Polytechnique (promotion 1845), corps des mines (sorti classé 3ème sur 7 de l'Ecole des Mines).
Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III, page 196
LAN (Charles-Romain) (promotion de 1845 de Polytechnique), né le 28 janvier 1826, est mort le 2 mai 1885, Inspecteur général, Directeur de l'École des Mines de Paris, où il était encore titulaire de la chaire de Métallurgie, bien que M. Lodin, qui devait lui succéder définitivement, l'y suppléât depuis un an. Lan, avant de passer à l'industrie, et en dehors de son rapport de mission en Angleterre, avait publié des Mémoires remarqués sur la Métallurgie, notamment sur les réactions de l'affinage des fontes.
Après avoir succédé à Gruner dans le professorat de chimie et de métallurgie à l'Ecole des Mines de Saint-Étienne, où il enseigna avec éclat et autorité de 1851 à 1862, il remplit avec lui, en 1861, cette mission du Gouvernement français en Angleterre, à la suite de laquelle ils publièrent l'État présent de la Métallurgie du fer en Angleterre, vaste rapport sur la sidérurgie anglaise, qui en est l'exposé complet, théorique et pratique, aussi nourri de faits techniques qu'économiques. Mis en évidence par ces travaux, Lan prit, en fait, sinon nominalement, de 1862 à 1885, la direction de la grande Compagnie métallurgique de Châtillon-Commentry. A partir de 1872, il cumula ses occupations industrielles avec l'enseignement de la Métallurgie à l'École des Mines de Paris, où il avait succédé à Gruner, comme vingt ans auparavant à Saint-Etienne.
Publié dans Notice historique sur l'Ecole des Mines de Paris, L. Aguillon, 1889 :
Lan, né le 28 février 1826, est mort inspecteur général le 2 mai 1885, occupant à ce moment les fonctions de professeur de métallurgie et de directeur de l'Ecole. Dès sa sortie de l'Ecole des mines, Lan avait, en 1851, remplacé Gruner dans l'enseignement de la métallurgie à l'École de Saint-Etienne, où il resta douze ans. A la suite de sa publication, en 1861, en collaboration avec Gruner, du volume resté classique sur l'État présent de la métallurgie du fer en Angleterre, Lan quitta le service de l'État pour s'occuper d'affaires industrielles. Il s'y est fait une très grande réputation par ses rares qualités techniques et administratives.
Publié dans Annales des Mines, 8e série, vol. 7, 1885
Le collègue à qui nous rendons les derniers devoirs a été, je ne vous l'apprendrai pas, Messieurs, un des ingénieurs de notre Corps des Mines qui ont accompli le plus de travaux remarquables et utiles. À une vive et prompte intelligence, à un jugement très droit, qui discernait sûrement dans chaque question le côté pratique de l'utopie et du progrès qu'il faut réserver à l'avenir, à une rare énergie de travail s'unissait en lui la volonté puissante, la persistance dans les desseins, le don du commandement, l'habileté à conduire les inférieurs, à persuader les supérieurs ou les égaux.
Je me bornerai à rappeler devant vous ses oeuvres capitales ; car je serais conduit à des développements trop longs, si je voulais énumérer toutes les fonctions qu'il a été appelé à remplir, tous les mémoires techniques qu'il a publiés.
Fin 1851, pour les débuts de sa carrière, Lan fut envoyé à l'École des mines de Saint-Étienne, où il professa durant douze années la métallurgie. Cette Ecole, malgré son très modeste budget, a non seulement produit beaucoup d'hommes distingués, aujourd'hui à la tête de nos mines et de nos forges ; elle a été aussi une pépinière féconde de bons professeurs. Elle a l'avantage précieux d'être située dans un pays entièrement industriel: l'enseignement pratique s'y joint de lui-même à la théorie. L'initiation fut rapide chez Lan ; en peu de temps il devint un métallurgiste consommé et un mineur habile. Il eut alors pour chef à l'École l'éminent et vénéré Gruner, qui, de suite, distingua sa valeur et avec qui il resta lié jusqu'à la fin d'une amitié profonde.
En 1860, l'adoption d'une politique commerciale qui, sans être radicale, s'inspirait des idées du libre-échange, inquiétait beaucoup, et non sans motifs, nos maîtres de forge. Avant d'arrêter les droits dont les métaux devaient rester frappés, le Gouvernement institua une mission pour examiner la situation métallurgique et minière de l'Angleterre. Lan eut l'honneur d'être désigné pour en faire partie, en collaboration de Combes et de Gruner.
Il s'y montra aussi travailleur que clairvoyant. Les questions financières d'ordre général fixèrent son esprit, aussi bien que l'étude des appareils et des procédés de fabrication. Je lui ai plusieurs fois entendu dire que son voyage lui avait surtout démontré la nécessité qui s'impose aux métallurgistes de se tenir solidement armés de capitaux puissants, toujours disponibles, libres d'intérêts obligatoires à payer. Il s'en est bien souvenu plus tard lorsqu'il est devenu lui-même grand chef d'industrie.
Ses travaux lui avaient acquis une juste réputation, et, en 1862, l'importante Société des forges de Châtillon et Commentry, dont les affaires étaient alors en péril, lui offrit d'être son directeur. La tâche était lourde entre toutes. Les dépenses menaçaient d'excéder les recettes ; l'avoir se composait de nombreux établissements disséminés, qui fonctionnaient sans lien bien étroit d'administration commune; les traités de commerce avaient précipité l'urgence des réformes. Lan se consacra durant dix années à peu près exclusivement à cette direction. En un temps relativement très court, il parvint à mettre la Société en pleine prospérité, et cela sans aucune de ces opérations qui allègent le présent et l'avenir en liquidant plus ou moins complètement le passé, au détriment des actionnaires primitifs.
Bien peu d'ingénieurs ont réussi à ce point dans les entreprises semblables. La célébrité qu'il y a trouvée et qui restera dans notre histoire industrielle est assurément des mieux méritées. On ne peut que malaisément se figurer la somme de travail qu'il y a consacrée. Il allait résider dans chaque usine, observait patiemment tous les détails de la fabrication et du prix de revient, et attendait qu'il les possédât pour accomplir, avec sa volonté ferme, les améliorations réalisables et les transformations nécessaires, exigeant partout un ordre rigoureux et une économie sévère, habile aussi à discerner les hommes et à mettre ses auxiliaires à la place qui leur convenait. Dans les belles années, il n'employait pas moins de volonté à défendre les intérêts réels de la Société contre la tentation des trop gros dividendes. Sa préoccupation permanente fut de constituer de solides réserves et d'amortir la valeur attribuée dans capital social aux établissements et à leur outillage. Grâce à cette prudence, la Compagnie a pu aisément installer, une des premières en France, les convertisseurs Bessemer et les fours Martin-Siemens, monter de puissants laminoirs et des ateliers de grosse forge, développer ses ateliers mécaniques à Montluçon et Commentry, affecter à des fabrications spéciales ses usines secondaires, plus récemment, transporter en grande partie près du littoral méditerranéen et en Meurthe-et-Moselle, sur les confins du Luxembourg, la production des premiers produits sidérurgiques.
En 1872, la chaire de métallurgie, précédemment occupée par Gruner, devint libre à l'École supérieure des mines. Nul n'avait plus de titres et d'autorité que Lan pour succéder à un tel maître. Le suffrage unanime le désigna. Je laisse à celui de nos collègues qui parlera au de l'École le soin de dire avec quelle haute distinction il s'est acquitté de ce cours, qu'il professait encore il y a quelques mois.
Lorsque l'exploitation par l'Etat d'un groupe de nos chemins de fer fut organisée en 1878 , il fut nommé membre du Conseil chargé de l'administrer. Il a pris cette fonction à coeur et y a, par son expérience, rendu de très sérieux services.
On citerait difficilement dans notre Corps un exemple plus éclatant de succès non interrompus ; car Lan obtint à la fois un avancement rapide, une carrière industrielle brillante, et, par surcroît, la fortune, l'influence, même les satisfactions que le monde est capable de procurer.
Quelle est cependant la vie humaine exempte de chagrin ? Il avait éprouvé, après peu d'années d'union, le malheur irréparable de perdre une compagne pleine de charmes, qu'il aimait ardemment. Ce coup ne brisa pas entièrement pour lui l'existence de la famille. On sait qu'il a élevé ses deux enfants avec une sollicitude maternelle et qu'ils s'en sont montrés dignes et l'en ont récompensé par leur tendresse.
Beaucoup de ses camarades ont regretté que, dans la dernière période de sa vie, il ne se fût pas voué plus entièrement aux études scientifiques et techniques, qui ont été la meilleure partie de lui-même.
Nos regrets s'augmentent de la pensée que peut-être, s'il eût renoncé, il y a dix ou douze ans, à mener front, avec une telle intensité, ses devoirs officiels, les affaires et le monde, nous le conserverions longtemps au grand profit de notre Corps, que sa capacité et sa science honoraient, et à celui du pays.
C'est là toutefois une supposition assez gratuite, car la durée de notre passage sur la terre est loin de dépendre entièrement de notre prudence. Il y a sept huit mois, malgré cette complexité d'occupations que tout autre aurait jugé accablante, il semblait encore plein de vigueur, et ceux qui n'avaient pas l'annuaire sous les yeux ne lui donnaient pas son âge.
Il n'était pas dans son tempérament de céder, et quand sa santé se trouva altérée gravement on eût dit que, par son énergie, il espérait combattre le mal. Tant qu'il lui resta quelque force, il persévéra dans ses fonctions et même dans ses habitudes.
Adieu, cher Lan. Il est difficile de croire que tant de riches dons qui vous ont animé aient succombé à jamais. Au revoir dans une autre vie.
Puissent l'affection que de nombreux camarades ont ressentie pour vous et le souvenir que laisseront vos travaux apporter des consolations à votre fils, à votre fille, à votre gendre !
C'est à titre de doyen des professeurs que je viens remplir le douloureux devoir d'exprimer les vifs regrets qu'éprouve l'École des mines de la perte de son directeur ; raconter une existence aussi bien remplie que la sienne suffit à faire comprendre l'étendue de nos regrets ; M. le vice-président du Conseil général des mines vient de retracer le tableau complet de sa carrière technique et administrative, en signalant ses nombreux travaux accomplis soit dans les services du Corps des mines, soit dans l'industrie. Je dois me borner, comme interprète de l'École, à rappeler les impressions qu'y ont laissées les débuts de Lan, ses travaux successifs lorsqu'il en était éloigné, et enfin son enseignement lorsqu'il y est revenu comme professeur.
Pour parler de lui comme élève, je n'ai besoin que de laisser revivre mes souvenirs personnels, puisqu'il faisait partie de la promotion de 1847, que j'ai trouvée à l'École des mines lorsque je suis venu, à la fin de 1848, occuper un des premiers degrés du professorat. Je le vois encore travaillant aux projets de métallurgie que Le Play avait ajoutés au programme des exercices pour intéresser les élèves aux côtés pratiques de son enseignement.
Dans les concours comme dans les examens, le jeune Lan faisait déjà preuve d'une instruction aussi solide que variée et surtout d'une grande rectitude de jugement.
Son mémoire d'élève sur le Mansfeld, inséré dans les Annales des mines, acheva de le faire considérer par Le Play comme devant occuper tôt ou tard la chaire de métallurgie.
Pour se préparer à une telle succession, au contact des pratiques industrielles, Lan, en 1851, choisit le poste de Saint-Étienne, dans lequel il avait à professer la chimie et la métallurgie.
Pendant l'occupation de ce poste, il sut si bien se faire apprécier, que Gruner, alors directeur de l'École de Saint-Étienne, en fit bientôt son collaborateur et l'associa au travail de la grande enquête sur la métallurgie du fer en Angleterre, provoquée, en 1860, par la Commission des traités de commerce.
Le compte rendu de cette mission , publié dans les Annales des mines, qui reste aujourd'hui encore un des ouvrages classiques de la sidérurgie, donna immédiatement une grande notoriété au nom de Lan comme ingénieur métallurgiste. C'est aussi lorsqu'il était professeur à Saint-Étienne qu'il avait fait tout d'abord son étude des gîtes de la Lozère et qu'il accomplit plus tard en Espagne l'importante mission industrielle qui mit en pleine lumière l'alliance de sa capacité technique bien connue et de ses rares aptitudes en fait de gestion industrielle ; cette alliance trouva la plus éclatante manifestation dans la direction générale des usines de Châtillon et de Commentry, à laquelle il eut, en obtenant un congé de l'administration, la liberté de se consacrer complètement.
L'entreprise était alors dans des conditions difficiles; il sut, après l'avoir promptement tirée de cette situation, lui faire acquérir la place importante qu'elle occupe dans la métallurgie française.
Heureusement pour nous, Lan ne devait pas rester indéfiniment éloigné des services du Corps des mines; en 1872, il vint naturellement, je dirai presque de plein droit, à la demande du Conseil de l'École des mines de Paris, occuper la chaire de métallurgie, lorsque Gruner la quitta pour prendre la vice-présidence du Conseil général des mines ; Lan réalisait ainsi, à vingt ans de distance, les espérances de son premier maître. A partir de cette époque, et quoiqu'il ne put refuser ses conseils aux entreprises industrielles à la création desquelles il avait été associé, son cours devint l'oeuvre de sa vie.
L'étude des grandes transformations qui ont marqué les progrès de la métallurgie du fer dans ces dernières années, avait déjà été introduite dans l'enseignement de Gruner : Lan put suivre la voie tracée par son prédécesseur sans se départir d'une réserve prudente à l'égard des innovations qui n'ont pas encore reçu leur entière consécration par la pratique de l'industrie, réserve qu'il tenait de Le Play et qui a toujours été une des caractéristiques de son enseignement.
Il contrôlait d'ailleurs incessamment ces méthodes nouvelles dans les usines, qu'il a toujours su maintenir par ses conseils, à la hauteur de toutes leurs rivales tant en France qu'à l'étranger.
Si les métaux autres que le fer ne jouent malheureusement pas un rôle considérable dans les richesses minérales de la France, il n'en est pas moins nécessaire de mettre nos élèves en mesure de prendre part à tous les développements de leur production dans les régions plus particulièrement favorisées des parties du globe nouvellement explorées. Lan, sans se laisser dominer par la préoccupation de la spécialité du fer, où il était passé maître, tenait donc soigneusement son enseignement au courant de tous les progrès réalisés dans les traitements de ces métaux.
En dehors de l'enseignement métallurgique, l'École tirait encore grand parti de ses lumières pour toutes les questions d'organisation ou de fonctionnement débattues au Conseil, où ses avis avaient toujours un grand poids. Les rôles qu'il fut appelé à jouer, dans l'administration des chemins de fer de l'État, dans diverses commissions administratives et dans les jurys des expositions, où il fit de remarquables rapports, ne diminuèrent jamais l'activité de son concours à tous nos travaux.
Aussi tant de services rendus le firent-ils appeler à succéder à M. Daubrée dans la direction de l'École, direction qu'il prit fort à coeur.
L'un des traits les plus saillants du caractère de Lan était une volonté aussi énergique que persévérante, et c'est peut-être à cette force de volonté qu'il faut attribuer sa mort si prématurée. Il ne voulait pas se reconnaître malade et jusqu'au dernier moment cherchait même à écarter tous les témoignages d'inquiétude.
Mais pourquoi revenir sur les impressions douloureuses de ces derniers jours?
Je me suis fait de mon mieux l'interprète des sentiments de tous et, permettez-moi de le dire, ce n'est pas sans une vive émotion, car nos rapports de bonne camaraderie étaient devenus de plus en plus affectueux depuis nos contacts journaliers.
Il ne me reste plus, hélas! qu'a prononcer le suprême adieu.
Au nom de la Société de l'industrie minérale, je viens adresser un suprême adieu à l'ami que nous venons de perdre. Il avait été l'un de ses fondateurs, et en était resté administrateur honoraire depuis l'époque où il quitta Saint-Étienne pour se mettre à la tête de la société de Châtillon-Commentry.
Par les nombreuses études qu'il a publiées sur les diverses branches de l'art de l'ingénieur, mais principalement sur la métallurgie et notamment sur celle du fer et de l'acier, et par les progrès que, placé dans un sphère active, il a su réaliser dans la fabrication de ces métaux, Lan s'est placé, depuis longtemps, au premier rang des ingénieurs. La Société de l'industrie minérale s'honore de l'avoir compté parmi les siens, et je suis son interprète en exprimant ici la vive douleur et les profonds regrets que cette mort si inattendue cause à tous ses membres, dont un grand nombre est formé de ses élèves, dont un plus grand nombre encore étaient ses amis. Lan laisse parmi nous un vide qui ne sera pas comblé.
Messieurs, il y a deux ans à peine, nous nous réunissions autour du cercueil de cet illustre savant qui fut M. Emmanuel Gruner. Parmi ceux qui rendaient à cet homme de bien un hommage mérité, se trouvait M. Charles Lan. Nul mieux que lui ne pouvait faire l'éloge du maître regretté qui avait guidé ses débuts dans ta carrière d'ingénieur, puis de professeur métallurgiste. Il l'a fait en termes émus qui partaient du coeur. Aujourd'hui, c'est à Charles Lan lui-même que nous venons rendre les derniers devoirs, à Charles Lan frappé si soudainement et si prématurément au milieu d'une carrière brillante et brillamment remplie, peu de mois après avoir été placé par le choix éclairé du gouvernement à l'un des postes les plus élevés du Corps si distingué des ingénieurs des mines.
Des voix autorisées viennent de retracer devant vous les éminents services scientifiques et techniques que Charles Lan a rendus comme professeur et comme conseil à l'industrie métallurgique en général et à l'industrie sidérurgique en particulier.
Qu'il me soit permis de venir, à mon tour, au nom des anciens élèves de l'École des mines de Saint-Étienne, de rendre un dernier et pieux devoir à celui qui fut longtemps leur professeur et qui, pour un grand nombre a été un appui ou un protecteur fidèle et bienveillant.
C'est en 1851 que Charles Lan succéda, à un intervalle rapproché, à Emmanuel Gruner dans la chaire de chimie et de métallurgie, qu'il ne devait quitter que douze ans après, en 1863, quand une grande société industrielle fit appel à ses conseils et à cette compétence déjà universellement reconnue, et dont elle eut si grandement à se louer.
Les leçons si intéressantes, si variées, qu'il fit pendant ces douze années sont restées dans le souvenir des nombreuses promotions qui vinrent successivement s'asseoir devant la chaire du jeune professeur ; son enseignement fit sur eux une empreinte profonde. Il faut certainement lui attribuer une bonne part des succès que rencontrèrent, plus tard, les plus brillants élèves de cette période, parmi lesquels nous voyons l'un d'eux mêler ses douloureux regrets aux nôtres, lui qui, après avoir été l'élève et le disciple, est devenu le successeur du maître qui l'avait désigné au choix de la Société qu'il avait à longtemps inspirée.
Les soins de cet enseignement, ceux d'un service ordinaire exceptionnellement chargé, ne suffisaient pas cependant à donner satisfaction à cette infatigable activité qui fut un des traits les plus caractéristiques de ce grand esprit. Mais dans cette période si fructueuse de sa vie, Charles Lan consacrait encore beaucoup de temps à des expériences, à des recherches poursuivies sans relâche dans le laboratoire de l'École et les usines de la contrée, au plus grand profit de la science et de l'industrie métallurgique.
Un si long séjour, une si grande et si noble tâche accomplie au sein de notre École, avaient créé des liens entre elle et Charles Lan, entre le maître et les élèves. Aussi, malgré les soucis des grandes affaires qui l'assiégeaient, ceux-ci trouvaient-ils toujours auprès de leur ancien professeur un accueil bienveillant et l'appui le plus sûr.
C'est au nom de tous ces obligés dont la liste serait longue ; c'est au nom de tous ceux qui ont recueilli et fait fructifier vos excellentes leçons et votre docte parole que je viens, Charles Lan, vous apporter un dernier adieu, un dernier témoignage de reconnaissance et d'affection.
Messieurs, on vient de vous retracer, avec l'ampleur que le sujet comportait, les services rendus par M. Lan à la science et à l'État.
La Société des forges de Châtillon et Commentry ne saurait laisser passer ce cercueil sans dire un dernier adieu à son ingénieur-conseil, à celui qui fut longtemps, sous ce titre, son plus actif collaborateur.
Je viens remplir ce devoir au nom du Conseil d'administration ; notre président, tout entier à la douleur que lui inspire la fin prématurée d'un ami de trente années, cadet dans la vie, à qui il avait ouvert la carrière industrielle, m'a délégué cette pénible tâche.
M. Lan avait trente-cinq ans, quand il vint à nous, en 1862, à l'origine même de notre Société, du moins sous sa forme et avec son administration actuelles. Il nous apportait, d'abord les deux vertus traditionnelles du Corps auquel il avait l'honneur d'appartenir, la capacité et l'honorabilité : et puis ce qui était son don particulier, l'étendue la promptitude et la sûreté du coup d'oeil, le tact des circonstances et des ressources, l'opportunité des résolutions, la précision dans l'exécution ; M. Lan a excellé dans l'art difficile de la stratégie industrielle. Quand il est arrivé, l'affaire périclitait ; en quelques années d'un labeur exclusif et passionné, l'éminent vice-président du Conseil des mines vient de le rappeler justement, il la faisait plus puissante qu'elle n'avait jamais été. Il nous a donné la meilleure part de sa vie... Notre Société ne l'oubliera jamais.
Pourquoi ne lui avons-nous pas suffi ! C'était un conquérant par le travail, et comme tant d'autres de cette race, il n'a pas été maître des généreuses ambitions de son intelligence. Depuis quelque temps déjà, on pouvait s'apercevoir qu'il avait peine à suivre les entraînements de sa volonté. Mais il refusait de se rendre aux avis de l'amitié; il tenait les révoltes de sa santé pour une injure ! On pressent sa souffrance le jour où il a dû s'avouer sans doute qu'il avait trop demandé à la vie. Pour nous, nous n'avons pas connu de plus angoissant spectacle que ces derniers mois de lutte désespérée, quand les conseils qu'il voulait nous apporter encore expiraient sur ses lèvres défaillantes, quand sous un sourire aimable et vaillant toujours, on pouvait déjà surprendre les approches de cette mort qui allait finir par l'emporter d'assaut !
Nul ne saurait prétendre au monopole des regrets. Mais comme Lan, même aux temps où la fortune lui souriait de toutes parts, gardait au fond du coeur le souci persévérant des destinées d'une Société où il avait trouvé sa voie et fondé sa réputation, ainsi notre Compagnie conservait un attachement particulier pour l'ingénieur dont elle avait su, en des jours difficiles, deviner et utiliser les jeunes talents.
C'est pourquoi, invoquant les souvenirs de cette ancienne confraternité, au nom de mes collègues, au nom de tous nos collaborateurs, de ce personnel dévoué qu'il forma jadis à son école et qui ne lui a jamais manqué, nous voulons assurer la famille de M. Lan, qu'entre tous les témoignages de condoléances qu'elle recueille à cette heure, il n'en est point de plus sincèrement ni de plus profondément sentis que les nôtres.
Messieurs, devant la pléiade d'hommes d'élite qui se presse autour de ce cercueil, je n'ai pas la prétention de vous retracer les qualités éminentes de l'illustre savant dont les sciences et le pays déplorent la perte ; je serais impuissant à le faire.
Je veux vous parler du camarade bien-aimé dont, il y a quarante ans, notre promotion de l'École polytechnique saluait les premiers succès qu'attestaient les doubles galons d'or de son uniforme. Sa figure jeune, sympathique, son sourire affable, son langage plein d'aménité, ses sentiments nobles et élevés, tous ces reflets de sa belle âme lui valurent bien vite un de ces succès que le concours ne donne pas, qui arrivent sans que l'on s'en doute et qui depuis lors ne lui a jamais été contesté : il prit place au premier rang dans le coeur de ses camarades d'école, et ce rang lui est toujours resté.
Président naturel et par droit d'affection de nos dîners de promotion, il savait apporter à ces réunions le charme des souvenirs de notre jeunesse, rappelant tout ce qu'il avait retenu des autres comme éloge de ses camarades, n'oubliant que lui dans sa modestie.
Il fut l'un des plus actifs organisateurs de la Société amicale de secours des anciens élèves de l'École Polytechnique et il n'épargna à cette oeuvre bienfaisante ni sa peine, ni son temps, ni sa bourse.
Nous le trouvons au siège de Paris patriote ardent mettant sa science à l'oeuvre pour l'organisation des engins de défense à opposer à la puissante artillerie prussienne. Il travaille jour et nuit, et trouve encore dans son dévouement des moments à dérober à ses travaux pour aller réconforter de son énergie et de sa foi ceux de ses camarades que le sort des armes a abattus sur le champ de bataille, et dont les souffrances l'émeuvent. Faire le bien était un besoin de sa nature.
Au nom des survivants de notre promotion de 1845, dont je suis assurément le faible interprète, reçois ici, cher et bien-aimé camarade, le témoignage de notre douleur; tu emportes nos plus vifs regrets, mais tu nous laisses ton souvenir que rien ne pourra amoindrir, et qui nous reste comme un symbole éclatant de la vraie fraternité.