Léopold Alexandre PRALON (1855-1938)

Fils de Auguste Léopold PRALON, caissier, et de Louise CHINTREUIL. Né le 14/10/1855 à Paris (les parents habitaient 24 rue Truffaud, Paris 17ème). Décrit dans le registre matricule de Polytechnique comme : Cheveux blonds - Front haut - Nez long - Yeux bleus - Bouche moyenne - Menton rond - Visage ovale - Taille 175.


Résumé de carrière professionnelle

Ancien Elève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1875 : entré classé 60ème, sorti classé 67ème sur 254 élèves).
Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1877 ; entré le 20/10/1877 classé 2 ex aequo, sorti le 7/6/1880 classé 15).
Ingénieur Civil des Mines
Commandeur de la Légion d'Honneur
Président de la Société de Denain et d'Anzin
Vice-Président du Comité des Forges de France
Président d'honneur de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières
Président de l'Association de l'Industrie et de l'Agriculture françaises
Ancien Vice-Président du Conseil Supérieur du Travail
Président du Groupement de la Grosse Métallurgie
Président de la Société des Tubes de Valenciennes et Denain
Président de la Société Franco-Belge des Mines de Somorrostro
Président de la Société Usine des Ressorts du Nord
Président de la Revue de Métallurgie



Pralon, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Discours de M. Henry de Nanteuil
Administrateur-délégué de la Société de Denain et d'Anzin
aux obsèques de M. Pralon le 26 Décembre

IL n'est dans nos milieux pas un homme de coeur qui n'ait toujours admiré sans réserve la noble existence de celui que nous accompagnons aujourd'hui vers sa dernière demeure terrestre, pas un qui ne se sente personnellement frappé par sa disparition.

La plupart des hommes sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance. La vie exceptionnelle de M. Pralon montre quels fruits peuvent produire de continuels et durables efforts lorsqu'ils sont vivifiés par des vertus insignes et par les plus beaux dons de l'esprit.

De fortes traditions familiales, une excellente formation tant littéraire que scientifique, les hautes études de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole des Mines, un stage au bureau financier du Crédit Lyonnais, une mission de plusieurs mois en Allemagne avaient admirablement préparé Léopold Pralon à la carrière d'ingénieur, lorsqu'il entra en 1882 au service de la Société de Denain et d'Anzin à qui, dès lors et jusqu'à son dernier souffle, il donna sans retour son intelligence et son absolu dévouement.

Vers 1882, les usines de Denain et d'Anzin étaient très modestes, produisant à peine 100.000 tonnes de fer et d'acier par an. La situation était peu brillante. La Société végétait. De 1890 à 1896, elle subit une crise sévère qui faillit l'emporter. Une direction mal avisée l'avait conduite aux bords de la ruine, quand le Conseil d'administration que présidait le Baron Robert de Nervo et qui comptait parmi ses membres MM. Buron, Samson Jordan, Joseph Naud, eut coup sur coup deux inspirations excellences : il nomma M. Pralon délégué général, c'est-à-dire en fait directeur de la Société, et M. Jean Werth, directeur technique des usines.

Pour les débuts de cette collaboration qui devait être si féconde, M. Pralon concevait avec M. Jordan et M. Werth et présentait au Conseil qui l'adoptait, le projet - très audacieux alors - d'une grande aciérie Thomas avec tous les trains de laminage qu'elle comportait. Mise en marche en 1902, elle donnait exactement les résultats attendus. Ensuite, avec l'aide de M. Werth, il la complétait par de nouveaux hauts-fourneaux, des fours Martin, des laminoirs, de nombreux ateliers annexes, obtenant toujours les succès prévus.

En même temps, il faisait exécuter des recherches de minerais de fer en Meurthe-et-Moselle et il dirigeait lui-même des prospections en Normandie où il fut le véritable inventeur du riche bassin carbonate de l'Orne et cette découverte paraît une récompense providentielle si l'on songe que c'est lui qui, auparavant, aux mines de Somorrostro avait résolu le problème longtemps rebelle de la calcination du minerai de fer qu'il avait ainsi rendu assimilable aux fourneaux.

Sous son impulsion, les usines se développaient harmonieusement d'année en année, doublant d'importance à peu près tous les dix ans.

En 1914, leur production d'acier allait atteindre 400.000 tonnes et l'avenir semblait brillamment assuré quand survint la grande tourmente qui déjoua toutes prévisions humaines. Anzin, Denain, la mine d'Azincourt furent envahis. Séparé de ses amis restés dans les lignes allemandes, M. Pralon ne recevait d'eux que de rares, de douloureuses nouvelles. Il apprenait avec angoisse leurs souffrances physiques et morales, les sévices dont ils étaient victimes, l'enlèvement progressif du matériel, la destruction totale des usines et de la houillère. Lorsqu'il put enfin revenir à Denain quelques jours après l'armistice, avec quelle émotion il se jeta dans les bras de M. Werth, retrouvant tous nos malheureux amis épuisés par tant d'épreuves et constatant de ses yeux l'anéantissement de l'oeuvre à laquelle il avait donné sa vie. Tragiques souvenirs que notre bien aimé président ne put jamais évoquer de sang-froid !

Je me rappelle une lettre qu'il m'écrivait à la fin de 1918 me parlant de ces usines qui étaient vraiment les filles de son coeur, avec la tendresse qu'on peut avoir pour un enfant à l'agonie. Certes, il ne désespérait pas de l'avenir de la Société, mais pour lui, il ne comptait plus voir la terre promise.

Sa tristesse ne l'empêcha pourtant pas de se remettre au travail avec la même ardeur qu'en 1896 et avec plus de mérite encore, car les difficultés étaient plus graves. Mais aucun désastre ne pouvait ébranler une âme de si bonne trempe. Par son inlassable énergie, avec l'aide de tous les fidèles et dévoués compagnons de labeur qu'entraînait son exemple, il parvint à ressusciter de leurs décombres des usines plus belles que jadis. Et il eût la joie de parvenir à cette terre promise, dont l'accès fut si pénible, et pour la seconde fois de rétablir une situation dangereusement atteinte et de rendre leurs moyens d'existence aux milliers de travailleurs dont le souci ne l'abandonnait jamais.

Une longue analyse serait nécessaire pour montrer son rôle dans toutes les charges souvent très lourdes et délicates dont l'investit la confiance de ses pairs, notamment au Conseil Supérieur du Travail où pendant trente ans il fut écouté avec un égal respect par les patrons et par les représentants des ouvriers, aux Caisses Syndicales, à l'Union Industrielle de Crédit, au Groupement de la Grosse Métallurgie, au Crédit National, à l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, au Comité des Forges de France, dont il fut pendant la guerre le président effectif, le mettant entièrement au service de la Nation, coordonnant et développant les approvisionnements des usines qui travaillaient pour la défense nationale, leur assurant des moyens de fabrication qui furent un des facteurs essentiels de la victoire.

J'aimerais aussi rappeler les justes éloges qui lui furent décernés de toutes parts, ses promotions dans la Légion d'Honneur jusqu'au grade de Commandeur, beaucoup de témoignages illustres de reconnaissance et d'admiration.

Mais il me semble qu'en évoquant cet éclat qu'il n'a jamais cherché, j'offenserais outretombe la modestie d'un homme qui dans toute sa vie n'a jamais brigué un avantage, ni un poste, ni un honneur et qui jamais n'a eu d'autre ambition que de bien servir.

Parlant surtout au nom du personnel de la Société de Denain, au nom de ceux qui avaient le bonheur de recevoir chaque jour son enseignement, je préfère indiquer les motifs pour lesquels nous l'aimions et l'admirions et définir par ses traits majeurs l'image que conserveront de lui ceux qui l'ont bien connu.

Nous l'aimions parce qu'il était parfaitement juste et bon, bienveillant envers tous ses collaborateurs, toujours accueillant, sensible à toutes les détresses, attentif à les soulager, désintéressé, dépourvu de tout égoïsme, de toute vanité, de tout souci de prestige.

Nous nous inclinions avec joie devant cette autorité prudente qui s'appliquait à convaincre plutôt qu'à ordonner et dont les arrêts étaient toujours le terme bien assuré d'une minutieuse préparation.

Nous voyions en M. Pralon l'un des meilleurs représentants des doctrines d'économie libérale auxquelles il était ardemment attaché, non pas certes pour des motifs personnels inconcevables chez lui, mais parce qu'il avait la certitude qu'elles sont nécessaires au salut de la France. N'était-ce point raison et si notre pays a pu subir sans faiblesse la dure épreuve de la guerre, s'il est ensuite parvenu à guérir ses blessures, si même il a pu sans un dommage irrémédiable supporter les longs désordres récents, ne le doit-il pas pour beaucoup à la persévérante sagesse de ces grands industriels qui l'avaient doté d'un parfait outillage, d'une forte armature financière et surtout d'une ardeur au travail qui était notre plus précieuse réserve?

Nous admirions encore notre chef pour la fermeté et la précision de son intelligence. Tous ses collègues se souviennent de sa maîtrise dans les réunions syndicales, de cette influence qu'il tenait à la fois de la lucidité de son esprit et de son ascendant moral. Les ententes corporatives dont jadis on pressentait l'avantage plutôt qu'on n'en comprenait réellement la nécessité, reposaient souvent sur la confiance qu'il inspirait, sur l'autorité avec laquelle il dominait le débat. Quand les discussions devenaient difficiles, il avait le don de les apaiser en réduisant les divergences par un exposé qui mettait en haut relief les motifs d'accord. Il montrait à l'évidence la bonne route et les écueils; il montrait quelles positions ne pouvaient être défendues et il obtenait des retraites auxquelles sa courtoisie évitait même l'apparence de replis.

Cette clarté qu'il tenait de sa propre sincérité, de la logique de ses réflexions et certainement aussi de la forte discipline des lettres latines et des bons ouvrages du XVIIe siècle qu'il lisait assidûment et dont il pouvait réciter de longs extraits, cette clarté se manifestait dans tous ses actes et jusque dans la propriété de son langage, dans la belle ordonnance de ses paroles et de ses écrits qui étaient l'exacte projection de sa pensée.

En lui, d'ailleurs, tout était harmonie et lumière, la conduite de sa vie, son intelligence, son coeur. Il méritait vraiment les termes que Saint Paul appliquait à ces êtres d'élite qu'il nommait des enfants du jour, des enfants de lumière. Toute la vie temporelle de M. Pralon justifiait tels éloges et toute sa vie spirituelle, car il fut un ferme chrétien qui trouva de puissants secours dans la pratique fervente de sa religion et qui supporta avec un courage surnaturel la longue épreuve de la souffrance. Et nous devons croire que l'éternelle lumière luit à présent pour cette âme qui toujours, ici-bas, a tant aimé la lumière.

Puisse cette conviction adoucir l'immense douleur de la compagne parfaite qui lui donna tant de joie, tant de bonté, tant de tendresse. Nous nous inclinons avec un profond respect devant sa peine et devant celle des quatre frères auxquels il fut toujours uni par l'affection la plus solide, par le plus fidèle dévouement.

Pour nous qui avons eu le bonheur d'être associés à sa vie de chaque jour, nous garderons son souvenir intact. Nous nous efforcerons de maintenir les hautes traditions qu'il a léguées. Dans nos embarras, nous nous demanderons comment il les eût résolus, dans nos doutes comment il les eût levés. Et veillant sur son héritage spirituel, nous croirons toujours vivre dans la communion de ce grand honnête homme qui fut l'un des meilleurs de sa profession et qui fut un admirable serviteur de son pays et de sa foi.

 

Allocution prononcée par M. François de Wendel
Président du Comité des Forges de France
à la séance de la Commission de Direction du 19 Janvier 1939

QUELQUES jours après notre dernière réunion, le mal qui le tenait éloigné de nous depuis plusieurs mois emportait le Président de la Société de Denain et Anzin, notre ami Léopold Pralon, vice-Président du Comité des Forges.

Etant donné le désir qu'il avait exprimé qu'il n'y eut pas de discours à ses obsèques, seul M. de Nanteuil a pu, d'accord avec Mme Pralon, prendre la parole au nom de la Société de Denain et Anzin, à l'issue de la cérémonie de Saint-Charles de Monceau, et rendre à celui qui venait de nous quitter l'hommage qui lui était dû.

Vous penserez certainement avec moi que notre premier devoir est, aujourd'hui, sinon de réparer une omission - il n'y en a pas eu - du moins d'évoquer la mémoire de M. Pralon et d'exprimer, si brièvement que ce soit, ce que ressentent tous ceux qui ont eu la bonne fortune d'être, au Comité des Forges, ses collaborateurs, ses collègues et ses amis.

Peu d'hommes ont, en effet, tenu dans cette Maison la place qu'il a occupée. Entré à la Commission de Direction comme Administrateur délégué de Denain et Anzin en 1904, au moment où M. le Baron de Nervo venait de prendre la présidence du Comité des Forges, il s'y montra immédiatement le collègue le plus assidu, le plus travailleur, le plus dévoué à la chose commune, et il devint rapidement celui qu'on mettait à contribution à tout propos, je dirais presque hors de propos.

M. Robert Pinot, qu'il avait quelque peu découvert, puis aidé puissamment à faire de la rue de Madrid ce qu'elle est devenue, pourrait le dire mieux que nous s'il était encore là.

Survint la guerre. La mort, en 1915, du Président Guillain, qui faisait retomber sur le seul des vice-Présidents du Comité des Forges habitant constamment Paris toutes les charges de la présidence, ne devait qu'accentuer cet état de choses que je caractérisais d'un mot, le jour où nous fêtions à l'Hôtel Grillon sa Croix de Commandeur, en disant qu'il avait été le Président de la guerre avec tout ce que cela pouvait comporter, pour le représentant de Denain détruit, d'abnégation et de désintéressement. Mais l'ardent patriotisme de M. Pralon, sa confiance dans les destinées de la France, soutenaient son énergie. Installé au Comité des Forges qui était pour lui, étant donné son âge, le poste de combat, M. Pralon faisait la guerre : toute sa passion, tout son coeur étaient au service des usines de défense nationale et du Pays.

Depuis, sa bonté, son souci de l'intérêt général, faisaient encore de lui celui auquel on fait constamment appel, si bien que, lorsqu'après avoir reconstitué les usines de Denain, il céda à M. de Nanteuil la lourde charge de la direction de la Société de Denain et Anzin, nous fûmes unanimes à lui demander de rester des nôtres et de conserver son siège de vice-Président du Comité des Forges. Seule, la maladie a pu lui faire abandonner une tâche où il apportait, en sus de ses larges connaissances et de son expérience, ce que M. de Nanteuil a si bien appelé, l'autre jour, son ascendant moral. M. Léopold Pralon n'était pas seulement un brillant ingénieur, un grand industriel, c'était un homme de bien. Dans un milieu où les hommes de valeur ne manquent pas, ses qualités de coeur, son extrême droiture, faisaient de lui l'un des meilleurs parmi les meilleurs.

C'est dire combien nous lui étions - et vous me permettrez d'ajouter avec émotion combien je lui étais - personnellement attachés; c'est dire aussi la peine que nous éprouvons tous devant sa place vide : une peine profonde dont nous transmettrons, si vous le voulez bien, la très douloureuse expression à Mme Léopold Pralon, ainsi qu'aux quatre frères de notre vice-Président.

 

Allocution prononcée par le baron Léon de Nervo
Vice-Président de la Société de Denain et d'Anzin
à la séance du Conseil d'Administration du 25 Janvier 1939

CE n'est pas sans une profonde émotion que nous nous retrouvons aujourd'hui réunis autour de cette table, où depuis si longtemps M. Pralon présidait à nos réunions.

Je n'ai pas à rappeler ici la carrière de notre éminent Président. Notre collègue et ami de Nanteuil l'a fait d'une façon magistrale dans la courte allocution qu'il a prononcée à Saint-Charles de Monceau au nom du Personnel de la Société. Vous n'ignorez pas, en effet, que M. Pralon, fidèle aux sentiments de modestie qu'il avait toujours manifestés, avait demandé qu'aucun discours officiel ne fût prononcé au nom des Sociétés ou Groupements auxquels il appartenait.

Je ne rappellerai pas non plus les immenses services rendus par lui à la Société de Denain ; notre vénéré Président, M. Joseph Naud, vous les a bien souvent exposés, soit à l'occasion de ses trente ou de ses cinquante années de services, soit lorsqu'il fut promu Officier ou Commandeur de la Légion d'Honneur.

Remontant plus loin dans mes souvenirs, je me rappelle toute l'affection et la reconnaissance que mon père avait envers M. Pralon, qui fut pendant vingt-cinq ans son parfait collaborateur de tous les instants et son fidèle ami.

Je résumerai simplement en quelques mots la carrière de celui que nous pleurons : il s'est, pendant cinquante-six ans, identifié avec la Société de Denain, il s'est consacré à elle entièrement et totalement, il lui a donné son coeur, son intelligence, ses forces. Il a refusé toute fonction en dehors de celles touchant directement à notre affaire. Nous perdons en lui un chef vénéré, aimé et respecté par tous ceux qui ont travaillé avec lui ou sous ses ordres et la reconnaissance que lui devons est sans limite.

Certain d'avance de votre approbation, je vous demande de décider aujourd'hui que l'Aciérie Martin, dont l'agrandissement attendu et désiré par M. Pralon depuis plus de quarante ans, avait été toujours ajourné jusqu'à l'achat de la Verrerie voisine, aujourd'hui réalisé, je vous propose, dis-je, de la baptiser "Aciérie Pralon", de même qu'en 1900, à la mort de M. Jordan, mon père vous proposait d'attribuer le nom d'Aciérie Jordan à la nouvelle aciérie Thomas édifiée suivant les directives de notre vénéré collègue. Le nom de M. Pralon restera ainsi attaché définitivement à nos usines.

Nous avions par avance, il y a quelques années, et sans vous en aviser, afin de ne pas blesser sa modestie, attaché son nom à nos exploitations minières en baptisant du nom de « Puits Léopold Pralon » le puits foncé récemment à la Ferrière-aux-Etangs, voulant ainsi, comme le rappelait M. de Nanteuil, souligner que notre Président était bien réellement l'inventeur de ces gisements de l'ouest de la France.

Je sais également être votre interprète en consignant dans le procès-verbal et en les transmettant à sa famille, les regrets unanimes et la sympathie émue que vous tenez à exprimer d'abord à la compagne admirable qui a entouré ses dernières années des soins les plus dévoués et qui, certainement, a prolongé son existence et nous a permis de profiter plus longtemps de son expérience et de ses conseils, et également à ses quatre frères, si unis autour de lui, et auprès desquels il avait remplacé des parents trop tôt disparus.

Le souvenir de cette noble existence, de cette vie de travail et de devoir sera pour nous tous un réconfort et, en toutes circonstances, nous nous efforcerons de suivre le bel exemple qu'il nous a tracé.

HOMMAGES DE LA PRESSE

Le Temps

A la fin de l'année dernière, la mort de Léopold Pralon a enlevé à l'industrie française un de ses chefs les plus dignes. La France a perdu en lui une figure du plus rare rayonnement moral.

On a rappelé ailleurs la carrière si droite qui avait, à travers tous les degrés de la hiérarchie industrielle, conduit cet ingénieur, sorti de Polytechnique en 1877, jusqu'à la présidence de la Société des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de Denain et d'Anzin, dont sa persévérance et sa prudence avaient fait l'un des plus grands établissements métallurgiques de France. Longue vie pleine de labeur et de réussites. Celles-ci n'avaient pourtant pas entamé la modestie de Léopold Pralon qui n'a jamais voulu pour lui que la peine.

Ce chef d'industrie avait le sens le plus aigu de l'intérêt général et de la cause nationale, avec lesquels il n'a jamais mis en balance son intérêt personnel. Il avait ainsi acquis dans sa profession une autorité morale devant laquelle tous ses pairs s'inclinaient. Deux faits suffiraient à montrer combien étaient vifs son souci du bien public et sa volonté de contribuer au progrès social : au début de sa carrière, sa participation active aux organismes créés dans l'industrie métallurgique, bien avant l'intervention du législateur, pour la réparation des accidents du travail ou pour la constitution de retraites; et, jusqu'à une époque encore toute récente, son action conciliante au Conseil Supérieur du Travail, dont il était Vice-Président, et où il jouissait de l'affectueux respect de tous ses collègues.

Pendant la guerre de 1914, Léopold Pralon fut séparé de ses usines qui étaient en territoire occupé. Négligeant son angoisse personnelle, il ne songea qu'à se rendre utile, dans un complet désintéressement. Dès 1915, il assura la présidence effective du Comité des Forges, donnant tous ses efforts à l'accélération de nos fabrications d'armement et à l'étude des problèmes qu'allaient poser, après la guerre, la remise en marche des établissements et le relèvement des régions dévastées.

En 1918, Léopold Pralon retrouve enfin les usines dont son activité avait doté la France avant la guerre. Il ne voit que des ruines : tout l'outillage et une grande partie des charpentes ont été systématiquement réduits en mitraille, un incendie a parachevé l'oeuvre de l'envahisseur. Bien qu'il soit âgé de soixante-trois ans, il se consacre alors à la reconstruction de ses usines, avec autant de courage qu'il avait travaillé naguère à leur développement. En même temps, il se dévoue à la tête d'associations pour la reconstitution des régions libérées.

Léopold Pralon aurait pu considérer ensuite que sa tâche était accomplie. Mais il conservait, aussi vive que jamais, la préoccupation des questions économiques ou sociales intéressant sa profession. Il continua de participer à de nombreux conseils, où les regards de tous se portaient vers lui dans les moments difficiles, quand son autorité bienveillante et souriante pouvait seule obtenir l'accord nécessaire, qu'il s'agît du tarif douanier, d'ententes industrielles ou de réformes sociales.

A ceux qui ne connaissaient pas personnellement Léopold Pralon, le secret de cette existence exemplaire a été révélé par son collaborateur le plus intime, M. de Nanteuil, dans les paroles d'adieu qu'il lui adressait le 26 décembre.

Cet ingénieur, qui avait été officier de troupe dans l'industrie avant d'y diriger des états-majors, ne ressemblait en rien à un « technicien » spécialisé. Ses succès professionnels sont un témoignage en faveur de la culture classique. Léopold Pralon avait reçu la forte discipline des lettres latines. Il relisait assidûment les bons ouvrages du dix-septième siècle. Et c'était là le secret de ses qualités d'esprit, de sa clarté, de sa précision.

Mais Léopold Pralon était tout le contraire d'un pur esprit. L'affection dont l'entouraient ses collaborateurs s'expliquait parce qu'il était parfaitement juste et bon, toujours accueillant, sensible à toutes les détresses, attentif à les soulager. « Il méritait vraiment, a dit M. de Nanteuil, les termes que Saint Paul appliquait à ces êtres d'élite qu'il nommait des enfants du jour, des enfants de lumière. Toute la vie temporelle de M. Pralon justifiait de tels éloges, et toute sa vie spirituelle, car il fut un ferme chrétien qui trouva de puissants secours dans la pratique fervente de sa religion et qui supporta avec un courage surnaturel la longue épreuve de la souffrance ». C'était là, sans doute, le secret des qualités de coeur, des vertus morales et civiques dont ce grand patron donna l'exemple.

 

Témoignage de M. PICQUENARD, directeur général honoraire au ministère du travail, sur le Vice-Président du Conseil Supérieur du Travail
Publié dans la Revue de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières

D'AUTRES plus qualifiés que moi ont retracé ou retraceront le rôle qu'a joué M. Pralon dans les domaines multiples où se dépensait sa prodigieuse activité. Je voudrais simplement dire en quelques mots son action au Conseil Supérieur du Travail auquel il appartint pendant plus de trente ans. J'en ai été le témoin, ayant suivi moi-même, pendant toute cette période, les travaux de ce Conseil, soit comme collaborateur de mon prédécesseur M. Arthur Fontaine, soit comme Directeur du Travail. A ce titre, j'avais l'honneur de siéger à côté de M. Pralon quand il présidait le Conseil ou sa Commission permanente, et j'entretenais avec lui des rapports fréquents et confiants qu'attesté aine correspondance que je conserve précieusement. C'est une agréable mission pour moi que de rendre hommage à son éminente personnalité et à la place considérable qu'il a tenue au Conseil Supérieur du Travail de 1907 à 1936.

Je rappellerai d'abord brièvement ce que représente cette institution. Elle est essentiellement composée de représentants des employeurs et de représentants des employés, les premiers élus par les Chambres de Commerce, les seconds par les Syndicats ouvriers, auxquels s'ajoutent des patrons et des ouvriers élus par les Conseils de Prud'hommes. Elle est chargée d'étudier les questions concernant les conditions du travail, la condition des travailleurs, les rapports entre patrons et ouvriers.

Les caractères de l'institution sont admirablement dégagés dans un rapport présenté par M. Pralon lui-même à la session de novembre 1924 au nom de la Commission permanente. Il n'y a pas, entre les deux éléments du Conseil, une opposition fondamentale : « il n'y a pas, d'un côté le capital et de l'autre le travail... Il y a d'un côté le travail d'exécution, de l'autre le travail de direction... Les membres patronaux sont, en effet, choisis non comme capitalistes ou comme représentants du capital, mais parmi les personnes exerçant réellement des fonctions de direction... Ce sont, le plus souvent, des chefs d'industrie qui ne sont pas capitalistes eux-mêmes. » Le Conseil ne constitue pas non plus un Parlement du travail; il n'émet que des avis et des voeux sur les questions qui lui sont soumises. Son rôle « consiste à faire connaître au Gouvernement et aux assemblées parlementaires, par les délibérations d'hommes choisis dans les milieux d'employeurs et d'employés prenant personnellement et pratiquement part aux travaux de direction et d'exécution que comportent les diverses branches de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, comment sont envisagés, dans ces milieux de praticiens, les problèmes concernant les rapports entre employeurs et employés... Les membres du Conseil jouent donc en quelque sorte à l'égard des pouvoirs publics le rôle d'agents techniques ».

Le caractère purement consultatif de l'institution ne doit pas faire sous-estimer l'importance de ses travaux. Combien de textes législatifs et réglementaires édictés depuis quarante ans ont pour base des délibérations du Conseil et souvent dans le texte même où celui-ci les avait arrêtés : apprentissage, contrat de travail, repos hebdomadaire, réglementation du travail dans le commerce, hygiène et sécurité, congés payés, protection des salaires et des cautionnements, travail à domicile, etc...

Il est rare que le Parlement ne sanctionne pas, souvent sans débat, des textes sur lesquels s'est fait l'accord d'une majorité réunissant des patrons et des ouvriers au Conseil. Cet accord constitue la plus sûre garantie et, en fait, les textes qui sont ainsi passés dans la législation sont de ceux dont l'application a soulevé le moins de difficultés et sur lesquels on n'a pas été obligé de revenir.

Mais ceci ne s'applique qu'aux termes sur lesquels un tel accord a été réalisé. Aussi, celui-ci doit-il être recherché avant tout et c'est un esprit de conciliation qui doit dominer les délibérations du Conseil. Pour que le Conseil remplisse pleinement sa mission, il faut que des deux côtés on fasse effort de compréhension mutuelle et de bonne volonté.

Telle était l'institution dans laquelle entrait M. Pralon en 1907 et dans laquelle il n'allait pas tarder à prendre une place de plus en plus prépondérante.

A cette époque, il était déjà Administrateur-Délégué de la Société Anonyme des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de Denain et d'Anzin. Il y avait débuté, vingt-cinq ans auparavant, dans les emplois les plus modestes et s'était élevé graduellement aux fonctions de directeur. Il avait acquis une grande expérience des questions techniques et industrielles et aussi des questions ouvrières. Il avait toujours gardé un contact permanent avec les ouvriers de ses usines et s'occupait activement de leur bien-être, qu'il s'agisse de l'hygiène, de la sécurité, des assurances sociales ou des habitations ouvrières. L'année précédente, en 1906, lors des grandes grèves du Nord, M. Clemenceau, qui s'était rendu sur place pour procéder à une enquête personnelle, lui avait déclaré : « Je dois reconnaître que je n'ai entendu dire dans le Nord que du bien de votre Société et de vous-même. » M. Pralon fut très surpris de l'âpreté des discussions auxquelles il assista dans cette première session. « Je vous avoue, déclara-t-il, que cette division profonde entre patrons et ouvriers je ne la vois pas dans le milieu où je vis, qui est celui de la métallurgie : nous vivons en très bons termes avec nos ouvriers. » Il ne croit pas qu'il existe une opposition nécessaire entre employeurs et employés. « Nous ne demandons qu'à vivre en bons camarades avec nos ouvriers : ce serait notre intérêt, si ce n'était notre sentiment. L'intérêt des patrons n'est pas opposé à celui des ouvriers autant qu'on veut bien le dire. »

Si, bon patron lui-même, il s'élève et continue à s'élever avec vivacité contre les orateurs qui se livrent à des attaques contre le patronat en général, il ne fait pas opposition de parti-pris aux mesures proposées pour améliorer le sort des travailleurs. Au contraire, il reconnaît volontiers qu'il y a beaucoup à faire, mais c'est sur la possibilité des mesures envisagées dans les circonstances du moment, c'est surtout sur les méthodes à employer pour les réaliser qu'il se sépare de ceux qui s'en remettent avant tout à l'intervention législative.

Là-dessus, il a une doctrine très ferme qu'il a exposée à maintes reprises. C'est un libéral. Il ne croit pas que l'obligation et la contrainte soient la bonne méthode pour procurer aux ouvriers le plus de bien-être et de sécurité possible. Il a « confiance, quand les choses sont possibles, dans la bonne volonté et le bon exemple pour attendre les résultats sans obligation » (session de 1922). « Tout ce que l'on fait par contrainte est vicié par cette contrainte même; il vaut donc mieux faire appel à la confiance et aux bons sentiments des uns et des autres que d'imposer l'obligation (session de 1924). » Il reproche à la contrainte légale de manquer de souplesse, « le seul fait de rendre toutes choses obligatoires, dit-il, de substituer à nos organisations variées qui s'adaptent aux circonstances étudiées par chacun de nous en vue des besoins spéciaux d'une région ou d'une catégorie d'ouvriers, un système obligatoire unique, universel, empêchera toutes ces institutions de fonctionner » (session de 1908). Il voit un grave danger moral à faire intervenir partout la loi : « on s'imagine qu'on pourra organiser la société de telle façon que mathématiquement, automatiquement, les gens soient à l'abri de toutes les circonstances contre lesquelles l'existence est une lutte perpétuelle, n'ayant de valeur que pour cette lutte qui exige des qualités d'esprit et de coeur sans lesquelles la vie humaine n'a véritablement plus de prix » (session de 1922).

C'est donc surtout pour des raisons d'ordre pratique et non théorique que M. Pralon se méfie de l'obligation légale. Mais il ne la repousse pas a priori, lorsqu'il lui paraît démontré que dans certains cas, elle peut être nécessaire. C'est ainsi que la situation des ouvrières à domicile ou, du moins, d'une grande part d'entre elles lui cause un chagrin profond et il propose lui-même d'émettre le voeu « qu'elles ne puissent recevoir une rémunération en désaccord manifeste et choquant avec les conditions habituelles de la région et de la profession ». Mais ce texte lui paraît le maximum qui puisse être adopté, celui qui permettrait « de réprimer les abus individuels » tout en offrant le moins d'inconvénients. La prudence lui paraît, en effet, nécessaire en matière de restrictions légales. « Si les représentants du patronat, dit-il, se sont montrés moins pressés, plus timides à accepter ce que du côté des employés et des ouvriers on considère comme des progrès dont la réalisation est urgente, c'est qu'instruits par des expériences parfois très dures, ayant la responsabilité de la vie d'organisations dont dépendent les moyens d'existence de leurs employés et ouvriers, ils se rappellent le proverbe d'après lequel le mieux est l'ennemi du bien et ne peuvent négliger les considérations d'opportunité » (session de 1933).

M. Pralon n'était donc rien moins qu'intransigeant. Il apportait à sa collaboration au Conseil Supérieur du Travail l'esprit de conciliation qui seul peut vivifier ses travaux. A chaque occasion il fait ressortir les points sur lesquels l'accord existe entre les deux éléments, patrons et ouvriers, et il est heureux quand, grâce à la bonne volonté des uns et des autres, la Commission permanente et le Conseil peuvent aboutir à des projets acceptables.

Il n'est pas de membre du Conseil dont la participation ait été plus active. Dès la première session à laquelle il assiste, il s'affirme dans une intervention très remarquée et il ne se passera guère de session où il ne soit amené à définir sa position ou celle du groupe patronal, dont il ne tardera pas à devenir un des chefs, puis le chef. Dès 1910, il est élu membre patronal de la Commission permanente; en 1923, il est élu par acclamation un des deux Vice-Présidents du Conseil et par conséquent un des deux Présidents de la Commission permanente et il conservera ces fonctions jusqu'en 1937, date à laquelle son état de santé l'oblige à abandonner le Conseil. Pendant ces trente années, il suit assidûment les sessions annuelles et il manque rarement aux nombreuses réunions de la Commission permanente qui siège souvent plus de deux fois par mois. Son activité ne se limite pas à prendre part aux discussions; il assume souvent la charge de rapports que lui confie soit le groupe patronal de la commission permanente, soit l'ensemble de cette commission. Quand il sera devenu Président, il lui arrivera parfois de quitter momentanément son fauteuil pour intervenir dans le débat et il acceptera même de rapporter devant le Conseil les conclusions de la commission permanente lorsqu'elles auront été prises à l'unanimité.

Ses rapports, comme ses interventions orales, qui ne le cèdent en rien à ceux-ci pour la précision, la netteté de la pensée, la sobre élégance de la forme, sont toujours présentés sous une forme vivante et qui frappe. Il avait horreur de la confusion, aimait à « examiner les questions une à une et en détail ». Il n'est pas d'affirmation, même doctrinale, qu'il n'appuie de statistiques, de faits ou d'observations concrètes tirées de sa riche expérience industrielle. Je le voyais arriver en séance avec un dossier bien classé: il avait lu attentivement la documentation que l'administration avait préparée et qu'il avait enrichie d'études et de statistiques propres. Au cours même des sessions, il faisait compléter son dossier en vue de répondre à telle ou telle objection. Il était consciencieux jusqu'au scrupule ; il n'avançait rien qu'il ne sût de science certaine ou qu'il n'eût dûment vérifié : « J'ai l'habitude, peut-être étrange, disait-il, dès la session de 1907, de ne parler que des choses que j'ai constatées moi-même ». Il confessait volontiers son incompétence en ce qui concerne les professions autres que la sienne et soulignait le danger auquel on s'expose en voulant émettre des jugements d'ordre général d'après ce que l'on peut savoir d'un métier. Il écoutait attentivement les autres orateurs et n'hésitait pas à avouer que devant les objections faites, il lui semblait nécessaire de reviser son premier sentiment.

Ses interventions étaient écoutées attentivement et ses contradicteurs eux-mêmes reconnaissaient la solidité de ses observations et avouaient qu'elles les avaient « sérieusement impressionnés ». Ils y attachaient une telle importance que lorsqu'une discussion allait s'engager en son absence sur une question sur laquelle il était particulièrement compétent, ils en demandaient eux-mêmes le renvoi afin qu'il pût y prendre part.

Profondément attaché à ses convictions qu'il n'avait adoptées qu'après mûre réflexion et un examen attentif du pour et du contre, il les défendait avec une ardeur et une passion qui le poussaient, surtout dans les premières années, à interrompre les autres orateurs. C'était son tempérament qui l'emportait. Mais il avait le respect des personnes comme des idées et sa courtoisie était grande et il entretenait avec tous ses collègues des relations cordiales. Que de fois, à l'issue de séances où les thèses adverses s'étaient affrontées avec vivacité, l'ai-je vu s'attarder à converser librement avec ceux avec lesquels il venait de rompre quelques lances. Les ouvriers, dont il heurtait souvent les opinions, ne l'en estimaient pas moins; ils se rendaient compte, à le mieux connaître, qu'il n'était pas un adversaire de la classe ouvrière, qu'il était le plus souvent d'accord pour reconnaître le bien-fondé des améliorations qu'ils réclamaient et qu'il ne différait d'avis que sur les méthodes à employer ou sur l'efficacité ou l'opportunité des mesures envisagées. Aussi, à l'autorité qui s'attachait à sa grande compétence et à sa haute conscience, s'ajoutait chez tous les membres du Conseil, qu'ils représentent les employeurs ou les employés, un sentiment de respectueuse affection pour sa personne.

Tel était le Président Pralon au Conseil Supérieur du Travail et tel est le rôle considérable qu'il y a joué pendant trente années. J'ai essayé de faire revivre sa grande figure d'après mes souvenirs personnels, les confidences de ses collègues patrons et ouvriers et les procès-verbaux des séances. Je ne sais si j'y ai réussi, mais je suis sûr d'être le fidèle interprète de tous ceux, employeurs, employés, fonctionnaires qui l'y ont connu, en affirmant qu'il a laissé dans leur esprit le souvenir d'un grand patron qui s'efforçait de bonne foi, avec toute son autorité et tout son coeur, de promouvoir l'amélioration du sort des travailleurs dans la paix sociale et le développement de la production nationale.

PICQUENARD, Directeur général honoraire au Ministère du Travail.

 

Chronique, par Léon GUILLET et Albert PORTEVIN
Publié dans La Revue de Métallurgie

APRES une longue et douloureuse maladie, s'est éteint, à l'âge de 83 ans, M. Léopold Pralon, Président du Conseil d'administration de la Revue de Métallurgie depuis 1920, date de la réorganisation de cette publication. Avec lui disparaît une des plus nobles figures de l'état-major métallurgique français, après une longue carrière toute de travail, de droiture et de conscience d'une admirable unité.

Sa formation d'ingénieur et d'administrateur fut remarquablement complète grâce au passage successif par l'Ecole Polytechnique, l'Ecole Nationale Supérieure des Mines et les Etudes financières du Crédit Lyonnais et, dès 1882, il entrait à la Société de Denain et d'Anzin; c'est là qu'il devait poursuivre toute sa carrière.

Il fut, en effet, à la fois un technicien, un chef d'industrie et un homme de bien.

Technicien, il le fut, comme mineur, d'abord à Somorrostro, où il mit au point la calcination des minerais carbonates que d'autres jetaient aux déblais et, plus tard, dais le bassin normand dont les minerais furent prospectés sur son initiative. Notons à ce sujet que, dans la concession de la Ferrière-aux-Etangs, son nom a été donné à un nouveau puits qui vient d'être mis en marche. Entre temps, comme métallurgiste, il réorganisait complètement, sur de nouvelles conceptions, les aciéries de Denain, de concert avec leur directeur technique, Jean Werth, collaborateur d'Osmond.

Chef d'industrie, il imprima à la Société de Denain et Anzin, par sa conduite avisée, éclairée, prudente et sage, une progression qui devait rapidement la porter au premier rang des affaires métallurgiques françaises. Successivement délégué du Conseil d'administration en 1896, Administrateur-délégué en 1901 et Président en 1936, il avait bien mérité cette médaille d'honneur du travail qui lui était remise après 50 années de service dans la même société; ces années furent traversées par la douloureuse épreuve de la guerre qui devait lui rendre, complètement détruites, les usines à l'édification desquelles il s'était consacré tout entier. Non moins courageusement, il se remit à l'oeuvre de leur reconstruction et il restitua cette source de travail pour l'ouvrier et de production pour son pays.

Homme de bien, il eut le souci constant d'améliorer le sort des travailleurs et de faire régner la concorde autour de lui. Aussi, il fut appelé à présider de nombreux organismes industriels syndicaux et officiels: l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, le Comité des Forges, etc... Il y apporta pour le plus grand bien des travaux, discussions et délibérations, ses qualités de bon sens, de clarté, de haute culture, d'aménité et de conciliation qui imposaient à tous l'attention et le respect. C'est à juste titre, qu'en 1930, en raison des éminents services rendus à l'industrie et à son pays, il fut promu Commandeur de la Légion d'honneur.

Il joua enfin un rôle que l'on ne saurait trop souligner, au Conseil Supérieur du Travail dont il était le Vice-Président et auquel il appartint durant trente années. Dans la session de novembre 1924 de ce grand organisme, M. Pralon définissait fort bien son rôle consistant surtout dans l'étude des conditions du travail et des rapports entre patrons et ouvriers : « Il n'y a pas, disait-il, il n'y a pas d'un côté le capital et de l'autre le travail. Il y a d'un côté le travail d'exécution, de l'autre le travail de direction. » Son rôle au Conseil Supérieur du Travail fut tout de justice et de conciliation; en 1923, il est nommé par acclamation l'un des deux Vice-Présidents du Conseil et il demeura dans ses fonctions jusqu'en 1937, alors que son état de santé l'obligea à quitter ce poste. Les membres patrons du Conseil ont tenu à le remercier de son dévouement et lui offrirent une plaquette reproduisant certaines scènes de la vie de sainte Geneviève, patronne de la capitale qui vit naître M. Pralon.

La Revue de Métallurgie, qui eut le bonheur de le posséder pendant 19 ans comme Président de son Conseil d'administration, bénéficia, elle aussi, de ses qualités auxquelles s'adjoignaient une longue et précieuse expérience de l'industrie et une valeur technique qui ne se trouve pas nécessairement associée aux fonctions d'administrateur; il conservait d'ailleurs une prédilection particulière pour les problèmes et les discussions techniques auxquels il apportait ses opinions sages et éclairées.

Mais ces qualités, si précieuses soient-elles, s'effaçaient encore devant celles plus intimes du coeur et de l'esprit et à cet égard nous ne saurions mieux faire que de reproduire les paroles prononcées à ses obsèques par son collaborateur et ami M. de Nanteuil, Administrateur-Délégué des Aciéries de Denain et Anzin.

« La plupart des hommes sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance. La vie exceptionnelle de M. Pralon montre quels fruits peuvent produire de continuels et durables efforts lorsqu'ils sont vivifiés par des vertus insignes et par les plus beaux dons de l'esprit....

« Nous l'aimions parce qu'il était parfaitement juste et bon, bienveillant envers tous ses collaborateurs, toujours accueillant, sensible à toutes les détresses, attentif à les soulager, désintéressé, dépourvu de tout égoïsme, de toute vanité, de tout souci de prestige.

« Nous nous inclinions avec joie devant son autorité prudente qui s'appliquait à convaincre plutôt qu'à ordonner et dont les arrêts étaient toujours le terme bien assuré d'une minutieuse préparation. Cette clarté qu'il tenait de sa propre sincérité, de la logique de ses réflexions et certainement aussi de la forte discipline des lettres latines et des bons ouvrages du XVIIe siècle qu'il lisait assidûment et dont il pouvait réciter de longs extraits, cette clarté se manifestait dans tous ses actes et jusque dans la propriété de son langage, dans la belle ordonnance de ses paroles et de ses écrits qui étaient l'exacte projection de sa pensée...

« Pour nous qui avons eu le bonheur d'être associé à sa vie de chaque jour, nous garderons son souvenir intact. Nous nous efforcerons de maintenir les hautes traditions qu'ils nous a léguées. Dans nos embarras, nous nous demanderons comment il les eût résolus, dans nos doutes, comment il les eût levés. Et, veillant sur son héritage spirituel, nous croirons toujours vivre dans la communion de ce grand honnête homme qui fut l'un des meilleurs de sa profession et qui fut un admirable serviteur de son pays et de sa foi. »

La Revue de Métallurgie, dont tous les collaborateurs professaient pour M. Pralon une très respectueuse amitié, gardera pieusement le souvenir de son Président.

LÉON GUILLET,
Membre de l'Institut,
Directeur de l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures.

ALBERT PORTEVIN,
Professeur à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures.

 

Biographie de Léopold PRALON
par Pierre WALINE
Publié dans La Journée Industrielle

«... La plupart des hommes sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance. La vie exceptionnelle de M. Pralon montre quels fruits peuvent produire de continuels et durables efforts lorsqu'ils sont vivifiés par des vertus insignes et par les plus beaux dons de l'esprit. »

En adressant ce dernier hommage à M. Léopold Pralon, M. de Nanteuil a su trouver la formule la plus exacte pour caractériser l'homme infiniment respectable et respecté que nous venons de perdre.

Une vie toute droite...

Si j'essaie de prendre une vue d'ensemble de la longue carrière du Président de Denain-Anzin, c'est bien une ligne droite que j'ai sous les yeux. Ligne droite, dans tous les sens du mot.

D'abord, point de détours dans cette progressive et sûre montée vers les plus hautes fonctions industrielles. D'autres sont venus à l'industrie par la Bourse, voire la politique.

M. Pralon a suivi le chemin le plus direct, qui n'est pas toujours le plus court, mais qui reste, après tout, le plus sûr. A sa sortie de Polytechnique et des Mines, après un stage au bureau financier du Crédit Lyonnais et une mission en Espagne, le voici, en 1882, à 27 ans, ingénieur aux Forges et Aciéries de Denain et d'Anzin. Cinquante-quatre ans plus tard, en 1936, il présidera aux destinées de cette grande société, après avoir gravi tranquillement tous les échelons de la hiérarchie.

Aux polémistes qui nous montrent les grandes sociétés industrielles gérées par des hommes de loi, de bureau ou d'argent, séparés de leurs ouvriers par la distance matérielle et l'éloignement moral, la vie de M. Pralon offre le plus calme démenti. Pour lui, Denain-Anzin, ce n'était pas « un conseil » entre d'autres, mais une seconde famille.

« Je me rappelle, nous dit M. de Nanteuil, une lettre qu'il m'écrivait à la fin de 1918, me parlant de ces usines qui étaient vraiment des filles de son coeur, avec la tendresse qu'on peut avoir pour un enfant à l'agonie ». M. de Nanteuil ajoute : « Il eut la joie de rendre leurs moyens d'existence aux milliers de travailleurs dont le souci ne l'abandonnait jamais. » Pour M. Pralon, en effet, les usines ne cachaient pas les hommes.

L'ingénieur.

Ne commettons point, cependant, d'erreur sur sa personne. Il fut d'abord technicien - et technicien créateur. S'il s'est retourné, à la fin d'une longue existence de travail, pour embrasser le chemin parcouru, il a vu celui-ci jalonné de ses oeuvres.

Ces forges et aciéries produisant 400.000 tonnes d'acier par an, il les a prises en main alors qu'elles sortaient à peine 100.000 tonnes. Cette aciérie Thomas, avec ses trains de laminage, c'est lui qui l'a construite, non sans audace, avec son ami Jean Werth, et qui l'a mise en route dès 1902. Ces mines de fer de Lorraine ou de Normandie, à qui doivent-elles le jour, sinon au jeune ingénieur qui s'était déjà révélé aux mines de Somorrostro, et qui dirigea lui-même certaines prospections? Et que fussent devenues les usines de Denain dépouillées et détruites par l'envahisseur, s'il n'avait consacré toute son énergie, après la guerre, à les ressusciter de leurs décombres, plus belles que jadis ? Sans doute, les aimait-il d'autant plus que, deux fois, il les avait créées.

Le patron.

M. Pralon appartenait à cette génération de grands industriels qui ont, avant 1914, doté notre pays de l'armature technique, financière et ouvrière grâce à laquelle fut possible, hors des régions envahies, l'improvisation des fabrications de la défense nationale. Ces hommes furent souvent aussi de bons patrons, plus généreux, plus audacieux que le législateur.

Ce n'est point par hasard que le nom de M. Pralon se trouve associé aux initiatives sociales de la métallurgie d'avant guerre, qu'il s'agisse des secours pour accidents du travail ou des retraites pour la vieillesse. Et la Société de Denain et Anzin figure naturellement en bonne place dans le tableau des oeuvres sociales des industries des métaux que Robert Pinot dressait en 1924 : sociétés de secours mutuels, service médical et pharmaceutique, infirmerie, hôpital, ouvroirs, écoles, orphelinat, garderies d'enfants, maisons ouvrières, allocations familiales, coopérative de consommation, secours aux veuves et orphelins d'anciens ouvriers, secours funéraires, aucun poste du budget social ne manque dans le bilan de Denain-Anzin.

L'un des meilleurs de sa profession.

L'exemple de M. Pralon ne prouve pas seulement que la gestion avisée d'une entreprise s'accommode de l'esprit social. Il montre aussi que les hommes les plus imbus de la tradition (dans le bon sens du mot) sont souvent les plus aptes à comprendre les nouveautés de leur époque et à s'y adapter.

Dans le cimetière de Boulogne-sur-Seine, les fleurs qui tiennent aujourd'hui compagnie à M. Pralon rappellent au passant que ce chef d'industrie sut, tout au long de sa vie, donner une grande part de son temps aux groupements patronaux et aux institutions sociales qu'un Robert Pinot développait avec tant d'intuition, d'énergie et de diplomatie. Au Comité des Forges de France, à l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, dans les Caisses Syndicales d'accidents ou de retraites, et dans bien d'autres comités, il fut longtemps au premier rang parce que les qualités de son caractère l'y portaient en même temps que celles de son esprit. Jusqu'au dernier jour, ses affectueux conseils y furent écoutés avec une singulière attention.

M. de Nanteuil peut rappeler, en outre, le rôle que M. Pralon a joué dans la création des ententes corporatives, dès avant la guerre: « Elles reposaient souvent sur la confiance qu'il inspirait, sur l'autorité avec laquelle il dominait le débat... Et il obtenait des retraites auxquelles sa courtoisie évitait même l'apparence de replis. »

C'est une fierté pour la métallurgie française d'avoir pu déléguer au Conseil Supérieur du Travail, pendant trente ans, un représentant si éminent que ses collègues firent de lui, en 1923, leur Vice-Président, un vice-président patronal unanimement respecté. Quand M. Quantin, son digne successeur, remit au Président Pralon, il y a un an, la « médaille du travail » que ses collègues lui offraient, il put rappeler le rôle joué par lui dans la mise au point de tant de lois sociales et ouvrières et, par exemple, pour le développement des allocations familiales.

Des vertus insignes.

Le secret de ces réussites, il faut le chercher à la fois dans les qualités d'esprit et de coeur de ce grand « honnête homme », tel que l'entendaient nos ancêtres.

Son intelligence précise et lucide avait reçu « la forte discipline des lettres latines et des bons ouvrages du dix-septième siècle qu'il lisait assidûment et dont il pouvait réciter de longs extraits ». Il se faisait entendre de tous parce que ses paroles et ses écrits étaient « l'exacte projection de sa pensée ».

Mais on l'écoutait d'autant mieux qu'on l'aimait et qu'on avait confiance en lui. Comment ne pas aimer un homme aussi juste et bon, bienveillant envers tous, et toujours accueillant ? Comment ne se fût-on pas confié à lui qui, « dans toute sa vie, ne brigua jamais un avantage, ni un poste, ni un honneur et qui jamais n'eut d'autre ambition que de bien servir »?

Serviteur de son pays et de sa foi.

Résumer la noble carrière industrielle et patronale de M. Pralon ne suffit pas. Il faut dire enfin que cet homme fut, suivant l'expression de M. de Nanteuil, « un admirable serviteur de son pays et de sa foi ».

Au soir de sa vie, sa pensée se reportait souvent vers les années de guerre qu'il avait vécues dans l'angoisse, séparé de ses amis, de ses ouvriers, dont il suivait de loin les souffrances, mais aussi dans une ardente activité, se dévouant totalement, comme Président effectif du Comité des Forges, à l'organisation des fabrications de la défense nationale.

Ferme chrétien, M. Pralon a trouvé, sans doute, dans la pratique fervente de sa religion, le courage de supporter sans se plaindre les souffrances des derniers mois. Faire abstraction de sa foi, ce serait renoncer à comprendre pourquoi, suivant le mot de son plus cher collaborateur, « tout, en lui, était harmonie et lumière ».

PIERRE WALINE.

 

Article de Louis Stanislas Michel CROSNIER-LECONTE (1904-1999 ; X 1922)
Publié dans Bulletin de la Société Amicale de Secours des Anciens Elèves de l'Ecole Polytechnique

AVEC notre camarade Léopold Pralon, disparaît la très belle figure d'un des chefs de l'industrie sidérurgique française.

Né à Paris, le 14 octobre 1855, entré à l'X en 1875, puis à l'Ecole des Mines en 1878, Léopold Pralon débutait, en 1882, à la Société de Denain et Anzin à laquelle il a consacré sa longue et très féconde carrière d'ingénieur et de chef.

Appelé très rapidement par le Conseil d'administration à saisir les leviers de commande à une époque où des décisions très graves étaient à prendre, il réussit, en quelques années, à donner à la Société de Denain et Anzin l'essor considérable qui la mettait, à la veille de la guerre, au rang des premières affaires sidérurgiques.

Après les tragiques années 1914-1918, pendant lesquelles il vécut douloureusement séparé de ses collaborateurs et de ses usines dont il apprenait peu à peu l'anéantissement total, il consacra son inlassable énergie à relever de ses décombres un instrument de production qui fût prêt, en quelques années, à reprendre son rôle dans l'économie du pays.

Au cours de cette carrière industrielle si riche d'exemples, notre camarade Léopold Pralon a contribué au progrès de nos connaissances, en mettant au point, aux mines de Somorrostro, le procédé, longtemps rebelle, de calcination des minerais de fer. Il conduisait avec ardeur les recherches de gisements dans la Meurthe-et-Moselle, d'une part, et les prospections poursuivies en Normandie, d'autre part, lui ont valu comme récompense de découvrir le riche bassin carbonate de cette région.

La place que sa forte personnalité avait tenue dans l'industrie sidérurgique lui a valu tout naturellement d'être appelé à jouer un rôle de premier plan dans les grands organismes de liaison de cette industrie; Vice-Président du Comité des Forges en 1907, Vice-Président de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, il assumait pendant la guerre la charge très lourde de Président du Comité des Forges, à un moment où il fallait, coûte que coûte, obtenir de notre pays privé d'une partie de ses moyens, une production intensive de fonte et d'acier.

Profondément libéral et humain, Léopold Pralon apportait au Conseil Supérieur du Travail, dont il fut nommé Vice-Président en 1923, tout ce que son sens chrétien des réalités sociales lui avait dicté ; ses interventions heureuses et répétées lui ont permis d'obtenir des résultats importants qui lui ont mérité la plus grande estime des représentants ouvriers.

Il convient de rappeler la place que notre Ecole a tenue dans le coeur de notre camarade Pralon, qui n'a cessé de lui témoigner son affection, en particulier à titre de Vice-Président de la Société des Amis de l'X.

Nous perdons avec lui un guide très sûr, mais les marques laissées par les exemples qu'il a donnés à tous ceux qui l'ont connu à l'oeuvre ne sont pas près de s'effacer de leur souvenir.

CROSNIER-LECONTE,
Ancien Elève de l'Ecole Polytechnique (1922), Ingénieur Civil des Mines.

 

Article de C. BOUNIOL
Publié dans le Bulletin de l'Association Amicale des Elèves de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines

LE 23 décembre 1938, après sept mois d'une longue souffrance supportée en chrétien, M. Léopold Pralon s'éteignait.

Ce qu'il fut : grand « honnête homme », remarquable ingénieur et serviteur de sa Patrie, admirable chef d'industrie, patron éclairé et honoré de la confiance de tous ceux qu'il considérait comme les siens, qu'ils fussent ses pairs, ses collaborateurs ou ses ouvriers, les voix les plus autorisées de la profession et de l'industrie l'ont exprimé.

Il suffit d'ailleurs d'indiquer son rôle, parmi d'autres, comme :

Président de la Société des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de Denain et d'Anzin pour laquelle son dévouement s'est exercé depuis le 1er avril 1882, date de son entrée comme ingénieur attaché à la direction ;

Vice-Président du Comité des Forges de France ;

Président d'honneur de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières;

Vice-Président du Conseil Supérieur du Travail et Président de la Commission permanente ;

pour marquer les hautes fonctions auxquelles le portèrent ses vertus insignes.

Lorsqu'en 1930, la cravate de Commandeur de la Légion d'honneur et en 1932, la médaille d'honneur (50 ans de travail) lui furent données, ces deux distinctions furent aux yeux de tous le symbole d'une longue vie de travail fécond conduit avec une persévérance et une conscience jamais lassées et, par ailleurs, fondé sur les dons de l'esprit et du coeur les plus magnifiques.

Mais il est pour les anciens élèves de l'Ecole des Mines des raisons toutes spéciales de garder cette grande mémoire.

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1875), Ingénieur Civil des Mines (promotion 1877), M. Léopold Pralon a non seulement illustré la carrière d'ingénieur, mais a bien mérité de l'Ecole des Mines et des « mineurs ».

Il a été membre du Conseil de l'Ecole pendant de longues années.

Président de l'Assemblée générale du 8 juin 1911, et Président du banquet de Sainte-Barbe du 11 décembre 1920.

Il fut toujours très soucieux de remplir avec fruit toutes les fonctions et charges pour lesquelles son concours fut demandé.

Toutes les manifestations de la vie de l'Ecole lui étaient familières et il aimait profondément l'Ecole et l'Association. S'il en fallait encore une preuve, qu'il soit permis d'indiquer que l'Association ne fut pas oubliée dans ses dernières pensées.

Il fut brillant « Mineur » autant que grand « Métallurgiste ». A la Société Franco-Belge de Somorrostro, dont il s'occupa dès 1882 et qu'il présidait encore en 1938, il fut, pour les exploitations de Biscaye, le technicien et l'animateur fécond dont les avis firent autorité dans ces provinces minières espagnoles.

Pour les mineurs français, c'est en Lorraine et en Normandie que son nom demeurera attaché aux découvertes et progrès les plus remarquables.

Il fut Président de la Chambre Syndicale des Mines de Fer de France, et Président de la Chambre Syndicale des Mines de Fer de l'Ouest. Ces derniers titres étaient tout particulièrement mérités.

C'est sur l'initiative de M. Léopold Pralon et sous sa conduite, que dès le début de ce siècle, des recherches furent entreprises pour l'exploration méthodique du terrain silurien normand dans l'espoir de trouver quelque gisement pouvant donner à la Métallurgie du Nord un minerai plus riche que celui qu'elle faisait venir de Lorraine, en améliorant ainsi la richesse de ses lits de fusion.

Ces recherches aboutirent à la reconnaissance, entre Flers et Bagnoles, de la longue bande de terrain silurien qui, partant du Chatellier, va former la crête de Mont-en-Géraume et rejoindre la forêt d'Andaines. Grâce à ses qualités d'observation et de raisonnement, M. Léopold Pralon découvrit que le gisement existant était une couche de fer carbonate, alors que la carte géologique et les explorateurs précédents n'avaient signalé aux mêmes endroits que l'existence d'une très médiocre hématite.

Selon ses propres expressions, il put démontrer « que là où l'on ne croyait exister que du minerai oxydé à 40 pour cent de fer à peine et souvent très siliceux, ne pouvant par conséquent pas supporter les frais de transport jusqu'aux usines du Nord et encore moins, être exporté, il y avait du minerai carbonate qui, par un simple grillage, pouvait être amené à une teneur de 48 à 50 pour cent, constituant alors une véritable hématite anhydre artificielle ».

Pour valoriser ainsi par grillage ce minerai carbonate, dès 1903, des fours très simples mais parfaitement adaptés aux données de ce problème de bon sens de chimie industrielle furent construits près de La Ferrière-aux-Etangs. Les résultats du grillage tinrent les promesses du raisonnement.

Ces travaux rénovaient ainsi complètement les idées connues à l'époque sur la valeur du bassin minier de Normandie et furent le point de départ de l'essor dont on connaît l'ampleur.

Ces quelques détails montrent quelle part M. Léopold Pralon prit à la découverte et à la mise en oeuvre de ces gisements de l'Ouest, qui représentent une richesse nationale dont l'importance pour le temps de paix ou de guerre est de premier ordre.

Ces lignes seraient incomplètes si l'on passait sous silence le caractère d'extrême bonté et de justice qui animait M. Pralon dans ses rapports avec tous.

Que l'on permette ici à celui qui fut un modeste collaborateur de ce grand disparu, de dire que s'il aimait très respectueusement, mais avec une sincère affection, ce chef qui l'avait accueilli à la Société de Denain et d'Anzin, en 1926, quelques années à peine après sa sortie de l'Ecole, la raison en était qu'instinctivement d'abord et naturellement ensuite, tout commandait envers M. Pralon le respect et le dévouement du coeur : noblesse de l'attitude, du visage, du regard qui apparaissait dès le premier contact, noblesse de l'âme profondément bonne, intelligente et juste parce que très profondément chrétienne.

M. Léopold Pralon ne donnait-il pas lui-même, selon les paroles de Saint-Luc, l'exemple « du serviteur fidèle et prudent que Dieu a établi sur la maison pour distribuer à chacun en son temps, sa mesure de froment » ?

C. BOUNIOL,
Ingénieur Civil des Mines (promotion 1920 de l'EMP).

 

M. Léopold Pralon, de Denain-Anzin
Publié dans L'Usine

Ces simples mots suffiraient à caractériser la haute personnalité métallurgique qui vient de disparaître, car son nom fut et restera attaché à celui de l'importante usine du Nord où il fit sa longue et féconde carrière industrielle.

M. Léopold Pralon, Président de la Société des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de Denain et d'Anzin, Vice-Président du Comité des Forges, Président d'honneur de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, est décédé à Paris, le 23 décembre.

Avec M. Pralon disparaît un des doyens de la métallurgie française et l'un des chefs de l'organisation syndicale de celle-ci, car il fut à l'origine même de la réorganisation du Comité des Forges (1903), après avoir connu la « période héroïque » de ce dernier dans les années de 1880 à 1903 notamment.

Ancien élève de Polytechnique (promotion 1875) et des Mines (promotion 1877), il entra à la Société de Denain-Anzin où devait se dérouler sa carrière industrielle avec une unité et une compétence qui permirent à M. Pralon de jouer un rôle de premier plan dans les organisations professionnelles des métaux, en particulier au Comité des Forges de France dont il était Vice-Président depuis plus de vingt-cinq ans et dont il assura même, par intérim, la présidence durant la guerre : c'est en cette qualité qu'en 1917-18, il eut la mission d'exposer au Gouvernement la nécessité de mesures spéciales pour préparer la restauration industrielle d'après-guerre (suppléer à la production déficitaire de houille, trouver des débouchés à la métallurgie accrue par l'apport lorrain, etc.).

Il fut l'un des plus ardents apôtres de la défense des intérêts des industries sinistrées, en qualité de Vice-Président de la Fédération des Associations départementales et Unions de sinistrés où son concours éclairé fut toujours des plus précieux.

D'ailleurs, le nom de M. Pralon devait être intimement associé à l'histoire de la reconstitution industrielle française, tant à la Société de Denain-Anzin qu'à « La Fédération des Sinistrés », à « l'Union Industrielle de Crédit pour la Reconstitution », au Comité des Forges, etc.

En particulier à la Société de Denain-Anzin, où les dégâts allemands furent si considérables, il donna sa mesure, et ce fut avec une joie émue qu'il présida, en 1926, à la remise à feu d'un premier haut-fourneau, aux côtés de son admirable épouse, qui avait accepté d'être la marraine du haut-fourneau reconstitué.

Il fut particulièrement heureux d'avoir reconstitué les magnifiques usines qui furent toujours à la tête de la métallurgie française et d'être à nouveau à la tête de cette « grande famille », ainsi qu'il aimait à appeler tout le personnel de Denain-Anzin.

Président d'honneur de la Chambre Syndicale des Industries annexes de la Construction de Matériel de Chemin de Fer, Président de la Chambre Syndicale des Mines de Fer de France et de la Caisse Syndicale de Retraites des Forges, M. Pralon présidait les affaires métallurgiques où Denain-Anzin possédait des intérêts, dont les Tubes de Valenciennes et Denain, l'Usine des Ressorts du Nord, la Société de Galvanisation de Denain-Lourches, les Mines de Fer de Murville, les Mines Espagnoles de Somorrostro, etc. etc. Il était, à ce titre, également Vice-Président de la Société Métallurgique de Knutange, de la Société des Chantiers de France, etc. Membre de l'Union Sociale d'Ingénieurs Catholiques depuis de longues années, membre, puis Vice-Président du Conseil Supérieur du Travail, il représenta à cette assemblée les intérêts patronaux avec un absolu dévouement, un large esprit de compréhension sociale et une courtoisie simple qui lui assuraient le respect cordial des représentants ouvriers. Et de ce contact confiant dans l'indépendance réciproque, il était particulièrement fier.

Ses obsèques ont eu lieu, le 26 décembre, en l'église Saint-Charles-de-Monceau, en présence d'une assistance considérable de maîtres de forges, d'industriels et d'ingénieurs, au premier rang desquels le Conseil d'administration et le haut personnel de la Société de Denain-Anzin, la Commission de direction du Comité des Forges de France, le Conseil de direction de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, les dirigeants du Comptoir Sidérurgique, de la Confédération Générale du Patronat, les délégations du Grand Conseil de la Légion d'Honneur et des grands corps de l'Etat, l'amiral Lacaze, les généraux Le Rond, Guillaumat, Nollet, Jordan, M. Léon Guillet, directeur de l'Ecole Centrale, etc., etc.

Suivant la volonté du défunt, il n'y eut aucun discours.

Simplement, au nom du personnel de la Société de Denain-Anzin, l'Administrateur-Délégué, M. Henry de Nanteuil, prononça quelques mots sous le porche de l'église, avant que le convoi ne se dirigeât vers le cimetière de Boulogne, où la sépulture eut lieu dans le caveau de famille.



Pralon, élève de Polytechnique
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