Roger CADEL (1890-1956)

Fils de Hippolyte CADEL et de Julie Léonie Jeanne JACQUES. Marié en 1917 à Andrée Paule PIERMOT.

Publié dans Annales des Mines, décembre 1956.

Né le 12 juillet 1890 à Mardeuil (Marne), décédé le 3 décembre 1956, ancien élève de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris (ingénieur civil des mines), Roger Cadel a consacré sa carrière à la profession houillère. Nommé en 1938 directeur général des Houillères de Petite Rosselle, où il avait débuté comme ingénieur du fond en 1919, M. Roger Cadel avait accédé au poste de directeur général des services techniques des Houillères du bassin de Lorraine en juillet 1947, puis au poste de directeur général des charbonnages de France, en juin 1949, avant d'assumer, en 1952, la présidence du conseil d'administration des Houillères du Bassin du Nord et du Pas de Calais, et, depuis décembre 1953, celle du Conseil d'Administration des Charbonnages de France. M. Roger Cadel était, depuis l'origine, membre du Comité consultatif de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier.

M. Roger Cadel était titulaire de la Croix de Guerre 1914-1918 et Officier de la Légion d'Honneur.


Dans ses souvenirs professionnels, Paul GARDENT note que Roger Cadel était auréolé d'une réputation de grand technicien, mais aussi de terreur. La légende disait que lorsqu'au fond de la mine, un cheval se montrait rétif, il suffisait au conducteur de lui murmurer à l'oreille, dans son patois lorrain: "Der Herr Cadel kommt" (Monsieur Cadel arrive), pour qu'immédiatement le cheval file doux.

Photo ENSMP

Le texte qui suit a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :

Roger Cadel (P 1913)

par Jean Lorimy (P 1926)

Au moment où Reumaux terminait tragiquement sa carrière, à l'âge de 84 ans, la Lorraine avait accueilli depuis 3 ans à Petite-Rosselle un jeune ingénieur qui allait faire revivre la volonté, la clairvoyance et aussi la renommée de son ancien.

Né au cœur du vignoble champenois en 1890, et seul enfant d'une famille villageoise, le jeune Cadel quitte Mardeuil pour Epernay, la ville voisine, puis pour Nancy, où il se lie d'amitié avec un autre garçon qui illustrera aussi notre profession : Aimé Lepercq.

Il entre à l'Ecole en 1913 ; sans attendre, il va commencer à se mesurer avec les obstacles que le destin semble avoir accumulé sur sa route pour laisser finalement à cet homme le mérite de les avoir tous surmontés. Le lieutenant Cadel va faire quatre années de guerre, dans l'artillerie d'abord, puis comme volontaire dans une nouvelle et dangereuse spécialité, celle d'observateur d'aérostier. Il reprend ses cours dès la fin des combats, déjà durci par la vie, dans une promotion qui a perdu au front une notable partie de ses effectifs.

L'ingénieur Cadel sort en tête de sa promotion. Des amitiés nouées à l'Ecole le mènent à Petite-Rosselle où il est reçu par M. Leharle, son ancien, et qui est lui-même camarade de promotion de François de Wendel.

Les Houillères de Petite-Rosselle ont une histoire qui remonte au-delà de 1870. Elles sont nées françaises, mais les années d'annexion les laissent avec des moyens insuffisants : en hommes — et Cadel groupera autour de lui une « équipe » qui va faire parler d'elle —, en équipement — et les fonçages de Simon III et de St Charles III seront décidés. — Des lavoirs neufs seront construits dans chacun des sièges. La technique minière doit évoluer ; c'est la naissance du havage et Petite-Rosselle, comme Sarre et Moselle, s'y intéresse dès son apparition. Dans ces charbons durs, le marteau piqueur, instrument pénible à manier et peu efficace, est chassé des chantiers ; havage et tir : voilà les moyens nouveaux. La maîtrise est soigneusement sélectionnée et formée. Les cités nouvelles sont bâties.

Les tonnages ?

en 1920 : 1.5 Mt en 1938 : 2,6 Mt

Les rendements ?

en 1920 : 912 kg en 1938 : 1 909 kg

Nommé le premier janvier 1938, le Directeur Général Cadel a modelé une houillère qui est une des plus importantes de France et dont les résultats rejoignent ceux de la grande voisine et rivale : Sarre et Moselle.

Pourtant, en 1929, à mi-chemin de cette création, la catastrophe de Saint-Charles a failli tout remettre en cause... Il faut remblayer les puits. En 1930, les travaux de « reprise » commencent. Cadel apparait comme le responsable de ce gigantesque travail qu'il a conçu et va mener à bien, imposant ses vues et sa volonté à la fois à ses patrons qui l'écoutent et à l'administration qui le surveille. Opération unique : pendant plus d'un an, dans une atmosphère maintenue à 80 % de grisou, les équipes masquées vont retracer dans le sable du remblai le premier circuit d'aérage, et en 1932 Saint-Charles renaît.

A la veille de la guerre, le puits St-Charles III, avec ses installations neuves et à la pointe des techniques d'alors, entre en service et devait assurer l'essor du siège sinistré dix ans auparavant.

Encore la guerre ! La maison de Wendel confie à M. Cadel des missions dans le Nord et il apprend à connaître Liévin, la Clarence, Douchy, Thivencelles, dispensant ses critiques et ses conseils. Mais ses pensées sont pour la Lorraine, où il retournera. Il veille sur son équipe dispersée aux quatre vents. Il est de la première « mission » qui repart fin septembre 1944, avec les avants-gardes américaines. Le premier décembre à Nancy, le 2 à Faulquemont, le 4 à Merlebach pour la messe de Ste Barbe.

Hélas : entre Merlebach et Forbach, distants de quelques kilomètres, le front se stabilise pour 100 jours pendant lesquels le pays va être pilonné sans relâche, et ce n'est qu'en mars 1945 qu'il retrouve Rosselle ; au fond, tout est noyé. Les mines de Petite-Rosselle sont de loin les plus sinistrées de France.

En deux ans, chacun se donnant sans compter à sa tâche, tout est remis en marche. On parachèvera plus tard, mais l'on extrait.

en 1945: 0,5 Mt 1946: 2,0 Mt 1947 : 2,6 Mt— le niveau de 1938 est retrouvé.

En 1947, le « Bassin de Lorraine » est mis en place, sous le signe de la nationalisation. M. Cadel en est le directeur technique. Il perçoit immédiatement les immenses possibilités de ce nouvel ensemble. Il décide la création de deux grandes centrales thermiques (600 000 kW). Il comprend que les efforts heureux des ingénieurs pour rendre le charbon lorrain utilisable directement par la sidérurgie voisine est une chance incomparable qu'il faut saisir et exploiter sans retard.

Il décide et explique que le bassin doit avoir un développement rapide alors que la nation base son propre essor sur un appel pressant à nos ressources nationales. A partir des seuls sièges existants, les projets de Cadel répondent à cet appel : on fera 7 Mt dès 1947, comme en 1938, et 14 Mt dix ans plus tard.

De 1946 à 1948 deux graves crises sociales ont ébranlé l'industrie minière. En 1949, on cherche un homme. Sollicité, Cadel accepte le poste de Directeur Général des Charbonnages de France. Il connaît la mine, les mineurs, les possibilités des gisements, des techniques, et des hommes. Il a une confiance totale dans l'avenir de la profession.

Sur un aussi vaste champ d'action, il va donner toute sa mesure. En moins de quatre ans, il a réorganisé la profession, lui a assigné ses objectifs et redonné foi en son avenir. Toujours l'oeil sur la technique, il pressent les possibilités que l'hydraulique et l'automatisation offrent aux mineurs. Devant les besoins immenses en hommes et en logements, il lance les grands programmes de construction à partir de procédés industriels. Il se soucie de développer la formation des cadres et de maintenir à jour celle des ingénieurs.

Il est nommé Président du Nord-Pas-de-Calais en 1952 et, lorsqu'en 1953 la grande figure du Président Audibert s'efface, le Président Roger Cadel lui succède à la tête de la profession, ne devant qu'à sa valeur et à son mérite l'accès au poste le plus élevé.

Il prouvera là encore qu'il est impossible à un tel homme d'éprouver la pénible impression d'être dépassé par ses fonctions. La Communauté Charbon-Acier commence à vivre. Auprès des responsables de cette Communauté, ou comme membre du Comité Consultatif, ou encore au sein de l'organe qui regroupe les exploitants des six pays, Cadel propose, agit, préside et se fait l'artisan du rayonnement français. L'estime générale qu'on lui porte rejaillit sur les mines françaises.

Sa dernière lutte, il va l'engager contre le mal qui l'attaque et qui aura raison de son inébranlable volonté, et c'est au moment même de la fête de Ste Barbe, en 1956, que Cadel le «Mineur» nous quitte pour toujours.

Technicien certes, puisqu'il a libéré les mines françaises du handicap auquel les années de guerre et d'occupation les avaient condamnées, mais surtout meneur d'hommes, il laisse une phalange amicale de mineurs plus jeunes, formés par lui, et M. Baseilhac, directeur général des Charbonnages de France, pouvait dire avec émotion devant la dépouille mortelle de Roger Cadel : « Sa plus grande récompense, ce fut le redressement des houillères françaises, mais ce fut aussi d'avoir renoué les liens brisés de compréhension et d'estime sans lesquelles aucune entreprise n'est humainement viable... En groupant autour de lui et en formant des équipes de jeunes ingénieurs qui occupent tous aujourd'hui dans notre profession des postes à responsabilités élevées, il a su faire des entreprises à la tête desquelles il a été placé autant de pépinières d'hommes de valeur. Cet exemple est assez rare pour mériter d'être signalé, d'un chef qui laisse derrière lui non seulement d'indiscutables progrès matériels, mais également une lignée spirituelle formée par ses méthodes et par l'exemple même de ses succès ».