Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1899 ; entré classé 9ème, sorti classé 4ème) et de l'Ecole des Mines de Paris (1902-1905). Corps des Mines.
Né le 7 mai 1880 à Angers. Fils de Gustave Benjamin LOCHARD (médecin) et de Marie Ernestine SOUCHARD (décédée en 1919). La soeur d'André épousa Paul FRANTZEN.
Père de Jean-Charles LOCHARD (né en 1908 ; X 1929 ; finit sa carrière militaire comme général) et de Marthe, épouse VAN DER NOORDAA. Paul Louis VAN DER NOORDAA, petit-fils de André LOCHARD, posède une collection de 6000 photos faites par son grand-père en Indochine et ailleurs, qui, collées à des plaques de verre, permettent une vision stéréoscopique. Il possède aussi environ 2000 lettres et de nombreux tableaux peints par sa grand-mère Charlotte LOCHARD née TROUESSART.
Charlotte (1881-1944), épouse de André LOCHARD, est née en 1881 à Villevêque au nord d'Angers. Son père Edouard Louis TROUESSART était naturaliste et directeur du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. Elle suit elle-même l'Ecole du Louvre et prend des cours de dessin et peinture à Penninghen ; elle est ensuite l'élève de William BOURGEREAU, un réaliste ennemi juré des impressionnistes, qui lui fait réaliser des portraits et des natures mortes. Elle réalisa un grand nombre de tableaux au Tonkin, en Chine, à Angkor, virant à l'impressionnisme. Elle réalise aussi des dessins de tapis pour l'industrie du Tonkin. De retour à Paris, elle participa à la décoration de l'exposition coloniale, avec notamment une grande fresque de 10 m de long réunissant tous les peuples du monde. Elle mourut renversée par un camion allemand quelques jours avant la libération. Le couple Lochard était notamment en relation avec Stravinsky, Ravel, Annouil, le consul Bodard, et Alix AYMÉE (belle-soeur de l'écrivain et peintre très connu à Hanoï).
Marthe LOCHARD peinte par Charlotte LOCHARD, sa mère Collection privée |
André LOCHARD fut notamment envoyé par le gouvernement en Indochine pour redresser le tissu industriel et économique du pays.
Nommé inspecteur général des mines en 1930, il termine sa carrière comme vice-président du conseil général des Mines (1944-1945) après Louis CRUSSARD. Lorsqu'il prend sa retraite en mai 1945, Etienne AUDIBERT puis Lambert BLUM-PICARD le remplaceront dans cette importante fonction à la tête du corps des ingénieurs des mines.
André LOCHARD |
Les lettres et discours reproduits ci-dessous datent de 1946 ; ils avaient été copiés soigneusement par Marthe (fille d'André et de Charlotte LOCHARD) dans un somptueux cahier relié de cuir. Ils étaient inédits avant d'être mis sur le web en avril 2004.
J'ai été désolé d'apprendre la mort de votre père : il était de mes amis qui font parti du cadre ou je me meux ; je ne le voyais pas souvent, mais je savais qu'il était là, et que, quand je voudrais, je retrouverai le camarade auquel me liaient tant de souvenirs, dont l'intelligence était, sans doute, la plus étincelante de celles, que j'ai pu scruter, dont la bonté et la générosité perçaient sous le masque de rudesse qu'il s'imposait par une sorte de pudeur... La mort tragique de votre mère lui avait porté un coup dont il ne s'est jamais remis. Il faut qu'il ne soit plus parmi nous pour que je mesure toute la place qu'il y tenait. Et quels regrets de n'avoir pas davantage et mieux profité de lui ! Il aimait ses enfants passionnément, il ne pouvait le cacher. Qu'ils trouvent ici dans leur immense douleur l'expression de notre profonde sympathie. Comptez toujours sur moi, mon cher ami, et sur la fidélité de mon souvenir.
Monsieur,
Vous ne me connaissez pas, mais peut être avez vous entendu parler de moi par votre père. André Lochard était un de mes meilleurs et plus chers amis au temps de notre jeunesse, à la fin de l'autre siècle. La vie nous avait séparés, mais nous nous sommes revus maintes fois avec joie après d'assez longues périodes où nous étions sans nouvelles l'un de l'autre. Récemment encore, dans l'occupation, j'ai vu plusieurs fois vos parents. Je sais combien André avait été douloureusement frappé par la mort si dramatique de sa femme. Il m'avait annoncé ce malheur dans une lettre admirable que j'ai conservée, où il me disait sa souffrance.
Et aujourd'hui, en ouvrant le journal " Le Monde " j'apprends que mon vieux ami a cessé de vivre. Cette triste nouvelle m'a profondément impressionné et, bien que ne les connaissant pas, j'ai tenu à dire à ses enfants que le souvenir d'André Lochard ne disparaîtra pas de mon esprit. Et j'ai évoqué nos années de jeunesse et nos causeries de jeunes gens dans lesquelles sa brillante et puissance intelligence faisait l'admiration de tous.
Pour votre soeur et pour vous même, recevez mes condoléances les plus émues et l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Extrait du cahier tenu par Marthe LOCHARD à la mort de son père |
C'est avec une poignante émotion que le Conseil Général des Mines a appris le coup inattendu et brutal qui vient de terrasser son Président-Honoraire, l'Inspecteur Général des Mines, André Lochard. Des voix plus autorisées que la mienne devraient retracer aujourd'hui la carrière de ce grand fonctionnaire. Mais le privilège de l'âge et une amitié vielle de 46 ans me font un devoir d'apporter ici l'hommage de ses collègues et de dire à notre pauvre ami un dernier adieu.
Une grande figure vient de disparaître. Ceux qui ont connu André Lochard sont unanimes à apprécier l'ampleur de son intelligence et la droiture de son caractère. Tout jeune et encore sur les bancs du collège, il avait marqué son indépendance d'esprit et sa soif de justice en défendant courageusement un de ses camarades victime de persécutions raciales ; il s'était déjà exposé sans crainte à des brimades en prenant nettement position en faveur d'un condamné innocent, dans une affaire célèbre, presque oubliée aujourd'hui, mais qui, il y a un demi-siècle, avait passionné l'opinion publique et déchiré le pays.
Après de brillants succès scolaires, il entra à l'Ecole Polytechnique et en sortit dans le corps des Mines. Il fit son année de service militaire, comme sous-lieutenant, à Rueil, dans une de ces garnisons de la banlieue parisienne où les majors de l'X avaient l'habitude de venir apprendre leur métier d'artilleur.
Passant ensuite à l'Ecole des Mines où il resta trois ans, il y étudia avec un certain éclectisme, ce qu'il jugeait utile pour son métier d'ingénieur ; et il puisa dans les missions de fin d'année, ce goût des voyages qui l'entraîna plus tard en Extrême-Orient.
Nommé ingénieur ordinaire des Mines en Novembre 1905, il fut chargé du sous-arrondissement minéralogique de Bordeaux Nord et du contrôle technique des réseaux d'Etat et d'Orléans. Puis, après un court séjour à Grenoble, il accepta un poste de professeur à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne. Pendant 5 ans, les promotions qui suivaient ses cours, d'abord ceux de mécanique rationnelle et appliquée, ensuite ceux d'électricité industrielle, de construction et de chimie, ont pu admirer la simplicité de son enseignement qui reste un modèle de précision et de clarté.
Il quitta Saint-Etienne pour la résidence de Paris où il fut chargé du 1er arrondissement de contrôle technique du Réseau [de chemin de fer] de l'Etat. Mais il était attiré par le goût de l'action et l'appel des pays lointains. Il se fit détacher au Ministère des Colonies, et en 1914 il partit pour l'Indochine où il devait développer librement ses brillantes qualités d'organisateur.
Le service des Mines était à l'état embryonnaire ; les exploitations peu importantes. Seuls, les charbonnages du Tonkin commençaient à se développer. Dès son arrivée, André Lochard reprit en mains le Service des Mines ; il dirigea son activité vers la mise en valeur des richesses minérales et notamment des gisements de calamine. Mais la guerre avait éclaté et il rentra en France pour servir sa patrie les armes à la main. Après la guerre, il reprit sa place en Indochine et c'est alors que commença la période la plus active et la plus heureuse de sa carrière. Sous son énergique impulsion se constitua la société minière et métallurgique de l'Indochine pour l'exploitation des gîtes de calamine du Tonkin et la mise en marche de l'usine à zinc de Guang-Yem qui est une belle réussite industrielle.
L'Indochine traversait une crise très sérieuse due à une hausse continue et importante de la piastre qui bloquait les exportations. Les notions qui nous sont aujourd'hui familières étaient peu connues il y a 25 ans ; le grand mérite d'André Lochard est de les avoir comprises et d'avoir conseillé le Gouverneur Général Maurice Long. Une série d'opérations dont le principal mérite revenait à André Lochard, stabilisa a peut près la piastre, et tout en améliorant la trésorerie, permit à l'exportation de prendre un développement très important.
L'Indochine connut alors une époque de prospérité splendide dont on a pu apprécier les bienfaits : budget en équilibre tout en restant très large, balance commerciale favorable, développement intérieur considérable. Dans ce redressement, le rôle d'André Lochard fut prépondérant ; et c'est à lui que l'Indochine doit la série des belles années de 1921 à 1930 qui ont été à la base de son développement actuel.
En dehors des finances et des travaux Publics qui ont toujours conservé leur indépendance, André Lochard groupa sous sa direction un grand nombre de services économiques, notamment l'agriculture, la pêche, les mines, la géologie, les forêts, la navigation, le tourisme, la radio, les postes et télégraphes. Par sa grande puissance de travail et sa remarquable lucidité d'esprit, il introduisit de l'ordre, de la méthode et de l'allant dans des services qui, isolés, n'en avaient que médiocrement.
On peut dire que la prospérité de l'Indochine durant cette belle période est due à la fois à la clairvoyance d'André Lochard et à la compréhension du Gouverneur Général, qui soutenait de son autorité les projets et l'action de l'Ingénieur. La mort soudaine de Maurice Long priva André Lochard d'un appui sur lequel il aurait pu compter. Les idées qui étaient en avance sur son temps n'avaient pas été comprises. Son ascension rapide avait suscité bien des jalousies. Son caractère entier et dénué de souplesse lui avait fait beaucoup d'ennemis ; et lorsque, en 1927, il rentra en France pour se reposer d'un travail écrasant, son absence fut mise à profit par ceux qui le dénigraient pour disloquer son oeuvre.
Lorsqu'il revint en Indochine en 1929, il réussit à faire adopter le principe qui s'est transformé en réalité de la constitution d'une Inspection Générale des Mines et de l'Industrie que nous appellerions aujourd'hui : Inspection Générale de la Production Industrielle.
Ce séjour, qui fut marqué par une crise économique, se prolongea jusqu'en 1933. Dans un accident, où son automobile s'écrasa contre un arbre, André Lochard eut une très grave fracture du crâne. Il fut sauvé miraculeusement grâce à sa femme qui put l'emmener dans un petit avion à plusieurs centaines de kilomètres pour le faire soigner. Sa santé rétablie, il rentra définitivement en France et prit place au Conseil Général des Mines. On lui donna l'Inspection de l'Est et ensuite, sur sa demande, celle du Sud-Est. Entre-temps, il fut chargé d'une mission en Norvège et en Russie, au cours de laquelle il étudia la route du fer et le moyen de neutraliser éventuellement l'exploitation des Mines des pays Scandinaves. Il comprit la puissance industrielle des Soviets que beaucoup ne soupçonnaient pas et jeta les bases d'une étude qu'il publia plus tard.
Lorsque la guerre éclata, il consacra la totalité de ses efforts à la défense nationale, et, en plus de ses fonctions d'Inspecteur Général des Mines, il demanda et remplit un poste important au Ministère de l'Armement. Après l'armistice, il fut de ceux qui ne capitulèrent jamais. Il comprit que la France avait perdu une bataille, mais non la guerre, et que, dans cette lutte mondiale, des forces considérables n'avaient pas encore joué, qui devaient être capables de renverser un jour la situation. Jamais, dans les jours les plus sombres de l'occupation, il ne désespéra du salut de la France et conserva intacte sa foi dans la victoire finale. Il ne savait pas de quelle manière elle se produirait ; mais il était sûr de sa venue. Il était d'ailleurs très renseigné sur la puissance industrielle des alliés, qui allait sans cesse grandissant tandis que s'épuisaient peu à peu les ressources de l'ennemi. Enfin, animé du plus pur patriotisme, il lui répugnait de penser qu'une cause juste pouvait ne pas finir par triompher.
Il apporta à la résistance son appui moral et son appui matériel. Il aida à ses risques et périls, des patriotes à se cacher.
Son caractère intransigeant semblait parfois un peu rude ; mais ceux qui le connaissaient bien savaient que sous des dehors sévères, il cachait un coeur tendre et compatissant. Les rares amis auxquelles il s'était confié lors que son fils passa la frontière d'Espagne pour se rendre en Algérie et se consacrer à la Résistance ont su l'angoisse qui lui serrait le coeur jusqu'au moment où, par un signal convenu, il apprit la réussite de l'entreprise. Après la libération, ses amis furent témoins de sa joie et de sa fierté quand des lettres venues de Hollande lui donnaient des détails sur la conduite de sa fille et de la famille de celle ci dans la Résistance, tant aux Pays-Bas qu'aux Indes Néerlandaises.
Doué d'une facilité de travail peu commune, il ne se laissait pas absorber entièrement par son métier et consacrait une part de son temps à des études scientifiques ou économiques, à la philosophie et la littérature. Des mémoires qu'il avait publiés ou simplement préparés sur le mouvement absolu de la terre, sur l'Economie Stalinienne, sur le problème du Kaman Boudhique concernant l'application à la démographie du calcul des probabilités tempérés par le principe d'Heisenberg, témoignent de son activité intellectuelle. Des promotions dans le Corps des Mines, dans la Légion d'Honneur, la présidence du Conseil Général des Mines, avaient consacré, au point de vue administratif, la qualité de ses services. Quand le gouvernement eut décidé de nationaliser les Houillères, c'est à lui qu'il avait confié la présidence de la Commission interministérielle, comprenant des représentants de l'Economie nationale, des Finances, du Conseil d'Etat, chargée de déterminer l'indemnité de nationalisation aux Houillères du Nord et du Pas de Calais.
Il y a six mois, lorsqu'eut sonné pour lui l'heure de la retraite, alors qu'il avait droit à un repos bien gagné, il conserva bénévolement la présidence de diverses commissions où il croyait pouvoir encore se rendre utile ; il accepta en outre, la vice présidence de la Compagnie Française des Mines de Bar, à qui il apporta le concours de sa grande expérience.
Il y aura bientôt deux ans, le sort, qui avait donné à André Lochard des réussites exceptionnelles et aussi des revers immérités, lui porta un coup terrible dont il ne s'est pas relevé et qui, sans ébranler son intelligence, brisa son coeur. Quelques jours après le débarquement, il se rendait à la maison que lui avaient laissée sa soeur et son beau frère Frantzen, morts tous les deux tragiquement à quelques mois d'intervalle. Il était accompagné de sa femme qui suivait à quelques mètres, lorsqu'un camion allemand, roulant à vive allure, écrasa Madame André Lochard.
Fou de douleur, notre pauvre ami ne put supporter la mort de la femme admirable qui lui avait sauvé la vie en Indochine et qui avait consacré son existence à la sienne avec une patience surprenante, et un dévouement sans bornes. Dès lors, replié dans sa douleur, devenu taciturne, il semblait absent ; il n'avait plus qu'un désir celui de finir une vie qui n'était désormais pour lui une longue agonie. Hélas ! mon cher Ami, tes voeux sont aujourd'hui comblés.
Avant de nous séparer pour toujours, qu'il me soit permis d'adresser, au nom du Corps des Mines, des douloureuses condoléances à tes enfants dont tu étais si fier et qui à leur tour peuvent être fiers de leur père.
Il y a de longues années je voyais arriver dans notre salle à l'X, André Lochard. Sa robuste jeunesse pleine d'entrain, sa magnifique intelligence capable d'atteindre les plus hauts sommets de la science comme d'embrasser tous les problèmes dans les domaines les plus variés, s'imposèrent tout de suite à nous. L'ardeur de ses convictions, sa franchise parfois brutale pouvaient déconcerter et éloigner de lui ceux qui le connaissaient mal. Mais ceux, qui sans se laisser arrêter par son abord un peu rude avaient découvert la valeur de l'homme, lui vouèrent un attachement qui n'a jamais faibli.
Tel il était dans sa vingtième année, tel il resta toujours.
Son caractère n'était pas de ceux dont les frottements de la vie émoussent les angles, dont les contingences usent ou atténuent les réactions.
Une indépendance jalouse, presque farouche, une probité rigoureuse de pensée, une sincérité instinctive qui ne se fut pardonné à lui-même, encore moins qu'aux autres aucun faux fuyant, aucune restriction, aucun compromis, une solidité rare dans ses affections comme dans ses amitiés furent la règle de sa vie comme elles dominèrent toute sa carrière.
A l'examen des plus grandes questions comme des plus petites choses, il apportait un besoin difficilement satisfait de précision, de clarté, de logique. Et quand il avait à prendre parti, aucune passion ne l'inspirait ; aucun souci d'ambition d'intérêt personnel, de carrière, ne l'eut retenue. C'est uniquement à la raison ou à son sens inné de la justice qu'il demandait la solution.
Ce qu'il pensait, il le disait sans ménagement, avec une fermeté qui n'excluait pas la contradiction, qui la recherchait au contraire, mais dans toute la chaleur de sa conviction. Il fut de ces grands fonctionnaires qui estiment que la liberté d'expression est leur plus grande dignité et la meilleure sauvegarde de l'intérêt général dont ils ont la charge.
Impatients de tous les jougs, répugnant aux faiblesses ou aux hypocrisies, il devait être particulièrement sensible aux évènements de ces dernières années.
Au moins eut il la joie de voir triompher la cause à laquelle, dès l'origine il avait donné sa foi et apporté son concours. Non moins grande fut sa joie de voir que loin de lui, en dehors de lui, au milieu des dangers, chacun de ses deux enfants avait suivi les traditions de courage et d'honneur dans lesquelles il les avait élevés.
D'autres épreuves que la guerre l'ont lourdement frappé. Je ne connais guère d'existence plus tragique que la sienne et cette tombe ouverte évoque pour beaucoup d'entre nous des deuils multiples, des amitiés dont le souvenir ne s'est pas effacé. Aux coups du sort qui s'acharnait sans relâche contre lui, il opposait cette impassibilité apparente des solitaires repliés sur eux mêmes qui durcissent leur douleur mais n'en sont que plus touchés.
Des amis fidèles l'entouraient, des amis qui sont là aujourd'hui et qui voudraient apporter à sa famille le réconfort de la part qu'ils prennent à sa peine. Exigeant pour les autres comme pour lui même, il ne se livrait pas volontiers, mais quand il avait donné sa confiance, il ne la retirait jamais. Il avait le culte de l'amitié ; il en avait toutes les délicatesses ; il en recherchait et goûtait pleinement les douceurs.
C'est que cette nature si riche était faite de contrastes. Foncièrement individualiste, il n'en était pas moins hanté par la nécessité de poursuivre en matière sociale les solutions les plus justes et les plus généreuses. Son goût des sciences abstraites ne l'empêchait pas de se passionner pour l'étude des réalités économiques, pour l'archéologie, la peinture, la musique comme pour les spectacles du monde qu'il avait parcouru en tout sens. Fermé aux idées toutes faites, hostile aux préjugés, il n'en était pas moins intimement peut être à son insu attaché aux vieilles traditions si fortes dans ce pays angevin dont sa famille était originaire. Faut il ajouter enfin qu'il n'avait ni la froideur, ni la sécheresse des hommes trop épris de raison et qu'il dissimulait mal une sensibilité très vive vibrant à toutes les affections, toutes les émotions, tout les peines ?
Bien peu de jours avant la maladie qui devait l'emporter, nous parlions d'un livre où les spéculations métaphysiques de ces pays asiatiques où il avait beaucoup vécu et qu'il aimait temps. Il se plaisait à ces discussions. Il me disait à ce propos qu'il éprouvait le besoin de fixer ses idées et d'écrire, comme il aimait à le faire pour ne rien laisser de sa pensée dans l'ombre, le bilan de ses doutes, ses hypothèses, ses certitudes. La mort ne lui en a sans doute pas laissé le temps. Puisse-t-il, dans le repos suprême, connaître le secret de cette vérité absolue, bien loin de nos vérités humaines qu'il avait passionnément cherchées et servies.
Gaston Edouard Georges VARENNE (1881-1966 ; X 1902) commença sa carrière comme capitaine d'artillerie coloniale avant de devenir ingénieur conseil dans des exploitations minières coloniales et administrateur de sociétés
C'est au nom des mineurs indochinois que j'apporte un dernier adieu à André Lochard, dont j'avais le privilège d'être un ami, amitié née dès son premier séjour en Indochine, forgée et trempée au cours de nos longs services à tous deux en Extrême-Orient.
Je n'évoquerai pas son prestige professionnel, sa lumineuse intelligence, l'élévation de son caractère, son dévouement à l'oeuvre française, on l'a fait mieux que je ne saurais le faire.
Les quelques mots que je veux prononcer se tiennent sur un plan à la fois plus lointain, plus intime et plus modeste. Plus lointain, puisqu'il est indochinois ; plus intime parce que, à l'époque où je me reporte, les français d'Indochine, surtout ceux de la brousse où conduisaient ses tournées, se serraient les coudes ; plus modeste parce que nous tous, prospecteurs et mineurs qui l'avions connu là-bas, gardons le sentiment que sa personnalité, et Dieu sait s'il en avait, nous dominait de très haut.
Il se plaisait à ces tournées, il se plaisait " sur le tas " et il a parcouru et reparcouru l'Indochine, du sud de la Cochinchine au nord du Laos, du Mékong à la frontière de Chine, avec une résistance physique infatigable, visitant les exploitations naissantes dans les coins les plus reculés, suivant les pionniers de la prospection dans les montagnes couvertes de forêts et dépourvues de chemins, observant, conseillant et encourageant, aplanissant dans toute la mesure du possible les difficultés administratives qui s'ajoutaient souvent aux difficultés géographiques.
Je l'ai souvent accompagné dans ces tournées, surtout dans le Haut Tonkin et en particulier dans le massif de Chodien. Dans les forêts de bambous et de bananiers sauvages, dans les clairières où quelques cases indigènes se parent d'un bouquet d'arecquiers, au milieu de cette végétation touffue, parfois impénétrable, mais composée surtout d'une infinité d'essences de pousse facile et rapide mais sans majesté, il m'apparaissait comme un vigoureux chêne de Loire, à rude écorce. Il fallait le bien connaître pour savoir que derrière cette écorce, le coeur était sensible et bon en même temps que solide et sûr.
Dès son arrivée dans ce pays encore presque neuf, il avait comprs que son action ne devait pas se réduire à un rôle d'administration et de contrôle, mais s'étendre aussi et surtout à celui d'animation. C'est ainsi que ses efforts sont à la base de la création de la métallurgie de zinc à Quang-Yen, ses études techniques à la base de l'installation, sur une échelle répondant aux besoins locaux pendant les récentes années de blocus, de la sidérurgie dans le bassin de Thay-Nguyen.
Lorsque, ayant quitté ses kakis de tournée et revêtu la toile blanche, il demeurait à Hanoï, ses amis avaient le loisir de goûter le commerce avec un autre homme, l'homme cultivé dont l'intelligence n'avait pas de frontières. La conservation quittait la géologie et les mines pour rouler sur les arts et surtout sur la peinture et la musique, sur l'archéologie et particulièrement sur les travaux et les dernières découvertes de l'Ecole française d'Extrême Orient. On admirait les dernières toiles de Madame Lochard, dont la perte il y a deux ans a été pour lui si cruelle, on sortait de sa discothèque - probablement la plus fournie et la mieux sélectionnée de Hanoï - les disques des grands maîtres.
C'est d'André Lochard à cette période qui s'étendit sur plus de vingt ans, que les indochinois garderont le souvenir ému. C'est à cette période où vivait près de lui sa femme, où grandissaient près de lui ses enfants, que je me reporte moi-même pour adresser à ces derniers, au nom des Mineurs et des amis d'Indochine l'expression d'une profonde et sincère sympathie pour leur deuil qui est aussi le nôtre.
François Marie Auguste Clément MICHEL (1889-1956 ; X 1909) fut directeur de poudrerie, puis directeur général des mines domaniales de Haute Silésie (Pologne) jusqu'en 1939. Il fonda le réseau de résistance "Etoile".
Grand Croix de la Légion d'honneur (décoré par la main du Général de Gaulle pour ses nombreux services à la France pendant l'occupation de 1940 à 1944)
J'apporte à André Lochard l'hommage douloureux de ses amis de la Résistance.
Dès la catastrophe de quarante, son choix était fait. J'en puis témoigner et nos conversations d'alors me sont restées étonnamment présentes. Présent aussi l'inestimable réconfort, la sécurité que sa vision de l'avenir me procurait à une époque où, malgré la haute et prophétique ferveur qui, dès le 18 juin rayonnait de Londres, les pensées les plus proches, les plus aigües, côtoyaient de tels abîmes que les probabilités d'erreur apparaissaient redoutables.
A cette croisée tragique de chemins, j'ai tort de dire que André Lochard avait choisi : son esprit merveilleusement lucide, son coeur droit, et, par dessus tout, l'impérieux sentiment qu'il avait de l'honneur ne lui avaient montré qu'une seule route. Heureux qui a pu la suivre sans que l'appui de sa conviction lui ait un seul instant manqué. Son aide directe à la Résistance venait par surcroît, aide quotidienne, ingénieuse, vaillante, toujours empressée et cordiale. Mais c'était à la chaleur de ses entretiens, à la contagion de son patriotisme que j'attachais le plus de prix.
A ses côtés, Madame André Lochard, si tragiquement arrachée depuis à son affection et à nos amitiés, partageait avec noblesse son enthousiasme et ses certitudes, en multipliant l'action.
Les angoisses pourtant ne les épargnaient pas, car, au loin, leurs enfants dont la douleur est la nôtre aujourd'hui étaient entrés dans la lutte, leur fille dans la clandestinité en Hollande, leur fils évadé par les Pyrénées sous l'uniforme de la France libre. Le sang, chez eux, parlait.
La libération qui devait être pour lui une récompense le trouva brisé : par je ne sais quelle hallucinante logique, au moment le plus émouvant du combat, le hasard, pour infliger à notre malheureux ami la plus atroce blessure et inguérissable, avait choisi la main, inconsciente ce jour-là, d'un ennemi.
Depuis lors, cet homme qui aimait vivre dangereusement, qui n'avait jamais redouté la mort, secrètement l'appelait.
Elle est venue.
Lui dire adieu ici est un devoir bien lourd. Mais dans la peine qui vous accable, vous Madame, vous mon cher Jean, qu'il vous soit doux de penser que votre père, au soir d'une vie si bien remplie, trouvait dans les ressources de son intelligence et de son coeur la force de prendre sa part, pour la défense de l'honneur français, à cette lente et épuisante bataille de cinq années.
Et soyez sûr qu'ayant noblement vécu, André Lochard va survivre, ombre vigoureuse et bienfaisante dans nos coeurs, dans nos mémoires. Tandis que sa cendre terrestre va reposer dans ce sol de France qu'il a tant aimé, volontiers je répéterai à cette ombre amie l'invocation immortelle dont elle est si digne : Enseigne à tous, à nous que tu aimais, ces vérités qui dominent la mort, empêchent de la craindre et la font presque aimer.
André LOCHARD au repos ... |
Les photos suivantes, prises dans la cour de l'Ecole Polytechnique, 5 rue Descartes à Paris 5ème, devant la "boîte à claques", sont l'oeuvre de André LOCHARD lorsqu'il était élève à l'Ecole (1899-1901) :