Saladin (1877) et Babinsky (1875) prospecteurs et mineurs métalliques

par Jean Cantacuzène (P 21)
Président de la société Le Molybdène,
Ancien Président-Directeur-Général de la Compagnie minière de Montmins.

Le texte qui suit a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :

Le rôle joué par les substances métalliques dans l'histoire de l'humanité a été primordial pour son développement et ce depuis la plus haute antiquité.

L'intervention des métaux fut à tel point liée à ce développement que les deux grandes périodes de la préhistoire ayant succédé au néolithique, ont été dénommées l'âge du bronze et l'âge du fer.

La découverte et l'emploi des premiers métaux usuels : cuivre, étain et plus tard le fer (sans parler des métaux précieux), remonte à quelque cinquante siècles avant J.C. : l'exploitation des mines métalliques précède ainsi de plus de 6 500 ans — fait que l'on oublie trop souvent — celle de toutes les autres substances minérales.

La recherche et l'exploitation des substances métalliques a donc été l'une des plus anciennes activités humaines et la possession de gisements de métaux usuels ou précieux a, depuis des millénaires, été pour leurs détenteurs, une source de puissance politique et économique.

Aussi, était-il normal que, de tout temps, la recherche des métaux ait passionné les hommes et cela non seulement sur le plan de l'intérêt général ou matériel, mais encore sur celui de l'aventure et de la découverte.

En France, où les gisements d'étain, de plomb, d'or et d'argent avaient été largement prospectés et exploités durant la période gallo-romaine, puis au Moyen-Age, l'esprit d'entreprise dans les mines métalliques allait — en dépit de quelques efforts isolés — pratiquement disparaître au cours du XVIe siècle et avec lui les activités minières correspondantes. Il allait falloir attendre près de trois siècles pour voir quelques Français audacieux se passionner à nouveau pour les mines métalliques.

Notre Ecole des Mines de Paris (créée en 1783), devait assez rapidement contribuer, dans une certaine mesure, à raviver l'intérêt à l'endroit de la plus ancienne des activités minières, et dans la seconde moitié du siècle dernier, on allait voir apparaître quelques Anciens enthousiastes, prêchant d'exemple pour faire revivre le goût de la recherche et de l'étude des gisements miniers — métalliques en particulier — et s'illustrer dans ce domaine.

Parmi eux, il y en a deux qui ont été de véritables précurseurs et dont la carrière est à retracer plus particulièrement : SALADIN et BABINSKY.

Edouard Saladin (Promo 1877)

Son activité minière allait débuter peu de temps après sa sortie de l'Ecole par une longue prospection en Indochine durant les années 1881-82.

Au cours de cette première mission fort aventureuse étant donné les conditions d'anarchie politique et d'insécurité que faisaient régner les Pavillons Noirs, SALADIN put néanmoins procéder à l'étude de gisements aurifères au Tonkin et à la limite sud du Cambodge, à l'étude des bassins houillers de l'Annam et du Tonkin et, enfin, à celle d'un important gisement d'hématite à Ph'nom-Deck (Cambodge).

Chacune de ses études est aussi complète qu'objective : les divers éléments des problèmes miniers, économiques, politiques et sociaux sont chaque fois traités avec une conscience et une clarté remarquables.

Revenu en France, il prépare de nouvelles missions et repart — au Mexique cette fois-ci — pour étudier les gisements de cuivre du Boléo, nouvellement découverts en Basse Californie et les mettre en valeur.

Il en dirigea l'exploitation pendant deux ans et, à son départ, les développements qu'il avait réalisés allaient permettre d'atteindre une production annuelle de 70 000 tonnes de minerai de cuivre, chiffre considérable pour l'époque.

Rentré en France, il consacra une grande partie de son activité à une série d'études sur l'or.

Il devait mourir en 1917 au cours d'une ultime mission qu'il accomplissait pendant la guerre, en service commandé aux Etats-Unis, à l'âge de 60 ans.


Henri Babinsky (Promo 1875)

Son activité professionnelle a été — pendant près de la moitié de sa carrière — entièrement consacrée à la prospection et à l'étude des gisements miniers (aurifères surtout) dans « des pays perdus » comme il les qualifie lui-même.

Une grande partie du monde, mais particulièrement l'Amérique du Sud, aura été son théâtre d'opération.

Dès ses débuts (1880) il est lancé dans la prospection de gisements aurifères au voisinage de l'Equateur Américain dans l'une des contrées tropicales les plus pénibles et les plus hostiles à l'homme.

Quelque deux ans plus tard, entrainé par l'extraordinaire développement minier de l'Ouest des Etats-Unis, BABINSKY participa à la prospection aurifère dans plusieurs des jeunes Etats de l'Ouest en se penchant plus particulièrement sur les problèmes de rentabilité.

En 1887, il se retrouve en Guyane Française pour y étudier deux districts aurifères, filoniens et alluvionnaires ainsi que les conditions de leur mise en valeur.

Rentré en France, il est appelé bientôt (en 1888) à participer au développement de « placers aurifères » en Italie du Nord.

Mais les missions lointaines avaient tout de même ses préférences et, en 1893, il repart au Chili dans l'extrême Sud pour étudier la mise en valeur d'un important gisement (de charbon cette fois) situé entre Punta Arenas (Magellan) et la frontière de l'Argentine. Esprit créateur et audacieux, BABINSKY mit sur pied un projet pour le touage des voiliers (cap horniers) à travers le détroit de Magellan, les remorqueurs étant chauffés au charbon produit sur place.

Après cette brillante mission, il part en 1896 au Brésil reconnaître de vastes gîtes de diamantifères dans l'état de Bahia et met sur pied le programme de leur mise en valeur qui entraînait des investissements de 1 300 000 Francs-Or.

Bien d'autres missions de prospections ou d'études ont été accomplies par BABINSKY : seules ont été relatées celles qui doivent, semble-t-il, synthétiser le mieux la diversité et les difficultés matérielles des problèmes que cet audacieux Mineur s'était donné pour tâche de résoudre.

Son activité devait toutefois déborder encore celle du cadre professionnel pourtant considérable et c'est dans un domaine bien différent de celui de la Mine qu'il allait une fois de plus illustrer son nom.

En effet tout en recherchant et étudiant des gisements, BABINSKY étudiait également la cuisine en faisant ce qu'il appelait de la « docimasie gastronomique ».

C'est au moment de ses premiers grands voyages — dit-il — alors qu'il allait chercher ou étudier des gisements miniers dans des pays perdus qu'il prit goût à la cuisine et qu'il se mit à en faire, pour lui-même et ses compagnons de mission.

Il a — sous le pseudonyme d'ALI-BAB — publié ses techniques, ses recettes et ses judicieux conseils dans un ouvrage connu, intitulé « la Gastronomie Pratique », qui a fait la joie des vrais amateurs.

BABINSKY est mort en 1931, à l'âge de 76 ans. Ceux qui l'ont encore connu, se souviendront toujours de ce grand Ancien dont le savoir s'alliait à l'esprit d'entreprise et la finesse de l'esprit à la bonté.

Ces deux hommes dont on vient de retracer brièvement l'activité, apportèrent une précieuse contribution au réveil des efforts français dans le domaine de la recherche et du développement des substances métalliques.

Ils allaient entraîner sur leurs traces quelques Mineurs entreprenants, qui durant les vingt-cinq années précédant la guerre de 1914, devaient développer ou découvrir toute une série d'importants gisements : de cuivre au Mexique et en Serbie (aujourd'hui Yougo Slavie), de plomb et de zinc en Espagne, en Tunisie et Algérie.

Ces réalisations, toutefois, ne furent jamais que le fait d'une poignée d'hommes à peu près ignorés de la grande masse, un certain sentiment de défiance, au surplus, s'exerçant en France, à l'endroit de ceux qui s'occupaient de mines métalliques.

En fait, il faudra attendre la seconde guerre mondiale pour que le rôle primordial joué par les substances métalliques dans la vie économique et politique d'une nation soit entrevu en France, sinon par les Pouvoirs Publics, tout au moins par certains des responsables chargés de préparer l'avenir. Parmi ces derniers figurèrent au premier rang les dirigeants de notre Ecole.

C'est à eux, en effet, que revient le mérite d'y avoir créé en 1940, la « Quatrième Année » et, plus tard, l'option « Mines Métalliques » dont l'objet était d'abord de promouvoir, chez les jeunes camarades, le goût de la recherche et de la « valorisation » des substances métalliques, puis de les mettre à même d'acquérir l'ensemble des compléments de connaissances pratiques indispensables.

Ces nouvelles disciplines ne tardèrent pas à porter leurs fruits et c'est ainsi qu'a été formée depuis vingt ans une pléiade d'ingénieurs qui sont les artisans de la mise en valeur de nombreux gisements métallifères, notamment à l'étranger.

Ainsi, « l'esprit Mineur Métallique » que les Anciens dont on a évoqué le souvenir, avaient fait renaître, se retrouve aujourd'hui officiellement consacré par l'Ecole des Mines de Paris qui aura de ce fait apporté — une fois de plus — sa contribution créatrice au développement général du Pays.