Jules Adolphe MENJ dit MÉNY (1890-1945)


Jules Mény, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Fils de Adolphe Godefroy MENJ, peintre en bâtiment, et de Adeline Philippine Alice DINI, né le 17 septembre 1890 à Paris (9e). Frère de Godefroy René MENJ (1889-1956 ; X 1909 comme son frère). Epoux de Mlle ALEXANDRE. Religion protestante. Sa fille Hélène MENY épouse Alain BLEY le 22/1/1848.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (entré classé 3 et sorti en 1912 major de la promotion 1909) et de l'Ecole des Mines de Paris (entré en 1913 et sorti en 1919 classé 1). Corps des mines.


Biographie de Jules MÉNY, par Jean MAJORELLE.

Publié dans ANNALES DES MINES, mai 1948, pp. 2 à 4.

Plus de trois ans se sont aujourd'hui écoulés depuis que sont parvenues les dernières nouvelles de Jules MÉNY.

Au début de 1945, il était rencontré à Buchenwald par un de ses ingénieurs, en pleine forme intellectuelle, physiquement intact, plus ardent et plus optimiste que jamais; depuis, la nuit s'est abattue, coupée de lueurs incertaines qui, s'il en était besoin, suffiraient pour confirmer notre certitude : Jules Mény a disparu dans le transfert de Buchenwald à Dachau, massacré sans doute le 24 avril en même temps qu'un grand nombre d'autres déportés.

Un chef exceptionnel nous manque aujourd'hui, mais aussi un homme simple et bon, dont seuls ceux qui l'ont approché de près peuvent juger de la délicatesse de coeur.

De fortes traditions chrétiennes avaient marqué son éducation. Education solide, orientée à l'ombre d'une foi protestante qu'il ne devait jamais renier, vers la formation du caractère et le goût de l'action. Elle devait donner à Mény une incomparable solidité morale, alliée à une extrême pudeur de ses sentiments et un profond mépris de toute publicité personnelle.

Sorti en 1912, Major de sa promotion, de l'Ecole Polytechnique, la guerre le trouvait à l'École des Mines. Il partit avec le 11e d'artillerie, fit l'avance en Belgique, la retraite, la Marne.

Des aptitudes physiques exceptionnelles : résistance à toute épreuve, rapidité des réflexes, coup d'oeil aigu, le désignaient particulièrement pour l'aviation qu'il rejoignait dès la fin de 1914. Ses qualités intellectuelles et morales devaient faire rapidement du sous-lieutenant d'alors un des plus marquants parmi les jeunes chefs que l'aviation suscitait. Ces années d'énergie, de risque devaient le marquer profondément : ainsi qu'il le disait d'un de ses camarades, Marcel Morize, tombé 25 ans plus tard au cours d'un vol d'entraînement militaire, « il trouva là son épanouissement au milieu des jeunes Français qui apportaient leur enthousiasme, leur intelligence, leur folie, leur courage, pour faire un rempart à la Patrie ». Observateur, pilote de chasse, livrant 60 combats et abattant quatre avions ennemis, chef d'escadrille, commandant de secteur aéronautique, ses dix citations illustrent « une maîtrise professionnelle de pilote et d'observateur et une autorité de chef qui sait exiger et qui obtient ».

En septembre 1918, entre deux offensives, il s'était marié : la paix le trouvait capitaine, officier de la légion d'honneur, célèbre parmi ses pairs. Après un bref passage à l'École des Mines, il occupait à Douai son premier poste d'ingénieur.

C'est là que faisaient appel à lui les dirigeants des groupes français qui venaient de prendre, en association avec un groupe anglais, le contrôle d'une société roumaine de pétrole.

Il se rend à Bucarest en fin 1920. Son séjour y dura huit ans. Dès l'abord, il s'impose comme directeur de la Steaua Romana. L'entreprise qu'il doit diriger conjointement avec un collègue anglais, est bientôt marquée de son cachet propre. Les vieilles routines sont écartées dès qu'elles protègent des erreurs ou des lenteurs vite repérées par son extraordinaire clairvoyance. En deux années, Mény a compris qu'une affaire à pétrole doit être menée comme une escadrille : pondération dans le choix des buts, compétence et obstination dans la préparation des moyens, mais audace et rapidité dans l'exécution et, avant tout, confiance dans les hommes plus que dans les machines.

Ayant jaugé son affaire, il effectue sa premiere visite technique aux États-Unis, qui confirme son intuition. Il faut renouveler les méthodes et le matériel. Ses ingénieurs, pour comprendre et réaliser cette révolution nécessaire, doivent eux aussi visiter les champs de pétrole et les raffineries américaines. Par roulement, il les envoie aux États-Unis, et ils reviennent plus compétents, plus actifs.

Au cours de ces huit ans passés en Roumanie, Meny est devenu le premier pétrolier français de classe internationale. Il a appris à connaître les grands pétroliers mondiaux et les hommes qui les dirigent au cours de conférences mondiales où les intérêts qu'il représentait ont été en tous points défendus. La production de la Steaua Romana est, en effet, passée 300.000 à 1.200.000 tonnes par an et la société raffine toute cette production. Elle exporte en Italie, France et Angleterre, au moyen de ses propres tankers, et distribue elle-même ses produits en Turquie, Proche-Orient, Bulgarie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Autriche, Allemagne et Suisse.

Cette activité est galvanisée par l'ascendant personnel de Mény sur ses collaborateurs étrangers et français; de ces derniers, il a façonné l'équipe qu'il conduira désormais à servir les intérêts pétroliers français sur un plan plus directement national.

En 1928, Mény recevait, en effet, l'offre de prendre la direction de la Compagnie Française des Pétroles, qu'à l'instigation du Président Poincaré, Ernest Mercier avait constituée pour défendre et gérer les intérêts français dans le Moyen-Orient. Tâche singulièrement vaste et ardue que celle de faire une réalité efficace d'accords encore imprécis. Lutte courtoise mais continue, où les représentants français eurent à mettre le meilleur d'eux-mêmes dans un effort sans relâche.

De 1929 à 1939, le succès s'affirme : construction des deux raffineries de Gonfreville et de la Mède, inauguration en 1935 des deux conduites de Kirkuk à la mer qui marque le début des importations régulières du pétrole d'Irak en France, création d'une flotte pétrolière comportant la plus grosse unité alors existante, telles sont quelques étapes où s'affirme la ténacité de l'action poursuivie. Une grande affaire de pétrole est désormais créée et d'ores et déjà elle s'est suffisamment affirmée pour résister aux effets de la guerre.

Malgré son activité industrielle intense, Mény n'avait jamais renoncé à l'aviation. En 1929, il avait repris son entraînement de pilote et les jours de détente, il sillonnait le ciel de France et d'Europe avec les camarades du Roland-Garros dont il était l'ardent animateur. Aussi, lorsque la guerre éclata, alors que tout devait l'inciter à demeurer dans son emploi civil, responsabilité d'une grande industrie et d'une famille nombreuse, rien ne résista à l'appel de son arme, l'aviation, dont il était colonel de réserve. Mais, trop âgé pour reprendre un poste de combat, à son amer regret, Mény était affecté au G.Q.G. de l'Air.

Il en était bientôt rappelé et ne put que se soumettre à l'ordre du Gouvernement de prendre la tête de la mission aérienne de Londres où l'appelait son autorité exceptionnelle dans les milieux anglo-saxons, servie une parfaite connaissance de l'anglais. Au début 1940. il acceptait comme un devoir imposé de prendre, au Ministère de l'Air, la Direction des Fabrications, poste qu'en mars, Paul Reynaud transformait en Sous-Secrétariat d'Etat. Tâche immense que celle d'animer un organisme encore disparate, riche d'un certain nombre d'excellents éléments, de lui agréger des hommes nouveaux pour fondre en une équipe ardente et efficace des volontés venues des divers points de l'administration et de l'industrie. Tâche passionnante aussi à laquelle Mény se voua de toutes ses forces et, si la catastrophe vint brutalement briser l'effort entrepris, du moins pouvait-il avoir la satisfaction de penser que, de février à juin, la production avait triplé.

La défaite fut un coup terrible. Mais rapidement, la confiance profonde devait reprendre ses droits. Il estima dès lors que, bien que, ou plutôt parce que, particulièrement visé par l'ennemi en raison à la fois de sa personnalité propre et de ses attaches familiales, il se devait de combattre à sa place - la première - pour le maintien et le relèvement du pays. En même temps que son camarade de promotion et ami, Aimé Lepercq, était nommé Directeur du Comité d'organisation des Combustibles solides, il acceptait de prendre la tête du Comité d'organisation des Combustibles liquides.

Devenu en même temps Président-Directeur général de la Compagnie Française des Pétroles, il s'acharne à sauvegarder les intérêts de la Compagnie, c'est-à-dire les intérêts pétroliers de la France en Proche-Orient. Il en connaît la valeur et mesure les convoitises qu'ils ne peuvent manquer de susciter.

Il rétablit dès après l'armistice une liaison efficace avec les Américains et les Anglais. Aussi, quoique les règlements britanniques dussent officiellement considérer comme avoir ennemi la participation française en Proche-Orient, officieusement, la C.F.P. fut néanmoins autorisée par nos alliés à garder sa position d'associée des groupes pétroliers anglo-saxons. Elle sera ainsi à même de souscrire pendant l'occupation sa part intégrale de toutes les augmentations de capital décidées en son absence pour maintenir et développer les champs de pétrole du Proche-Orient. Mény a eu l'habileté et la sagesse de transférer à temps aux États-Unis les disponibilités de la Compagnie et chacun sait à Londres et à New-York qu'il est resté un allié. Ses activités ont ainsi sauvé la position de la Compagnie Française des Pétroles dont l'actif et les droits ont pu, dès la Libération, reprendre leur pleine valeur.

On conçoit que de tels arrangements, s'ajoutant à une lutte pied à pied contre l'occupant dans le domaine intérieur de l'industrie du pétrole en France, ne pouvaient rester sans réaction de l'ennemi, et ce d'autant plus que s'y greffaient des activités plus secrètes que devait récompenser la Médaille de la Résistance au lendemain de la Libération.

En août 1943, en même temps qu'étaient arrêtés une vingtaine de hauts fonctionnaires, la Gestapo se présentait chez Mény. Il était absent de Paris. Immédiatement averti, il pouvait se cacher, disparaître. Il réfléchit, pesa les risques pour les siens, pour ses collaborateurs, et estima que son devoir ne lui permettait pas de les découvrir par sa fuite. Il revint à Paris et se constitua librement prisonnier. Premier sacrifice dans le calvaire qui commençait.

Déporté au Plansee dans des conditions relativement décentes, ses amis eurent presque un sentiment de soulagement : ils avaient craint le pire et pouvaient espérer que les risques s'étaient amenuisés.

C'était bien mal connaître Mény. Tenacement, durant les mois de captivité, il préparait son plan. Le jour où Paris fut libéré et où il n'eut plus à craindre ni pour les siens, ni pour ses hommes, il décida de s'évader. Aucun conseil, aucune objurgation de ses compagnons de captivité ne purent fléchir sa volonté. A ceux qui lui représentaient que les chances de réussite étaient singulièrement plus faibles que celles de l'échec, il répondit que quand bien même elles eussent été infimes il se devait de les tenter. Il partit seul, marcha deux jours et fut repris à quelques kilomètres de la frontière suisse.

Ainsi, pour la seconde fois, le risque avait été non seulement accepté, mais volontairement couru.

Transféré dans un kommando de représailles, Mény passa l'hiver d'une dureté exceptionnelle et ceux qui l'ont rencontré là purent juger de son indomptable résistance et de la fermeté avec laquelle se maintenait l'optimisme d'une volonté qui ne fléchissait pas.

En avril 1945, les déportés de Dachau furent temporairement repliés sur Buchenwald. Au moment où se formaient les colonnes qui devaient embarquer de nouveau vers Dachau une chance se présentait pour Mény de se terrer et d'attendre. Il jugea ne pas devoir abandonner ceux qui avaient partagé pendant plus de six mois sa vie de misère du kommando et partit avec eux.

Ainsi, pour la troisième fois, il écartait la solution de facilité pour accepter sans détour et sans marchandage le plein risque.

Le coeur des vivants est aujourd'hui son seul tombeau.

Lorsque nous sentons chaque jour plus profondément l'absence du chef disparu, il nous arrive de déplorer que faisant front devant le danger, l'acceptant et le recherchant, il n'ait jamais cédé à la prudence légitime. Mais nous savons aussi que la fidélité à oi-ême est la vertu cardinale de l'homme et nous pensons que, ainsi qu'il le disait dans son adieu à Morize : « Si nous pouvions lui rendre la vie, nous voudrions, au risque de le reperdre, qu'il soit, tel qu'il a été ».

J.M.


JULES MENY, premier directeur de la Compagnie Française des Pétroles

Par R. Samuel Lajeunesse (1948). Publié dans GRANDS MINEURS FRANÇAIS, chez Dunod.

Jules Meny a été le premier pétrolier français de classe internationale.

Son activité est à la base de la création d'une grande affaire qui défend les positions françaises sur les champs pétrolifères mondiaux.

Meny est né à Paris, dans les locaux de l'école protestante de la rue Milton, où sa mère était institutrice.

Ses parents étaient tous deux Parisiens. Son arrière-grand-père paternel était venu de Suisse sous la Révolution. Son grand-père maternel était d'ascendance italienne; ses grand-mères étaient de souches paysannes françaises. Bien que de condition modeste, ses parents consacrèrent beaucoup de soin à son éducation. C'est ainsi qu'ils l'emmenaient passer les vacances sur des plages anglaises, ce à quoi n'auraient pas songé, à l'époque, des familles plus aisées. Meny put ainsi acquérir facilement une parfaite maîtrise de la langue anglaise qui devait lui être précieuse au cours de sa carrière. Egalement en avance sur leur temps, les parents Meny veillaient aux activités sportives de leurs deux fils. Le père les emmenait faire des voyages à pied, à bicyclette, en montagne, et leur faisait pratiquer la natation.

Meny fit toutes ses études comme boursier au collège Rollin. En 1909, après une seule année de préparation, il est reçu troisième à Polytechnique. Les deux premiers ayant opté pour l'Ecole normale, il est classé "major", performance exceptionnelle pour un "bizuth". Avant d'entrer à l'école, il accomplit une année de service militaire à Rennes, où il devient adroit et ardent cavalier.

Il est élève ingénieur à l'Ecole des mines lorsque la guerre éclate.

Sous-lieutenant d'artillerie, il prend part aux durs combats de Belgique, de la retraite de la Marne. Cependant, ses qualités physiques et morales : rapidité des réflexes, coup d'oeil aigu, volonté d'action, le désignaient particulièrement pour l'aviation, qu'il rejoint dès la fin de 1914.

Il est successivement observateur, pilote de chasse, chef d'escadrille, commandant de secteur aéronautique. Il livre soixante combats, abat quatre avions ennemis. Ses dix citations illustrent " une maîtrise professionnelle de pilote et d'observateur et une autorité de chef qui sait exiger et qui obtient ". A l'Armistice, il est capitaine, officier de la Légion d'honneur.

Après quelques mois à l'Ecole des mines, il occupe à Douai son premier poste d'ingénieur. Il y participe à l'oeuvre de reconstitution des houillères sinistrées. Dès 1920, il quitte l'Administration pour prendre la direction de la Steaua Roumana, société roumaine de pétrole qui venait de passer sous contrôle franco-britannique. Meny passe en Roumanie huit ans, au cours desquels son dynamisme fait ses preuves. A la suite de visites techniques aux Etats-Unis, il renouvelle les méthodes d'exploitation et le matériel. La production passe de 300.000 à 1200.000 tonnes par an. Elle est raffinée sur place. La Steaua exporte dans toute l'Europe et le Proche-Orient au moyen de ses propres tankers.

Si Meny a ainsi déjà servi les intérêts français à l'étranger, la principale contribution qu'il a, à cette époque, apportée à son pays est sans doute d'avoir constitué en Roumanie une équipe de collaborateurs. Tout chef a son état-major. Le succès ne va qu'à celui qui dispose d'une véritable équipe, Meny a su former la sienne, l'imprégner de son esprit de lutte. Il va pouvoir l'utiliser à des tâches spécifiquement nationales.

Cette heure sonne en 1928, date à laquelle il est chargé de prendre la direction de la Compagnie française des Pétroles, qui vient de se constituer pour défendre et gérer les intérêts français dans le Moyen-Orient.

Si " la participation française dans les pétroles de l'Irak constitue aujourd'hui une réalité tangible et fructueuse " (Edgar Faure, Le pétrole dans la paix et dans la guerre), c'est principalement à des hommes comme Pineau, Ernest Mercier et Meny qu'on le doit.

Le pétrole de Mésopotamie est connu depuis l'antiquité. Plutarque en fait état. Cependant, au début du XXème siècle, il n'était pas encore industriellement exploité.

La mystique orientale de l'empereur Guillaume II, le réalisme de la Deutsche Bank les avaient conduits à obtenir successivement la concession du chemin de fer de Bagdad et une option sur la prospection des gisements pétrolifères des vilayets de Mossoul et de Bagdad.

Cependant, la lenteur des Allemands à concrétiser leurs avantages avait permis à de puissants concurrents de se manifester. Il s'agissait des grands trusts pétroliers Royal Dutch et Anglo-Persian.

Le sultan ne manqua pas de jouer de chaque groupe contre les autres. La réaction défensive fut une fusion des trois groupes, qui constituèrent la Turkish Petroleum Co Ltd. En 1914, celle-ci, au capital de 100.000 livres, était contrôlée pour moitié par la D'Arcy Exploitation (filiale de l'Anglo-Persian), pour un quart par l'Anglo-Saxon (filiale de la Royal Dutch) et pour le dernier quart par la Deutsche Bank.

Le 28 juin 1914, la Turkish Petroleum était confirmée comme concessionnaire des pétroles de Mésopotamie, avec réserve en faveur de la Turquie d'une part à déterminer ultérieurement.

Dès le début de la guerre, la Turkish étant société de droit anglais, la Grande-Bretagne place sous séquestre les actions de la Deutsche Bank.

En 1916, les accords Sykes-Picot de partage d'influence dans le Moyen-Orient prévoient que le Liban, la Syrie, les vilayets d'Alep, Damas et Mossoul seront placés sous mandat français. Mais sir Edward Grey avait obtenu de M. Paul Cambon, qui, selon les mauvaises langues, " visiblement ignorait la Turkish Petroleum Co et la part que l'Allemagne y possédait ", l'assurance que les concessions britanniques seraient maintenues dans la zone sous mandat français.

Nous devions avoir ainsi " Mossoul sans le pétrole ". En fait, ce furent les troupes anglaises qui, dès le 3 novembre 1918, occupèrent Mossoul.

Une rivalité entre les deux trusts britanniques devait heureusement servir les intérêts français.

Le Public Trustee des actions de la Deutsche Bank s'apprêtait à les vendre au groupe Anglo-Persian, qui aurait ainsi eu la majorité dans la Turkish Petroleum.

Peu satisfait de cette perspective, Sir Henry Deterding, président de Royal Dutch, suggéra à Clémenceau de réclamer la part allemande pour compte français.

Le pacte de San Remo accorda à la France 25 % de la production du pétrole mésopotamien. La France s'engageait à faciliter la construction de pipe-lines à travers la Syrie et le Liban.

L'affaire suscita de violentes protestations américaines. Finalement, le groupe Anglo-Persian dut céder à la Standard une participation de 25 % prélevée sur la sienne. En compensation, il recevait une redevance de 10% du pétrole extrait.

Le contrôle de l'affaire se trouva finalement divisé en quatre parts égales : Anglo-Persian, Royal Dutch, Standard, France, avec une réserve de 5 % pour M. Gulbenkian, qui avait des droits antérieurs.

Pour gérer la part de la France, Poincaré décida de provoquer la constitution d'une société d'économie mixte.

A sa demande, M. Ernest Mercier fonda la Compagnie française des Pétroles, avec qui l'Etat passa convention le 17 mai 1924.

En 1928, la Turkish Petroleum Co prend le nom d'Iraq Petroleum Co.

C'est à cette époque (1928) que Meny est placé à la direction de la Compagnie française des Pétroles. [Il succédera à la présidence de la CFP à Ernest Frédéric Honorat MERCIER (1878-1955 ; X 1897)].

Il lui faut alors lutter farouchement pour défendre les intérêts français, qui ne concordent pas toujours avec ceux des trusts étrangers. Ceux-ci, en effet, sont déjà pourvus de sources de production et, par crainte de se faire concurrence à eux-mêmes, ont une politique quelque peu malthusienne. La France, au contraire, a un intérêt majeur à sortir au plus vite le pétrole de l'Irak.

Le plus urgent est la construction de pipe-lines. Le trajet le plus court aboutit à Tripoli, en territoire sous mandat français. Les Anglais préfèrent le terminus de Haïffa, en Palestine.

En définitive, les deux pipes sont construits et, dès 1934, la France reçoit du pétrole de l'Irak. Celui-ci, en 1938, permet de couvrir 40 % de ses besoins.

Cependant, Meny ne se borne pas à veiller à l'extraction et au transport du brut. Il dirige également la Compagnie française de Raffinage, nouvelle société d'économie mixte créée le 30 avril 1929 dans le but de traiter le pétrole de l'Irak.

Il crée ainsi deux importantes usines : la raffinerie de Normandie, à Gonfreville, d'une capacité de 1.500.000 tonnes, et la raffinerie de Provence, à Martigues, d'une capacité de 500.000 tonnes.

Cette oeuvre s'inscrit dans le cadre de la politique que M. Pineau a poursuivi avec ténacité entre les deux guerres et qui devait faire de la France une puissance pétrolière.

De cette politique, Meny a été le premier artisan.

Lorsque la guerre éclate, Meny, grand chef d'industrie, père de quatre enfants, approchant la cinquantaine, ne veut connaître que son grade de colonel de réserve. Il insiste pour être mobilisé et, ne pouvant à son regret obtenir un poste direct de combat, il prend bientôt la tête de la mission aérienne de Londres.

Au début de 1940, il est appelé à la Direction des fabrications, au ministère de l'Air, poste pour lequel ses capacités de chef et d'organisateur le désignent tout particulièrement et que Paul Reynaud transforme en mars en sous-secrétariat d'Etat.

Si Hitler ne devait pas lui laisser le temps de donner son entière mesure, on doit cependant noter que de février à juin, sous son impulsion, la production aéronautique avait triplé.

La défaite est un coup terrible pour Meny. Cependant, après quelque temps d'accablement, sa volonté d'action se ranime. Bien que particulièrement visé par l'ennemi, qui n'a jamais pardonné la mainmise française sur les actions de la Deutsche Bank et qui sait que sa femme n'est pas "aryenne", il accepte un poste important: la direction du Comité d'organisation des combustibles liquides. Il devait en faire un poste de combat contre l'occupant, comme le fit cet autre grand Français Aimé Lepercq (Ministre des Finances du premier gouvernement de Gaulle ; tué dans un accident d'auto le 9 novembre 1944), son camarade de promotion, à la tête du Comité d'organisation des combustibles solides.

Si Meny avait été en France, à l'heure de la Libération, il est bien probable qu'il aurait été à nouveau collègue de Lepercq, au sein cette fois du premier gouvernement provisoire de la IVème République.

Nul ne peut dire ce que la France a perdu par la mort de ces deux grands mineurs et chefs d'industries. Bien des erreurs eussent été sans doute évitées parmi celles qui ont ralenti le redressement du pays.

L'activité anti-allemande de Meny a en effet conduit à son arrestation en août 1943, en même temps que celle de plusieurs hauts fonctionnaires, dont le directeur des carburants de Coutard.

Absent de Paris le jour où la Gestapo se présente à son domicile, Meny, pour éviter des représailles sur les siens et ses collaborateurs, croit de son devoir de se constituer prisonnier.

Déporté au Plansee, où il jouit d'un traitement relativement décent, il aurait pu se contenter d'attendre patiemment la fin de la guerre, qu'un esprit aussi averti que lui savait ne plus pouvoir tarder très longtemps.

C'eût été mal le connaître. Meny prépare une évasion. Le jour où Paris est libéré et où il ne craint plus de représailles sur les siens et ses collaborateurs, il s'évade, contre l'avis de compagnons plus résignés. Il part seul, marche trois jours, est repris à quelques kilomètres de la frontière suisse.

Transféré dans un kommando de représailles de la région de Dachau, il y passe un hiver terrible, sans que, aux dires de ceux qui l'ont rencontré, fléchissent sa volonté et son optimisme.

Au début d'avril 1945, les déportés de Dachau sont repliés sur Buchenwald. Quelques jours après, les SS affolés dirigent à nouveau sur Dachau la triste cohorte. Meny a disparu au cours de ce transfert, vraisemblablement massacré en même temps qu'un grand nombre de déportés.

S'il a ainsi péri misérablement, son oeuvre demeure. L'outil qu'il a forgé demeure la pièce maîtresse du système français d'approvisionnement en pétrole, et il s'applique en particulier à ce Moyen-Orient qui constitue aujourd'hui le plus important réservoir du monde.


Jules Mény fut remplacé par Victor de Metz à la tête de la CFP.


Jules Mény, élève de la promotion 1909 de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Godefroy Mény (frère de Jules), élève de la promotion 1909 de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique