailleurs pu s'y accumuler, car sa légèreté spécifique l'entraîne toujours vers les parties supérieures. Remarquons qu'il n'y avait, dans les travaux supérieurs, aucune capacité non léchée par le courant d'air et exposée à se remplir de gaz. Une seule chose était à craindre : c'était que les ouvriers négligeassent de fermer les portes des traverses inférieures et, ouvrant ainsi à l'air un chemin plus court. le détournassent du trajet qu'il devait suivre.
Surveillance exercée sur les ouvriersLa société exerçait sur les ouvriers une surveillance sévère, afin de les empêcher d'endommager leurs lampes surtout, de les dévisser ou de percer le tissu métallique. Le tableau B joint au procès-verbal nous fait voir que de nombreuses punitions avaient été infligées aux mineurs depuis le mois de juin 1878, pour manque de soins à leurs lampes. Treize ouvriers dont la lampe avait le cylindre percé ont subi des amendes variant de 3 à 5 francs; en tout 53 francs. D'autres ont été punis pour avoir perdu leur lampe ou en avoir faussé la fermeture. Un mineur a été renvoyé pour avoir dévissé sa lampe au travail. Le lampiste a dû payer 10 francs d'amende pour avoir délivré une lampe non fermée.
L'accidentLe 31 août, à 6 heures du soir, vingt-deux hommes descendirent au puits du Magny. Il y avait deux chefs de poste : Aubry (Joseph) et Pautot (Pierre). En effet, Pautot n'avait pris ce service que depuis quelques jours et Aubry, qui devait quitter le puits du Magny le lendemain, n'était resté que pour mettre son sucesseur au courant. Les autres ouvriers se répartissaient comme suit : 11 mineurs : Félix (Victor), Doucey (Emile), Ambert (Auguste), Blanc (Auguste),
Grand Jean (Joseph), Demezy (Alexis). Jacquot (Claude) [travaillaient dans
les tailles], 7 manoeuvres : Luxeuil (Joseph), Germain (Emile), Perroz (Emile), Begeot (Delphin), Dubois (Emile), Schneider (Louis), Jeanroy (Eugène) [travaillaient dans les tailles]. 1 maçon : Didier (Emile). 1 cantonnier : Demezy (Auguste) [réparait les voies dans le montage]. D'après les dires des survivants, les chefs de poste Aubry et Pautot firent, pendant cette nuit, leur service avec beaucoup de zèle. Ils s'étaient partagé les chantiers et les visitèrent tous plusieurs fois, de 6 heures du soir à 3 heures du matin. Vers 4 heures moins le quart, Demezy (Alexis), Demezy (Auguste), Grandjean et Jacquot ayant fini leur travail quittèrent leur poste et se dirigèrent vers la recette. Demezy (Alexis) prévint, en passant, le chef de poste Pautot qu'il avait trouvé du gaz dans la taille où il travaillait, et qui était la septième à partir de la galerie d'allongement. Les deux Miellin, déjà dans la cage, avaient donné le signal pour qu'on les remontât. Les quatre autres ouvriers attendaient à la recette que la cage redescendît après avoir remonté les Miellin. A ce moment, l'explosion se produisit. Toutes les lampes furent éteintes; les deux hommes qui étaient dans la cage reçurent seulement une violente secousse; Demezy (Alexis) fut renversé en arrière; Jacquot se retint aux guides du puits et ne tomba pas; quant à Demezy (Auguste) et à Grandjean, ils furent précipités dans le puisard. Heureusement, le puisard était recouvert d'un plancher à 1,40 mètre au-dessous du sol de la recette et ils furent quittes pour quelques contusions assez fortes, mais nullement dangereuses. Les deux Miellin, qui avaient déjà donné le signal, furent remontés immédiatement et ils firent descendre dans la cage quatre lampes pour les hommes qui étaient restés en bas. Demezy (Alexis) et Jacquot, qui n'étaient pas blessés, retirèrent leurs camarades du puisard et tous quatre remontèrent immédiatement au jour.
Le sauvetageLe maître mineur Juif demeurait tout près du puits; il fut donc immédiatement prévenu et, bien qu'il ne fût pas de service, il se trouva sur les lieux quelques minutes après l'accident. Il descendit aussitôt avec les deux Miellin qui venaient de remonter sains et saufs. Ils suivirent les travers-bancs et la galerie d'allongement jusqu'au pied du montage sans rien rencontrer d'anormal. Au bas du montage se trouvait un paquet de vêtements laissés par les mineurs, et qui brûlaient comme de l'amadou sans donner de flamme. Comprenant que ces vêtements pouvaient communiquer l'incendie aux bois et même à la houille et, peut-être, déterminer un nouveau coup de grisou, Juif se hâta de les éteindre et prévint ainsi une nouvelle catastrophe. A ce moment, des cris se firent entendre. C'était Jeanroy qui, surpris par l'explosion entre les deux portes d'aérage, au bas du montage, avait reçu les blessures les plus graves. Cet homme fut immédiatement transporté au jour et Juif continua à monter, avec ses deux camarades, jusqu'au cinquième niveau compté à partir de la galerie du fond. Ils ramassèrent trois cadavres dans le montage et les corps des deux chefs de poste dans une traverse. Mais ils ne purent aller plus loin, car l'accident avait détruit toutes les portes d'aérage et l'air ne pénétrait plus dans les niveaux supérieurs. Juif était dans la mine depuis une demi-heure environ quand les ingénieurs MM. Poumairac et François arrivèrent, bientôt suivis du maître mineur Couturier et de quelques ouvriers. Déjà, il n'était malheureusement que trop certain qu'on ne retrouverait plus que des cadavres; l'état des premières victimes découvertes ne laissait aucun doute à cet égard. Ce qu'il y avait de plus urgent, c'était de faire passer à nouveau le courant d'air, en remplaçant les portes détruites, par des barrages. On ne les rétablit pas dans les mêmes conditions qu'avant l'accident car les travailleurs devaient surtout se tenir dans le montage qu'il fallait, par conséquent, aérer avec soin. Au lieu de passer par les tailles de gauche, pour redescendre par celles de droite, l'air dut monter par le montage pour passer ensuite dans les tailles de droite. Les sauveteurs poursuivirent leur marche en avançant à mesure que le rétablissement de l'aérage le leur permettait, et ils trouvèrent encore deux cadavres. Mais ils furent bientôt arrêtés par un éboulement qui encombrait le montage au niveau de la septième traverse et qu'il fallait déblayer. Après cette opération, on put pénétrer jusqu'en haut du plan incliné et on découvrit les corps des cinq malheureux ouvriers. Deux éboulements empêchaient encore de retrouver les derniers cadavres. Sous le premier, dans une taille à gauche, étaient enfouis Félix (Victor) et Germain (Emile). Le second éboulement était très considérable : il remplissait une partie de la dernière galerie de droite et presque toute la demi-lune. C'est là que se trouvait Doucey. Il fallut beaucoup de temps pour déblayer ces éboulements ; les cadavres de Félix et de Germain furent remontés le 2 septembre à 1 heure du soir ; celui de Doucey, le 3 septembre à 6 heures du matin. La conduite du maître mineur Juif est au-dessus tous les éloges. Cet homme, qui n'était pas de service, n'a pas hésité à se précipiter au devant du danger. C'est à sa présence d'esprit que l'on doit d'avoir évité une seconde catastrophe, car les vêtements qu'il a éteints pouvaient amener un incendie et une nouvelle explosion. Bien qu'il eût près de 60 ans, il resta dans la mine pendant dix-huit heures consécutives. Il passa partout, de telle sorte que les ingénieurs étaient obligés de retenir son zèle. Cet homme nous paraît mériter une récompense.
État des travaux après l'accidentLes dégâts matériels causés par l'explosion sont très peu importants. Toutes les portes d'aérage avaient été brisées, et des éboulements s'étaient produits en trois points différents. Mais la plupart des cadres étaient intacts et les travaux n'étaient pas bouleversés comme cela arrive si souvent. L'on doit donc supposer que la quantité de grisou qui a détoné n'était pas très considérable. Remarquons, en outre, que les boisages n'étaient pas recouverts d'une poussière de coke, comme on l'observe quelquefois.
État des lampesLa plupart des lampes sont intactes. Les lampes nos 414 et 417, qui appartenaient à Félix et à Doucey. n'ont pas été retrouvées; d'ailleurs, comme elles sont enfouies sous les déblais, il est probable qu'il n'en reste que des débris dont on ne pourrait tirer aucune indication. La lampe n° 18 a été presque complètcment détruite par un éboulement, le treillis et le verre n'existent plus, les baguettes sont tordues et brisées, le chapeau est détaché du pot. Il est donc également impossible de tirer aucune conclusion de l'état de cette lampe. La lampe n° 29 a subi des dégradations moins importantes. Le treillis est bosselé comme par un choc extérieur et a même un trou presque imperceptible. Le choc paraît avoir été peu violent et être postérieur à l'explosion. Notre attention a été particulièrement attirée par l'état de la lampe n° 476. Elle était sans verre. Le treillis présentait deux déchirures : la première, vers le milieu du cylindre, était longue et large et paraissait etre due à une pression intérieure. La seconde, très nette était au bas du tissu métallique; elle présentait une section rectangulaire égale à celle des pics dont se servent les ouvriers et les bords de la déchirure étaient repliés vers l'intérieur de la lampe, indiquant ainsi que le choc avait été extérieur. L'une des baguettes était légèrement forcée. La lampe n° 476 avait été délivrée au puits au nommé Pautot (Auguste), mineur; mais elle n'a pas été retrouvée près de son corps. Elle était encore accrochée à un boisage, au point marqué C sur le plan, et à 15 centimètres du sol. Elle était donc près du cadavre de Perroz (Emile). La lampe de ce dernier portait le n° 16 et a été retrouvée intacte dans le montage. Il est donc probable qu'un échange de lampes a eu lieu entre ces deux ouvriers.
Indices diversEn haut du montage, se trouvait une plaque de fonte, servant à l'accrochage. Quelques jours avant l'accident, l'ingénieur de la houillère remarqua que du gaz se dégageait des bords de cette plaque. Ce soufflard au sol s'explique par la présence des bancs inférieurs de houille qu'on ne pouvait exploiter, et qui laissait échapper probablement de l'hydrogène carboné à travers une fente des couches de rocher intermédiaire. L'ingénieur du puits fit alors enlever cette plaque et déblayer le terrain qui était dessous, pour permettre au grisou de s'échapper et d'être enlevé par le courant d'air. Le dégagement ne tarda pas à cesser; cependant, on conservait quelques inquiétudes. Ce soufflard était au point même où l'on a retrouvé la lampe n° 476; il n'a rien donné depuis la catastrophe. Dans la nuit de l'accident, à 11 heures du soir, le cantonnier Demezy, qui a survécu, a soulevé la plaque de fonte dont nous venons de parler et n'a remarqué aucun dégagement de gaz. Il s'est ensuite rendu dans le chantier de Doucey (dernière taille de droite et demi-lune) et n'a pas non plus observé la présence de grisou. Le toit de la demi-lune et de la dernière galerie de droite ne paraissait pas très bon; c'est pourquoi on y avait envoyé Doucey pour consolider les boisages. Cette circonstance explique sans doute les éboulements considérables qui se sont produits en ce point.
Résumé du rapport médicalM. le Docteur Spindler, chargé de l'examen des cadavres a remis au Parquet de Lure un rapport dont nous résumons les conclusions : Tous les corps présentent des brûlures du deuxième degré qui se remarquent surtout dans les parties dénudées et qui portent à croire que les organes intérieurs (particulièrement ceux de la respiration) ont dû aussi ressentir les effets de la combustion. Sur quelques cadavres, on observe également des plaies qui sont dues sans doute aux éboulements et sont vraisemblablement postérieures à la mort. La régularité des traits des victimes, l'absence de contractions tétaniques, portent à croire que leur mort a été foudroyante et qu'une agonie lente leur a été épargnée. Enfin, l'absence de brûlures dans la région plantaire démontre que tous les ouvriers ont été surpris debout par l'explosion.
Discussions des causes de l'accidentNous devons, avant tout, rechercher où a eu lieu l'explosion primitive. Demezy (Alexis), qui est l'un des survivants de la catastrophe, rapporte qu'avant de quitter son chantier, il prévint le chef de poste Pautot qu'il y avait remarqué un dégagement de gaz. Ce chantier était le septième à droite à partir de la galerie d'allongement. Mais on n'a retrouvé aucun cadavre et aucune lampe ni dans cette taille, ni dans celles qui sont léchées après elle par le courant d'air. Il est donc impossible d'attribuer l'explosion au gaz dont Demezy avait signalé la présence, et on ne doit pas attacher d'importance à cette déposition. On sait qu'en général, les ouvriers qui se trouvent sur l'arrivée de l'air par rapport au lieu d'explosion meurent brûlés, pendant que ceux qui sont sur le retour d'air succombent à l'asphyxie. Tous les cadavres présentant des traces de brûlures, on devrait donc supposer que c'est près de l'ouvrier qui était rencontré en dernier lieu par le courant d'air, c'est-à-dire près de Doucey, que l'explosion principale s'est produite. On serait confirmé dans cette opinion par les éboulements considérables que l'on a rencontrés en cet endroit, et l'hypothèse qui voudrait que le gaz eût commencé à s'enflammer dans la demi-lune paraîtrait, au premier abord, la seule plausible. Mais un examen plus attentif montre que ces arguments n'ont pas autant de valeur qu'on pourrait le croire, et qu'une autre hypothèse rend également bien compte des faits. On peut supposer, en effet, que l'explosion primitive s'est produite en haut du montage près de la plaque d'accrochage, au point où l'on a découvert la lampe 476 et le cadavre de Perroz, c'est-à-dire en dehors du courant d'air principal. Le premier effet de cette explosion aurait été évidemment de détruire les portes qui séparent le haut du montage de la taille où travaillait Doucey et c'est là que les gaz, formés en partie de produits de la combustion, en partie de grisou imparfaitement comburé, auraient rencontré le courant principal qui leur aurait fourni assez d'oxygène pour déterminer une explosion secondaire. On peut comprendre alors que Doucey n'ait pas succombé à l'asphyxie, mais à ses brûlures, et qu'il se soit produit un éboulement important dans le chantier où il travaillait. Nous devons rappeler, d'ailleurs, que ce chantier était peu solide et qu'on y avait justement envoyé cet ouvrier pour le consolider. Nous voici donc en présence de deux hypothèses jusqu'ici également vraisemblables : explosion dans la demi-lune, explosion en haut du montage. Comme on n'a pu retrouver la lampe de Doucey, on ne peut prouver directement que ce n'est pas elle qui a enflammé le gaz. Diverses considérations permettent pourtant de supposer que l'accident primitif a eu lieu dans le chantier de Perroz. La plupart des cadavres, et les plus cruellement brûlés, ont été retrouvés dans le montage qui, étant en dehors du courant principal, aurait été moins exposé aux effets des explosions secondaires si la catastrophe avait commencé dans le chantier de Doucey. On a rencontré également dans le montage, au niveau de la septième traverse, des éboulements considérables. Telles sont les raisons qui nous font penser que l'explosion principale s'est produite vraisemblablement en haut du montage. On doit donc naturellement soupçonner la lampe 476 qu'on a trouvée en cet endroit, d'avoir enflammé le gaz et déterminé la catastrophe. L'état de cette lampe confirme singulièrement ces soupçons. En effet, la déchirure qu'on observe en bas du cylindre métallique est très nette et sa forme, comme ses dimensions, rappellent la section du pic des ouvriers, si bien qu'aucun mineur, en la voyant, n'a hésité à la reconnaître pour un coup de pic. On n'a pas rencontré, dans le voisinage, d'éboulement qui puisse faire supposer que le trou a été produit par le choc d'une pierre tombant du toit. La lampe n'a pas été violemment projetée, ce qui expliquerait cette dégradation, car on l'a retrouvée accrochée à un boisage. Toutefois, l'une des baguettes était forcée, sans doute parce que la violence même de l'explosion a fortement comprimé la lampe contre le bois debout auquel elle était accrochée. Ces raisons nous portent à croire que la déchirure observée est réellement due à un coup de pic; et si on admet cette hypothèse qui est, de beaucoup la plus probable, on est forcé de conclure que le trou existait déjà quelque temps avant l'explosion; car le cadavre qu'on a retrouvé près de la lampe était celui du manoeuvre Perroz qui était occupé à charger des chariots et qui n'avait pas de pic. Le coup de pic n'a donc pu être donné que par Pautot; il est donc antérieur à l'échange des lampes qui a eu lieu entre ces deux ouvriers, c'est-à-dire qu'il a précédé l'accident d'au moins une demi-heure. D'ailleurs, aucune des autres lampes qui ont été retrouvées ne présente de dégradations de ce genre. La plupart sont intactes, et la lampe 29, qui est légèrement détériorée paraît avoir reçu un choc, d'ailleurs peu violent, qui est sans doute le résultat et non la cause de l'accident. Les lampes 414, 417 et 18 seules pourraient laisser des doutes car, ou bien elles n'ont pas été retrouvées, ou bien elles sont dans un tel état qu'elles ne peuvent donner aucune indication. Mais il est vraisemblable qu'elles ont été seulement écrasées par les éboulements et, quand même les caractères de la lampe 476 ne seraient pas aussi nets, on devrait encore, par exclusion pour ainsi dire, voir en elle 1a cause de l'explosion. D'où provenait le gaz dont l'inflammation a produit la catastrophe du 1er septembre ? Ce ne pouvait être des tailles de droite, ni des tailles supérieures de gauche, puisqu'elles étaient en dehors du courant d'air secondaire qui vient passer en haut du montage. Ce n'était pas non plus du massif de houille qui est situé entre la demi-lune et la dernière galerie de niveau, car l'air venait passer au lieu de l'explosion avant de lécher la surface découverte de ce massif. Était-ce des surfaces de houille les plus voisines du haut du montage, ou des tailles inférieures de gauche ? Ce n'est guère vraisemblable car les premières, n'étant pas fraîches, dégageaient peu de grisou et le courant secondaire ne pouvait entraîner qu'une portion insignifiante du gaz qui s'échappait des secondes. D'ailleurs, ces deux hypothèses sont rendues tout à fait inadmissibles, si l'on observe que la lampe 476 a été retrouvée accrochée à 15 centimètres du sol et que le gaz provenant de toute autre cause que d'un soufflard au mur, ne se serait pas trouvé à cette hauteur, mais dans les parties supérieures de la galerie. L'accident est donc dû a un soufflard au mur, par où se dégageait le gaz provenant des couches inférieures de houille inexploitées, dont nous avons parlé au début, et c'est sans doute le même qui avait déjà donné du grisou quelques jours auparavant, et depuis quelque temps avait cessé de laisser échapper du gaz. D'ailleurs, il est vraisemblable que l'hydrogène carboné s'est dégagé assez subitement. En effet, le cantonnier Demezy (Auguste) n'a remarqué aucune trace de gaz en cet endroit quelques heures avant l'accident et, de plus, la position dans laquelle on a retrouvé la lampe 476 rend notre hypothèse encore plus plausible. Si le gaz s'était dégagé lentement et n'avait pas été suffisamment entraîné par le courant d'air, il se serait principalement accumulé dans les parties supérieures; avant qu'il n'y en eût eu assez, à 15 centimètres au-dessus du sol, pour y détoner et même pour y brûler, le manoeuvre Perroz serait tombé asphyxié, ce qui eût attiré l'attention des ouvriers qui travaillaient dans le montage et ce qui, d'ailleurs, est impossible puisque le rapport médical constate que Perroz est mort debout. Il n'y a donc pas eu d'accumulation lente d'hydrogène carboné, mais dégagement subit de gaz qui s'est enflammé, pour ainsi dire, au moment où il se dégageait et qui était sans doute en quantité peu considérable, sans quoi les travaux se seraient trouvés complètement bouleversés. Bien que le ventilateur ne fût que provisoire et que la mine fût assez
difficile à aérer, l'aérage général était suffisant. Au moment de
l'accident, il passait, dans les tailles, 4,45 mètres cubes par seconde,
c'est-à-dire : On exige généralement : 50 litres par seconde et par homme; 50 litres par seconde et par tonne extraite par 24 heures. Remarquons que pendant la journée du 31 août, bien que ce fût un dimanche et qu'on ne travaillât pas dans la mine, le ventilateur a continué à fonctionner. Mais, on peut se poser une nouvelle question et se demander si le courant dérivé qui passait au haut du montage n'était pas trop faible. Il est difficile, à défaut d'expériences directes, d'en évaluer exactement la vitesse; mais remarquons seulement que l'on ne pouvait s'élever dans le montage sans remarquer que la quantité d'air dont on disposait allait en diminuant, ce qui montrait bien que les portes et mêmes les massifs de remblais les plus larges laissaient perdre du vent. Ces considérations nous portent à penser, sans attribuer à cette approximation plus de valeur qu'elle n'en mérite, qu'il circulait 1 mètre cube par seconde dans la partie supérieure du montage et que l'air qui se trouvait dans cette région de la mine se renouvelait en 1 minute et demie. Le courant d'air semblait donc très suffisant, et il eût été même dangereux de détourner au profit du montage une fraction plus considérable de l'air qui circulait dans les tailles. Toutes les mesures avaient donc été prises pour prévenir l'accumulation de l'hydrogène carboné et on n'eût eu à déplorer aucun accident, si le grisou s'était échappé d'une façon lente et régulière. Mais malheureusement, nous l'avons vu, il y a eu un dégagement rapide contre lequel les moyens de ventilation ne pouvaient rien. La catastrophe ne peut donc être attribuée à un défaut d'aérage.
Résumé et conclusionsVoici donc comment, selon toute vraisemblance, les choses se sont passées : Pautot avait accroché sa lampe à un boisage et, en travaillant, il la perça d'un coup de pic. Il ne s'en aperçut pas tout d'abord parce que la déchirure, étant en bas du cylindre, était peu visible. Comme il n'y avait pas de gaz au point où il travaillait, aucun inconvénient immédiat ne se produisit. Il monta alors, pour une raison quelconque, en haut du montage où travaillait Perroz. Il accrocha sa lampe à un boisage à côté de celle de ce manoeuvre et, en redescendant, il prit par erreur la lampe de Perroz, laissant la sienne qui était percée, à un pas du soufflard, qui avait été signalé quelques jours auparavant. Ce soufflard ayant dégagé du gaz, l'explosion se produisit. La Société avait fait tout ce qui était humainement possible pour prévenir l'accident. La catastrophe a été causée par la maladresse de Pautot, qui a payé de sa vie un moment d'inattention. Cet homme n'était pas un mauvais ouvrier et on n'avait jamais eu à se plaindre de lui; mais de pareilles imprudences sont souvent commises par les meilleurs mineurs.
Les victimesLes malheureuses victimes de cet accident sont : Félix (Victor), 40 ans, laisse une femme et 4 enfants; Est mort à l'hôpital des suites de ses blessures. Il y a donc, en tout, 9 veuves et 35 orphelin», dont le plus âgé a 17 ans et dont 6 seulement ont plus de 12 ans. La Société a fait immédiatement distribuer 40 francs à chaque famille, et elle est disposée à faire de nouveaux sacrifices. La Caisse de secours assure à chaque veuve une pension de 25 francs par mois, et à chaque orphelin une pension de 8 francs par mois. Toutefois, les efforts généreux de la Compagnie seront peut-être insuffisants pour soulager tant de misères. Vesoul, le 20 septembre 1879. L'Ingénieur des Mines, signé : POINCARÉ. |
Ce rapport est un modèle du genre, que l'on risquerait d'affaiblir en le commentant trop longuement. On n'est pas surpris d'y voir le grand maître de l'Hypothèse exceller, avec les arguments les plus simples et les plus directs, à sélectionner les causes de l'accident, à localiser la première explosion et à identifier « par exclusion pour ainsi dire » la lampe qui avait pu allumer le grisou.
Mais on doit souligner le silence de POINCARÉ sur son rôle personnel, encore qu'il ait été certainement présent à ce sauvetage qui devait durer trois jours, et le souci qui l'anime de ne pas charger la mémoire du malheureux auteur de l'accident. Les dernières lignes montrent que la misère humaine touchait droit au coeur de POINCARÉ, à une époque où le malheur ne rencontrait qu'une insuffisante charité.
Le 29 septembre, POINCARÉ retourne inspecter le puits où avait eu lieu la catastrophe. Il semble intéressant de citer également ce rapport, où il se préoccupe des progrès réalisés dans la ventilation.
PROCÈS-VERBAL DE VISITE DE L'INGÉNIEUR DES MINESMinistère des Travaux publics Le 29 novembre 1879 je me suis rendu au puits du Magny, pour en visiter les travaux. Un nouveau ventilateur à force centrifuge a été installé sur le puits d'aérage. Son diamètre est de 2,80 mètres et la largeur des ailettes de 1,20 mètre; il est actionné par une petite machine de Wolf. Il y a quelques jours on a procédé à des expériences anémométriques qui ont donné les résultats suivants : la vitesse de rotation étant de 135 tours, le volume d'air passant dans les travaux était de 8 mètres cubes. La dépression manométrique était de 0,024 mètre, et, ajoutée à la dépression naturelle (0,017 m), elle portait à 0.041 mètre la dépression totale en vertu de laquelle le courant s'établit. Le jour de visite, la vitesse de rotation avait été portée à 160 tours, la dépression indiquée par le manomètre était de 0,037 mètre, ce qui portait à 0,054 mètre la dépression totale. Cette augmentation de la dépression était due à l'accélération imprimée au courant d'air, et sans doute aussi à un accroissement des résistances. Quant au volume du vent, on peut, à défaut d'expériences directes, s'en faire une idée approximative à l'aide d'une proportion : on trouve comme résultat 9,50 mètres cubes. Au moment de l'accident, les travaux se composaient de deux travers-bancs AAA, BBB, aboutissant à une galerie d'allongement CCC, d'où partait le grand montage DDD. De ce montage, on passait à droite et à gauche dans les galeries de niveau F et G, et on arrivait ainsi aux chantiers ouverts au levant et au couchant du plan incliné. Enfin, le réseau était complété par une demi-lune EE qui faisait communiquer les tailles du couchant avec celles du levant en coutournant la tête du montage, et par une galerie KK qui conduisait au puits d'aérage l'air sortant des chantiers du levant. Grâce à des portes d'aérage établies dans le travers-bancs A, dans la galerie C et dans les galeries FG, l'air, entrant par le puits principal, suivait le travers-bancs B, une partie de la galerie C, les tailles du couchant, la demi-lune et redescendait par les tailles du levant, s'échappait par la galerie K. A la suite de l'accident, les deux chantiers supérieurs du côté du couchant et la demi-lune se sont effondrés; on a cessé pendant quelque temps de travailler à la houille, se bornant à des travaux de réparation et d'entretien. Dès que le nouveau ventilateur a fonctionné, on a recommencé une exploitation plus sérieuse; on a poussé vigoureusement les tailles du couchant, abandonnant les chantiers supérieurs qui s'étaient écrasés et les tailles du levant qui ne servent plus maintenant que de retour d'air. La demi-lune a été barrée complètement en aa et 4 des galeries G ont été également barrées en bb. On a remblayé une partie de la galerie d'allongement CC de manière à intercepter toute communication entre le montage DD et le travers-bancs BB qui amène le vent; on a remblayé également la petite capacité M qui se trouvait au-dessus de la dernière galerie FG, et dans laquelle étaient logés la poulie et le frein du plan incliné; on pouvait craindre en effet que cette capacité ne formât cloche, et ne favorisât l'accumulation du grisou, enfin on a commencé à déblayer l'avant-dernier chantier en H. La galerie d'allongement C a été poussée du côté du couchant où elle a rencontré un grand nombre de failles. On est en train de percer un montage LL qui permettra de remblayer une partie des galeries FF et de pousser l'exploitation du côté de l'ouest : ce montage est ouvert actuellement jusqu'à la première des galeries F. La distribution générale de l'air dans ce quartier de la mine est la même qu'avant l'accident. Arrivant par le travers-bancs B, et par la dernière section de la galerie C, l'air suit le montage LL, puis les tailles du couchant jusqu'à la galerie F qui est au-dessus du dernier chantier exploité. Prenant ensuite cette galerie, il suit la partie supérieure du montage, la dernière galerie G et redescend par les tailles du levant et la galerie KK. D'autre part, la porte h dans l'avant-dernière galerie F reste constamment entrouverte, de manière à laisser passer un peu d'air dans la partie correspondante du montage. Le courant principal est indiqué sur le plan par des flèches rouges, le courant secondaire qui passe par l'entrebâillement de la porte h par des flèches bleues. La section des tailles exploitées à gauche est peu considérable, la largeur du front de taille au remblai est d'environ 2 mètres, la hauteur d'à peu près 0,80 mètre; aussi le courant d'air y est-il très vif. Au levant, les anciens chantiers abandonnés qui servent aujourd'hui de retour d'air sont boisés avec des cadres comme des galeries et ont une section plus considérable (de 3 m environ). Des travaux ont été poussés également dans d'autres quartiers de la mine; sur le travers-bancs AA s'embranche un petit travers-bancs PP qui est suivi d'une galerie d'allongement QQ. On est arrivé ainsi à une faille qui relevait la couche; on a tracé alors un montage RR suivant la faille, et on a rencontré, non pas la couche principale, mais une couche inférieure dite intermédiaire, qui était en cet endroit assez puissante pour être exploitable. On a donc continué le montage RR en suivant le pendage de cette couche, et on a commencé l'exploitation par les travaux SS qui communiquent par le bure T avec la galerie K située à quelques mètres au-dessus. Voici comment se fait l'aérage de cette partie des travaux : suivant d'abord un tuyau de grande section qui traverse les premières portes d'aérage du travers-bancs AA, l'air est conduit par les galeries PQ et R jusque dans les travaux S; il en sort par le bure T qui le conduit dans la galerie K et de là au puits d'aérage. Au-delà du montage R, la galerie Q est ventilée à l'aide d'un tube qui amène l'air depuis l'avancement de la galerie jusqu'à l'entrée du montage R où il se mêle au courant général. A 17 mètres au-dessous de la recette où aboutissent les travers-bancs A et B, c'est-à-dire à 672 mètres au-dessous du jour, on a percé une galerie UUU qui permettra d'exploiter un étage situé en aval pendage de celui qu'on a commencé à dépiler. Pour cela, dès que la galerie U sera tracée, on percera un montage depuis cette galerie jusqu'au niveau Q et on poussera des tailles chassantes à droite et à gauche. Au moment de la visite, la galerie U était aérée par un tube qui ramenait l'air par la galerie elle-même et par le puits jusqu'au travers-bancs BB, où il se mêlait au courant général. L'aérage paraissait assez bon, on sentait parfaitement le courant d'air en mettant la main à l'orifice du tube. Le bure V était presque complètement percé; il a dû l'être dans la journée du 30 novembre, de manière à mettre en communication le travers-bancs B avec la galerie U, et à ouvrir un chemin direct à l'air qui circule dans cette galerie. Quand l'étage qui s'étendra entre les galeries Q et U sera en pleine exploitation, l'air s'y distribuera de la manière suivante : arrivant par le puits principal, il se divisera au bas du plan incliné qui servira à exploiter cet étage, montera les tailles du levant et du couchant jusqu'à la galerie Q; là il prendra les chantiers qu'on poussera à droite et à gauche du montage R et les deux courants, se réunissant au pied du bure T, s'échapperont par la galerie K. Depuis l'accident on n'a plus signalé la présence de quantités importantes de grisou; il est arrivé quelquefois qu'aux joints de failles, quelques soufllards ont donné pendant un ou deux jours, mais le gaz était enlevé par le courant d'air. Pendant la visite, les lampes n'ont marqué nulle part: pourtant au point d, dans l'avant-dernière galerie F, on sentait une forte odeur empyreumatique, mais sans que les lampes révélassent la présence de l'hydrogène carboné. Vesoul, le 30 novembre 1879. L'Ingénieur des Mines, signé : POINCARÉ. De nouvelles expériences anémométriques ont été faites le 1er décembre; elles ont donné les résultats suivants : Nombre de tours : 160; Volume du vent : 8,350 mètres cubes; Dépression manométrique : 0,035 mètre; Dépression totale : 0,052 mètre. Vesoul, le 1er décembre 1879 L'Ingénieur des Mines, signé : POINCARÉ. Pour copie conforme : Vesoul, le 25 mars 1880. Le Garde-Mines, signé : F. CHALOT. |
Dans sa sagesse, POINCARE estimait donc que si des soufflards provenant du banc inférieur (inexploitable) pouvaient continuer à se produire, la ventilation était devenue suffisante pour en assurer l'élimination.
Dans une note du 5 décembre 1879, nous voyons l'ingénieur en chef Trautmann adopter les conclusions de POINCARÉ, en demandant cependant à la Compagnie de Ronchamp de pousser activement une nouvelle galerie au rocher, pour éviter une trop grande dénivellation du courant d'air chaud.
POINCARÉ lui-même, avant son départ de Vesoul, se préoccupait de l'avancement de cette galerie.
Ici s'achève la carrière active d'Henri POINCARE dans les mines. On peut ajouter que ce fut contre sa volonté. Ayant été mis par arrêté du 1er décembre 1879 à la disposition de l'Instruction publique pour être chargé de cours à la Faculté de sciences de Caen, il aurait volontiers continué à y exercer simultanément son métier d'ingénieur et caressa même un instant l'espoir de voir Lecornu lui céder son poste.
Lors du voyage d'étude que fit en Normandie la promotion de l'Ecole des Mines qui suivait la sienne de quatre années, POINCARE vint se joindre à ses jeunes camarades. « Il m'a paru modeste et timide, déclarait Chesneau à cette occasion, et ses camarades ne se sont pas doutés du génie scientifique qui couvait dans son cerveau. » Le souvenir de cette course géologique est lié aux pages célèbres de Science et Méthode consacrées par POINCARÉ à l'invention mathématique, dont il nous a donné sur son propre exemple une véritable psychanalyse.
On doit souligner que POINCARÉ n'a cessé, durant toute sa vie, d'appartenir au Corps des Mines, tout en étant détaché dans ses fonctions d'enseignement à la Sorbonne et à l'Ecole polytechnique. C'est ainsi qu'il fut nommé ingénieur en chef le 22 juillet 1893 et inspecteur général le 16 juin 1910.
Un des derniers textes de POINCARÉ se réfère d'ailleurs à l'art des Mines. Dans un ouvrage de haute vulgarisation, « Ce que disent les choses », écrit en collaboration avec E. Perrier et P. Painlevé, et publié en 1912, POINCARÉ signe un article intitulé Les Mines où il expose les dangers du grisou :
«. Une étincelle suffit pour enflammer (un mélange explosif d'air et de grisou), et alors je renonce à décrire les horreurs qui suivent... »
C'est dire que la vision de la catastrophe du Magny était toujours présente à sa mémoire. Mieux, POINCARÉ nous donne ici la preuve qu'il n'avait cessé de s'intéresser au problème de la sécurité dans les mines, car il expose dans cet article le danger des poussières, qui était encore méconnu du temps où il était à Vesoul :
« Il y a des mines où il n'y a pas de grisou; on n'y est pas encore tranquille; quelquefois l'atmosphère y est remplie d'une fine poussière, et cette poussière, mélangée à l'air, peut déterminer des explosions tout comme le gaz. »
Le génie est par essence polyvalent, et celui de POINCARÉ atteignait à l'universalité. Cela rend nécessairement fragile une étude aussi partielle que celle qui fait l'objet de ces quelques pages. Ajouterons-nous cependant que, dans le sens du concret dont POINCARÉ a toujours fait preuve au milieu des spéculations les plus hardies de l'esprit, passe comme un reflet de l'expérience qu'il avait acquise, tout jeune encore, au contact des dures réalités du métier de mineur.
Texte de la lettre du recteur Louis Liard, directeur des enseignements supérieurs au ministère de l'instruction publique, à Henri Poincaré, du 8 juillet 1886
Cher Monsieur,
Puisque vous êtes à Nancy, ne vous dérangez pas ; je vais vous écrire ce que je vous aurais dit. Vous êtes présenté en 1ère ligne par la Faculté et par la section sur la chaire de physique mathématique ; votre nomination serait déjà signée si vous n’étiez titulaire dans le corps des mines. Vous n’ignorez pas que depuis quelques années on n’admet plus, à l’Instruction publique, le cumul de la fonction de professeur titulaire dans une Faculté et d’une autre fonction ; ainsi M. Appell, en devenant titulaire à la Sorbonne, a dû quitter l’École normale ; M. Picard va faire de même. M. le ministre estime qu’il ne peut y avoir deux poids deux mesures, et que vous ne pouvez à la fois être titulaire à la Faculté / et ingénieur des mines. Tant que vous avez été maître de conférences ou chargé de cours, la question ne se posait pas, parce que cette fonction avait un caractère provisoire. Avec le titulariat c’est autre chose. Je vois bien que votre intention n’est pas de reprendre un service actif dans le corps des mines ; mais un autre pourrait avoir cette intention, et il importe de ne pas créer de précédent. Il va sans dire que vos fonctions de répétiteur à l’École polytechnique ne sont pas en cause.
Votre bien dévoué.
L. Liard
ALS, 2 p. Collection particulière, Paris. Notes
Henri Poincaré ne suivit pas les conseils du recteur ...
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