Jules-Emile CHOULETTE (1844-1871)


Choulette, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Polytechnique (promotion 1863 ; entré major, sorti 2ème juste derrière Henri DOUVILLÉ). Il entre en 1865 à l'Ecole des mines, et en sort en 1868 classé 3ème. Corps des mines.

Fils de Sébastien CHOULETTE, Pharmacien principal, et de Aloyse Joséphine SCHWARZ.


Extrait du LIVRE DU CENTENAIRE DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE, tome III page 141

CHOULETTE, de la promotion de 1863 de Polytechnique, est né à Strasbourg, le 13 février 1844. Il fut tué à Belfort, le 9 février 1871, par un éclat d'obus, alors que l'armistice, cette place exceptée, avait été conclu le 28 janvier et que, quelques jours après, l'armistice allait la comprendre. Pendant ce siège mémorable, Choulette avait rendu les plus grands services par son ingéniosité à établir les diverses installations, rentrant dans ses occupations professionnelles, qui lui avaient été demandées : fours à coke, lumière électrique, chemins de fer pour transport de canon, construction et expédition d'un ballon.


NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. CHOULETTE
INGENIEUR DES MINES.
Par M. F. CLÉRAULT, ingénieur des mines.

Annales des Mines, 6e série vol. 20, 1871.

Choulette (Jules-Emile), né à Strasbourg le 13 février 1844, a passé une partie de sa jeunesse en Algérie et terminé son éducation à Paris par de brillantes études. En 1863, après une seule année de mathématiques spéciales, Choulette se présente à l'École polytechnique; il est classé le premier sur la liste d'entrée. Ses deux années d'études développent en lui le goût des sciences physiques, et ses examens de sortie sont autant de succès ; il arrive le Second au classement définitif de 1865 et choisit la carrière des mines.

Les cours de l'École des mines trouvent en Choulette un disciple fidèle, car son esprit d'une aptitude générale s'applique à tout, mais son goût le porte plus spécialement à l'étude de la chimie; le laboratoire est sa retraite favorite et il entreprend ses analyses avec une passion qui n'a d'égale que sa patience.

Ses deux premiers voyages, dans le midi de la France en 1866, en Bohême et dans la haute Silésie en 1867, sont des voyages d'instruction, et déjà cependant il en rapporte d'intéressantes relations dont l'exactitude et la netteté sont les qualités dominantes.

Dans un voyage fait en 1868, avec son collègue M. Michel-Lévy, Choulette se consacre à l'étude approfondie des champs de filons de Przibram et de Mies, et, à la suite de leurs observations, les deux voyageurs publient dans les Annales des mines un long mémoire; dans ce travail, ils indiquent la constitution géologique de la région, puis étudient les champs de cassures au point de vue de la direction des filons et de leur âge relatif, du remplissage de ces filons et des rejets stériles ; ils concluent par la comparaison des faits observés avec la théorie des systèmes de montagnes.

Le 6 janvier 1869. Choulette est nommé ingénieur ordinaire de 3e classe et, bientôt après, chargé du service du sous-arrondissement minéralogique de Vesoul; à peine arrivé à son poste, il recherche les causes d'un récent accident de grisou, et présente, à ce propos, un rapport très-complet sur la ventilation des chantiers de cette grande exploitation; c'est là aussi qu'avec M. Mathé, ingénieur de la houillère, Choulette étudie les effets de la dynamite.

Cependant il entreprend un nouveau voyage avec M. Michel-Lévy et parcourt la Saxe et la Bohême septentrionale; ses études portent sur les champs de fractures de Freiberg, Marienberg, Schneeberg, Annaberg, Ehrenfriedersdorf, Altenberg, Zinnwald et Joachimsthal ; les résultats de ces explorations sont consignés dans un mémoire étendu publié dans les Annales des mines.

Tel était l'emploi que Choulette faisait du temps de liberté que lui laissait le service ordinaire ; puis il retournait à Vesoul, y retrouvait son cher laboratoire et s'adonnait aux analyses des roches et des minéraux rapportés de ses voyages.

Mais l'heure de nos revers a sonné ; l'ingénieur s'est fait soldat!

Choulette rêve d'abord la formation d'un corps de francs tireurs destiné à défendre les passages des Vosges ; dans ce corps, dont il sera l'âme, il se réserve un rôle modeste. Bientôt Belfort est menacé, Choulette abandonne tout et vient s'y enfermer; il est nommé capitaine du génie auxiliaire; là commence la dernière phase d'une vie d'intelligence, de travail et de dévouement.

Choulette est d'abord chargé de la conduite des travaux de défense dans le faubourg du Fourneau ; il construit au sud un retranchement et à l'ouest de petites embuscades en terre le long de la Savoureuse. - Le mois de novembre arrive, les projectiles vont manquer, on construit une fonderie, mais avant tout il faut produire du coke; Choulette est chargé de cette tâche difficile, et l'on peut considérer la création de ces fours à coke dans des conditions exceptionnelles, et sous le feu qui accablait la ville, comme son oeuvre capitale.

D'autres soins réclament encore son concours actif; c'est lui qui installe au château un appareil d'éclairage électrique, qui étudie l'emploi d'une locomotive destinée à transporter une pièce de canon le long de la voie ferrée, qui construit des aérostats et parvient, après mille déceptions, à en diriger un vers la Suisse.

Cependant il prend part aux travaux de tranchée que la garnison exécute sur les abords des Perches, et c'est lui aussi qui lève sur le plan directeur la position des batteries ennemies; son sang-froid, son courage calme et persévérant, lui permettent d'accomplir avec précision cette tâche dangereuse; un jour, notamment, sa planchette installée aux Perches est visible tout entière; l'artillerie ennemie dirige son feu sur ce point de mire. Choulette, complètement à découvert, continue tranquillement son travail jusqu'au bout.

Le 28 janvier, un armistice mettait fin aux hostilités dans toute la France et Belfort était seul excepté. Choulette continuait ses travaux et employait ses instants de loisirs à visiter ceux de ses camarades que le feu avait atteints. Le 9 février il se rend au château pour voir un de ses amis blessé quelques jours auparavant, y déjeune , puis retourne à ses travaux ; c'est alors que, dans la rue, devant sa porte, Choulette tombe, atteint par les éclats d'un obus de 78 kilogrammes ; il est relevé par le commandant Chaplain. Le médecin constate que l'articulation est complètement broyée et que l'amputation est indispensable. L'opération est faite dans l'hôpital blindé, sans lumière, sans air, dans une atmosphère horriblement viciée. On avait donné à notre malheureux blessé une des meilleures places près de la fenêtre, et la journée se passa bien; Choulette avait sa parfaite connaissance, il était calme et exprimait le désir de vivre pour sa famille et la poursuite de ses travaux. Ce qu'il regrettait par-dessus tout, c'était d'avoir été frappé si près de la fin des hostilités, dans la rue et non pas à son poste de combat. Telles étaient les idées qu'il exprimait dans un entretien avec le capitaine Thiers, où il considérait sans crainte la possibilité d'une mort prochaine.

Le 10 février Choulette avait succombé.

Nature aimante et modeste, intelligence vive et solide, âme courageuse et honnête, Choulette est pleuré par tous ceux qui l'ont connu. Propre à tout, dans sa courte carrière, il a mis la main à tout, partout estimé et partout aimé.

La mémoire de Choulette doit être conservée dans nos annales avec ce double caractère de l'ingénieur distingué et du soldat mort pour la patrie.