Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1867). Ingénieur civil des mines.
Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Janvier-Février-Mars 1920 :
Notre camarade, le professeur Michel, ancien vice-président de notre Association, le grand maître de la géologie et de la minéralogie appliquées, vient de mourir.
Sa famille, connaissant les liens de profonde amitié qui nous unissaient depuis longtemps, a bien voulu me confier la tâche d'écrire, pour notre Bulletin, sa notice nécrologique, honneur dont je lui suis très reconnaissant.
Né en 1846, à Riaucourt (Haute-Marne), Michel, après d'excellentes études au Lycée de Chaumont et à Sainte-Barbe, entra à l'Ecole des Mines en 1867.
Sa carrière, qui a été très remplie, peut être divisée en trois parties : partie militaire, partie industrielle et partie scientifique.
A sa sortie de l'Ecole des Mines, la guerre de 1870 éclatait. Michel, engagé volontaire, fit toute la campagne à Langres, place qui résista jusqu'au bout à l'envahisseur. Promu successivement lieutenant, puis capitaine dans le génie auxiliaire, il fut versé, sur sa demande, après la paix, dans l'artillerie, et ce fut comme capitaine que, pendant plus de quarante années sans interruption, il fit régulièrement ses périodes d'instruction militaire, se tenant ainsi au courant des progrès de son armée préférée. Resté, malgré son âge, dans la, réserve de l'armée territoriale, il fut mobilisé dès le mois d'août 1914 et affecté au Mont-Valérien au commandement d'une batterie qui devait concourir à la défense de Paris. Après la victoire de la Marne, il fut chargé du contrôle de la fabrication des munitions et des armes (fusils, mitrailleuses, canons), ainsi que d'études sur les explosifs, et il imagina une cartouche pour tranchées, à faible portée et à grande force de pénétration de la balle qui a donné des résultats remarquables. Cependant, ces multiples occupations n'empêchèrent pas Michel de continuer à diriger les travaux pratiques de son laboratoire à la Sorbonne et de faire son cours comme en temps de paix ; c'est ainsi que pendant toute la durée de la guerre, avec un dévouement inlassable, il fournit un travail colossal.
Cité à l'ordre du jour et proposé pour la croix en 1870, décoré en 1901, au titre militaire (ce dont il était fier), Michel venait d'être promu, au même titre, Officier de la Légion d'honneur pour les inoubliables services qu'il avait rendus à la Défense Nationale.
Sa carrière industrielle, a été courte, car ce n'est que pendant quelques années, après la guerre de 1870, qu'il s'occupa d'exploitation et de traitement de minerais de fer. C'est alors qu'il acquit cet esprit pratique qui devait donner à sa carrière scientifique un tour particulier et faire de lui un maitre incomparable.
Attiré par l'étude de la minéralogie, dont il avait pris le goût à l'Ecole des Mines, il quitta, bientôt l'industrie pour travailler à la Sorbonne, dans les laboratoires de Friedel, d'Hautefeuille et de Jannetaz. Nommé, préparateur à la Faculté des Sciences en 1880, répétiteur en 1884, il passait en 1889 sa thèse de docteur es sciences ; mais ce ne fut qu'en 1899, à la mort de Jannetaz, auquel il succéda, qu'il fut nommé maître de conférences. Professeur adjoint en 1900, il était mis à la retraite tout récemment avec le titre de professeur honoraire et l'attribution, à vie, d'un laboratoire qui lui aurait permis de travailler encore ; hélas ! il n'eut même pas le temps de s'y installer.
Sa carrière professorale a duré trente-huit années ; elle atteignit son apogée pendant qu'il fut chargé, de 1900 jusqu'à sa mort, d'un cours qui portait officiellement le titre de cours de minéralogie, mais dont il avait fait en réalité un cours de géologie et de minéralogie appliquées, techniques, comme seul pouvait le faire un savant doublé d'un ingénieur. Les théories les plus subtiles de la physique moléculaire moderne n'avaient pas de secrets pour lui, et c'était plaisir de l'entendre disserter sur la constitution de la matière, les atomes, les ions, les liquides anisotropes ou cristaux liquides et les cristaux mous ; mais il avait une prédilection marquée pour les cristaux solides, surtout lorsqu'ils étaient déformés, méconnaissables. C'êtait merveille de le voir déterminer les échantillons les plus difficiles à classer, soit au moyen d'un simple coup de marteau ou de ciseau, soit à l'aide d'un rapide essai au chalumeau ou d'un examen à la loupe qui lui permettait de déceler des clivages caractéristiques à peine discernables, parfois aussi en les étudiant en plaques minces, au microscope. Excellent chimiste, au sens que nous donnions à ce terme à l'Ecole des Mines, il analysait avec une maîtrise peu commune les produits minéraux les plus complexes et sa connaissance approfondie des gîtes métallifères, acquise sur le terrain, le mettait souvent à même, après avoir déterminé la nature d'un échantillon, d'en préciser la provenance par un examen attentif de la gangue. Les services qu'il a rendus ainsi au publie, à ses élèves et à ses camarades sont, innombrables. Lorsque, au retour de missions dans des pays inexplorés, nous rapportions à Michel des cailloux qui nous embarrassaient, il était notre Providence. Avec quel dévouement, avec quel amour de savant, il était toujours prêt à faire, pour nous, comme par plaisir, les recherches les plus variées et les plus ardues ! Son laboratoire était la maison du bon Dieu. Combien d'entre nous lui doivent la réputation qu'ils ont acquise !
Michel a peu écrit. En dehors de sa thèse de doctorat et de quelques communications éparses dans les comptes rendus de la Société de Minéralogie, dont il fut le président, il réservait ses observations pour son cours qui fourmillait d'aperçus ingénieux. Ses vues sur la symbiose (s'il m'est permis d'employer ici ce terme de biologie) de certaines substances minérales, sur la probabilité de trouver telle ou telle d'entre elles au voisinage de telle autre ont jeté un jour nouveau sur la genèse des gîtes métallifères. Esprit scientifique rigoureux, il n'émettait certaines de ses conceptions que verbalement, à titre d'hypothèses ; on ne les trouverait guère que dans les notes de ses élèves ; elles seront vraisemblablement un jour le point de départ de travaux importants. Quoi qu'il en soit, ses leçons, qu'il a fort heureusement rédigées, et qu'il retouchait chaque année, forment un ensemble de la plus grande valeur et leur publication, qui comblerait un vide dans la littérature scientifique française, constituerait pour la mémoire un monument durable. Il serait à déplorer qu'une œuvre pareille disparût avec son auteur. Tous ses élèves, tous ses amis forment le vœu de les voir paraître en volume. [Quelques mois plus tard, le docteur Michel autorisa la librairie BERANGER à publier le cours de minéralogie de son père].
Michel était un homme simple, modeste, affable, le meilleur qu'on puise imaginer : pour ses amis, sa perte est irréparable. Sa science était considérable et il sera bien difficile de le remplacer effectivement dans l'enseignement supérieur.
Il a disparu, jouissant complètement de ses facultés physiques et intellectuelles, comme un soldat frappé au front en plein combat : c'est la fin qu'il eût souhaitée.
Puissent fous les membres de sa famille, sa veuve, ses filles, son fils, le docteur Michel qui, à l'exemple de son père, s'est distingué pendant la guerre, trouver dans cette notice, témoignage de notre admiration et de notre profonde affection pour le cher disparu, un adoucissement dans le grand malheur qui vient, de les frapper.