Nicolas Desmarest est le père du zoologiste et paléontologue Anselme Desmarest (1784-1838 ; il publia notamment dans le Journal des Mines : sur des empreintes de corps marins trouvées à Montmartre, sur la distinction des couches naturelles qui composent le massif calcaire de Passy et de Chaillot, près Paris ).
La biographie qui suit a été publiée dans la NOTICE HISTORIQUE SUR LE TROISIÈME FAUTEUIL DE LA SECTION DE MINÉRALOGIE LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DU 17 DÉCEMBRE 1928 PAR ALFRED LACROIX, Secrétaire perpétuel.
Nicolas DESMAREST, fut pensionnaire de l'ancienne Académie [des sciences], depuis 1782, après en avoir été associé adjoint-mécanicien, en 1771 et associé, en 1773.
Desmarest était né le 16 septembre 1725, à Soulaines près de Bar-sur-Aube en Champagne, d'une famille paysanne qui prit fort peu de souci de son instruction, à tel point qu'a la mort de son père, alors qu'il avait 15 ans, il savait à peine lire. Son tuteur eut le bon esprit d'employer le mince héritage revenant à son pupille au payement d'une année de pension au Collège des Oratoriens de Troyes. Les rapides progrès du jeune homme conduisirent ses maîtres à se charger désormais de son instruction, puis à l'envoyer à Paris, où ses connaissances en physique, en mathématiques et en langues anciennes lui permirent de vivre, fort maigrement, il est vrai, mais aussi de continuer avec ardeur à s'instruire dans des directions fort variées.
En 1753, son esprit curieux fut attiré par l'annonce d'un concours ouvert par l'Académie d'Amiens sur la question suivante : « L'Angleterre et la France ont-elles été jadis réunies? » Sous l'ancien régime, les Académies provinciales jouaient un rôle important dans la vie intellectuelle de la France. Elles rivalisaient avec les Académies royales de Paris, elles distribuaient des prix littéraires ou scientifiques fort recherchés. Nul n'ignore que ce fut par un concours de l'Académie de Dijon qu'en 1749, se révéla Jean-Jacques Rousseau; les Académies de Bordeaux, de Lyon, de Montpellier, de Toulouse n'étaient pas moins florissantes. Desmarest rédigea un Mémoire où, en s'appuyant sur la similitude de constitution des falaises de Boulogne et de Douvres, récemment signalée par Guettard, il conclut à l'existence, dans le passé, d'un isthme ayant occupé la position actuelle du Pas de Calais et qui, plus tard, aurait été rompu par l'action de courants venant du Nord.
Le travail était très objectif et par la précision des arguments contrastait avec la méthode philosophique et déclamatoire mise à la mode par l'Histoire naturelle de Buffon. Il fut couronné, mais, mieux encore, il intéressa d'Alembert qui voulut connaître le jeune auteur et pour celui-ci ce fut la fortune, car d'Alembert était un homme puissant n'oubliant pas ses amis; il le mit en rapport avec Trudaine, Turgot et bien d'autres; grâce à leur influence, Desmarest n'allait pas tarder à trouver l'occasion de tirer parti de ses aptitudes et de son savoir.
Le Gouvernement royal projetait alors une enquête sur l'état des manufactures de la France, afin de répandre les meilleurs procédés de fabrication et d'introduire ceux en usage à l'étranger. Desmarest est attaché successivement aux intendants de plusieurs provinces et, pendant trente ans, à partir de 1757, il va remplir de nombreuses missions à travers la France et au delà de ses frontières. Il avait la plume facile et il entasse bientôt volumes sur brochures. L'Art du drapier, l'Art du papetier, l'Art du fabricant de fromages publiés dans les Mémoires de l'Académie ou dans l'Encyclopédie méthodique sont des exemples de cette activité, pris entre beaucoup d'autres. Grâce à lui furent introduites chez nous : la fabrication du papier de Hollande et encore l'usage des métiers à tricot importés d'Angleterre.
Entre temps, Desmarest avait été conduit par ses protecteurs dans le monde féru de lettres et de sciences, chez le financier Vatelet, l'ami de d'Alembert, chez la duchesse d'Enville dont le fils, le duc de la Rochefoucauld, l'emmena dans plus d'un de ses voyages.
Je ne suivrai pas Desmarest dans sa brillante et utile carrière administrative, car, quelle que soit l'importance des services rendus à l'industrie nationale, ils doivent s'effacer devant son oeuvre scientifique, accomplie par surcroît, et qui a fait de lui l'un des fondateurs les plus marquants de la géologie.
Rappelons tout d'abord qu'en 1752 un membre de l'Académie des Sciences, Guettard, venu à l'étude du sol par la botanique, voyageant en Auvergne, avait reconnu la nature volcanique des courants de lave de Volvic issus du Puy de la Nugère, puis des autres volcans récents de la Chaîne des Puys. Cette découverte de volcans éteints en France avait eu un certain retentissement, mais Guettard avait borné ses conclusions aux appareils à structure conservée et, comme ses contemporains, il faisait une distinction complète entre leurs laves et le basalte. Dans un Mémoire publié en 1770, il avait même formulé sur la genèse du basalte l'opinion que cette roche, bien loin d'avoir été fondue, se serait formée dans l'eau.
En 1763, Desmarest voyageant en Auvergne, à pied suivant sa coutume, pour en inspecter les manufactures, non seulement confirma l'opinion de Guettard, mais se trouvant en présence des colonnades basaltiques du Puy de Prudelle, sur la route de Clermont au Puy de Dôme, remarqua qu'elles recouvrent un lit de scories reposant lui-même sur le granite. Il ne douta pas que ce ne fut là un épanchement de lave et il en trouva la confirmation dans l'étude de la coulée similaire de Gravenoire, près Royat, qu'il suivit jusqu'à son point de sortie. Il arriva ainsi à la conviction que basaltes et laves ont la même origine ignée, que leur texture prismatique résulte du refroidissement d'une matière jadis fondue et aussitôt se dresse devant ses yeux l'image de la Chaussée des Géants, en Irlande, et de bien d'autres colonnades basaltiques; sans hésitation, il en déduit que toutes ont la même origine, que le retrait columnaire est l'une des caractéristiques de toutes les laves, car dans sa description il englobe non seulement les basaltes, mais encore ce que nous appelons aujourd'hui les trachytes et les phonolites.
Desmarest était un homme réfléchi, il n'était pas un homme pressé. En cela, il se distinguait des gens de notre époque. Conscient de la portée de sa découverte, que va-t-il faire? La publier? Non point. Il rentre à Paris; il convainc M. de Balainvilliers, intendant d'Auvergne, de l'utilité d'établir sans retard une carte détaillée de la région volcanique qu'il vient de définir. Il part ensuite en compagnie de Pasumot, ingénieur géographe du roi, chargé de l'exécution de cet ouvrage, et en 1765 seulement, il apporte à l'Académie ses résultats. Mais il ne les publie pas en détail. Il va en Italie étudier ce qu'il sait dès lors être d'autres volcans éteints, le Vicentin, le Latium, puis encore le volcan actif du Vésuve. Tout en poursuivant ses missions industrielles, il va multiplier ses courses à travers l'Auvergne et, en 1771, il se décide à présenter à l'Académie un Mémoire bourré de faits et d'interprétations sur l'origine et la nature du basalte. Ce Mémoire ne paraît qu'en 1774 et en 1777.
Suivons le dans ce travail fondamental. Il expose tout d'abord le détail de ses observations sur la Chaîne des Puys, le Mont-Doré, le Cantal, le Velay et il développe ses idées sur l'origine des basaltes et des laves en général. La notion si féconde de magma n'était pas connue alors. Comme les savants de son époque et beaucoup de leurs successeurs, il supposait que les laves résultent de la refusion de roches préexistantes. Or les volcans de la région des Puys situés sur un socle granitique en renferment des enclaves présentant tous les stades possibles de destruction par voie calorifique, depuis le granite intact jusqu'à sa transformation totale en un verre spongieux. Desmarest le remarque, et, en passant, il note l'infusibilité du quartz. A ses yeux, le granite est la roche mère de ces laves. Ne soyons pas choqués par une telle conclusion, rappelons nous qu'à cette époque l'on ne savait rien sur la composition minéralogique ni sur la composition chimique des roches et admirons qu'en présence d'un tel chaos nos précurseurs n'aient pas perdu courage.
La seconde partie du Mémoire est un exposé critique de tout ce qui avait été publié antérieurement sur les basaltes, complété par ses observations personnelles en France et à l'étranger.
Au cours de ses voyages en Auvergne, Desmarest avait fait une minutieuse et lucide analyse de la diversité de structure des coulées de lave. Il avait vu de grandes étendues privées de toute végétation, à surface rugueuse et scoriacée, couvertes de blocs, puis d'autres, dépourvues de scories, disposées sur les pentes des vallées; d'autres, enfin, présentant les mêmes caractéristiques sont perchées sur des plateaux et sans connexion avec des cônes de scories. Par une vue géniale,il sut comprendre que la première disposition seule est originelle, que les autres sont d'origine secondaire et façonnées par l'érosion atmosphérique : ce sont des débris plus ou moins démantelés d'anciennes coulées, débarrassées de lenrs matériaux incohérents par l'action des eaux pluviales. La profondeur des vallées entaillant les plateaux basaltiques est fonction à la fois de l'époque de l'épanchement et de l'importance des rivières qui ont creusé ces vallées.
Peu à peu, les appareils volcaniques émetteurs des coulées ont perdu leurs caractéristiques. Les cônes formés par des scories ont été attaqués les premiers; leurs matériaux meubles ont été bien vite emportés par les eaux et ainsi, progressivement, la lave compacte a été mise à nu, et Desmarest de faire voir qu'il, est possible de trouver tous les intermédiaires entre ces puys intacts, l'une des merveilles des environs de Clermont, et les coulées basaltiques d'apparence homogène.
Voici donc établie, et pour la première fois dans la science, non par des raisonnements, mais à l'aide d'exemples indiscutables, la doctrine de la genèse des vallées par l'action érosive des cours d'eau, la démonstration qu'à une identité de causes correspond une identité de résultats.
Ces conclusions si clairement démontrées pour la France centrale, Desmarest, très averti de la constitution du sol d'autres contrées, les généralise aussitôt et prouve que la même explication doit être donnée pour les basaltes classiques de l'Irlande, des bords du Rhin, de la Saxe, de la Bohême et de la Silésie. Ainsi a été mis en lumière ce fait capital que le volcanisme, si réduit, si localisé de nos jours, a joué un rôle considérable dans le passé, non seulement en Auvergne, mais dans nombre de régions du monde alors exploré.
La troisième partie du Mémoire, publiée en 1778, est consacrée à l'histoire des travaux antérieurs consacrés au basalte et à son étude lithologique rendue bien précaire, comme je viens de l'indiquer, par l'état de la minéralogie à cette époque, aussi n'insisterai-je pas.
Quel est l'âge des volcans éteints ? C'est en Auvergne encore qu'il va chercher la réponse à cette question ; elle fait l'objet d'un mémoire présenté à l'Academie en 1775, publié partiellement en 1779 ; il parut définitivement dans les Mémoires de la Première Classe de l'Institut, en 1806 seulement, c'est-à-dire trente et un an plus tard.
Desmarest y développe sa doctrine, établissant pour le volcanisme trois époques qui expriment une succession dans les phénomènes et non des périodes datées et il montre que pour cette succession la nature a suivi, dans la série des siècles, le même plan général qu'au cours des temps les plus récents.
Les volcans actifs ou modernes sont caractérisés par leurs cônes de cendres et de scories; les coulées à surface scoriacée qui s'en échappent, les cheires comme on les appelle en Auvergne, sont continues, elles s'étalent dans les plaines, elles s'écoulent dans le fond des vallées dont elles enregistrent la limite de creusement à une époque donnée.
Mais bientôt tous les matériaux fins et les scories incohérentes des cônes vont être entraînés par les pluies, charriés à la surface des épanchements dont la partie scoriacée est érodée à son tour, puis l'eau pénètre et circule dans les fissures de ces coulées; elle les entame plus ou moins profondément; elles les dissèque. Le phénomène se poursuit d'une façon progressive et quand la seconde période commence, tous les matériaux transportables ont disparu. Les coulées sont morcelées, découpées en lambeaux isolés; celles qui occupaient le fond des vallées constituent alors des plateaux d'autant plus élevés que plus profondes sont les vallées qui les séparent. Pour démontrer leur origine, il faut les suivre jusqu'à leur point de sortie et souvent celui-ci est aujourd'hui isolé sous forme d'amas qu'il appelle des culots; il faut reconnaître qu'il a exagéré le nombre de ceux-ci et que beaucoup des gisements cités par lui comme tels sont simplement des lambeaux de coulées.
Il prouve d'une façon lumineuse que les laves de cette époque ont bien été épanchées avant le creusement des vallées et sa puissante pensée réunit leurs lambeaux épars en larges nappes, jadis continues.
Dans la troisième époque, les laves ne recouvrent plus les sédiments; elles sont recouvertes par eux ou interstratifiées avec eux. Nous savons aujourd'hui, par l'étude de leur faune, qu'en Auvergne ces sédiments sont d'âge tertiaire et d'origine lacustre. Desmarest les regardait comme marins. Du fait qu'il y avait trouvé des galets de basalte, il concluait fort judicieusement à l'existence de volcans encore plus anciens.
Il fait remarquer enfin que, faute d'avoir connu la méthode rigoureuse d'observation qu'il vient d'établir, beaucoup de naturalistes ont méconnu l'origine volcanique de certaines roches anciennes (schistes, pierres de corne, etc.) qu'ils ont considérées comme d'origine sédimentaire, alors qu'inversement, ils ont pris pour des cratères le résultat de l'érosion de laves anciennes ou modernes.
Ne doit-on pas être saisi d'admiration en présence de cette succession de travaux, résultat d'observations minutieuses, rigoureusement enchaînées, en présence de ces conclusions, nettement exposées et généralisées par Desmarest au cours de quarante ans d'efforts continus ? Si les recherches sur le terrain effectuées depuis plus d'un siècle les ont complétées, elles n'en ont guère modifié l'ordonnance générale.
On pourrait croire que tant de clarté avait éclairé ses contemporains d'une façon définitive et établi la science des volcans sur des bases inébranlables. Il n'en fut rien cependant.
Un orage s'était levé qui fut sans doute le plus violent de ceux ayant secoué la géologie naissante.
A la fin du XVIIIe siècle, Werner exerçait de l'Ecole des Mines de Freiberg une véritable dictature scientifique sur les minéralogistes de son époque. Mais ses doctrines imprégnées d'à priori, étaient loin d'être basées sur l'observation rigoureuse et patiente d'un Desmarest. En 1787, il avait émis sur l'origine du basalte une hypothèse ressemblant étrangement à celle de Guettard. Pour lui, le basalte était un précipité chimique effectué dans l'Océan universel, base de son système de la Terre. Quant aux volcans brûlants que, du reste, il n'avait jamais vus lui-même, il les considérait comme des phénomènes superficiels très récents, sans grande importance, déterminés par la combustion de couches de charbon, de lignite. Ces couches étaient-elles recouvertes par des basaltes formés dans l'eau et faisant partie de son Terrain primitif? leur incendie fondait ces basaltes et ainsi se produisaient les laves.
Ses disciples, considérant de telles théories comme autant d'articles de foi, combattirent avec passion l'origine éruptive du basalte. Je ne saurais exposer ici la lutte épique livrée par les Neptnnistes à leurs adversaires, les Vulcanistes et les Plutonistes. Desmarest, bien que si directement intéressé, ne prit aucune part à la controverse ; à peine y fit-il une indirecte allusion. A ceux qui le consultaient, il se contentait de répondre : « Allez et voyez ».
Deux élèves de Werner, un Français, D'Aubuisson de Voisins, et un Allemand, Leopold von Buch, allèrent et virent. De leur visite en Auvergne, ils rapportèrent une conversion éclatante qui allait jouer un rôle important dans l'établissement définitif de la vérité. Il est permis de regretter que, dans l'exposé de leurs observations, ils aient omis de citer un nom, celui de Desmarest.
Sans doute celui-ci eut-il le tort de mettre trop peu de hâte à développer ses découvertes, de dédaigner leur vulgarisation et notamment de ne pas publier le précieux Atlas volcanique de l'Auvergne dressé avec un soin extrême et qu'il voulait rendre toujours plus parfait : seules une réduction et quatre cartes de détail en ont paru.
Poussé à l'extrême, l'amour de la perfection n'est plus une vertu. Il arrive une heure où le savant doit se décider à affronter la publication de son travail, quitte à le retoucher ultérieurement s'il y a lieu. Mais peut-être aussi Desmarest fût-il retenu par une autre cause. Il voyait, dit-on, avec chagrin de nouveaux observateurs étudier l'Auvergne après lui et il en parlait avec humeur. Un tel état d'âme n'est pas spécial aux naturalistes nés sous le règne de Louis XV. Nombreux ont été, et sont, les géologues pour qui la région fouillée par eux est comme une sorte de chasse gardée dont l'accès devrait être rigoureusement interdit à tout autre. Ce travers trouve peut-être son explication, sinon son excuse, dans ce que le géologue se donne tout entier à sa tâche, y faisant participer non pas seulement son cerveau, mais ses bras, ses jambes, tous ses muscles, peinant souvent de tout son être; or il n'est pas rare de voir aimer avec une prédilection, parfois ombrageuse, l'enfant par qui l'on a souffert.
Il me reste à signaler une dernière oeuvre de Desmarest, sa Géographie physique, faisant partie de l'Encyclopédie méthodique. De l'an III à 1811, il en a publié quatre volumes in-4° compacts, le cinquième, laissé incomplet, ne fut terminé qu'en 1828 par Bory de Saint-Vincent et quelques autres.
Pour Desmarest, la géographie physique comprenait l'étude de la structure intérieure de la terre et celle de ses formes extérieures. C'était donc la réunion de la géographie physique, telle que nous la comprenons aujourd'hui, et de la géologie qui ne portait pas encore son nom et ne constituait pas une discipline distincte.
Dans le premier volume, il expose et discute, comme à regret, les travaux de ses devanciers dont sont exclus les vivants, à l'exception de Pallas et de Hutton, car déclare-t-il, et non sans ironie, leurs théories jouent, vis-à-vis de la géographie physique, le même rôle que la fable, par rapport à l'histoire. Les volumes suivants sont consacrés à l'étude des faits principaux et à des descriptions régionales : on y trouve de suggestifs articles sur les questions et les contrées spécialement étudiées par lui.
Cuvier a donné une pittoresque peinture de Desmarest représentant parmi les Académiciens de l'Empire une curieuse survivance du siècle passé dont il avait conservé les habitudes et jusqu'au costume et à la perruque du temps du cardinal Fleury. Sa vie était réglée avec un automatisme d'horloge. A 90 ans, par exemple, il continuait à aller passer chaque dimanche à Auteuil, parce que, dans sa jeunesse, il y était reçu par un ami, mort depuis près d'un demi-siècle.
Il n'avait jamais perdu les manières et le parler frustes, dénotant ses origines, qui, jadis, avaient fait l'objet d'un étonnement sympathique des familiers raffinés du salon de la Duchesse d'Enville.
Il était de même peu accessible aux idées nouvelles, il continua bien jusqu'à son dernier jour à s'intéresser à l'industrie, mais le reste le laissait indifférent, à l'exception de la géologie. Une anecdote le dépeint tout entier. Un jour devant lui, un anglais raconte avec feu les incidents de la récente expédition du capitaine Cook; au moment pathétique, où il décrit les dangers courus par l'explorateur dont le navire avait touché une roche et n'avait dû son salut qu'à un fragment de celle-ci aveuglant la blessure de la coque, Desmarest l'interrompt pour lui demander si cette roche était basaltique ou bien calcaire !
Parmi les successeurs de Desmarest, beaucoup ont occupé une position plus élevée, ont joui, de leur vivant, d'une réputation incomparablement plus brillante, aucun, sans doute, n'a, dans l'histoire de sa science, attaché son nom à des découvertes d'une plus grande portée générale.
L'importance de son rôle dans l'établissement des premiers principes de la géologie a été méconnue de ses contemporains; elle n'a pas été appréciée plus tard comme elle eût mérité de l'être. Nous devons de la gratitude à notre éminent associé étranger, Sir Archibald Geikie, pour avoir mis en pleine lumière son rôle de précurseur, comme aussi celui de Guettard, dans son livre The Founders of Geology.
Lors de la réorganisation de l'Institut en 1803, Desmarest passa au second fauteuil de sa section, - il mourut le 28 septembre 1815 - et Duhamel au troisième, il occupait le cinquième depuis 1795 (13 décembre).