Jean VIGNAL (1897-1969)

Né à Paris, le 1er juin 1897 ; décédé à Paris, le 20 février 1969 (obsèques à l'église réformée de l'Oratoire du Louvre ; enterré à Livron (Drôme)).
Fils de Léon Vignal, industriel (mort à la fin de la 1re guerre mondiale alors qu'il était engagé volontaire, lieutenant d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur), et de son épouse née Jeanne Buttner-Thiery.
Frère de Robert Vignal (1899-1957 ; X 1918), époux de Arlette Widmer (12/12/1929), et de Eddy Vignal (mort en 1919).
Marié en 1932 à Reine Roulet. Elle est la fille de Edouard Jules Charles Roulet (1863-1927), officier d'infanterie de marine, qui s'illustra dans le Haur-Oubangui de 1898 à 1900. A son retour en France, Roulet avait épousé Hélène Enjalbert (27 novembre 1901), la mère de Reine. Il entre ensuite au cabinet du Président de la République, Emile Loubet, qui le fait officier de la Légion d'honneur (1903). Voir le site web qui évoque la mission Marchand.
Père de 9 enfants.

Ancien élève de Polytechnique (promotion 1916 ; entré et sorti major) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.


Le Professeur Jean VIGNAL (1916)
1897-1969
par F. TEISSIER du CROS (1924)

La Jaune et la Rouge, no 243, décembre 1969

La disparition de Jean VIGNAL, survenue le 20 Février dernier après une subite maladie, a privé l'Ecole Polytechnique d'un professeur aimé et d'un animateur au grand rayonnement.

Jean VIGNAL fut admis comme élève de l'Ecole en 1916, avec le numéro 1. Il obtint le corps des mines à sa sortie, avec le rang de major de sa promotion. Sa vocation pour l'enseignement se déclarait bientôt : c'est dès sa sortie de l'Ecole des Mines, en 1920, qu'il y était nommé professeur. [Il fit en 1924 un stage d'un an auprès d'Eugène Bloch, à l'Ecole normale supérieure].

Comme jeune ingénieur, Jean VIGNAL fut attaché au service du nivellement général de la France, à Paris. Prenant la suite de Charles LALLEMAND [et après un court intérim de Marin GUILLAUME], il devait recevoir, en 1930, la direction de ce service public.

Familier des opérations sur le terrain aussi bien que de la théorie, Jean VIGNAL fit une critique approfondie des méthodes en usage. Sa contribution aux progrès de la géodésie, élaborée durant une période de vingt ans, forme la matière de communications à l'Académie des Sciences au Bulletin géodésique et à l'Association internationale de géodésie, dont il présida, à plusieurs reprises, la section des nivellements. Ses travaux originaux ont trait notamment aux relations entre le nivellement et la pesanteur, et à la mise en évidence d'une oscillation saisonnière, mouvement général de la croûte terrestre, qui peut être cause d'erreurs systématiques. C'est d'ailleurs à l'étude des causes des erreurs systématiques du Nivellement de précision, qu'il devait consacrer la plus grande part de ses études.

Jean VIGNAL était bien introduit au Ministère des Travaux Publics dont dépendait le Service du Nivellement général. Ce fut indiscutablement grâce à son action que put être créé un grand Institut Géographique National (I.G.N.) avec la formation de nouveaux corps d'ingénieurs et de techniciens, l'organisation d'une Ecole Nationale des Sciences Géographiques, etc. En facilitant la fusion de son propre service avec un autre, dont les moyens étaient plus importants, Jean VIGNAL allait perdre sa belle indépendance d'avant 1939. Il le savait, mais le sens de l'intérêt général passait chez lui bien avant ses avantages personnels. Il fut un temps Directeur des Services réunis de Géodésie et Nivellement de l'I.G.N., puis en Avril 1942, il borne ses activités à celles de Conseiller scientifique et technique du Directeur, fonctions qu'il devait conserver de nombreuses années.

Professeur à l'Ecole Nationale des Sciences Géographiques, il y publia un traité de Nivellement de Précision qui fait autorité.

Jean VIGNAL appartint au Bureau des Longitudes de 1928 à 1947, comme membre ex officio (au titre de Directeur du Service indépendant du Nivellement général) ; il fut élu, à titre personnel cette fois, Correspondant en 1948.

A la puissance de travail, à la maîtrise de soi, Jean VIGNAL alliait dans ses fonctions de chef un entrain et une bienveillance qui faisaient naître chez ses collaborateurs, un profond attachement. Il aimait agir par persuasion.

A l'Ecole Polytechnique, où il participait depuis 1932 à l'enseignement de l'astronomie, la seconde moitié de sa carrière devait le rattacher plus étroitement. En 1952, Jean VIGNAL fut nommé à une chaire de Physique comme successeur d'André LEAUTE. Deux ans plus tard, il accepta d'assurer en outre la direction des études, pour remplacer à ce poste l'Ingénieur Général LAMOTHE, frappé par une crise cardiaque. Ce remplacement survenait dans des conditions difficiles, alors qu'une révision générale des programmes était en cours et qu'une partie au moins du corps enseignant se trouvait indisposée par le sentiment d'être insuffisamment consultée sur les questions d'enseignement. Le tact et l'affabilité naturels de Jean VIGNAL apaisèrent les ressentiments mais donnèrent, et peut-être bien à tort, l'impression que la réforme, mal définie mais véhémentement réclamée par certains, n'aurait pas l'ampleur souhaitée. Ainsi Jean VIGNAL attira sur lui les jeux croisés de critiques simplistes. En 1957, un nouveau Directeur des Etudes fut nommé, sans qu'il fût porté atteinte à la chaire de Physique dont Jean VIGNAL restait le titulaire. Sans garder la moindre amertume, après trois années de dévouement à une tâche ingrate qu'il avait remplie à titre bénévole, Jean VIGNAL reporta ses dons naturels au plein exercice de son enseignement et d'une entreprise corrélative de recherche.

L'enseignement de la Physique à l'Ecole Polytechnique subissait, déjà à cette époque, de très fréquents remaniements. L'alternance traditionnelle des deux titulaires de chaire fut bientôt remplacée par la banalisation, qui répartit chaque année le programme entier entre les professeurs présents.

Les branches de la Physique attribuées à Jean VIGNAL étaient habituellement l'électromagnétisme et la relativité. Il y donna toute la mesure d'un esprit clair, encyclopédique. Son objectif primordial était de rendre sa science accessible à tous. La connaissance des techniques instrumentales, l'exercice du va et vient entre le raisonnement et l'expérience, sont nécessaires aux élèves pour acquérir une véritable intelligence du monde physique. Jean VIGNAL voulait donc mettre au premier rang, dans l'enseignement de la Physique à l'Ecole, les chapitres dont la portée est générale et l'appareil mathématique dépouillé ; selon lui, l'exposé approfondi de la Physique corpusculaire et même de la Mécanique quantique ne s'imposait pas dans le programme obligatoire. Il recommandait avec insistance la création d'un enseignement facultatif de 3e année, où ces sujets fussent enseignés, en parallèle avec d'autres matières à option. Comme toute position tranchée, celle de Jean VIGNAL devait inévitablement susciter, à l'Ecole même, une forte opposition. La transformation des études qui s'accomplit aujourd'hui suit dans une certaine mesure la direction que Jean VIGNAL avait depuis longtemps préconisée.

Son cours écrit était rédigé avec grand soin. Volontiers, il projetait sur une même question plusieurs éclairages successifs afin de la mieux situer. La passion d'enseigner et de convaincre, servie par le don d'une parole chaleureuse, le rendaient très agréable à entendre.

Les expériences, toujours très brèves, qui servent à illustrer la leçon achevée étaient choisies de manière à faire une vive impression et à se graver dans la mémoire des spectateurs. Inutile de dire qu'elles étaient minutieusement préparées.

Héritant de la petite équipe d'expérimentateurs que lui avait confiée André LEAUTE, Jean VIGNAL eut l'ambition de créer un Laboratoire plus vaste où seraient accueillis les élèves de l'Ecole, afin qu'un grand nombre d'entre eux eussent l'occasion de se former aux techniques expérimentales, et de s'initier librement à la recherche. Cette formation, qu'il avait reçue lui-même en 1924 auprès d'Eugène BLOCH, pendant un stage d'une année à l'Ecole Normale Supérieure, lui paraissait indispensable non seulement à de futurs hommes de science, mais aux élèves qui sont appelés à devenir cadres d'entreprises ou dirigeants.

Son laboratoire eut un début difficile. Néanmoins, la persévérance et l'enthousiasme des responsables, la confiance que l'équipe de Jean VIGNAL gagna peu à peu dans les milieux scientifiques, permirent de mettre en route des opérations d'une ampleur inattendue.

Une première section, chargée de recherches originales pour le compte de la Marine Nationale, fut orientée vers l'étude des gaz ionisés. Elle s'est alors fait connaître par des travaux notables sur les ondes ioniques, le comportement des plasmas calmes, et d'une manière générale, la Physique des milieux ionisés. Le statut d'équipe associée, accordé par le C.N.R.S., a consacré son autonomie en 1965.

Avec le soutien du Comité d'Action Scientifique de Défense Nationale et plus tard celui de la D.R.M.E., Jean VIGNAL entamait d'autre part l'étude des lasers, source lumineuse dont il entrevoyait de multiples applications. Ce fut l'objectif d'une seconde section, que Jean VIGNAL créa en 1961.

Parmi les inventions dues à celle-ci : un photocoagulateur, utilisé en ophtalmologie, a été réalisé par un groupe composé de physiciens, biologistes, médecins, et d'un constructeur [1961]. La section de Physique des Lasers, qui a pris la dimension d'un laboratoire, poursuit d'autre part, avec le soutien du C.N.E.S., une mesure précise de la distance terre-lune par écho laser, destinée à des mesures géophysiques. Enfin, l'étude des formes de lumière et celle de matériaux organiques aptes à l'émission laser, occupent deux groupes de recherches expérimentales et théoriques, où de nombreuses thèses sont en préparation.

C'est ainsi que Jean VIGNAL décupla, en une quinzaine d'années, l'effectif de son laboratoire.

La confiance, les encouragements, qu'il ne ménageait pas. contribuaient à entretenir dans son entourage un climat d'initiative et de liberté. Il instaura en 1968 une participation du personnel dans la gestion de son laboratoire.

Son aptitude à la conciliation, bien souvent mise à l'épreuve, n'avait pas pour ressort l'esprit de compromis. Mais lorsqu'un sujet était sérieusement contesté, il était d'avis que la vérité a des chances d'apparaître dans une recherche en commun, car elle a « plusieurs demeures », comme il rappelait volontiers.

Il avait épousé Mademoiselle ROULET, fille du Commandant ROULET, l'un des acteurs de FACHODA. De cette union sont nés 9 enfants [Anne, Thierry, Aude qui épousa Ivan Markow, Olivier, Denis, Renaud, Christine, Bertrand, Edouard].

Ainsi Jean VIGNAL mena-t-il de front, toujours avec la même foi, des activités pédagogiques, scientifiques, internationales, qui eussent été accablantes pour tout autre que lui. La retraite prochaine allait lui offrir une occasion de repos qu'il n'avait jamais recherchée, bien conscient que son aide, son rayonnement, demeuraient nécessaires aux proches et aux collaborateurs qui l'entouraient.

A ces derniers, il laisse l'exemple d'un chef qui a été grand par sa confiance envers les hommes et par sa générosité.

Photo ENSMP


Commentaires de Robert Mahl sur l'enseignement de son professeur Jean Vignal à Polytechnique :

En 1937, Jean Vignal était nommé maître de conférences d'astronomie à Polytechnique. De 1952 à 1969, il est professeur d'astronomie dans cette Ecole, puis examinateur, puis l'un des deux (puis trois) professeurs de physique de l'Ecole (les deux autres étant Bernard Paul GREGORY et Louis Marie Edmond LEPRINCE-RINGUET). Il a également exercé les fonctions de directeur des études de l'Ecole de 1954 à 1957, date à laquelle certains conflits internes se sont manifestés, et l'Administration l'a renvoyé brutalement de son poste de professeur, qu'il récupéra sans difficulté grâce à une décision de justice. Vignal et Leprince-Ringuet dirigeaient en outre leurs propres laboratoires à l'Ecole. Le décès de Jean Vignal a coïncidé avec une réforme visant à remplacer les professeurs historiques de Polytechnique, comme Louis Leprince-Ringuet, par des têtes neuves. Vignal n'avait certes pas l'aura de Leprince-Ringuet auprès des élèves, mais était un très bon professeur ; il faisait souvent planer le suspense devant une promotion de 330 élèves avec des expériences physiques complexes et risquées qui semblaient d'abord rater, mais réussissaient magnifiquement in fine. Vers la fin de sa vie, une bave verte s'écoulait de sa bouche à la fin de ses cours, ce qui faisait craindre pour sa santé, mais il était imperturbable et professionnel jusqu'au bout.

J'eus l'occasion d'apprécier la qualité du cours théorique de Jean Vignal notamment lorsque je me présentai en 1964 au certificat d'électricité de la faculté des sciences de Paris : après un très mauvais oral devant un maitre de conférences, je dus passer un rattrapage devant le professeur titulaire (Yves Le Corre), en m'appuyant uniquement sur mes connaissance acquises à Polytechnique. L'interrogation portait sur les équations de l'électricité en relativité restreinte. Je sortis alors l'équation simple que j'avais apprise, liant le rotationnel du rotationnel d'un vecteur au gradient de la divergence et au laplacien. Stupéfait de la simplicité du calcul, le professeur me demanda de démontrer l'équation, ce que je pus faire sans difficulté. Je fus ainsi, parmi une cinquantaine de "rattrappés", le seul à recevoir une mention. Par la suite, j'ai appris que les étudiants de l'université devaient retenir par coeur les équations aux dérivées partielles développées, ce qui était évidemment beaucoup plus difficile.

Un épisode de la vie de Jean Vignal est parfois occulté à tort par ses biographes, mais est tout à son honneur : c'est la création du journal Le Monde en décembre 1944, dont Vignal fut l'un des trois associés-fondateurs.

Commentaire de André PRUD'HOMME (X 39, Mines 38, PC 44) sur l'enseignement de Jean Vignal à Polytechnique et aux Mines : Il commençait toujours ses cours par "Mes chers Camarades" et les faisait avec beaucoup d'enthousiasme et de clarté.

Ingénieur général des mines en 1945. Officier de la Légion d'Honneur.

Jean Vignal

vu par un de ses élèves

(C) Photo collections ENSMP



Jean Vignal caricaturé par un élève de l'Ecole des Mines de Paris (Petite Revue des élèves, 1927)
(C) Photo collections ENSMP



Robert Vignal, frère de Jean, élève de la promotion 1918 de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique