COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 juin 1996) Réunion commune COFRHIGÉO/SGF
Mon propos n'est pas, ici, de retracer l'histoire de la notion même de métamorphisme, mais, à partir du moment où cette notion a eu droit de cité, d'examiner comment l'interprétation du phénomène s'est peu à peu modifiée jusqu'à maintenant. De plus, je considérerai spécialement les travaux faits en France, particulièrement dans le Massif Central ; mais ils subissent, évidemment, l'influence des idées développées à l'étranger, dont il faudra tenir compte.
En quelque deux siècles d'études, d'abord vagues et générales, puis de plus en plus précises et ciblées, sur les "terrains anciens" français, les chercheurs sont passés d'une vue essentiellement statique (et passablement monotone) du métamorphisme, à une conception dynamique de ce phénomène quasi-protéiforme. Il me semble qu'on peut considérer, dans cette évolution, six étapes majeures, dont la principale semble dater des années 50, décennie où paraît se produire un véritable basculement des idées en cours. Cependant, bien que, grosso modo, ces étapes se succèdent, elles ne peuvent pas définir des tranches chronologiques nettement délimitées et articulées entre elles. Tout au contraire, elles se chevauchent largement : il y a, comme toujours, parmi les chercheurs, des précurseurs (parfois géniaux, mais habituellement ignorés ou marginalisés, voire rejetés, par leurs contemporains) et aussi quelques conservateurs attardés (fidèles au dogme qui leur a été transmis et trop timorés pour se lancer dans l'aventure novatrice).
1 - Émergence de la notion de métamorphisme. La notion de métamorphisme apparaît au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle ; en fait, elle est déjà en germe, mais non vraiment explicitée, chez James Hutton [1795]. Même si Ami Boué [1820 ou 1823 ? l'ouvrage ne comporte pas de data d'édition imprimée; il est généralement cité comme datant de 1823, mais l'exemplaire conservé à la Société géologique de France porte, manuscrite, la date de 1820] parle de "métamorphose", c'est Charles Lyell [1833] qui emploie le premier l'expression de "roches métamorphiques", le terme de "métamorphisme" n'apparaissant qu'un peu plus tard [G. Gohau, 1997]. La notion s'applique, à l'origine, d'abord au métamorphisme de contact, ou thermique ; elle est étendue ensuite au métamorphisme général. Ainsi Achille Delesse [1861] distingue "le métamorphisme spécial ou de contact, limité à une petite étendue" et "le métamorphisme général ou normal, produit sur une grande échelle".
A. Boué [1833, p. LXXIX] indique que les "roches primitives" se trouvent à différents étages. Elles ne sont donc pas primitives. Ce sont des "schistes cristallins". Ce ne sont pas non plus des "laves". Elles résultent de transformations qui seraient encore possibles actuellement. Les fossiles ont évidemment disparu.
Joseph Durocher [1846] résume ainsi son point de vue (p. 645) : "Nous avons reconnu deux dispositions différentes dans les zones métamorphiques : ou elles sont subordonnées, circonscrites aux masses plutoniques, ou elles ont une allure propre, bien qu'étant en connexion avec des roches pyrogènes. Dans le premier cas le métamorphisme a dû se développer latéralement en rayonnant, à partir des masses platoniques ; dans le second cas, il s'est développé verticalement, de bas en haut, et se rattache aux causes ignées qui agissent à l'intérieur du laboratoire souterrain", il précise que "les minéraux du métamorphisme sont le produit d'un travail moléculaire", analogue au phénomène de la cémentation, avec introduction éventuelle d'éléments étrangers (fluor et bore, par exemple). Cela demande un très long laps de temps, à des températures variables, et l'on ne peut exclure, dans certains cas, un "état de semi-fusion". Mais il peut y avoir (p. 562) métamorphisme à la "température ordinaire", "sous l'influence des éléments atmosphériques" ou aussi dans l'écorce terrestre (croissance du silex, par exemple) ; c'est aussi dans ces conditions que se développe "la fissilité propre aux ardoises" (oblique sur la stratification).
Cependant, les partisans de la notion neptunienne de terrains primitifs (déposés au cours du refroidissement progressif d'un océan surchauffé - et sursaturé -, sous une énorme pression atmosphérique) ne désarment pas encore. Il faut bien reconnaître que les dispositifs observés dans les chaînes anciennes d'Europe centrale et occidentale ne contredisent pas, à première vue, une telle interprétation. Albert de Lapparent, en 1885, la soutenait encore avec sérieux. Même dans les Alpes, Charles Lory [1881] soutient (p. 652) que les schistes cristallins méritent le nom de "terrains primitifs" et sont "identiques, minéralogiquement parlant, à ceux du Plateau Central, [...], etc." (puis, p. 653) : "Ainsi, là comme ailleurs, il est impossible de démontrer que les schistes cristallins proviennent de la transformation de couches qui auraient été d'abord des sédiments". Il invoque, cependant, l'intervention d'un métamorphisme, mais sa conception du phénomène est assez particulière (p. 657) : les schistes lustrés (rapportés par lui au Trias supérieur) sont "formés, en majeure partie, de minéraux cristallisés, développés, certainement, depuis le dépôt des couches qui les renferment. Cette structure cristalline est uniforme, en rapport intime avec la stratification [...] ; elle est indépendante des actions mécaniques [...], du clivage ardoisier [...]. Il est donc bien évident que c'est un métamorphisme uniforme, régional, lié à la nature même des dépôts ; [...] il en a été de même, à une époque plus reculée, pour les schistes cristallins [...]. C'est bien la cristallisation générale, universelle et originelle du terrain primitif, antérieur à toutes les formations sédimentaires proprement dites". En 1887, Auguste Michel-lévy se donne la peine de réfuter en détail cette notion de terrain primitif et les explications avancées pour le dépôt des gneiss (et micaschistes). Pourtant, en 1889, encore, Pierre Termier décrit, au mont Pilat (Loire), quatre "étages" superposés de "terrains primitifs". Pourtant, dans la Montagne Noire, Jules Bergeron [1889] indique qu'une partie (au moins) des terrains métamorphiques pourrait bien être d'âge cambrien, et non pas plus ancien.
L'assimilation, faite par Durocher, des phénomènes d'altération superficielle à une sorte de métamorphisme, ne sera pas retenue par la suite. Seule restera l'idée, essentielle, d'une variation de température.
Dans les décennies qui suivent, le métamorphisme général est attribué (tout au moins en France) à l'augmentation de température, et accessoirement de pression, due à l'enfouissement des sédiments par suite de leur accumulation dans un géosynclinal. En Grande-Bretagne, on préfère y voir l'effet d'une intrusion profonde, d'extension régionale, à la base des séries accumulées (c'est, en particulier, l'hypothèse qui soutend les travaux de George Barrow, [1893, 1912]), d'où l'expression de "métamorphisme régional" (voir notamment Harker, [1932]) : il s'agit donc, en fait, d'un métamorphisme de contact généralisé. En France, Auguste Michel-Lévy [1887] adopte cette idée, s'opposant ainsi à Delesse [p. 113] : "Il est inutile d'insister sur les analogies et les différences de nos conclusions avec celles que Delesse a développées dans ses études sur le métamorphisme des roches [...] ; en un mot, elles attribuent au métamorphisme de contact et de pénétration une importance que Delesse avait surtout attribuée au métamorphisme général". Pour lui, les différents types de schistes cristallins du Massif Central représenteraient donc une immense auréole de métamorphisme de contact, les zones successives s'ordonnant en fonction de leur distance au granite profond. Mais ce dernier ne se borne pas à créer au-dessus de lui un gradient de température (qui reste néanmoins le facteur principal des transformations de la pile sédimentaire) ; il émet aussi des émanations fluides qui sont à l'origine de ce qu'il nomme des gneiss d'injection et des gneiss granulitiques. En 1895, G. Mouret écrit, à propos des terrains cristallins de la feuille de Tulle : "En dehors d'un métamorphisme général auquel les roches doivent peut-être leur structure schisteuse et cristalline, le métamorphisme régional a joué un rôle très important dans toute l'étendue du terrain gneissique et en quelques points de la bordure phylladienne. Ses produits les plus cristallins sont les granites et granulites" (N.B. : ici, granulite = leucogranite). Cet auteur distingue donc, du métamorphisme général, un métamorphisme régional dont on ne voit pourtant pas bien l'origine, puisque les granites qui lui sont liés en seraient l'aboutissement et non la cause. Plus tard encore, André Demay [1937a] estime que "rien ne permet de définir un métamorphisme profond indépendant de l'action granitique".
La liaison intime du métamorphisme et de l'orogenèse est affirmée par Marcel Bertrand ("Chaque chaîne a ses gneiss"), vers la fin du dix-neuvième siècle ; mais on n'en réalise pas encore pleinement l'importance et on n'en conçoit pas clairement le mécanisme. Il est tentant, a priori, de supposer que les actions mécaniques liées à la tectogenèse ne sont pas étrangères aux transformations constatées ; certains auteurs iront même jusqu'à postuler l'existence d'un dynamométamorphisme, dans lequel les variations de température n'auraient qu'un rôle secondaire. Pierre Termier avait, dans un premier temps, été séduit par cette théorie, mais, en 1903, il s'éiève violemment contre elle, considérant la notion et le terme lui-même (dynamométamorphisme) comme "absurdes". En 1910, il propose de faire intervenir, dans les Alpes, l'action de "colonnes filtrantes". Celles-ci sont des sortes de fumerolles aqueuses chaudes, qui véhiculent vers le haut, en solution, des substances venues de la profondeur, modifiant la composition chimique des séries traversées. On trouve là l'idée d'une métasomatose associée au métamorphisme, analogue à celle que développe à la même époque, en Finlande, Johannes-Jacob Sederholm [1907, 1923, 1926], en invoquant l'injection d'un "ichor" au cours de la formation des migmatites (notons incidemment que pour Holmquist [1921] ces roches résultent d'une fusion partielle). Les fluides invoqués pouvaient circuler grâce aux fractures engendrées par la déformation orogénique. D'autres auteurs - notamment Alfred Harker [1932] ; puis, plus tard, H. W. Fairbairn [1943] - imaginent que les déformations, et les variations de pression, doivent avoir des conséquences sur la stabilité des minéraux des roches : il existerait des minéraux "stress", se développant seulement sous l'influence de "pressions orientées" (type : le disthène), et des minéraux "anti-stress", stables uniquement dans un climat de pressions isotropes (type : l'andalousite, supposée ne se rencontrer que dans le métamorphisme de contact).
Les "classifications" des schistes cristallins, telles que celles de Friedrich Becke [1903] et d'U. Grubenmann [1904, 1906 ; Grubenmann et Paul Niggli, 1924], considèrent en général des "zones" superposées (pour Grubenmann, ce sont, de haut en bas, i'épizone, la mésozone et la catazone), que l'on peut presque traiter à l'instar d'assises sédimentaires : il y a là, manifestement une réminiscence de la vieille idée de "terrains primitifs".
C'est, en fait, une synthèse des faits et interprétations, plus ou moins discordants et même partiellement contradictoires, exposés jusqu'à leur époque, que vont tenter, dans les décennies 30 et 40, Jean Jung et Maurice Roques (avec J. Richard [1938]). Les grandes lignes du scénario invoqué par eux (dans lequel l'augmentation de température joue le rôle essentiel) sont les suivantes :
1 - Les couches sédimentaires (et volcaniques éventuellement intercalées) s'accumulent dans un géosynclinal sur des épaisseurs considérables, se réchauffant progressivement, ce qui provoque la croissance de minéraux nouveaux, différents de ceux du métamorphisme de contact, du fait de l'augmentation concomitante de la pression (notion de métamorphisme général géosynclinal).
2 - Du fait de la courbure des couches qui s'enfoncent, les limites des zones d'isométamorphisme, définies par les minéraux néoformés, sont discordantes régionalement sur les limites stratigraphiques initiales, bien que, sur une étendue suffisamment faible, on puisse considérer que ces deux sortes de limites sont parallèles.
3 - L'enfouissement des couches s'accompagnerait (assez curieusement !) d'une extension de celles-ci, à l'origine de la schistosité, les roches métamorphiques ainsi formées étant, en conséquence, qualifiées d'"ectinites" (du grec tendre); cette schistosité naît horizontalement, très faiblement inclinée sur la stratification ; mais, de cette façon, les limites des strates sont oblitérées, au profit des limites de zones, seules repérables, et la zonéographie remplace la stratigraphie, pour toute interprétation structurale ; ces "ectinites ont une composition chimique qui n'a pas été modifiée par le métamorphisme" [Roques, 1941, p. 500].
4 - A la partie inférieure de l'empilement, sous l'influence d'un flux fluide (dont l'origine n'est jamais explicitée !) se déplaçant du bas vers le haut dans la série, prennent naissance des migmatites, dans lesquelles la proportion d'"apport" ou "ichor" quartzo-feldspathique est considérable (50 à 80% d'"ichoryque" à caractère d'aplite calco-alcaline, dans le Sud-Ouest du Massif Central pour Roques, [1941, p. 504]) ; ainsi se crée, conformément aux idées d'Eugène Wegmann [1935], un front des migmatites, qui progresse peu à peu vers le haut, aux dépens des ectinites ; les roches ainsi élaborées sont désignées sous les noms nouveaux de diadysites, embréchites et anatexites (mais ne sont autres que les gneiss d'injection et gneiss granulitiques d'Auguste Michel-Lévy [1887] ou les gneiss d'injection et gneiss d'imprégnation de Demay [1937a]).
5 - Les premières manifestations de la tectogenèse mettent fin au métamorphisme, et toute l'histoire tectonique proprement dite doit donc être enregistrée par les surfaces isogrades. Seuls peuvent encore se produire, localement des phénomènes de rétromorphose, explicables par une remontée trop lente vers la surface du domaine envisagé. Demay [1937b] préfère appeler "diaphtorèse" ce métamorphisme régressif et souligne que, dans le Massif Central, celle-ci est toujours liée à des phénomènes dynamiques. Il ajoute aussi que ce n'est qu'une phase dans l'évolution métamorphique et que cette diaphtorèse peut même, éventuellement, être suivie de recristallisations catamétamorphiques.
Jung et Roques envisagent donc un métamorphisme d'enfouissement, exclusivement antétectonique. Cette idée sera poussée, plus tard, jusqu'à l'extrême par Jean Ravier [1953], pour qui le métamorphisme des sédiments albiens des Pyrénées aurait pu se faire sur le fond de l'océan, au cours même de la sédimentation. On voit que, même si la vieille notion de terrains primitifs n'est pas retenue, la disposition finale réalisée reste la même, bien que l'âge des terrains métamorphisés puisse être, a priori, quelconque. Ainsi se succèdent, de haut en bas, créées en position horizontale, au-dessous des couches non métamorphiques, des zones de micaschistes (supérieurs et inférieurs) et de gneiss (supérieurs et inférieurs). Il n'y a là guère de nouveauté par rapport à la conception de Mouret (1890), qui considérait les unités superposées de schistes cristallins comme des étages stratigraphiques. Remarquons encore que, plus la métasomatose s'accroît, plus la composition des migmatites (qui deviennent alors des anatexites) évolue vers celle d'un granite d'anatexie. Les massifs granitiques correspondants sont différents des granites magmatiques injectés à divers niveaux ; ils sont surtout localisés au sein des migmatites de la partie profonde et, là, passent en continuité au granite "fondamental" : on retrouve alors la disposition du métamorphisme "régional" (même si les relations de cause à effet doivent être, au moins en partie, inversées, comme pour Mouret [1895-1896]) ; c'est probablement la raison pour laquelle, depuis cette époque (~1945), la plupart des auteurs français vont employer indifféremment les adjectifs "général" et "régional" pour qualifier le métamorphisme, malgré les hypothèses contradictoires sous-jacentes.
D'autre part, si l'on admet que toutes les déformations tectoniques ont été enregistrées dans la structure géométrique actuelle des surfaces d'isométamorphisme, on est obligé de conclure que, dans la plupart des chaînes anciennes, ces déformations ont dû être particulièrement bénignes, comparées à celles qu'on connaît par exemple, dans les Alpes ! On peut même en arriver à nier toute véritable déformation : "Si l'on trouve des schistes cristallins dans des zones de l'écorce terrestre sièges d'une tectonique profonde et intense, ce n'est là qu'un cas particulier. Car les schistes cristallins sont aussi largement et typiquement développés dans des zones qui n'ont subi que des déformations tectoniques insignifiantes. [...] Ce fait est encore plus évident si l'on se réfère à certaines belles séries cristallophylliennes, subtabulaires sur des espaces énormes, par exemple dans l'Oubangui - Chari". [Jung & Roques, 1936]. Dans cette dernière région Jean-Louis Mestraud [in Foglierini & Mestraud, 1953], à la suite du levé de reconnaissance de la feuille de Bangui-Est (actuellement en Centrafrique), décrit des gneiss dont "les pendages ne dépassent jamais 45° et sont le plus souvent moins forts" sur quelque 500 km2 : ils n'auraient donc subi que de faibles déformations tectoniques. D'après Eugène Raguin [1946, p. 117], "J. Jung et M.Roques ont décrit, dans le Massif Central français, des gneiss d'injection ou embréchites disposés en stratification tranquille et peu inclinée sur de grandes étendues, Ils invoquent le même fait dans une partie de l'Afrique Centrale et suggèrent que ces granitisations se sont faites au sein de compartiments immobiles." Pour Mestraud et Bessoles [1982, p. 69], cette phrase de Raguin fait allusion aux migmatites de Grimari, en Centrafrique.
En résumé, la zonéographie de Jung et Roques constitue une échelle de métamorphisme (en fonction de la profondeur d'enfouissement), chaque échelon étant caractérisé, dans les pélites, par l'apparition d'un minéral caractéristique. On peut ainsi, sans ambiguïté, définir un gradient de métamorphisme fonction d'un unique paramètre, la profondeur atteinte, et dire, par conséquent qu'une roche donnée est plus (ou moins) métamorphique qu'une autre. En fait, d'ailleurs, cette échelle est double, puisqu'à celle qui résulte du métamorphisme topochimique (ce terme n'a été employé que plus tard) des ectinites, se superpose en partie celle du métamorphisme métasomatique des migmatites.
L'application systématique de la théorie zonéographique à la cartographie des terrains anciens de France et d'Afrique va rapidement montrer ses limites. Tout d'abord, la découverte de ce que l'on n'appelle pas encore des granulites oblige à créer, vers le "bas", au moins une nouvelle zone (gneiss "ultra-inférieurs"). L'observation de puissants niveaux de gneiss au sein de séries de "micaschistes" amène à avancer la notion de "migmatites stratoïdes" (définies par Jung et Roques eux-mêmes [1952], et décrites, par exemple, par Maurice Chenevoy [1958], dans le Haut-Limousin) : on s'apercevra plus tard qu'il s'agit, en fait, d'orthogneiss granitiques comme le suggèrent, d'ailleurs très fortement, les descriptions de Chenevoy. Du même coup, se fissure la belle ordonnance chronologique supposée des événements tectono-métamorphiques : Jung [1953] admet que les "embréchites oeillées" sont sans doute plus récentes que les migmatites fondamentales ("anatexites" et "nébulites") ; Chenevoy énonce que, de plus, les "embréchites stratoïdes" sont syntectoniques.
Peu à peu, la reconnaissance de reliques stratigraphiques (bancs de marbres, de quartzites, niveaux volcaniques, etc.), à valeur locale ou même régionale, plissées alors que la schistosité ne l'est pas, va porter un coup mortel au "dogme" du métamorphisme antétectonique. A ce point de vue, en France, la cassure avec l'"ordre" précédemment établi se situe, à mon sens, en septembre 1953, lors d'une réunion extraordinaire de la Société géologique de France dans le Massif Central [Peterlongo, 1953], conduite par J. Jung, M. Roques et Pierre Lapadu-Hargues (1916-1983) : Pierre Pruvost [ibid., p. 405] a, alors, démontré clairement que, dans le Haut-Limousin, l'observation des éléments de lithostratigraphie (en l'occurrence, un niveau d'amphibolites) qu'il était possible de reconnaître indiquait une tectonique antémétamorphique beaucoup plus complexe que celle déduite de la disposition des zones de métamorphisme (et même en partie contradictoire). A la même époque, les travaux des géologues alpins (par exemple la thèse de François Ellenberger [1958], dans la Vanoise) ont montré que les niveaux stratigraphiques pouvaient être identifiés (éventuellement avec des fossiles reconnaissables) même dans les domaines métamorphiques, et qu'ils étaient alors généralement discordants sur les surfaces isogrades. C'est probablement aussi aux géologues alpins que l'on doit d'avoir pu mettre en doute, puis réfuter, la notion de métamorphisme géosynclinal : selon Ellenberger [1960-63], en effet, même un géanticlinal peut être métamorphique. Les tenants du système zonéographique, qui opéraient dans les massifs "anciens" (notamment le Massif Central et le Massif Armoricain), - mais très peu dans les Alpes (la seule exception notable fut la thèse de Robert Michel [1953] sur le massif du Grand Paradis, anté-alpin), - arguèrent alors que l'orogène hercynien était, d'une part, beaucoup plus érodé que l'alpin, et, d'autre part, pouvait avoir eu une genèse fort différente de ce dernier (en particulier, il n'aurait pas comporté de nappes de charriage de quelque importance - cela en ignorant délibérément les travaux de André Demay : voir plus loin). Cela n'empêcha pas quelques pionniers - dont moi-même, en Rouergue : Collomb [1969, 1970] - de tenter une cartographie stratigraphique de ces domaines : ce fut long et il faut reconnaître que les premiers résultats laissaient à désirer ! Cependant, à partir de cette époque, beaucoup de jeunes chercheurs s'attachent à reconnaître le plus possible d'éléments lithostratigraphiques, que l'on essaiera, avec plus ou moins de succès, de raccorder à des séries connues et datées. Il est clair que la tâche est plus facile dans les domaines "peu" métamorphiques : parmi les premiers résultats présentés, il faut citer ceux de Jean-Hugues Guillon [1963], Bernard Nicolet [1963] et Louis Viallefond [1963] dans les schistes de l'Albigeois, et de Paul Brouder [1964] dans les "schistes X" des Cévennes.
D'autre part, dès 1921, en Finlande, Pentti Eskola avait battu en brèche la notion d'échelle de métamorphisme : les faciès métamorphiques (ou minéralogiques) sont définis par lui en fonction de deux paramètres, la pression (P) et la température (T), variant de façon indépendante. Chaque faciès peut donc être représenté par un domaine du plan (P, T), délimité par des courbes d'équilibre entre espèces minérales : il est alors caractérisé, sur le terrain, et pour des roches de composition chimique donnée, par un petit nombre de minéraux associés, constituant une paragenèse caractéristique. La composition de référence choisie par Eskola est celle d'un basalte (alors que les autres auteurs se réfèrent habituellement aux pélites). Ce système présente deux inconvénients : d'une part, les courbes d'équilibre utilisables pour des roches de compositions différentes mettent en jeu des minéraux différents, et ne coïncident donc pas entre elles ; d'autre part, la détermination expérimentale de courbes toujours plus nombreuses conduit à subdiviser de plus en plus finement le plan (sous-faciès), engendrant des difficultés pratiques dans l'application sur le terrain. Mais la conséquence essentielle de l'utilisation de deux variables, en principe largement indépendantes, est qu'on ne peut plus, dans le cas général, dire qu'une roche est "plus" ou "moins" métamorphique qu'une autre, ni parler d'"échelle" de métamorphisme ou de "rétromorphose". Ces expressions sont pourtant parfois utilisées, encore aujourd'hui, mais en toute rigueur, cela n'est possible que localement, - après définition d'une ligne de parcours du plan (P,T) - et deux échelles locales voisines ne sont pas nécessairement identiques. On peut encore définir une surface isograde, comme le lieu d'apparition (ou de disparition) d'un minéral donné (pour une roche de composition donnée). Mais on ne peut plus considérer que ces surfaces soient parallèles aux limites stratigraphiques, ni même nécessairement entre elles. Le système des faciès d'Eskola restera pratiquement ignoré, et en tout cas inemployé, en France, jusque dans les années 60. Son utilisation se généralisera surtout à partir de la publication de l'allemand Helmut Winkler [1967] bien que, trois ans plus tard, ce même auteur, le trouvant trop compliqué, en soit venu à en déconseiller l'emploi [1970].
Toujours en opposition avec la théorie du métamorphisme antétectonique, André Demay, qui appliquait depuis 1926 à l'étude du Massif Central (notamment les Cévennes) les méthodes d'observation microscopique préconisées (entre autres) par Bruno Sander à Innsbruck - la microtectonique -, avait affirmé l'existence, dans ces régions, d'une tectonique tangentielle profonde, contemporaine d'un métamorphisme pluriphasé. Mais ce chercheur resta, alors, isolé, et, de façon plus générale, les méthodes de la structurologie ("Gefügekunde") - dont la microtectonique n'est qu'un aspect - mises au point par Sander de 1911 à 1950, en Autriche, et par Walter Schmidt [1932], en Allemagne, ne seront guère appliquées dans le reste du monde, particulièrement en France, que vers la fin des années 50, autant en raison de difficultés linguistiques que parce que Sander leur attribuait le pouvoir (très exagéré !) de démontrer l'existence de nappes. Lorsque ces méthodes eurent enfin acquis droit de cité, leur application systématique permit d'affirmer que les recristallisations métamorphiques étaient (à peu d'exceptions près) syntectoniques ou posttectoniques. En tout état de cause, désormais, l'étude du métamorphisme ne pourra plus être séparée de celle de la tectonique.
A la même époque, se faisait jour la notion essentielle de polymétamorphisme, qui allait s'imposer par la suite. L'une des premières manifestations de cette notion, qui est cependant sous-jacente chez Demay, est importée d'Ecosse par Jacques de Lapparent [1935], qui distingue dans les couches du "Moine" deux "actes" successifs de métamorphisme, comportant chacun quatre "tableaux". Or, dans les systèmes zonéographiques, reposant sur l'idée de métamorphisme géosynclinal, un domaine de la croûte terrestre ne peut subir, de façon tout à fait générale, qu'un seul épisode de métamorphisme. En 1954, Jung, après avoir résumé dans sa plus stricte simplicité l'application de son système zonéographique au Massif Central français, l'illustrant par deux figures quasi-caricaturales (p. 250 et 252), indique que des modifications de la paragenèse acquise peuvent localement (et exceptionnellement) intervenir par suite, notamment, d'une remontée trop lente vers la surface, et que c'est ce phénomène que l'on appelle "polymétamorphisme" ! Il définit cependant un "noyau arverne", précambrien, surmonté d'une discordance et, déjà, structuré et métamorphisé avant l'orogenèse hercynienne. Mais il lui est impossible d'expliquer logiquement l'existence du "groupe de la Brévenne", dont la présence ne cadre pas avec sa théorie. La même année, dans le Rouergue, j'avais pu montrer, grâce à l'étude des linéations [Collomb, 1954a|, que la tectonique de cette région était polyphasée, puis que deux phases principales de métamorphisme [Collomb, 1954b] s'y étaient succédé, la seconde n'étant pas une simple "rétromorphose", contrairement à ce qui avait été dit jusqu'alors [Roques, 1941]. Bientôt, cette façon de voir les choses, qui était en partie inspirée de la notion d'"orogenèses superposées" due à Wegmann, allait se généraliser et s'imposer partout en France (voir aussi Collomb [1967, 1969] et Bruce Velde [1970]). La question qui se posa alors était de savoir si les divers événements métamorphiques reconnus étaient séparés par des périodes de repos et de refroidissement, -métamorphisme polyorogénique, réalisé au cours de deux ou plusieurs épisodes orogéniques distincts, - ou bien s'étaient succédé en continuité au cours d'un même épisode : métamorphisme polyfacial (ou "plurifacial", terme qui paraît, à mon sens, préférable). Bien qu'il semble logique de considérer que les deux points de vue puissent être vrais dans un même domaine, à des époques différentes, les auteurs penchent sans restriction soit pour l'un, soit pour l'autre, éventuellement avec quelque exagération. Ainsi, Forestier et al. [1973] précisent, dans leur conclusion, que "le Massif Central comme le Massif Armoricain portent les traces d'événements précambriens multiples, puis cadomiens, calédoniens, hercyniens". La même année, Jean-Pierre Bard et Roger Rambeloson [1973] affirment (sans démonstration) que le métamorphisme, dans la zone axiale de la Montagne Noire, est polyfacial et non polyorogénique. Pour Autran, Floc'h et al. [1977], dans l'Ouest du Massif Central, si les déformations sont polyphasées, le métamorphisme est polyfacial, mais continu, depuis la phase granulitique de haute pression, jusqu'à l'anatexie finale de basse pression.
Cependant, en France, l'utilisation de la méthode zonéographique n'est pas pour autant abandonnée et constituera, encore pour longtemps la base des levers cartographiques dans les massifs anciens. Jean-Pierre Floc'h, au début de son mémoire de thèse [1983], résume assez bien l'état des connaissances en Limousin vers 1975 : "Au moment où ont débuté les travaux présentés ici, toutes les interprétations régionales s'appuient sur une cartographie zonéographique type J. Jung et M. Roques [1936] et s'inspirent de la synthèse de J. Jung [1954], qui définit en Massif Central un socle précambrien polystructuré et polymétamorphique - le noyau arverno-vosgien - supportant une couverture paléozoïque monométamorphique et monocyclique - chaînes périphériques - moulant le noyau arverne". En 1958, Jean-Marc Peterlongo, dans son étude des monts du Lyonnais, n'utilise que la terminologie de Jung et Roques et ne fait droit qu'aux conceptions de ces auteurs. En particulier, il considère (p. 174), à propos du métamorphisme de la série (d'âge anté-Viséen supérieur) de la Brévenne, que "ce sont peut-être même les mouvements orogéniques responsables de la formation des conglomérats [d'âge viséen supérieur] qui auraient mis fin à ce métamorphisme".
Néanmoins, à partir des années 60, la plupart des travaux entrepris dans les massifs anciens français vont comporter souvent la détermination des faciès et sous-faciès métamorphiques rencontrés : c'est ainsi que vont être découvertes, incluses dans certaines séries métamorphiques du Massif Central, des traces d'un passage dans le faciès granulite, d'abord très localement (Lasnier [1968]), puis de façon plus générale [J. Marchand, 1974 ; Lasnier, 1977]. Ce résultat est important, d'une part parce que la genèse d'un faciès granulite s'explique difficilement dans le cadre de la zonéographie de Jung et Roques (malgré l'adjonction vers le bas de la zone des gneiss ultra-inférieurs), et d'autre part parce que la localisation de ces reliques implique un métamorphisme réalisé en au moins deux épisodes distincts, séparés (et accompagnés) par d'importants événements tectoniques (bien que, en 1973, Forestier et al. écartent délibérément [p. 575] toute interprétation tectonique).
A la même époque, l'importance des orthogneiss dans les séries métamorphiques commence à être reconnue. Ce fait est à rattacher à sa banalisation de l'étude des relations entre déformations et cristallisations, particulièrement en lames minces, aboutissant à établir une chronologie relative des paragenèses successives présentes dans une même roche et, par voie de conséquence, à déterminer la nature et la structure de la roche initiale (ou protolite). La facilité, toujours plus grande, d'obtenir des analyses chimiques fiables a aussi joué un grand rôle dans cette évolution des idées, favorisée sans doute aussi par certains des premiers résultats des mesures radiochronologiques (par exemple, ceux qui font l'objet de la thèse d'Yves Vialette [1962]). Alors fut posé le problème de la signification de ces orthogneiss : l'idée se fit jour, sans doute encore sous l'influence déterminante des géologues alpins, pour qui l'existence d'un couple "socle/couverture" était, de longue date, donnée d'observation courante, mais aussi de la notion de "mantled gneiss -domes" [Eskola, 1948], qu'ils pourraient, bien souvent, représenter un socle relativement ancien, supportant une couverture plus récente. Ainsi pouvaient s'expliquer des structures comme celle du dôme du Levezou, en Rouergue [Collomb, 1970]. A partir de là, Gérard Guitard [1963, 1970], ayant reconnu dans le massif du Canigou (Pyrénées orientales) l'abondance des orthogneiss, issus de granites antérieurs à la série paléozoïque métamorphique, remarque que les isogrades de la couverture se resserrent au voisinage du socle orthogneissique et élabore, en conséquence, la notion d'"effet de socle" [Fonteilles et Guitard, 1964]. La manière dont Guitard conçoit le métamorphisme est, d'ailleurs, intéressante à considérer : il s'agit, pour lui, d'un phénomène progressif, dû à la montée continue des isogéothermes vers la surface de la croûte ; les isogrades sont les lieux géométriques où se déclenchent certaines réactions endothermiques; ces réactions ralentissent la montés des isothermes, mais il n'existe jamais d'état stationnaire. L'"effet de socle" résulte du fait que, dans le socle, plusieurs de ces réactions ont déjà été effectuées et que, par conséquent, les isothermes ne sont pas ralenties. Remarquons que ce type de raisonnement implique que le métamorphisme soit posttectonique, du moins pour sa partie principale : si cette condition semble bien être réalisée, pour l'essentiel, dans le Canigou, elle ne revêt aucun caractère nécessaire ailleurs, notamment dans le Massif Central. De façon analogue, Alain Weisbrod [1970] ne prend en considération que deux possibilités : un métamorphisme progressif et un métamorphisme régressif. Guitard insiste aussi sur l'importance de la pression partielle de l'eau dans la phase fluide, et sur l'influence de la composition initiale des roches sur l'évolution métamorphique.
Dans les massifs anciens français, particulièrement le Massif Central, ces puissants outils que sont la connaissance de la stratigraphie (tout au moins lithologique) et des conditions (P, T) successivement réalisées au cours du métamorphisme, en divers domaines d'un ensemble cristallophyllien, joints à la possibilité d'une certaine quantification de la déformation subie par tout ou partie de ces domaines, vont permettre de mettre en évidence l'existence de nappes de charriage (le plus souvent symmétamorphes). Il faut rappeler que, depuis longtemps, André Demay [1931] avait considéré les Cévennes comme un empilement de nappes. Mais, pour diverses raisons, parmi lesquelles une certaine exagération systématique de la généralité des résultats obtenus (il pensait pouvoir corréler et synchroniser, dans toute l'étendue des domaines étudiés par lui, les multiples phases de déformation et de cristallisation reconnues dans les lames minces [Demay, 1942]), ces travaux n'eurent pas, à l'époque, le retentissement souhaitable. Par la suite, ce n'est qu'en 1964 que P. Tempier signale l'existence d'un contact anormal dans la série de la moyenne Dordogne. Plus tard, en 1977, Jean-Pierre Burg et Philippe Matte montrent l'existence d'une nappe majeure symmétamorphe dans la région de Marvejols, et généralisent, en 1978, cette disposition à l'ensemble du Massif Central. Cependant ces nappes, telles qu'elles ont été décrites jusqu'à présent, par exemple en Limousin, par Pierre-Louis Guillot [1961], progressent sur des surfaces de rupture et sont donc "du second genre" (suivant la terminologie établie par Pierre Termier), sans qu'existe de pli couché de grande envergure. L'existence de nappes de charriage symmétamorphes est maintenant reconnue, ou considérée comme très probable (parfois peut-être avec quelque exagération !), non seulement dans le Massif Central [Ledru et al., 1989], mais dans tous les domaines cristallophylliens français.
Les transformations métamorphiques résultent des modifications des paramètres physiques (température et contraintes) et chimiques (apports ou départ de certains éléments, liés aux circulations de fluides) dans le domaine de la croûte considéré, il se produit alors des réactions chimiques, généralement (mais non toujours!) d'équilibre et réversibles entre les minéraux en présence et les fluides. Ces réactions obéissent aux lois de la thermodynamique. Cette notion était, en fait, présente dès le début, quand les auteurs neptuniens cherchaient à déterminer les propriétés physiques et chimiques qui devaient avoir été celles des océans où étaient censés s'être déposés les "terrains primitifs". Au début du siècle, le Norvégien Victor Moritz Goldschmidt avait adapté à la Minéralogie la Règle des phases de Willard Gibbs, bien connue des chimistes. En France, dès 1946, 1947 et 1948, Louis Glangeaud insiste sur la nécessité d'appliquer les résultats de la thermodynamique à l'étude de la "pétrogenèse profonde". Il considère que, pour que les recristallisations métamorphiques puissent avoir lieu, un certain degré de désordre, à l'échelle atomique, est nécessaire, ainsi qu'un apport (ou un déplacement) d'énergie ; il définit alors des états "oligophasés" et "dynamomorphes" de la matière cristalline, dans lesquels migrations d'éléments et nouveaux équilibres sont favorisés : ils se réalisent en profondeur où, d'après lui, les notions d'états solide, liquide ou gazeux n'ont plus la même signification qu'en surface. Mais il faudra encore quelques années et les études expérimentales de plus en plus poussées sur les domaines de stabilité de minéraux de plus en plus nombreux, conduisant à proposer leur utilisation comme géothermomètres ou géobaromètres, pour qu'il se révèle indispensable d'utiliser ces méthodes d'étude. En 1970, Alain Weisbrod les applique aux Cévennes et en donne un bon exposé théorique. Dans les années 70-80, on met donc l'accent sur l'étude thermodynamique des réactions métamorphiques. Mais il faut, pour cela, écrire d'abord ces réactions et leur enchaînement au cours de l'épisode évolutif envisagé : d'où, bien souvent, des équations supposées qui, forcément simplifiées du fait du grand nombre de facteurs en présence, n'ont peut-être pas toujours grand rapport avec la réalité que l'on veut appréhender.
Néanmoins, il apparaît assez vite (voir notamment Autran et al. [1970]) que les réactions du métamorphisme sont essentiellement des réactions de déshydratation, du moins quand la température augmente sans augmentation trop forte de la pression. L'eau, contenue dans les minéraux et les roches, et circulant plus ou moins librement dans les fissures, est donc un facteur essentiel des transformations. A basse température, elle est nécessaire, pour que les minéraux hydroxylés puissent se former en équilibre. A haute température, sa présence est indispensable pour favoriser la fusion partielle (ou anatexie) des roches, conduisant à des mobilisats de composition granitique (c'est donc, en fin de compte, le point de vue de Holmquist sur la migmatisation qui a prévalu sur celui de Sederholm).
Cependant, l'application des résultats de laboratoire à la réalité du terrain nécessitait aussi de connaître avec précision la composition chimique des roches étudiées et, surtout, des minéraux qui les constituent. Les analyses chimiques de roches, par les méthodes classiques (voie humide), étaient longues et coûteuses, nécessairement limitées en nombre ; elles devinrent bien plus aisées à obtenir, vers la fin des années 50, grâce à la mise en oeuvre de nouvelles méthodes de mesure, physiques et non chimiques (spectrométrie de flamme, "quantomètres"). Quant aux analyses de minéraux, elles furent d'abord facilitées par l'emploi d'appareils de tri mécanique et magnétique, puis quelques années plus tard quasiment banalisées grâce à l'utilisation de la microsonde électronique (due au physicien français Raymond Castaing), qui autorise des analyses ponctuelles en lames minces. D'où la création (en particulier par l'équipe d'Hubert de la Roche, à Nancy) et l'emploi généralisé d'une profusion de diagrammes géochimiques qui permettent de reconstituer, éventuellement, non seulement la lithostratigraphie originelle, mais aussi la paléogéographie (par exemple, Weisbrod [1970]). Mais le résultat le plus clair de ces travaux est de mettre en doute la possibilité même d'un métamorphisme topochimique: pour H. de la Roche et al. [1974], on peut "s'interroger sur la validité de l'hypothèse de la conservation du chimisme «éléments majeurs» au cours du métamorphisme. Les caractères [...] décrits pourraient alors refléter une évolution métasomatique superposée à un héritage sédimentaire ou igné". Notons que, dès 1945, Pierre Lapadu-Hargues avait affirmé l'existence d'un apport au cours du métamorphisme des séries initialement silico-alumineuses ou siliceuses : mais à l'époque ses idées n'avaient pas fait recette.
En même temps, l'étude, de plus en plus minutieuse, de la déformation subie par les roches, tant au niveau de l'affleurement qu'à celui du cristal, va permettre de caractériser des épisodes successifs de déformation et de cristallisation, jusque dans un seul échantillon de roche, aboutissant à tracer approximativement le chemin parcouru par celle-ci, au cours du métamorphisme, dans le plan (P,T) d'Eskola. On s'apercevra alors que ces chemins peuvent être très différents suivant les séries étudiées (alors que l'échelle de Jung et Roques aurait dû être valable dans le monde entier et pour toutes les chaînes). C'est ainsi qu'Akiho Miyashiro [1960] a pu définir des types de métamorphisme, en fonction de la pression maximale atteinte.
Il faut encore ajouter les progrès considérables enregistrés par les méthodes de datation radiochronologique. Bien que le principe en ait été connu depuis longtemps, il faudra attendre pratiquement 1980 et l'occasion de la vingt-sixième session du Congrès géologique international, pour qu'un premier faisceau de résultats cohérents soit réuni sur le Massif Central (voir, notamment, Autran & Peterlongo [1980]). Il devient alors réalisable de placer dans le temps les divers épisodes de métamorphisme reconnus, alors que ce n'était, jusque là, possible qu'approximativement, à l'aide de considérations diverses plus ou moins fiables (stratigraphie prémétamorphique, comparaison avec des régions voisines, etc.). On peut alors s'apercevoir que deux événements analogues, dans deux régions voisines, ne sont pas pour autant synchrones.
Parmi toutes les observations accumulées, et qui ont conduit à la conception moderne des phénomènes de métamorphisme, il en est, en particulier, deux types dont l'interprétation était très difficile, voire tout à fait insatisfaisante, dans les anciennes théories, et qui, d'ailleurs, laisse encore à désirer actuellement : ce sont, d'une part, les "séries métamorphiques inverses", d'autre part les "groupes" ou "complexes leptyno-amphiboliques" (couramment désignés par le sigle C. L. A.).
Il faut reconnaître que le problème des "séries métamorphiques inverses" n'est pas aisé à résoudre (et n'a, d'ailleurs pas, me semble-t-il, reçu à ce jour de solution universelle). Dès 1900, Marcellin Boule le posait en ces termes, à propos de la série du Lot: "ou bien tout ce terrain est renversé et nous sommes en présence d'un gigantesque pli couché, hypothèse commode mais bien peu vraisemblable, ou bien les caractères pétrographiques de la série archéenne n'ont pas toujours une grande importance au point de vue chronologique". Remarquons que l'hypothèse de Barrow, liant l'augmentation de température à l'intrusion d'une masse granitique, permettait, éventuellement, d'expliquer l'existence locale d'un métamorphisme croissant du bas vers le haut, sous la semelle de l'intrusion ; mais que pourtant C. E. Tilley [1925], réétudiant les mêmes terrains des Highlands d'Ecosse, préfère admettre un métamorphisme d'enfouissement, suivi d'un renversement tectonique de la série. L'utilisation d'un système zonéographique, tel que celui de Jung et Roques, sous-tendu par une échelle de métamorphisme, ne permet pas d'aller au delà de la remarque de Boule. En effet, alors, dans une même région, deux surfaces d'isométamorphisme sont sensiblement parallèles ; dans un domaine différent, elles peuvent être plus (ou moins) rapprochées, mais leur ordre de succession ne peut s'inverser, sauf tectoniquement ; seul le front des migmatites peut recouper toutes les zones d'ectinites. Par conséquent, les superpositions "inverses" de zones (la "plus" métamorphique au dessus de la "moins" métamorphique) ne peuvent légitimement s'expliquer que par un renversement tectonique de la série métamorphique. Dans le système à deux dimensions des faciès, il est clair que l'ordre d'apparition de deux surfaces isogrades peut être différent en des localités voisines (puisque les lignes du plan (P,T) représentant les échelles des deux localités sont différentes et ne recoupent donc pas forcément dans le même ordre les courbes d'équilibre), ce qui signifie que deux isogrades peuvent se recouper et se présenter "inversées" entre deux endroits différents, sans intervention de la tectonique. Mais cela ne suffit pas, toutefois, à expliquer l'existence de séries inverses d'extension régionale. Plus tard, Jacques Grolier [1971] indiquera que ces inversions sont suffisamment nombreuses, sur tous les continents, pour qu'on puisse les considérer "comme une manifestation banale de l'orogenèse". Il proposera, sans se risquer à choisir, plusieurs explications plus ou moins vraisemblables, les principales étant :
- une tectonique apparente, résultant de l'obliquité des surfaces isogrades sur la foliation, ou d'irrégularités dans la forme de ces isogrades ;
- un renversement réel, par pli couché, pli en "blague à tabac" ou "glissement à la manière d'un jeu de cartes" ;
- un polymétamorphisme.
Enfin, de la structure actuellement admise pour le Massif Central, en empilement d'unités chevauchantes, il résulte que les successions métamorphiques "inverses" ne sauraient être expliquées par renversement tectonique d'une série "normale" : la superposition tectonique d'une lame chaude à un ensemble plus froid (phénomène du "fer à repasser", importé de l'Himalaya) peut alors être invoqué, par exemple par Bernard Briand [1978], pour la série du Lot. Mais d'autres solutions sont possibles, comme, entre autres, un "modèle calédonien" faisant appel à la superposition tardi- à post-métamorphique, dans une chaîne de montagnes, des internides plus métamorphiques à l'avant-pays ou aux externides moins métamorphiques [P. Rolin & J.-M. Quenardel, 1980], et sans doute n'y a-t-il pas un type unique de genèse, applicable à tous les cas reconnus de telles "inversions". Telle est d'ailleurs, à peu près, la conclusion, sur ce sujet, de Jean-Michel Quenardel et al. [1991, p. 186] : "Le métamorphisme «inverse» que l'on observe dans la succession des nappes de charriage du Massif Central est un caractère habituel des chaînes de montagnes. Il semble que le modèle du «fer à repasser» préconisé pour expliquer l'inversion du métamorphisme ne soit plus le seul à être invoqué et que l'influence de la tectonique tangentielle soit fondamentale".
La présence d'amphibolites et de diverses autres roches basiques et ultrabasiques (serpentines) était connue depuis fort longtemps ; mais on n'a reconnu qu'assez tard leur importance et leurs associations. Puis on s'aperçut qu'elles étaient fréquemment associées, aussi, à des leptynites : la notion de groupe leptyno-amphibolique était née. François Hubert Forestier [1961, 1963] en donne une définition purement lithologique : formation complexe dans laquelle deux catégories de roches sont étroitement associées, basiques et ultra-basiques d'une part, acides d'autre part (leptynites) ; il peut, d'ailleurs, y avoir d'anciens sédiments associés à des roches d'origine volcanique. Par la suite, différents auteurs ont plus ou moins modifié cette définition, y introduisant au besoin des critères génétiques supposés. Un complexe leptyno-amphibolique (C. L. A ) est constitué, selon Jean-Pierre Burg [1977] d'un ou plusieurs ensembles (de quelques centaines de mètres d'épaisseur chacun) de tectonites acides (avec reliques de métamorphisme de haute pression) associées à des roches basiques et ultrabasiques. La base d'un tel ensemble pourrait être un complexe ophiolitique [J.-C. Mercier et al., 1982]. La disposition des lames de C. L. A. au sein des séries cristallophylliennes ne semble alors pouvoir s'expliquer que si elles constituent des semelles de nappes. Les reliques granulitiques de haute pression, décrites, par exemple, par Bernard Lasnier [1977] ou encore Christian Nicollet et André Leyreloup [1978], obligent à envisager un considérable enfouissement tectonique de ces ensembles : la théorie de la tectonique des plaques, proposée par les géophysiciens en 1968, va alors apparaître comme un cadre adéquat (notions de subduction et d'obduction, par exemple) à un nombre toujours croissant de géologues français, pour expliquer les caractères particuliers du C. L. A.. Dans ce cadre s'inscrivent les interprétations de Christian Pin et Daniel Vielzeuf [1988] (témoins d'anciennes marges passives entraînées dans une subduction) ou de Jean-Louis Bodinier et al. [1988] (reliques d'un bassin d'arrière-arc subducié puis obducté). D'après Santallier et al. [1988], beaucoup d'abus de langage ont eu lieu et on a même voulu voir dans les C. L. A. du Massif Centrai un seui niveau repère, ce que contredisent les âges mesurés. En définitive, il semble à ces auteurs que ces C. L. A. "doivent plutôt être considérés comme des mélanges tectoniques synmétamorphes, marqueurs de cisaillements crustaux précoces de l'orogenèse paléozoïque [...] dans un environnement essentiellement continental".
Le métamorphisme : l'une des formes principales de dissipation d'énergie dans la croûte terrestre.
Arrivés au terme de ce survol, rapide et incomplet, des travaux français sur le métamorphisme, où nous nous sommes pratiquement limités au Massif Central, il nous faut maintenant faire le point des connaissances acquises et dire quel est, pour les géologues de 1996, le contenu du concept de métamorphisme. Je voudrais préciser, tout d'abord, que j'ai volontairement omis d'envisager, sauf tout à fait incidemment, le phénomène de granitisation, pourtant lié directement à divers aspects du métamorphisme, qu'il peut, souvent, prolonger ou, parfois, localement induire : les dimensions du présent article en eussent été par trop exagérées.
Au départ, la notion de métamorphisme pouvait paraître simple : des sédiments (plus éventuellement des roches volcaniques) se transformaient, soit parce qu'une source de chaleur les pénétrait (métamorphisme de contact), soit parce qu'ils se rapprochaient, par enfouissement, d'une source de chaleur (métamorphisme général et métamorphisme régional). Cet événement semblait unique dans la "vie" d'une roche donnée. Les éventualités d'apport (ou de départ) de matière, et de fusion partielle, étaient, dès le début, plus ou moins admises, mais souvent considérées comme secondaires, voire, à une certaine époque, comme négligeables. Ce point de vue est resté à la base des travaux sur les terrains anciens français jusque dans les années 50. Les choses évoluent ensuite rapidement.
En intégrant tous les résultats obtenus dans les quarante dernières années, je pense qu'on peut, à l'heure actuelle, définir le métamorphisme comme un phénomène polymorphe résultant de la dissipation, à l'intérieur d'un domaine donné de la croûte terrestre, d'un flux d'énergie d'origine interne. Une part de cette énergie est utilisée à rééquilibrer (partiellement ou totalement, suivant le temps disponible) les compositions minérales des roches, en fonction des valeurs atteintes par les paramètres physiques (température et contraintes) et chimiques (principalement le potentiel chimique de l'eau, μH2O) ; un nombre variable d'éléments peut, selon les circonstances, se déplacer plus ou moins librement à l'intérieur du domaine considéré, ou même s'échanger avec l'extérieur de ce domaine. Ce rééquilibrage affecte tous les types de roches présents, y compris les granitoïdes : les orthogneiss et orthomicaschistes peuvent ainsi être très abondants [Colomb et Crévola, 1987]. Sous certaines conditions, les roches peuvent fondre partiellement, donnant naissance à des magmas granitiques. Simultanément, une autre partie de l'énergie disponible est employée à déformer la matière, à toutes les échelles, depuis celles du réseau cristallin et de l'échantillon {orientation des cristaux, mylonitisation, schistosité, foliation, etc.) jusqu'à celle de la lithosphère (édification d'une chaîne de montagnes). Le métamorphisme est donc intimement lié à l'orogenèse ; il est essentiellement symtectonique, interférant avec les plissements et les charriages, mais aussi en partie posttectonique, car les géoisothermes continuent pour un temps à monter dans le bâti, après la fin des déformations. Au cours d'une même orogenèse, les conditions thermodynamiques régnant dans un domaine donné de la croûte peuvent donc varier, de façon continue ou discontinue, suivant le cheminement de ce domaine dans l'espace géographique : la règle est donc d'un métamorphisme polyphasé monorogénique. Mais on peut aussi rencontrer des cas de polymétamorphisme polyorogénique. Ajoutons, pour être complets, qu'il existe cependant un métamorphisme de type particulier, que l'on peut qualifier d'atectonique, affectant les empilements de laves encore chaudes, dans les parties profondes de la croûte océanique.
L'ensemble des considérations qui précèdent trouve place dans la théorie, actuellement dominante, de la tectonique des plaques. Selon celle-ci, l'énergie thermique qui remonte constamment vers la surface du Globe, induit dans le manteau des courants de convection; ceux-ci sont à l'origine de la fragmentation de la lithosphère rigide et du déplacement des plaques ainsi formées. Les apports d'énergie à la croûte ne sont possibles (en dehors de quelques "points chauds") qu'aux limites de plaques ; en particulier, la formation d'une chaîne de montagnes est liée à l'existence d'une zone de subduction, où l'énergie est fournie à la fois sous forme thermique et mécanique. On a là une théorie cyclique, un peu analogue à celle de Hutton : ouverture d'un océan - dépôt des séries volcano-sédimentaires - fermeture de l'océan => orogenèse (avec métamorphisme et anatexie) => croûte continentale -ouverture d'un nouvel océan, etc. Cependant, on ignore si les mêmes mécanismes pouvaient opérer dans l'Archéen très ancien, tout au début de l'histoire de la Terre : nous faudra-t-il donc admettre que, sous une forme à préciser, il a bien existé des "terrains primitifs" ?
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