Albert Rémy COCHON dit COCHAIN (1888-1917)

Fils de Rémy COCHAIN, boulanger, et de Marie Stéphanie Sydonie COURTY. Né le 10/12/1887 à Reims (Marne).

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1906, sorti classé 3 sur 153 élèves), et de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1910). Corps des mines.


Biographie
par M. L. DE LAUNAY, Inspecteur général des Mines, Membre de l'Institut.


Voir également l'introduction de l'article de Louis de Launay sur les ingénieurs des mines morts au cours de la guerre 1914-18.

Publié dans Annales des Mines, 1922, tome II

Albert Cochain, ingénieur au Corps des Mines, capitaine au 50e régiment d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, mortellement blessé en se rendant à son poste d'observation, a pu, dans sa courte vie, montrer à la fois son courage militaire, son dévouement au pays et sa valeur scientifique. Ingénieur des Mines à Rennes au moment de la mobilisation, il avait déjà collaboré à la Carte géologique et écrit, sur la géologie, des travaux très originaux dont je parlerai bientôt. Envoyé au 50e régiment d'artillerie, il prit rapidement le commandement d'une batterie qu'il conduisit successivement en Argonne, où il fut cité à l'ordre du jour d'un régiment de zouaves, puis à Verdun, où il fut l'objet d'une citation à l'ordre de l'armée. Enfin, il vint collaborer à l'attaque d'avril 1917 devant le Mont Cornillet, a 20 kilomètres de Reims, sa ville natale, où sa famille était demeurée sous le bombardement. C'est là, en montant à un observatoire que, le 30 mai, il fut atteint d'un éclat d'obus dans le ventre. Transporté à l'ambulance de Mourmelon, il y mourut deux jours après.

Très modeste, d'un caractère très doux, aimé de tous, Albert Cochain ne vivait que pour la science, en particulier la géologie, à laquelle il voulait se consacrer. Avant de mourir, il avait confié à l'un de ses camarades, de Solages, en le priant de la transmettre à son maître, M. Termier, une liasse de notes géologiques, « où, dit celui-ci, se manifestaient à chaque page l'originalité de son esprit et son aptitude à aborder les plus hauts problèmes ». M. Termier a pu en extraire une série de communications à l'Institut qui ont paru dans les séances des 2 et 23 juillet, 6 août et 3 septembre 1917. Je ne puis mieux faire que de reproduire en partie la communication personnelle dans laquelle, le 10 septembre 1917, notre savant collègue a résumé et apprécié ce travail.

« Les quatre notes posthumes que j'ai pu extraire de la liasse de notes géologiques laissée par le regretté Albert Cochain sont le développement d'une idée originale et ingénieuse : l'idée de séparer, dans l'écorce terrestre, deux zones de cohésion très différente : une zone supérieure, dite écorce passive et une zone profonde, dite écorce résistante... Cochain en a tiré une explication très satisfaisante des fossés d'effondrement; des diverses particularités que l'on observe, le plus souvent, le long de ces fossés ou dans leur intérieur ; de la liaison manifeste entre les fossés et les volcans ; de quelques-uns des phénomènes qui accompagnent le volcanisme. Dans ses deux premières notes, tout me semble digne d'être retenu, ou presque tout.

« Il a voulu aller plus loin, et les deux autres notes ne visent rien moins que l'édification d'une théorie orogénique. Ayant longuement considéré le dessin des plissements alpins, il a remarqué, ce dont personne ne s'était avisé jusqu'ici, que ce dessin possède un centre de symétrie approché, centre qui est situé vers le milieu de l'Apennin. Une telle symétrie ne peut pas être l'effet du hasard. Pour l'expliquer, Cochain fait appel à l'hypothèse de deux bandes de flexion sensiblement rectangulaires, affectant l'écorce résistante... De cette tentative, je garderai l'idée de faire rencontrer, sous la région méditerranéenne, et sensiblement sous l'Apennin, deux vagues soulevant les zones profondes de l'écorce : l'une, la vague alpine dirigée à peu près Est-Ouest et couchée vers le Nord ; l'autre, de direction à peu près perpendiculaire et qui serait la réplique, en Europe, de la vague andine, dont l'empreinte, sur le continent américain, est si marquée. Cette dernière vague serait couchée, elle aussi.

« Nul, mieux qu'Albert Cochain, n'eût été capable de compléter, ainsi ou autrement, sa théorie et de la rendre adéquate à l'explication de tous les phénomènes alpins, en perdant si prématurément un esprit d'une telle ouverture, une intelligence d'une telle vivacité, la science géologique a beaucoup perdu ; et, quand je songe à tout ce qu'aurait pu produire un savant qui débutait de la sorte, j'ai l'impression désolante d'une diminution de lumière, d'un recul dans l'ignorance et dans la nuit.


Biographie
par Th. de Solages

Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Juillet 1917 :

Notre groupe vient de faire une grande perte : le capitaine Cochain, mortellement blessé, a rendu peu après le dernier soupir Il était, en temps de paix, ingénieur des mines à Rennes. Mobilisé au 2e groupe du 50e régiment d'artillerie, il part modestement comme commandant d'un échelon de batterie qu'il conduit jusqu'à la Sambre et ramène, non sans donner déjà quelques mesures de ses rares qualités, presque aux bords de la Seine, pour revenir ensuite, après les belles journées de la Marne, sous les murs de Reims, sa ville natale. Il grimpe de là jusqu'à Arras, à temps pour participer aux chaudes affaires d'octobre 1914. Mais le front se cristallise ; il passe au service d'orienteur où, peu à peu, sous le voile d'une rare modestie, se montrent au grand jour ses éminentes qualités. Jamais la taquinerie affectueuse de ses camarades et amis n'a pu lui découvrir d'autre défaut, que son désordre dans le classement des innombrables papiers. Sous Verdun, il passe au commandement d'une batterie et marche aussitôt de pair avec les meilleurs capitaines de l'active : je parle au figuré, car, en réalité, je n'ai connu qu'un capitaine capable de tenir son pas. Enfin, dans l'offensive de Champagne, devant Moronvilliers, il a été magnifique. Parti le 17 avril avec la deuxième vague des zouaves, il travaille si bien, en parfait accord avec le commandant et les autres capitaines du groupe, que celui-ci est cité avec eux à l'ordre du 8e zouaves, puis à l'ordre de l'armée. Le 5 mai, il part comme d'habitude en tournée aux premières lignes, suivant une piste assez battue. Un obus à droite, un autre à gauche. Encadré en direction ! dit-il avec, son habituel sang-froid. Puis un troisième éclate plus proche, assez loin cependant! Ses compagnons le voient subitement couché, croient à une plaisanterie et l'interpellent gaiement... « Je suis perdu, j'ai une horrible blessure ! » On s'empresse..., un éclat lui avait ouvert le ventre. Un poste de secours d'infanterie était proche, on l'y porte. Pansement rapide. Mon capitaine, tué depuis, lui offre un aumônier. « Oh ! oui, j'avais perdu la foi, mais depuis quelque temps je crois, vous le savez. » On le transporte sur un brancard ; il a gardé toute sa connaissance, se préoccupe de sa pauvre mère, dit que l'on me confie, pour le remettre à M. Termier, un petit travail de géologie, fruit de ses loisirs de guerre, et puis : « Dites bien à tous que je suis heureux de mourir pour la France. » Mis dans une auto d'ambulance, il y rendait le dernier soupir pendant son transport à l'hôpital.

Voilà les états de service. Arrêtons-nous un peu à admirer l'homme.

La géologie, et spécialement la tectonique, avaient séduit cette imagination puissante, bridée par un grand respect des faits et le sens du ridicule. Il vouait à M. Termier la reconnaissance que l'on doit à ceux qui vous ont révélé votre voie.

Il avait travaillé avec sa tête si vivante et ses infatigables jambes à la revision de la carte géologique de Bretagne, très imparfaite encore (disait-il). En temps de guerre, la géologie restait son étude favorite ; il transportait partout Suess et Termier et travaillait sur le terrain.

Mais la géologie ne suffisait pas à rassasier son esprit ; il s'intéressait beaucoup à l'histoire et à la géographie, à l'économie politique et aux langues, en général à toutes les sciences humaines. Il avait appris le russe et lisait beaucoup d'auteurs anglais, Kipling, entre autres, qu'il appréciait particulièrement.

Je crois qu'il voulait encore travailler quelques années sa géologie sous le contrôle de ses maîtres et ne se consacrer à l'enseignement que s'il se trouvait capable de créer quelque chose de nouveau. Exposer intelligemment les idées d'autrui ne lui aurait pas suffi, et, s'il s'était senti acculé à cette solution, il aurait démissionné pour s'occuper d'industrie.

C'était au physique, comme au moral, un fort et un optimiste malgré son sens — parfois très caustique — des réalités. Il avait dans l'avenir de notre pays et du monde moderne une robuste confiance.

Enfin, sa plus belle qualité, insigne chez quelqu'un de cette envergure, c'était la modestie, la précieuse humilité, c'est à elle qu'il doit sans doute d'avoir retrouvé le repos de l'esprit et la paix du cœur auprès de l'Hôte divin de cette cathédrale de Reims, joyau de sa ville natale, dont il aimait à parler. Cette offensive était un peu son offensive, celle qui devait sauver sa ville, où sa famille habite encore.

Tandis que les derniers arceaux de la cathédrale s'effondrent, Cochain disparaît.

Que son souvenir vive dans le cœur de ceux qui l'ont connu et aimé.

Th. de Solages.