Né le 1er juillet 1881. Mort le 28 novembre 1976. Fils de Paul Auguste Ondrine CAQUOT, agriculteur, et de Marie Irma COUSINARD. Marié en 1905 à Jeanne LECOMTE. Père de Suzanne (décédée en 1998), épouse de Jean LEHUÉROU-KÉRISEL (1908-2005 ; X 1928) et grand-père de Thierry LEHUÉROU-KÉRISEL (né en 1943 ; X 1961). Jean et Thierry ont été ingénieurs généraux des ponts et chaussées. Jean a succédé à Albert à la présidence des Ingénieurs et Scientifiques de France.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1899) et de l'Ecole des Ponts et chaussées. Professeur de matériaux à l'Ecole des mines à partir de 1922. Professeur à l'Ecole des ponts et à celle de l'aéronautique.
Inspecteur général des ponts et chaussées. Élu Membre de l'Académie des sciences le 12 novembre 1934 (section de mécanique). Président de l'Académie des sciences en 1952.
Albert Caquot d'après Dossiers secrets de la France contemporaine, par Claude Paillat (1979)
Biographie d'Albert Caquot par Jean Kérisel et Thierry Kérisel (2001)
Biographie de Albert CAQUOT sur le site web de l'ENPC
Les textes suivants ont été publiés par l'Ecole des Ponts et Chaussées en 1977 :
Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d'Etat, Madame, Mesdames, Messieurs,
Dans sa séance du 4 mars 1977, la Section Permanente du Conseil de Perfectionnement de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées a proposé que le grand amphithéâtre de l'Ecole reçoive désormais le nom d'Albert Caquot.
Vous avez bien voulu, Monsieur le Ministre, donner votre agrément à cet hommage.
Permettez-moi de vous en exprimer notre reconnaissance, qui est d'autant plus grande que vous avez accepté de présider personnellement cette cérémonie.
Nous sommes également très honorés de vous accueillir, Monsieur le Secrétaire d'Etat, d'une part en votre qualité d'ami personnel d'Albert Caquot, d'autre part parce que vous avez en charge le progrès scientifique de notre pays, auquel il a apporté une si éminente contribution.
Je remercie toutes les personnalités amies ou alliées de la famille d'Albert Caquot, ainsi que les dirigeants du Ministère de l'Equipement et de l'Aménagement du Territoire qui nous font ce soir l'honneur d'y assister.
Ainsi l'homme de Science, le grand Ingénieur disparu, qui enseigna ici le Béton Armé et la Résistance des Matériaux, demeurera présent pour servir d'exemple aux générations futures d'Ingénieurs formés par notre Ecole.
Je vous invite maintenant à écouter le discours sur la vie et l'œuvre d'Albert Caquot, qui va être prononcé par M. Roger Coquand, Vice-Président du Conseil Général des Ponts et Chaussées.
Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d'Etat, Madame, Mesdames, Messieurs,
Notre époque, où toutes les disciplines scientifiques sont irradiées de progrès fulgurants, que les spécialistes ont parfois peine à maîtriser, ne nous présente plus guère de ces figures de savants pareils à ceux d'autrefois, dont l'esprit embrassait un vaste ensemble de connaissances et réalisait leur synthèse dans des découvertes géniales. Pourtant, Albert Caquot fut de ceux-là. Tous les problèmes que lui posa sa longue et très polyvalente carrière d'ingénieur lui furent des occasions d'imaginer, dans des domaines très divers, les solutions originales'que lui suggérait un esprit inventif, servi par des connaissances encyclopédiques.
De ces exceptionnelles facultés intellectuelles, quelle fut la part venue des mystérieux dons innés, accordés dès le berceau, quelle fut celle acquise au cours de sa jeunesse ? On peut penser que cette seconde part n'est pas négligeable, l'enfant ayant recueilli le message d'une province où, selon le mot de Barrès, «souffle l'esprit» et les bienfaits d'une ambiance familiale propre à développer chez lui la rectitude du jugement et le goût du concret.
En effet, Albert Caquot naquit en 1881 à Vouziers, dans cette Marche de l'Est si souvent violée par les invasions, aux confins de la Lorraine et de la Champagne. Dans un petit mémoire relatif à sa jeunesse, il cite les noms prestigieux de Reims, d'Aix-la-Chapelle, de Bouillon, de Valmy, de Sedan, évoquant ainsi Charlemagne et Louis le Débonnaire, les Croisés, Jeanne d'Arc et les Rois de France, les Soldats de Dumouriez et la défaite de 1870, très cruellement ressentie en ce temps et en ce lieu.
Ses parents dirigeaient une importante exploitation agricole familiale, jouxtant un moulin au bord de l'Aisne. Pour ses dix ans, le jeune Albert se vit offrir un petit cheval qui lui permettait, les jeudis et les dimanches, de longues randonnées à travers la forêt d'Argonne. Il était un brillant élève et aurait pu se présenter au baccalauréat bien avant 16 ans si les dispenses d'âge avaient alors existé. Faute de mieux, il subit à 15 ans avec succès en Sorbonne un examen... de pharmacie... Il n'est pas défendu d'imaginer ce qu'Albert Caquot aurait pu apporter à la Santé Publique et peut-être aussi à une organisation optimale de la chimie pharmaceutique si son premier succès lui avait inspiré une vocation. Fort heureusement pour le Génie Civil et l'Aéronautique, il n'en fut rien.
Bachelier, quatre fois lauréat du Concours Général, il était, à 18 ans, admis à l'Ecole Polytechnique après une seule année de préparation. Il en sortit dans le Corps des Ponts et Chaussées qui correspondait à sa vocation, en même temps que Freyssinet, qui devait, lui aussi, s'illustrer dans l'art de l'ingénieur.
Pour son service militaire, le sous-lieutenant Caquot fut affecté, sur sa demande, à un bataillon d'aérostiers du 1er Régiment du Génie. Le double choix qu'il avait fait en tant qu'ingénieur et en tant qu'officier allait orienter toute sa carrière : pendant toute sa vie, en effet, il devait consacrer alternativement, au rythme des grands événements mondiaux, ses efforts à l'aéronautique et au génie civil.
A l'Ecole des Ponts et Chaussées, Albert Caquot eut notamment comme professeur Paul Séjourné, le grand constructeur de ponts en maçonnerie, et Jean Resal, auteur d'ouvrages métalliques prestigieux. Il en cita constamment en exemple les réalisations, regrettant toutefois que l'esthétique fonctionnelle du pont Alexandre III eut été quelque peu gâchée par les inévitables fioritures de la Belle Epoque.
Affecté au poste d'Ingénieur des Ponts et Chaussées à Troyes, Albert Caquot s'y distingue par une réalisation des plus originales pour l'époque. Ayant mis en évidence, par des statistiques sanitaires rigoureuses, l'insalubrité de certains quartiers et sa corrélation avec un niveau excessivement haut de la nappe aquifère, il montre la nécessité d'un réseau d'égouts collecteurs, en dresse le projet et en dirige les travaux à la grande satisfaction de la municipalité. Au cours de la crue catastrophique de 1910, il multiplie les mesures préventives et accélère les réparations. Cependant, il n'oubliait pas l'aéronautique, comme en témoignent notamment ses communications, quelque peu prophétiques, à la Société Académique de l'Aube ; l'une d'elles s'intitulait : «La locomotion aérienne, son utilisation probable dans l'avenir». Présentée en 1912, à une époque où l'aviation n'était encore qu'un sport individuel acrobatique, elle annonçait l'aérobus, le radar, les structures métalliques en alliage léger et les grands aéroports.
Toujours tenté par une carrière de constructeur et vivement intéressé par la technique alors nouvelle du béton armé, Albert Caquot quitte l'Administration et devient en 1912 l'associé de Considère, un des pionniers de ce nouvel art de construire. Il a ainsi l'occasion de projeter et de réaliser des ouvrages hardis et de procéder à des réflexions et des recherches dont l'aboutissement ultérieur sera à l'origine de progrès considérables.
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Ballon Caquot |
Survient la guerre de 1914. Le lieutenant Caquot est affecté à une compagnie d'aérostiers à Toul. Très vite, il perçoit les insuffisances des vieux ballons sphériques Renard, instables sous un vent de 10 m/sec. ; il imagine un ballon stable pour un vent de 25 m/sec, de forme allongée et pourvu d'un empennage formé de trois lobes. La conception de ce ballon se heurte au scepticisme des bureaux, dont la traditionnelle prudence s'oppose, en la circonstance, au progrès. Mais bientôt la nécessité de trouver une réplique aux Drachen allemands et l'intérêt porté par la Marine britannique au prototype Caquot conduisent à fabriquer le «ballon M» en grande série, d'abord en Angleterre sous la direction de l'inventeur, puis en France. En même temps, Albert Caquot perfectionne les systèmes d'attache au sol en mettant en service des treuils de son invention, à tension limitée, permettant au ballon d'osciller avec souplesse en altitude. Le ballon M fut largement utilisé dans la lutte contre les sous-marins, et un modèle plus léger servit à constituer des barrages de câbles interdisant le passage des avions de bombardement à basse altitude.
Les succès obtenus par le ballon Caquot et l'originalité des découvertes de son inventeur conduisirent Georges Clemenceau à confier au jeune chef de bataillon les importantes fonctions de Directeur Technique de l'Aviation.
Le nouveau Directeur acquiert très rapidement une compétence efficace dans le domaine - qui lui était jusqu'alors étranger - du «plus lourd que l'air». A la fin de 1917, l'industrie aéronautique française - encore dans sa première jeunesse — s'essoufflait quelque peu dans ses efforts pour promouvoir et mettre au point de nouveaux matériels surclassant ceux de l'ennemi ; beaucoup d'espoirs reposaient sur le Spad 220, mais les essais de ce matériel s'avéraient décevants. Albert Caquot montra que le défaut provenait de surpressions dans le circuit de la pompe à huile et imagina un petit dispositif — clapet avec bille et ressort — de nature à éviter celles-ci. Voilà un succès très caractéristique de «la manière» de Caquot : bien cerner tous les éléments théoriques du problème et résoudre celui-ci par une trouvaille de construction.
Communiquant à ses services son enthousiasme et son ardeur, le nouveau Directeur fit entreprendre immédiatement toutes les expériences susceptibles d'indiquer aux constructeurs les voies à suivre pour perfectionner leurs modèles (rendement des hélices, réaction des gouvernails et des ailerons), développant rapidement les connaissances théoriques et pratiques.
Le 15 février 1919, le Président Clemenceau adressait à Albert Caquot une lettre par laquelle il lui exprimait «la reconnaissance de la France pour avoir donné à notre armée aérienne, grâce à ses qualités d'ingénieur et de chef, malgré des difficultés matérielles sans cesse renaissantes, les outils de sa victoire».
Ajoutons que le Commandant Caquot avait fait abandon aux gouvernements français et alliés de tous ses droits d'inventeur concernant les nombreux dispositifs qu'il avait imaginés.
Rendu à la vie civile, Albert Caquot, maintenant associé de l'Entreprise Pelnard, Considère et Caquot, se consacre à la construction des grands ouvrages en béton armé. Chacune de ces réalisations est pour lui l'occasion d'imaginer, d'expérimenter et de vérifier in situ soit des conceptions théoriques, soit des procédés de construction originaux. Les années 1920 à 1930 sont les plus fécondes de sa carrière de constructeur et de savant : soucieux d'expliquer et de réformer les insuffisances des théories classiques, d'économiser la matière et d'épargner les efforts physiques des hommes, il étudie inlassablement des solutions originales, le plus souvent inspirées d'idées simples. J'aurai tout à l'heure l'occasion d'esquisser le bilan de toute cette activité pour la science et pour l'art de la construction.
Mais, en 1928, un nouveau cycle de l'alternance le ramène à sa seconde carrière : à cette époque, la construction aéronautique française paraissait en voie d'être largement dépassée par la concurrence étrangère. Un Ministère de l'Air est créé, dont le titulaire, Laurent Eynac, ancien aviateur de 1914-1918, appelle Albert Caquot au poste nouveau de Directeur Général Technique. Ce dernier crée et anime un Service de Recherches ; sous son impulsion, l'Université fonde plusieurs Instituts de Mécanique des Fluides. Ses vues innovatrices ne manquent pas de susciter des obstacles et des critiques, parfois intéressées. Mais M. Marcel Dassault, qui fut chargé de construire un prototype d'avion entièrement métallique et à aile épaisse, a écrit d'Albert Caquot : «C'est un des meilleurs techniciens que l'aviation ait jamais connu. C'était un visionnaire qui, dans tous les domaines, abordait l'avenir. Il était en avance sur tout le monde».
En 1933, jugeant ses efforts insuffisamment soutenus par un nouveau gouvernement, Albert Caquot se retire et revient — pour quelque temps — à la construction des ouvrages d'art. Il publie ses œuvres scientifiques et multiplie les inventions originales de procédés de construction. Il enseigne aux Ecoles Nationales Supérieures des Mines et de l'Aéronautique. A l'Ecole des Ponts et Chaussées, il professe le Cours de Béton Armé (1934-1936), puis celui de Résistance des Matériaux (1936-1951). Il est élu le 12 novembre 1934 à l'Académie des Sciences dans sa section de mécanique. En 1937, il est nommé «Honorary fellow» par l'«Institute of the Aeronautic Science» des U.S.A., haute distinction conférée à cette époque à cinq ingénieurs étrangers seulement.
En 1938, il est élu Président de la Société des Ingénieurs Civils de France et prononce un discours retentissant pour dénoncer la montée des périls et appeler à la conjurer par un effort de volonté et de travail.
A la fin de la même année 1938, alors que se précisent les menaces de guerre, Albert Caquot est appelé à prendre la direction de toutes les Sociétés Nationales d'Aviation en vue de régulariser et d'accroître leur production. Appliquant ses constantes méthodes de recherche, d'expérimentation, d'organisation, il obtient en quelques mois des résultats tangibles, mais trop tardifs. En 1940, il revient définitivement aux études scientifiques et au métier de constructeur d'ouvrages d'art qui trouve alors, dans la nécessité de relever le pays de ses ruines, un champ d'action inépuisable.
En 1948, il est appelé à présider le Comité Energétique pour l'Equipement Français et fait croisade en faveur de la Houille Blanche, énergie purement nationale.
En 1947 avait eu lieu son Jubilé Scientifique dans le Grand Amphithéâtre de l'Ecole Polytechnique. En 1951, il était élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d'Honneur. Pour l'année 1952, il devait assurer la Présidence de l'Académie des Sciences.
La notoriété et l'activité d'Albert Caquot, ainsi que l'intérêt passionné qu'il portait à toutes les activités créatrices, lui valurent d'être appelé à présider de nombreuses sociétés ou organismes, notamment l'Association Internationale de Normalisation (ISO), l'Association Française de Normalisation (AFNOR), la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, la Fédération des Associations et Sociétés Françaises d'Ingénieurs, le Conseil National des Ingénieurs Français, la Commission d'Etudes Générales et d'Organisation Scientifique (CEGOS), le Comité Français de Mécanique des Sols, l'Association Scientifique de la Précontrainte. Il fut membre du Conseil Economique et Administrateur d'Electricité de France. Nombre d'Universités étrangères lui conférèrent le doctorat honoris causa.
Vers 1961, Albert Caquot se démit volontairement de toutes ses fonctions au sein des Associations professionnelles. Mais il ne devait pas se désintéresser pour autant de toutes les actions qu'il avait initiées ou encouragées. D'une part, il continua à œuvrer comme Ingénieur-Conseil, son imagination restant toujours aussi féconde, notamment dans la recherche de méthodes de construction originales ; d'autre part, il ne cessa, et cela jusqu'à sa mort, de porter intérêt à tout ce qui se passait dans les domaines qu'il avait illustrés : ouvrages remarquables, incidents plus ou moins graves, innovations techniques. A 95 ans, il écrivait, de sa main, au Président du Comité Français des Grands Barrages, une lettre donnant son avis sur les causes d'un accident. L'écriture était la même que celle de l'Ingénieur des Ponts et Chaussées de Troyes : elle traduisait une vitalité et une lucidité intactes.
Parmi toutes les grâces qui furent accordées à cet homme exceptionnel, la plus précieuse fut peut-être qu'au soir de sa longue vie il n'y eut pas de crépuscule.
En retraçant la vie d'Albert Caquot, j'ai fait état, à grands traits, de son activité et de ses succès dans le domaine de l'aéronautique ; on me pardonnera de ne pas tenter de commentaires détaillés scientifiques ou techniques, dans une matière qui n'est pas familière aux habitués de cet amphithéâtre. Par contre, je crois qu'il convient ici de marquer, de façon plus précise que par un simple exposé chronologique, les progrès qu'Albert Caquot a fait faire à l'art de bâtir, d'une part dans le domaine des théories scientifiques, d'autre part dans celui des réalisations pratiques.
Au contact de l'expérience des grands ouvrages d'art, Albert Caquot avait très vite perçu l'obstacle que constituait, sur la voie du progrès, une prise en compte trop exclusive des propriétés élastiques de la matière. En effet, la plupart des structures complexes s'adaptent, par une déformation plastique limitée, aux contraintes qu'elles sont appelées à supporter — il en est ainsi, par exemple, d'un pont à travées continues. Caquot énonce en 1930 la théorie fondamentale de l'adaptation sous sa forme la plus générale : une structure est durable quand sa déformation se décompose en une déformation réversible dans les limites du domaine d'endurance. On sait quel développement ont connu ces notions et l'importance maintenant donnée au calcul des structures en phase de déformation plastique. Sans doute, depuis lors, l'exploration de ces domaines a enregistré des progrès et des inflexions considérables. Mais qu'on veuille bien se reporter à un demi-siècle en arrière : Albert Caquot a joué sans conteste le rôle de précurseur.
Dans le même ordre d'idées, il a été l'initiateur de l'emploi de la «courbe intrinsèque» pour définir les limites du domaine élastique de la matière : un état de contrainte appartient au domaine élastique si le cercle de Mohr représentatif du tenseur contrainte est intérieur à cette courbe caractéristique du matériau. Ce résultat s'applique à des matériaux aussi divers que l'acier, la fonte, le béton et les sols. La considération de la courbe intrinsèque a servi de base à l'élaboration du règlement établi peu de temps après pour les constructions en béton armé. Caquot avait imaginé une machine permettant de tracer, par essais et points successifs, la courbe intrinsèque de certains matériaux.
C'est en 1934 que parut l'ouvrage «Equilibre des massifs à frottement interne. Stabilité des terres pulvérulentes et cohérentes», consacré à une science naissante : la Mécanique des Sols. Cet ouvrage, désormais classique, présente des idées nouvelles sur la stabilité des massifs de terre ; expliquant en particulier les anomalies constatées expérimentalement lorsqu'on appliquait les théories antérieures, Caquot montre qu'il existe pour l'écoulement des terres pulvérulentes un coefficient de frottement pratique supérieur au coefficient de frottement physique mesuré par l'expérience classique de Coulomb. Cette différence tient à ce que les particules, quelles que soient leurs dimensions, sont enchevêtrées. Caquot trouve, en faisant appel aux notions de probabilité statistique, qu'en pratique le coefficient de frottement est majoré de PI/2 dans le cas où les grains sont disposés suivant les lois du hasard.
Le même ouvrage énonce le théorème dit «des états correspondants» qui permet de résoudre tous les problèmes d'équilibre des corps cohérents en considérant des matériaux pulvérulents de référence sollicités par une contrainte virtuelle.
Dans le domaine de l'hydraulique urbaine, Albert Caquot présenta, sous la forme d'une note à l'Académie des Sciences en 1941, une étude sur l'écoulement des eaux pluviales lors des grands orages aboutissant à une formule de calcul des débits probables, tenant compte du degré d'urbanisation : cette formule a été rendue officielle par l'instruction ministérielle relative à l'assainissement des agglomérations.
Toutes ces innovations ont été inspirées par l'expérience. Dans la préface de l'ouvrage, l'auteur écrit : «les ingénieurs ne doivent pas oublier qu'ils sont avant tout des physiciens» — critique implicite des théories mathématiques trop abstraites ne se prêtant pas à des procédés de mesure commodes et fidèles. La démarche intellectuelle d'Albert Caquot est toujours la même. Mis par son expérience pratique en face d'un problème, son intuition aiguë lui en fait pressentir une solution, que sa maîtrise des sciences physiques et mathématiques lui permet de démontrer.
La démarche n'est pas différente lorsqu'il s'agit de trouver une solution pratique et originale à un problème technique difficile. En voici quelques exemples, dont la plupart sont devenus classiques, voire célèbres.
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Pont de la Caille sur le torrent des Usses et cintre de ce pont |
Un des premiers grands ouvrages conçus par Albert Caquot fut le pont de la Caille sur le torrent des Usses, en Savoie, arc en béton de 140 m de portée, sans armatures longitudinales, construit sur un cintre exécuté à partir d'une passerelle suspendue, à l'époque record mondial de portée des ponts en béton.
Pour la construction de ces grands ponts en arc, Albert Caquot utilisait des cintres retroussés en bois conçus en vue de l'économie de matière, que l'on retrouve toujours parmi ses préoccupations. Pour cela, il moulait les extrémités des fûts de bois dans des nœuds de béton, multipliant ainsi la résistance aux appuis. Les cintres, tels que ceux du pont de Ponsonnas, étaient montés verticalement sur les culées en deux parties que l'on rabattait pour les arc-bouter mutuellement à la clef.
Les piles du môle-escale du Verdon, à l'embouchure de la Gironde, devaient reposer à -30 m sur une argile résistante après avoir traversé une couche de sable de 8 m d'épaisseur. Albert Caquot imagina de mettre ce sable en émulsion pour descendre des piles colonnes dont la partie inférieure avait la forme d'une cloche à trousse coupante. A l'intérieur de cette cloche, 6 tubes à air comprimé émulsionnaient le sable et le remontaient. On assurait la verticalité de la colonne en faisant varier la pression dans les divers tubes. Ce procédé est devenu classique.
Autre innovation sur le même môle d'escale : des amortisseurs d'accostage constitués par des freins hydrauliques derrière un balancier de 9 m de hauteur à axe horizontal, tarés de façon que leur réaction soit adaptée au tonnage du navire : le freinage est progressif de façon que le premier contact de la coque se fasse très doucement.
Forme de l'écluse de Saint-Nazaire
Une des conceptions les plus originales dues à Albert Caquot fut la forme-écluse Jean Bart à Saint-Nazaire qui, construite en 1935, marque un tournant dans la construction navale. On réunit dans une même enceinte de 325 m de long et de 35 m de large une aire de construction de navires à la cote de mi-marée (+ 3.00) et une forme-écluse dont le fond est au niveau du chenal de sortie du bateau (— 9.00). Une fois la coque construite, on pompe de l'eau à l'intérieur de l'enceinte pour la faire flotter et on l'amène sur l'écluse où l'on termine l'armement du navire. Celui-ci sortira de l'écluse par une porte de 45 m de large, pouvant recevoir une charge d'eau de 15 m lorsque la mer est haute et le bassin vide. Autre disposition originale : cette porte fut réalisée en forme de voile cylindrique, dont la section horizontale est un arc de cercle travaillant à la traction, donc supportant la pression du côté concave. C'est de la forme Jean-Bart que s'échappa, en juin 1940, le cuirassé du même nom, inachevé, quelques heures avant l'arrivée des troupes allemandes.
Barrage de la Girotte
La construction du barrage de la Girotte en haute montagne (1720 m) exigeait une stricte économie de matériaux d'apport, qui devaient être amenés par téléférique. Pour éviter l'utilisation d'aciers, Albert Caquot conçut un projet comportant des voûtes cylindriques multiples raccordées à leur partie supérieure par des éléments toriques.
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Ecluse de Donzère-Mondragon |
Lorsque la Compagnie Nationale du Rhône décida de construire le barrage de Donzère-Mondragon, elle laissait aux concepteurs le soin de choisir pour la chute du canal de navigation entre deux solutions, l'une avec 2 écluses successives de 12 m, l'autre qui paraissait très hardie avec une écluse unique de 24 m. Albert Caquot présenta une écluse de 30 m de profondeur constituant un record mondial dans la navigation intérieure.
Le fond cylindrique de cette écluse et les murs latéraux ancrés par des tirants dans le sol étaient des nouveautés pour l'époque. Il en était de même des dispositifs d'amenée d'eau et de dissipation d'énergie dans le radier permettant une montée ou une descente rapide des bateaux sans remous. Et pour la porte aval, il appliqua la même technique qu'à Saint-Nazaire : porte cylindrique en voile circulaire tendu. Elle a 14,80 m de haut, elle est équilibrée par des contrepoids et les bateaux passent dessous lorsqu'elle est relevée.
Pont à haubans de Donzère-Mondragon
A l'occasion des travaux du même barrage de Donzère, Albert Caquot construisit le premier pont à haubans réalisé en France : cette nouvelle conception s'inspirait, comme toujours, de ses soucis d'économie de matière puisque les efforts horizontaux des haubans sont absorbés dans le tablier, ce qui dispense de la construction des lourds massifs d'ancrage associés aux ponts suspendus. En outre, le tablier de ce pont fut constitué par éléments successifs en encorbellement : ce fut le premier exemple d'une technique qui a été depuis lors très largement appliquée.
Selon Alain Bollaert, auteur d'une biographie de Emile Bollaert, notamment du Chapitre 10 de cette biographie :
Albert Caquot est conseiller technique de la CNR. Il est en très bons termes avec Émile Bollaert et Pierre Delattre, directeur général de la CNR. Ce qui est d'autant plus appréciable qu'Albert Caquot a un caractère entier ; il ne peut résister au plaisir de contredire publiquement les directeurs du Ministère des Travaux Publics ou de l'EDF, même si cette polémique doit coûter à son bureau d'études la perte d'un important contrat. Certaines de ses réactions sont surprenantes. En voici deux exemples : 1) Concernant le pont à haubans réalisé en 1952 à l'occasion de la construction du barrage de Donzère, lorsque le pont est achevé, Marc Henry, directeur technique de la CNR, convie Albert Caquot à assister aux essais en charge. Réponse de celui-ci : « C'est inutile ». Les essais effectués, Marc Henry rappelle Albert Caquot pour l'informer que les flèches mesurées sont parfaitement conformes aux prévisions. Réponse de ce dernier : « Cela fait vingt ans que je le sais ». 2) Albert Caquot avait conçu un revêtement de berges pour le canal de Donzère-Mondragon avec des dalles en béton, prévu pour les crues centenaires du fleuve. Mais une crue exceptionnelle, d'ordre millénaire, survient et emporte les dalles. Marc Henry en informe Albert Caquot qui répond : « Heureusement ! ». Marc Henry croit avoir mal compris et dit : « Pardon ? ». Albert Caquot confirme : « Heureusement que ces dalles ont été emportées, sinon cela aurait démontré que nous étions surabondants ». Les dalles seront reposées à l'identique. |
La fondation du pont du Martrou, sur l'estuaire de la Charente, s'avérait très difficile, devant être réalisée à travers plus de 20 m de vase reposant sur une roche en pente : aux basses eaux d'équinoxe, une sous-pression dans le rocher faisait glisser la vase, entraînant les fondations. Albert Caquot proposa de stabiliser cette vase en pompant intensivement dans le rocher sur lequel elle venait alors s'appliquer comme une ventouse.
Albert Caquot s'intéressa toujours à l'énergie des marées. Pour créer l'enceinte à l'abri de laquelle devait être construit le barrage de la Rance, problème rendu difficile par la puissance des courants, il imagina d'appuyer cette enceinte sur d'énormes caissons en béton armé (26 m, diamètre 9 m), amenés en place par flottaison, basculés et rendus stables par un lestage de sable. Ces caissons furent d'ailleurs récupérés à la fin des travaux et servirent à la construction d'autres ouvrages. Je viens de lire dans une revue spécialisée que cette technique est actuellement «monnaie courante».
Parmi d'autres solutions élégantes, on peut encore citer l'ouvrage de franchissement en siphon du canal de navigation du Rhône pour l'irrigation du Bas-Rhône-Languedoc. Pour la construction de ce siphon, Caquot imagina de réaliser la fouille à l'aide de rideaux de palplanches prenant la forme de deux arcs de cercle sécants reportant leurs poussées sur un buton central. Cette solution est citée comme un exemple d'utilisation combinée de l'acier et du béton pour réaliser économiquement une grande fouille allongée.
Les deux derniers grands projets pour lesquels Albert Caquot se passionna furent : celui de la traversée de la Manche — par un ouvrage fixe —, problème pour lequel il préconisait la solution d'un pont à haubans avec des portées de 1.000 m, comportant deux étages de chaussées et deux voies ferrées et reposant sur une trentaine d'appuis. L'autre fut le projet d'usine marémotrice de la Baie du Mont-Saint-Michel, projet grandiose auquel il travailla intensément pendant les trois dernières années de sa vie. Il y voyait une contribution majeure à l'indépendance énergétique de la France. Cette usine produirait 12.000 mégawatts, soit l'équivalent d'une douzaine de centrales nucléaires de type courant.
Carte de l'usine marémotrice du Mont Saint-Michel
Le projet comporte la construction de deux bassins toujours dénivelés par rapport au niveau moyen des marées, Sud toujours plus haut, Nord toujours plus bas. Le lac Sud constituerait un vaste port en eau profonde et rendrait au Mont-Saint-Michel son caractère insulaire. La longueur des digues en mer dépasse 100 km, par des fonds de l'ordre de 20 m.
L'ampleur des perspectives techniques et financières a jusqu'alors découragé les autorités responsables de l'énergie, qui se demandaient si le «visionnaire» — j'ai déjà cité ce mot à propos de l'aviation — n'a pas porté ses regards trop haut et trop loin. Qu'en savons-nous ? Quoi qu'il en soit, qu'un nonagénaire puisse, seul, sans collaborateurs et sans encouragements, concevoir, calculer et défendre une œuvre de cette ampleur, voilà qui force l'admiration.
C'est à dessein que je n'ai pas cherché à présenter un portrait psychologique d'Albert Caquot. «Ce sont les faits qui louent», a dit Pascal, et son œuvre est suffisamment riche et variée pour attester ses éminentes qualités intellectuelles et morales. Je voudrais seulement ajouter que la science n'a jamais desséché son âme : ce grand savant s'est toujours montré attentif aux aspirations de ceux qui l'entouraient ou qu'il commandait, soucieux des grands problèmes de la condition et de la destinée humaines. Pour reprendre l'expression de Poincaré faisant l'éloge du Maréchal Foch, «il avait cette force de pouvoir se considérer comme faible devant l'éternité».
Albert Caquot avait été nommé Ingénieur Général des Ponts et Chaussées honoraire par application du décret du 25 février 1939 disposant qu'un ingénieur ayant, au cours de sa carrière, illustré son corps d'origine, pouvait recevoir cette promotion honorifique sans avoir gravi les échelons de la hiérarchie. Cette distinction exceptionnelle n'a été accordée que deux fois en quarante ans. Elle était d'un faible poids au regard de tant d'autres, parmi les plus éminentes, conférées à notre collègue : plus que l'intéressé lui-même, cette nomination honorait le Corps des Ponts et Chaussées dont elle attestait la fierté de compter parmi ses membres un des plus grands ingénieurs de notre siècle. Il convenait donc que l'exceptionnelle carrière d'Albert Caquot fût rappelée dans les murs de cette vieille Ecole, l'«alma mater» des Ponts et Chaussées, dont il fut l'élève et où il enseigna.
Votre présence parmi nous, Messieurs les Ministres, donne à cette manifestation une dimension plus vaste et nous vous en remercions. Certes, elle rend à la mémoire d'Albert Caquot l'hommage du chef et du tuteur du Corps auquel il appartint ; mais, bien plus, en acceptant d'associer le Gouvernement à cette manifestation, vous lui avez apporté, Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d'Etat, le témoignage de la reconnaissance de la Nation, de la France qu'Albert Caquot a si passionnément aimée et si brillamment servie.
Dans le développement considérable, souvent pragmatique, de notre industrie aéronautique, indépendamment des différents constructeurs et de leurs équipes, Albert Caquot a joué un rôle exceptionnel. Il le retrouvera une seconde fois ... lors de la création et des premières années du ministère de l'Air. Puis à une troisième occasion, après les accords de Munich en 1938, lorsque le président du Conseil Edouard Daladier l'appelera d'urgence pour rattraper notre retard sur la Luftwaffe. De surcroît, Caquot aura d'autres activités où il se fera remarquer et où ses pairs le considéreront comme un ingénieur d'avant-garde.
Fils d'exploitants agricoles implantés à Vouziers, Caquot a sous les yeux l'exemple d'un père obstiné et ouvert au modernisme. Dès 1890, il a installé à sa ferme l'électricité et le téléphone. Il trouvait aussi un modèle d'énergie chez une grand-mère qui dirigea son exploitation d'une main ferme et active jusqu'à sa mort. A dix ans, son père lui offrit un petit cheval tarbais avec lequel il parcourut en tous sens la forêt d'Argonne : « L'observation et la réflexion occupaient tout le temps de ces randonnées. » (Jean Kerisel, Albert Caquot, ed. Eyrolles, 1978). Il se passionnait également pour l'étude de l'histoire, ce qui était facile dans une région qui avait tant de fois subi les invasions.
Après deux ans comme pensionnaire au lycée de Reims pour y passer ses baccalauréats et avoir figuré au Concours général pour les mathématiques et la physique, il entrait au collège Rollin à Paris. En une seule année, au lieu de deux habituellement, on y préparait les candidats à Polytechnique. C'était en 1898 ; il avait 17 ans.
A l'Exposition de 1900, il remarquait, non sans fierté, « que la France était le seul pays où l'on fît alors du béton armé. » A la sortie de l'X, il optait pour le corps des Ponts. Entre-temps, il accomplissait son service militaire comme sous-lieutenant dans un bataillon d'aérostiers (1901-1902). « Ce sera un choix décisif pour son orientation. » Toutefois il le partagera avec la réalisation d'ouvrages en béton sur terre et sur l'eau où il apportera de nombreux progrès techniques.
Pendant sept ans, il fut « ingénieur ordinaire » du service des Ponts et Chaussées à Troyes. En 1905, il épousait Jeanne Leconte, une amie d'enfance. En 1911, devant la Société académique de l'Aube, il présentait un mémoire (parmi d'autres) sur « la locomotion aérienne, son utilisation probable dans l'avenir. »
En 1914, mobilisé à Toul, toujours dans l'aérostation, le lieutenant Caquot recevait 700 hommes au lieu de 300 : « Le désordre, dira-t-il, était le même qu'en 1940. » En novembre, il était muté à l'atelier de Chalais-Meudon ... . C'était le début de démêlés épiques avec « l'Intendance et les autorités en place ».
Son invention d'un nouveau ballon avec des « lobes arrière » fut mal reçue. Heureusement son ancien chef du temps du service militaire, devenu général, Hirschauer, lui donnait raison. Toutefois un capitaine de frégate anglais, qui assistait aux expérimentations, fournit des ouvertures supplémentaires. De fil en aiguille, la Royal Navy adopta le ballon Caquot. Monté d'abord sur des cuirassés, puis sur des torpilleurs, il servit d'observatoire aérien et repéra les sous-marins.
Mais c'étaient nos alliés qui s'étaient rendu compte de la portée des trouvailles de Caquot alors que nous ne nous en servions pas. Il en est souvent ainsi : nous sommes peu portés à réaliser en série les fruits de notre imagination.
En 1917, la Marine nationale, effrayée de ses pertes, demandait aux Anglais comment ils faisaient pour limiter les leurs : « Mais c'est vous, s'esclaffèrent-ils, qui nous avez fait les plans des ballons et des treuils. » D'urgence, on rappela Caquot d'Angleterre pour l'installer à Brest. Puis, pour parer aux menaces des bombardiers allemands, il ajouta des filins qui, pendant de ses ballons, constituaient un barrage dissuasif. A la fin de la guerre, on fabriquait 320 ballons par mois. L'invention de Caquot servit donc, sur une grande ampleur, à nous-mêmes et à toutes les armées alliées. Paris et Londres les retrouveront en 1939-1940...
Le gouvernement finit par découvrir que Caquot valait mieux. « De taille moyenne, je ne l'ai jamais vu se dérider ou faire rire mais c'est un homme extraordinaire, témoigne le contrôleur général de l'Air, Fernand Hederer. Caquot, très réfléchi, était toujours préoccupé de ses grandes idées avec une rare obstination même quand elles pouvaient tourner à des dadas. »
En 1917, on lui confiait la direction de la section technique aéronautique militaire. En 1918, Clemenceau et Loucheur étendaient ses pouvoirs en dépit de son jeune âge, 37 ans : « L'état-major de l'armée, écrit Caquot, était alors fort inquiet, les nouveaux avions qui devaient assurer la victoire en 1918, les SPAD et les Morane, ne réussissaient pas leur mise au point. Il s'agissait aussi de fournir l'armée américaine ; celle-ci n'avait pu faire réaliser de moteurs ni d'avions par sa propre industrie. Grâce à l'exceptionnelle efficacité de nos usines à cette époque (...) tous les problèmes angoissants furent résolus en quelques semaines et la construction des séries put satisfaire aux besoins des états-majors jusqu'à la victoire ... » Dans le même ordre d'idée, « Loucheur n'hésita pas à demander à de grands industriels comme Michelin de procéder à la fabrication de série » (note d'Albert Caquot confiée à Claude Paillat).
Avec 200 officiers sous ses ordres pour encadrer un nombreux personnel spécialisé, quatre conférences hebdomadaires avec Loucheur et le général Duval, commandant de la « division aérienne » rattachée directement au G.Q.G., un bilan de la situation en fin de chaque après-midi, Caquot était le maître de la mise au point des avions de chasse et de la préparation des appareils de bombardement.
Tout en participant lui-même à des travaux théoriques, il avait sous sa direction différents services : avions, moteurs, instruments de bord, essais, photographie aérienne, armement, électricité. Pershing le félicitait et le décorait pour ses résultats. Une forte personnalité comme le général Trenchard, responsable de l'aviation anglaise et fondateur de la R.A.F., faisait de même. Quant à Clemenceau il écrivait à Caquot le 1er février 1919 : « Grâce à vos qualités d'ingénieur en chef, vous avez su, malgré des difficultés sans cesse renaissantes, donner à notre armée aérienne les outils de sa victoire. » Démobilisé à la paix, Caquot retrouvait son « cher » béton et des chantiers de génie civil. Dominant son époque, ouvrant les esprits autour de lui, il reviendra à l'aviation...
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Le 10 janvier 1919, le sous-secrétariat à l'Aéronautique fut supprimé. Après des palabres, le gouvernement se résolut à élargir les compétences de la direction de l'Aéronautique. Le 20 avril, elle était confiée au général Duval dans un climat de confusion et d'âpreté : « Très vite, et de façon spontanée, se créent, dans plusieurs ministères, des services particuliers s'occupant d'aéronautique, ainsi des colonies, des postes, des transports... tout le monde s'occupe de tout. Le général Duval, qui a toujours été partisan de l'unité de direction mais a conscience que l'aéronautique n'est plus seulement militaire, va tenter de franchir une étape vers le ministère de l'Air dont on parle déjà depuis bien longtemps. Il a cependant assez le sens de ce qui choque encore trop les pouvoirs établis qui ne sont pas près d'accepter cette innovation... . » (Général Lissarrague).