Fils de Alexander BABINSKI et de Henriette WAREN. Né le 2 novembre 1855 à Paris, 142 boulevard du Montparnasse. Le père était un ingénieur polonais immigré à Paris en 1848 pour échapper aux russes qui réprimaient les mouvements indépendantistes ; il travaillera au Pérou de 1862 à 1870. Frère de Joseph François Félix BABINSKI (1857-1932), médecin chef de clinique des hôpitaux de Paris qui s'intéressa aux réflexes tendineux, à l'hystérie et à la sclérose en plaques notamment, membre de l'Académie de médecine. Les deux frères ont longtemps vécu ensemble. Henri meurt le 20/8/1931.
Après des études dans une école polonaise boulevard des Batignoles, Henri BABINSKI est admis en cours préparatoire intégré à l'Ecole des mines le 24/8/1874, classé 4 ; il devient élève externe de l'Ecole le 23/10/1875, classé 14 (il appartient donc à la promotion 1875) ; enfin il sort avec le diplôme le 13/6/1878, classé 5 des élèves externes. Ingénieur civil des mines. Voir son bulletin de notes.
Plus connu sous le nom de Ali Bab, Henri BABINSKI voyagea beaucoup à la fois pour la prospection minière et l'agrément (voir sa biographie ci-dessous) et s'intéressa à la cuisine des pays qu'il traversait. En 1907, il publie "Gastronomie pratique", dans laquelle il donne des précisions sur les ingrédients nécessaires (réédité plusieurs fois avec des variations importantes, notamment en 1928). En hommage à ce grand mineur oublié, l'Association des Bibliothèques gourmandes a offert à la Bibliothèque de l'Ecole des mines de Paris l'A-B-Védaire porcinophile, publié par les Editions Virgile. 20 auteurs, un par lettre, ont écrit sur le cochon, celui qui se mange, celui qui se rêve, celui qui sommeille en tout homme. Daniel Maja a doté ces textes de lettrines pleines de gentils cochons. BABINSKI fut également vice-président de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines. Henri BABINSKI a beaucoup aidé son frère Joseph dans sa carrière, tout en poursuivant ses activités littéraires. Il aimait beaucoup s'amuser, et lorsqu'il était à Paris, il passait systématiquement ses soirées au théatre, à l'opéra et aux ballets.
Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, décembre 1923 :
Messieurs et chers Collègues,
Je suis très heureux de ce que ma qualité de vice-président de l'Association Amicale des Elèves de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines me procure aujourd'hui l'honneur et le plaisir de vous souhaiter la bienvenue.
Fils de réfugiés, né et élevé en France à laquelle je dois tout, ayant passé une partie de mon existence à l'étranger et n'étant guère allé en Pologne qu'en pèlerinage, j'ai conservé, tout en étant profondément attaché à ma patrie d'adoption, un culte religieux pour mon pays d'origine.
Les Polonais ont toujours trouvé sur la terre hospitalière de France un accueil particulièrement sympathique et, dans une réunion analogue à celle d'aujourd'hui, lors de la réception d'une délégation de médecins polonais chez le Doyen de la Faculté de Médecine, mon frère, en cherchant la cause de cette sympathie pour ainsi dire innée, a cru la trouver en s'appuyant sur les beaux travaux de notre grand savant, le professeur Julian. Dans son ouvrage De la Gaule à la France, Julian rappelle que de nombreux historiens de l'antiquité, notamment Hérodote, avaient parlé d'un peuple désigné alors sous le nom d'« Hyperboréens », dont tous les contemporains vantaient les qualités morales et qui, à plusieurs reprises, a pacifiquement pénétré sur le territoire de la Gaule, se fondant avec ses habitants. Or, ces Hyperboréens provenaient, dit Julian, des rives de la Baltique, du pays compris entre le Niémen et la Vistule et les Polonais actuels en dérivent directement : les Français auraient ainsi de notre sang et nous serions quelque peu cousins. Mais cette parenté n'aurait probablement pas suffi et la sympathie française s'est surtout développée au contact de nos pères, réfugiés en France à la suite des malheureuses mais glorieuses insurrections de 1830, 1848 et 1863, et qui se sont toujours fait remarquer ici par leurs qualités de désintéressement, d'altruisme, de travail, d'honnêteté et de patriotisme ardent. Cette sympathie est des plus vives et tout récemment encore le Président de la République française Millerand en a donné une preuve éclatante en envoyant à la jeune armée polonaise un chef éminent, élève et collaborateur du maréchal Foch, le général Weygand et des officiers français distingués qui ont puissamment aidé la Pologne à repousser l'invasion bolchevique.
Vous trouverez partout ici l'accueil le plus cordial, mes chers Collègues, et je suis certain que vous emporterez de votre voyage un souvenir de reconnaissance émue pour la France.
Puisse la Pologne reprendre le plus tôt possible la place qu'elle tenait en Europe au 16e et au 17e siècle ; aucun pays ne s'en réjouira plus sincèrement, que la France : « Vive la France, vive la Pologne ! »
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1931 :
Chassée de la Pologne par la tyrannie moscovite, la famille Babinski vint, sous le second empire, demander asile à la France. Elle lui apportait le plus magnifique présent qu'une famille puisse faire à un peuple; deux enfants, devenus nos compatriotes ,et qui ont fait autant d'honneur à leur patrie d'adoption qu'à leur patrie d'origine : l'aîné, notre camarade Henri BABINSKI que nous venons de perdre; le second, l'une de nos plus hautes autorités médicales, le Docteur J. BABINSKI. Ils ne se sont jamais séparés, en ce sens qu'ils ont toujours conservé un domicile commun. Lorsque, dans ses randonnées dans les deux hémisphères, notre camarade, profitant de quelques semaines de détente, venait à Paris, c'est avec ses parents et son frère qu'il les passait et, plus tard, avec son frère seul. C'est avec lui qu'il a vécu les années de sa retraite, et ce long compagnonnage de deux hommes remarquablement cultivés, de deux coeurs d'élite, de deux esprits ouverts à toute manifestation scientilique, littéraire ou artistique n'a pas peu contribué à leur perfectionnement; c'est certainement une des caractéristiques de la vie de notre camarade que nous devons particulièrement signaler. Ajoutons que, dans cette communauté de famille, les deux frères n'avaient cessé de cultiver la langue polonaise qu'ils parlaient comme le français.
Après de bonnes études, Henri Babinski fut admis au cours préparatoire à l'Ecole des Mines au concours de 1874.
En 1875, il entrait à l'Ecole et il en sortit brillamment en 1878. Tous ses camarades de promotion ou des promotions voisines ont gardé le souvenir de ce bon et joyeux compagnon, prêtant les bourdes les plus invraisemblables au maître de dessin qu'il appelait le monstre et qu'il faisait valoir par un bégaiement aussi sensible qu'involontaire, dont il s'est guéri depuis et qui lui servait encore à blaguer le surveillant qu'il appelait le pi pi pi pi pitaine.
Dès sa sortie de l'Ecole, il fut nommé directeur de l'usine à zinc de La Pise, qui se trouvait dans le voisinage de terrains où les mines de la Grand'Combe rejetaient les stériles, ou soi-disant tels, provenant de leurs lavoirs à charbon. Dans ce poste notre camarade donna un premier échantillon de son ingéniosité, de son mérite et de son caractère. Tout d'abord il constata que les rejets de la Grand'-Combe tenaient couramment 20 à 25 % de charbon et qu'en les employant d'une façon judicieuse ils pouvaient lui fournir un combustible suffisant pour la métallurgie du zinc. Donc, poussé par le désir bien naturel d'avoir un combustible qui ne lui coûterait presque rien et par la pensée charitable de dégager la Grand'-Combe de rejets qui encombraient ses terrains, il organisa un petit Decauville réunissant son usine aux rejets en question et se mit, en toute conscience à les utiliser pour sa métallurgie. Il y réussit pleinement. Mais sa satisfaction fut troublée par les réclamations du directeur de la Grand'Combe. M. GRAFFIN, qui y étant un excellent administrateur, n'admit pas qu'on lui dérobât ses stériles, sous prétexte de lui rendre service. D'où un conflit passager, suivi d'une entente. Babinski paya une légère redevance pour son approvisionnement en rejets des lavoirs et tout fut arrangé.
Sur ces entrefaites, l'administrateur de sa Société décida une réinstallation complète de son usine de La Pise. Elle en confia les travaux à Babinski qui les dirigea avec activité et à la satisfaction de son Conseil. Notre excellent camarade en fut pauvrement récompensé. Son Conseil estima que l'usine modernisée exigeait un état-major plus étoffé. Elle nomma un directeur. Naturellement, il donna sa démission et eut, à ce sujet, une entrevue orageuse avec le Président de sa Société qui était le Comte de LAGRANGE, célèbre par son illustre poulain, Gladiateur. Fort heureusement, BABINSKI ne resta pas longtemps inoccupé. Il eut presque immédiatement d'intéressantes propositions pour prospecter et exploiter des terrains aurifères en Guyane et l'on peut dire que c'est de cette époque que commence sa vraie carrière, celle pour laquelle il était intellectuellement et physiquement le mieux préparé. Bon géologue, bon minéralogiste, doué d'un grand bon sens, d'une santé robuste, d'une force physique peu commune et d'une nature impavide, il savait voir le terrain, apprécier la valeur d'un filon et n'était rebuté ni par les distances, ni par le froid, le chaud ou les marais.
Voilà notre camarade en Guyane, prospectant et exploitant les placers aurifères le long du Maroni. Ces travaux le retiennent plus de quinze ans, pendant lesquels il fit de nombreuses apparitions à Paris. C'était une joie pour ses vieux camarades de le revoir, d'apprendre de lui quelle était sa vie sur les placers avec ses ouvriers nègres ou les relégués qu'il engageait. Il se plaignait seulement de l'insuffisance culinaire de son personnel et il y suppléait quelque peu en se fricotant lui-même quelques plats. C'est de là qu'est né son génie gastronomique qu'il devait développer plus tard.
En attendant, employant sur son placer les méthodes les meilleures, depuis le sluice jusqu'à la cyanuration, il obtint des résultats qui remplirent de satisfaction ses commettants et donnèrent un véritable coup de fouet à l'activité de la colonie.
Son activité en Amérique du Sud ne fut pas bornée à la Guyane. Il fut encore chargé de certaines prospections et surtout d'une mission particulièrement intéressante dans l'extrême Sud, en Patagonie et dans les îles qui accompagnent ses côtes.
Sur de vagues renseignements, des groupes financiers étaient portés à croire que l'Amérique, comme l'Afrique, se terminait au Sud par une région riche en or et même en diamant. Ils chargèrent Babinski de vérifier cette hypothèse en lui donnant naturellement les moyens appropries. Il fréta un petit vapeur, étudia les côtes et les îles si nombreuses de l'Amérique du Sud, débarqua en Patagonie où il fit de longues randonnées et ne découvrit nul indice d'or ni de diamant. En compensation, il rencontra un terrain houiller avec couches de houille en affleurement, qui donnaient les meilleures espérances. Il proposa à ses commettants d'établir dans le détroit de Magellan une puissante station charbonnière pour ravitailler les vapeurs, déjà nombreux, qui passent par cette route du Pacifique dans l'Atlantique et vice versa et qui seraient plus nombreux encore s'ils pouvaient y charbonner. Bien qu'appuyée sur des documents qui paraissaient la rendre avantageuse, cette combinaison ne fut pas adoptée.
Comme nous l'avons dit, entre deux campagnes en Amérique, Henri Babinski venait se reposer à Paris; mais, pour un homme de son activité, c'est surtout dans le travail qu'il trouvait le repos. C'est ainsi qu'il étudia avec son frère, le docteur Babinski, la construction de machines électriques destinées au traitement de certaines maladies. Ses efforts furent couronnés de succès et le ruban de la Légion d'Honneur vint récompenser l'Electricien en même temps que le Prospecteur.
Dès le commencement de ce siècle, les travaux de Babinski poursuivis depuis plus de vingt ans lui assuraient une aisance qui lui permettait de préparer une douce retraite : « otum cum dignitate ». Néanmoins, il accepta encore deux importantes missions relatives à sa spécialité : la recherche ou l'étude des mines d'or; l'une en Sibérie, l'autre au Transvaâl.
Puis, définitivement installé avec son frère au 170 bis du boulevard Haussmann, il ne voyagea plus que pour son agrément. C'est ainsi qu'en 1909, nous le vîmes à Constantinople, curieux de cuisine turque : le pilaf, l'imambaildi, le kebab durent lui révéler leur secret, et il allait ainsi de pays en pays, de province en province, recueillant les éléments de son maître livre : la Gastronomie pratique, où il démontrait qu'en suivant ses instructions et moyennant une pendule et une balance, les moins bien doués pouvaient faire la cuisine la plus variée et la plus savoureuse. Ses éditions magnifiques furent littéralement enlevées et lui valurent de jolis droits d'auteur. Il avait joint à sa dernière édition une monographie des vins de France, où il exaltait en un style précis et vraiment merveilleux leurs qualités respectives. Tous y défilaient à leur rang : Vins de Saumur, d'Arbois ou d'Anjou, vins des Côtes du Rhône, Ermitage, Châteauneuf-du-Pape, et les Bordeaux puissants et les Bourgognes magnifiques.
Or, un jour où il ne s'y attendait pas, il recevait, avec les félicitations du Comité de la Vigne, un prix de 10.000 francs attribué à l'auteur qui devait faire le mieux connaître et apprécier les vins de France.
On pense bien que les compliments de ses vieux camarades ne lui manquèrent pas. L'un des plus anciens les lui exprima en quelques vers :
Doux ou sers, blancs ou rouges,
Animateurs divins
Du palais et des bouges,
Notre Ali-Bab, vainqueur
Au tournoi de la vigne,
S'est montré fin buveur
Et connaisseur insigne.
Avec celle du vin
Applaudissons sa gloire,
Et que son gros bouquin,
Jusqu'à la fin des temps, en porte la mémoire.
Buvons un coup, buvons en deux
Au succès de notre grand homme.
Vive Ali-Bab le gastronome
Vive le roi des maîtres-queux.
Il ne survécut pas longtemps à ce dernier succès. Il est parti, le vieux camarade, le vieil ami, en laissant dans nos cœurs un vide que rien ne comblera. Qu'il reçoive dans ces quelques lignes l'hommage du souvenir attendri de nos jeunes années et de nos amers regrets.
Alexis Rey (EMP, promotion 1876).