TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XXII (2008)

Le BRGG (Bureau de Recherches géologiques et géophysiques, 1941-1953), premier ancêtre direct du BRGM

René Médioni

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 10 juin 2009)

Résumé.
Venant après la création du Service de la Carte géologique de France en 1868, le Bureau de Recherches géologiques et géophysiques (BRGG) fut un jalon important sur la voie de l'instauration d'un Service géologique d'État. Créé en 1941, dans une France en grande partie occupée, originellement pour assurer la sauvegarde de la documentation sur le sous-sol, le BRGG, en dépit d'un contexte difficile, a obtenu des résultats notables, tant sur le plan scientifique que sur celui de la géologie appliquée. On lui doit notamment des précisions sur la stratigraphie et la tectonique des formations houillères des Alpes françaises, la mise en évidence de charriages du Jura sur la Bresse et la découverte de gaz dans cette région. Le BRGG a entrepris également des campagnes géophysiques systématiques sur le territoire français et des recherches minières. En 1953, un changement de statut élargit le champ de ses activités, notamment en matière de prospection et de participations minières.

Mots-clés : France - Service géologique - bassins houillers - recherches d'hydrocarbures - campagnes géophysiques.

Abstract.
After the establishment, in 1868, of the "Service de la Carte géologique de France", the "Bureau de recherches géologiques et géophysiques (BRGG)" was a major step towards the foundation of a state geological survey. Established in 1941 during the occupation of France by German troops, in order to save geological documentation, BRGG, in spite of troubles, achieved important results in fundamental and economic geology. Among these results, there were details about stratigraphy and tectonics of coal- bearing formations in French Alps, discovery of overthrusting of Jura Mountains over Bresse and find of gas in this area. BRGG conducted geophysical surveys in large parts of France and carried out ore deposits prospection. In 1953, by means of improved statutes, the range of its activities was extended towards ore deposits prospection and sharing in mining companies.

Key words: France - Geological Survey - coal-bearing basins - oil and gas prospection - geophysical survey.

 

En 2009 a été célébré le cinquantième anniversaire du BRGM (Bureau de Recherches géologiques et minières). Ce fut l'occasion de revenir sur l'histoire de cet organisme et, en particulier, d'évoquer la création de ce qui fut son ancêtre direct, le BRGG, Bureau de recherches géologiques et géophysiques. Institué en 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale, alors qu'une bonne partie de la France était occupée par l'armée allemande, le BRGG fut d'abord un jalon important dans la mise en place des organismes officiels français de géosciences appliquées. Mais dans plusieurs domaines et dans un contexte général très difficile, le BRGG sut développer des recherches dont les retombées à la fois scientifiques et appliquées furent loin d'être négligeables.

Les raisons et les objectifs de la création du BRGG

C'est en 1868, avec la création du Service de la Carte géologique, que la France s'est dotée d'une première institution géologique officielle (Médioni, 2009). Pendant un siècle, le Service de la Carte réalisera une œuvre importante dont la pièce maîtresse a été la couverture complète de la France à 1/80 000, avec de nombreuses rééditions. Mais, contrairement à d'autres pays industrialisés où le XIXe siècle voyait la création de Services géologiques d'État, capables de répondre aux multiples questions posées par le développement économique, notamment dans les mines et les travaux publics au sens large, la France ne disposait pour cela que de son administration des mines. Celle-ci, malgré des ingénieurs forts compétents, n'était pas en mesure de remplir toutes ces missions. Aussi, diverses initiatives furent-elles prises pour tenter d'y remédier et ce dans le strict cadre du Service de la Carte. En 1877, lui fut rattaché le Service des topographies souterraines. Parallèlement, au siège du Service, à Paris, fut constitué un Bureau de renseignements géologiques, destiné principalement à conseiller les usagers sur des questions relatives aux gisements de matières minérales. En 1900, le ministère de l'Intérieur décida de confier aux collaborateurs de la carte géologique l'examen des projets d'adduction d'eau ; ils étaient en cela les précurseurs de nos hydrogéologues agréés. Enfin, en 1918, le ministère des Travaux publics chargea le directeur du Service de la Carte d'assurer la surveillance de quelques sondages de recherche géologique générale. C'est ainsi que Pierre Pruvost (1890-1967) étudia, en 1924-1928, pour le compte de l'Office national des Combustibles liquides, le sondage de Ferrières-en-Bray, qui, sur 1150 mètres, donna une coupe complète de la série jurassique du Bassin Parisien, au droit de l'anticlinal du Bray.

Mais à l'évidence, la somme de toutes ces interventions ne remplaçait toujours pas un Service géologique d'État. En effet, le Service de la Carte ne disposait ni des services techniques ni des laboratoires sur lesquels aurait pu s'appuyer un développement des activités habituelles à ce type d'institution. De plus, du fait de ses effectifs réduits, il devait essentiellement faire appel à des collaborateurs extérieurs, le plus souvent bénévoles, difficilement mobilisables dans ce cadre.

Une autre lacune, et non des moindres, était l'absence de dispositions propres à recueillir, conserver et mettre à la disposition du public, les archives et la documentation recueillies au cours de l'exécution de forages profonds. Cette question devait, dans les années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, préoccuper particulièrement deux éminentes personnalités, l'ingénieur des mines Edmond Friedel (1895-1972) et le professeur Pierre Pruvost (1890-1967). Ils intervinrent auprès des pouvoirs publics pour que fût créé un organisme susceptible d'assurer ces tâches de recueil et d'archivage des données sur le sous- sol (Ricour, 2000a). Il est intéressant de noter que l'élément déclencheur de cette démarche a probablement été le sort défavorable réservé justement aux échantillons du sondage de Ferrières-en-Bray étudié par Pierre Pruvost.

Après avoir dirigé l'arrondissement minéralogique d'Arras, à partir de 1933, Edmond Friedel fut nommé sous-directeur de l'École des mines de Paris en 1937 (Fig. 1). Lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs publics l'appelèrent à la tête de l'arrondissement minéralogique du Nord et du Pas-de-Calais. Au moment de la débâcle de mai 1940, il contribua à assurer, dans de bonnes conditions, l'évacuation des populations minières. Son attitude de fermeté face à l'occupant fit qu'il fut arrêté et incarcéré quelques mois à la prison de Loos. Libéré sur les instances du gouvernement français, il reprit son poste à l'École des mines (Fichesser, 1972). Quant à Pierre Pruvost, il succéda en 1926 à Charles Barrois, à la chaire de géologie et minéralogie de l'université de Lille (Delattre et Waterlot, 1969).


Fig. 1. Edmond Friedel (1895-1972) ingénieur des Mines, directeur général du BRGG.
Document BRGM.

La création et les premières années du BRGG

En 1941, du fait de l'Occupation, Edmond Friedel et Pierre Pruvost se trouvèrent bloqués à Paris, les Allemands ayant imposé un statut particulier de " zone interdite " sous administration militaire aux départements frontaliers du Nord et de l'Est de la France. Ce sont ces circonstances particulières qui allaient accélérer les démarches entreprises par ces deux personnages. Aussi, la loi du 30 avril 1941, signée par le maréchal Pétain et relative à l'organisation du Secrétariat d'État à la Production industrielle, créait le Bureau de Recherches géologiques et géophysiques (BRGG), en tant que service extérieur de la Direction des mines. À noter que parmi ces mêmes services extérieurs on trouvait un Bureau de documentation minière, le Service de la Carte géologique de la France et des topographies souterraines, les Écoles des mines de Paris et de Saint-Étienne, les Écoles techniques des mines de Douai et d'Alès et les arrondissements minéralogiques.

Les conséquences d'un autre événement lié à la guerre devaient accompagner la création du BRGG et avoir une influence notable sur son activité. Contrairement aux dispositions de la Convention d'armistice du 22 juin 1940, les Allemands annexèrent de facto au IIIe Reich, les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. De ce fait, les Mines domaniales de Potasse d'Alsace (MDPA) furent mises sous la tutelle d'un Gauleiter, avant d'être placées, en 1942, sous le contrôle de la Société allemande PREUSSAG. Cependant, les MDPA avaient pu mettre une partie de leurs fonds à l'abri dans une banque de Montluçon, en zone libre. Cet argent permit, dès novembre 1941, la signature d'une convention entre les MDPA et le BRGG (Goguel, 1984). Selon les termes de cet accord, le BRGG devait poursuivre l'exécution des sondages entrepris dans la Bresse et le Jura par les MDPA, qui, en contrepartie, prenaient à leur charge les salaires des géologues. Il est certain que l'idée de reprendre certaines des activités des MDPA ne fut pas étrangère à la décision, en 1941, de créer le BRGG, même si, comme on peut le comprendre, cette motivation ne pouvait être mise officiellement en avant dans le contexte de l'époque.

Logé au début dans des locaux exigus du 44 de la rue de Lille à Paris (7e) où étaient stockés des exemplaires invendus des Annales des Mines, le BRGG s'installa plus au large en 1943, dans un immeuble attenant au Cercle militaire, rue de la Pépinière (8e), mis sous séquestre en tant que bien juif, avant de déménager en 1950, au 69 rue de la Victoire (9e).

Edmond Friedel fut nommé directeur général du BRGG, Jean Goguel (1908-1987), directeur adjoint, poste qu'il cumula avec celui d'adjoint d'Eugène Raguin (1900-2001), alors directeur du Service de la Carte géologique (Fig. 2). En 1952, Jean Goguel sera remplacé dans ses fonctions au BRGG par Pierre Laffitte. Enfin, c'est Louis Guillaume (1894-1952), universitaire alsacien replié à Paris, qui assura les fonctions de chef-géologue jusqu'au début de 1952, lorsqu'il reprit son poste de chef de travaux à l'université de Strasbourg (Fig. 3). Il devait d'ailleurs décéder quelques mois plus tard, en Alsace, dans un accident de la route (Friedel et Goguel, 1953). Quant à Pierre Pruvost, son rôle fut surtout de conseiller le BRGG et d'y faire accepter certains de ses élèves dans les équipes de géologues.


Fig. 2. Jean Goguel (1908-1987), directeur adjoint du BRGG jusqu'en 1952.
Document BRGM.


Fig. 3. Louis Guillaume (1894-1952), chef-géologue au BRGG.

Une loi de finances de 1943 fixait le personnel du BRGG à 52 ingénieurs, 5 agents administratifs et 13 ouvriers spécialistes. Mais cet effectif ne fut jamais atteint pendant les douze années d'existence du BRGG, en raison de compressions budgétaires ultérieures, de la difficulté de recruter des éléments de valeur, compte tenu du contexte lié à la guerre et, plus tard, à cause des faibles rémunérations proposées.

L'organisation interne du BRGG était adaptée aux missions qui en avaient été à l'origine. La première des tâches était le rassemblement et la gestion de la documentation concernant notamment les coupes géologiques des sondages, puits, galeries et autres travaux souterrains. Une loi du 22 mai 1944 prescrivait de déclarer au Service des mines tous les ouvrages dont la profondeur dépassait 10 mètres. Le BRGG était justement chargé d'en archiver la documentation géologique. Un service " Géologie " rassemblait des géologues affectés chacun, en principe, à un arrondissement minéralogique, où ils devaient suivre les recherches concernant, entre autres, la géologie des terrains houillers, l'hydrologie, les travaux publics, les études pétrographiques, la micropaléontologie, la spéléologie, la gîtologie et la recherche de matériaux utiles. Un service " Géophysique " doté d'un gravimètre, d'une balance magnétique et d'un appareillage de mesures électriques telluriques mis au point par les frères Conrad Schlumberger et Marcel Schlumberger, était chargé de réaliser des prospections systématiques. Installé dans un local séparé, un laboratoire de chimie était en mesure d'effectuer toutes sortes d'analyses de roches (Laffitte, 1952).

Pour se rendre sur le terrain, les géologues voyageaient en chemin de fer et, une fois sur place, les déplacements, dans ces années de pénurie, se faisaient à bicyclette, moyen de transport qui semble avoir été apprécié par les géologues pour sa commodité, mais également pour les contacts avec les paysans et les facilités de ravitaillement qui en résultaient. Jean Ricour (2000b) a rappelé les tournées géologiques où l'on voyait " les bicyclettes chevauchées, sur des routes parfois pentues, par toute la direction du BRGG, E. Friedel, J. Goguel et L. Guillaume, suivie de son escorte de géologues ".

Les géologues disposaient d'Ausweiss pour franchir la ligne de démarcation et les limites des zones interdites, comme dans le cas des départements du Nord et du Pas-de-Calais. Ils obtinrent aussi de la SNCF des cartes de circulation les autorisant à suivre les voies ferrées, disposition qui survivra largement au BRGG.

Dans un tout autre domaine, ces facilités de circulation devaient permettre aux géologues de renseigner la Résistance sur les déplacements et certains projets de l'armée allemande. Il semble que le BRGG, ou du moins une partie de ses agents, y aient pris une part active (Ricour, 2000b ; Goguel, 1984). Cela ne s'est pas fait dans le cadre d'un réseau structuré, comme au Musée de l'Homme, par exemple, mais plutôt du fait d'initiatives isolées d'individus opérant séparément. On a même prétendu un moment que la bibliothèque du BRGG abritait un dépôt d'armes clandestin. En réalité, la seule arme était un pistolet automatique de calibre 7,65, lequel fut effectivement utilisé lors des combats de la libération de Paris. Ce sont surtout Edmond Friedel et Louis Guillaume qui prirent une part active à ces actions de résistance. Le premier joua en particulier un rôle non négligeable dans ses fonctions parallèles de directeur de l'École des mines de Paris, en évitant la déportation en Allemagne de quatre promotions d'élèves. Il couvrit aussi l'installation d'un poste d'écoute branché sur des services de la Luftwaffe qui occupaient partiellement les locaux du 60 boulevard Saint-Michel (Fichesser, 1972). Louis Guillaume eut à différentes reprises l'occasion de mettre à profit ses connaissances régionales pour renseigner la France libre ou les troupes alliées. Ainsi, les notes qu'il avait publiées sur la Normandie ont été " épluchées " par les géologues attachés aux forces alliées à l'occasion du débarquement de 1944. Louis Guillaume fut d'ailleurs personnellement incorporé dans un réseau actif de résistants (Friedel et Goguel, 1953).

Les principaux résultats à l'actif du BRGG

Documentation sur le sous-sol

C'était, nous l'avons vu, l'objectif premier de la création du BRGG. Cette activité comprenait le recueil et l'archivage de la documentation géologique sur les ouvrages souterrains, puits, forages, galeries, etc. Cette mission fut confortée par la loi du 22 mai 1944, évoquée plus haut.

À titre d'exemple, de 1949 à 1951, 1 200 déclarations de travaux souterrains furent enregistrées, ce qui ne représentait qu'une faible partie du nombre total des travaux effectués en France. Se posait alors le problème des ouvrages exécutés antérieurement à la loi de 1944. Un important travail rétrospectif dut être réalisé à partir des archives des entreprises concernées, ce qui permit de rassembler et de sauvegarder une multitude d'informations inédites. Cette opération fut complétée par le dépouillement de publications telles que les Annales des Mines, le Bulletin de la Société géologique de France ou des publications régionales. En 1951, 22 000 fiches avaient été établies. Les emplacements des ouvrages correspondants étaient reportés sur des cartes topographiques à 1/80 000 ou à 1/50 000, en fonction des disponibilités (Laffitte, 1952).

Recherches sur les combustibles solides

Le contexte de pénurie lié aux difficultés d'approvisionnement justifiait amplement un effort dans ce sens. Ainsi une activité importante de recherche se développa sur de petits bassins houillers qui échappaient au contingentement et qui ont permis à différentes régions et à des industries d'une importance non négligeable de continuer à tourner.

Mais sur le plan géologique, les recherches les plus significatives ont porté sur les Alpes et accessoirement sur le bassin de Blanzy. Avec l'appui de Pierre Pruvost, le BRGG avait constitué une solide équipe de géologues charbonniers comprenant Marguerite Dormois-Grangeon (1925-1982), Jean Fabre, Robert Feys (1922-1988), Charles Greber (1921-1988) et Georges Lienhardt (Fabre, 2000).

Dans le Briançonnais, en Maurienne et en Tarentaise, les études ont été entreprises d'abord par le BRGG seul, dès 1942, puis poursuivies à partir de 1948, avec l'appui matériel et la collaboration de géologues des Charbonnages de France, sous la conduite de Constantin Monomakhoff (Fabre, Feys et Greber, 1952). Dans ce secteur où des exploitations artisanales étaient connues depuis 1789, il existait une bonne étude d'ensemble due à Charles Lory (1861-1864). Les géologues du BRGG entreprirent des levers détaillés conjointement avec François Ellenberger (1915-2000), Marcel Lemoine (1924-2009) et Reynold Barbier (1913-2001), chargés, eux, de la carte géologique à 1/50 000. Ces travaux confirmèrent l'existence d'une série stratigraphique allant du Namurien au Stéphanien moyen et puissante de 3 à 4 000 mètres. Ces recherches mirent aussi en évidence l'existence de brusques décharges conglomératiques au cours du Stéphanien, indices de l'existence de reliefs en voie d'érosion rapide. Parmi les autres résultats enregistrés figurent la confirmation de deux discordances dans le Paléozoïque intra-alpin : l'une correspondant à la phase asturienne entre Westphalien et Stéphanien, l'autre à la phase saalienne entre Carbonifère et Permien. Les auteurs notaient également l'âge anté-westphalien du granite du Pelvoux et la poursuite de manifestations plutoniques après le début du Westphalien. L'examen comparatif des flores fossiles allait montrer que la frontière séparant les provinces paléobotaniques correspondait à l'emplacement des massifs cristallins externes.

Selon le BRGG, le houiller du Briançonnais possédait un potentiel minier intéressant avec des réserves en charbon considérables (évaluées à deux milliards de tonnes en Maurienne et Tarentaise) et des possibilités d'exploitation favorisées par l'existence, à côté de couches fortement tectonisées, de veines relativement calmes.

L'équipe de géologues charbonniers du BRGG intervint également sur le bassin carbonifère de Tindouf, dans le Sahara algérien (Fabre et Greber, 1956).

Dans le même ordre d'idées, le BRGG agit comme conseiller auprès d'une Commission technique de la tourbe. À ce titre, Louis Guillaume participa en 1943 à un voyage d'étude des tourbières allemandes1. Tout ce travail devait aboutir à la publication d'un Atlas des tourbières françaises, accompagné d'une importante monographie.

Les sondages de la Bresse et du Jura (Fig. 4)

Bien qu'officiellement sous-entendue, l'une des raisons de la création du BRGG avait été la poursuite des travaux de forage entrepris par les MDPA dans la Bresse et le Jura. Il s'agissait naturellement au départ de retrouver des couches de potasse dans le Trias. Les niveaux géologiques visés ayant été reconnus stériles sur ce point précis, les choses en seraient restées là si le BRGG, qui avait repris ces forages à son compte, n'avait eu l'idée de les poursuivre jusqu'au socle paléozoïque. Cette prolongation devait s'avérer fructueuse tant sur le plan économique que sur celui de la géologie fondamentale.


Fig. 4. Plan de situation et coupes sommaires des sondages exécutés dans le Jura par le BRGG. D'après Laffitte, 1952.

Dans la Bresse, les deux sondages de Ratte et de Vincelle, respectivement profonds de 1246 m et 1264 m, ont fourni une coupe complète des terrains tertiaires. Ils ont montré des épisodes évaporitiques importants dans la sédimentation oligocène. Par ailleurs, des microfaunes datant un miocène marin ont été retrouvées sous le Pontien, dans des faciès grossiers à niveaux de galets. Ces sondages ont été repris par la Régie autonome des Pétroles (RAP) (Le Calvez et Lefavrais, 1954).

Dans le Jura, onze sondages avaient été exécutés ou étaient en cours en 1952 sur les zones du Vignoble et des Plateaux. Les résultats obtenus par ces ouvrages se sont avérés extrêmement positifs. Quatre de ces sondages (Perrigny 1, Lons 1, Lavigny et Conliège) ont mis en évidence la présence d'un nouveau bassin houiller d'une certaine extension et relativement riche, puisque plusieurs couches exploitables de charbon parfois cokéfiable ont été retrouvées à des profondeurs variant entre 750 et 1000 m. Une note interne de 1952, rédigée à l'appui d'une demande budgétaire, insistait sur l'importance économique de la découverte de ce bassin houiller du Jura avec une prévision d'extraction de 3 millions de tonnes de houille à coke par an.

Cette découverte ouvrait également de nouveaux horizons : transfert d'une partie du personnel du bassin de Blanzy vers le Jura, possibilité de développement " dans le Jura et la Bresse d'une industrie lourde métallurgique et chimique ultramoderne ".


Fig. 5. Coupe interprétative du sondage JR 110. D'après Michel et al., 1953.

En outre, de nombreux indices de gaz combustible furent repérés dans des niveaux du Keuper. Le sondage de Revigny, mis en production en 1948, alimenta la ville de Lons-le- Saunier pendant plus de dix ans, avec une production journalière allant jusqu'à 1000 m3. Une coopération fructueuse s'instaura entre le BRGG et la Régie autonome des Pétroles (RAP), titulaire d'un permis exclusif de recherche dans le Jura, ce qui facilita en particulier la poursuite des forages, même une fois atteints les objectifs fixés par les pétroliers (Laffitte, 1952). Mais les sondages du Jura ont aussi permis de mettre en évidence un autre fait géologique d'importance, le charriage de la région du Vignoble sur la Bresse. Ainsi, le sondage de Saint-Lothain (JR 110), après avoir traversé les séries du Lias et du Keuper, retrouva une zone broyée, des lambeaux d'une série jurassique renversée, puis du Tertiaire, en contact par faille avec une série normale de Permien reposant sur du Carbonifère (Fig. 5). Une coupe NW- SE, passant par les sondages Coulans 1, Messia 1 et Lons 1, montra bien la structure de cette véritable nappe de charriage (Michel et al., 1953 ; Lefavrais-Raymond, 2000b).

Des observations de détail, tant en surface que dans les coupes des sondages, mirent en avant certaines caractéristiques : le charriage était post-pontien, son amplitude variait de 2,5 à 5 km à l'ouest de Lons-le-Saunier et son front se suivait sur une distance nord-sud de 23 km. Les décollements se faisaient presque toujours aux alentours de la cote 0 et étaient favorisés par les évaporites du Keuper inférieur (sel et gypse), dont l'épaisseur pouvait atteindre 200 m, et également par des niveaux gypseux du Muschelkalk (Fig. 6).


Fig. 6. Charriage du Jura sur la Bresse. D'après Michel et al., 1953

Recherches minières

En plus du charbon, le BRGG fut impliqué dans des recherches de minerais métalliques. À ce sujet, une mention particulière doit être faite pour le tungstène, considéré à l'époque comme un matériau stratégique et dont la recherche faisait l'objet de subventions au titre de la contrepartie du plan Marshall. Ces prospections de tungstène ont été entreprises dès 1949 et ont surtout concerné des gisements situés dans les Pyrénées orientales. Elles ont permis de mettre en évidence de nombreux indices de wolfram et de scheelite, notamment à Costabonne (Laffitte, 1952).

Le BRGG a également entrepris des prospections pour le cuivre et le plomb. Des indices d'autunite ont été mis en évidence dans le département de la Creuse.

Prospections géophysiques

Elles ont été certainement une des grandes affaires du BRGG. L'initiative en revient encore une fois à Edmond Friedel qui voulait promouvoir une utilisation plus systématique et plus régionale de la géophysique, plutôt que de la restreindre à la résolution de problèmes ponctuels. C'est Jean Goguel qui fut chargé de la mise en œuvre de ce projet, dès 1941, avec la collaboration du R.P. Pierre Lejay (1898-1958), notamment, pour l'utilisation des méthodes gravimétriques. Comme l'a souligné Jean Goguel (1984), c'est grâce à Pierre Lejay " que fut évité tout hiatus entre la gravimétrie de prospection et la géodésie ". La première campagne, dans le prolongement des préoccupations des MDPA, a porté sur le Bas-Dauphiné et le sud de la Bresse. Parallèlement à la gravimétrie furent réalisées des prospections à l'aide des méthodes telluriques et par sondages électriques, techniques mises au point par Conrad et Marcel Schlumberger. Ces travaux firent l'objet d'une coopération avec les équipes de la Compagnie générale de géophysique (CGG). En plus des deux zones évoquées ci-dessus, des prospections gravimétriques furent entreprises dans les bassins du Creusot et d'Autun, ainsi qu'une campagne systématique de grande reconnaissance, sur l'ensemble du Bassin de Paris, terminée en 1952, et qui, comme le soulignait Pierre Laffite (1952) " a permis de dresser une carte provisoire des anomalies gravimétriques, qui constitue un document exceptionnel pour les recherches de pétrole dans toute la partie nord de la France " (Fig. 7).


Fig. 7. Levers gravimétriques dans une zone littorale de la région Languedoc-Roussillon, en 1953.
Document BRGM.

Activité de conseil

Les géologues du BRGG ont été amenés à conseiller des administrations, des entreprises publiques (EDF, Charbonnages de France, etc.) ou des collectivités territoriales et ce, dans des domaines très variés : recherche de matériaux ou d'eaux souterraines, études d'ouvrages d'art, etc.

Certains des résultats obtenus en géologie appliquée ont fait l'objet de publications dans une série de monographies inaugurée en 1945.

L'évolution du BRGG

Le carcan administratif fixé par le statut du BRGG, lui-même imposé par les conditions difficiles qui avaient présidé à sa création, n'était pas de nature à servir les ambitions de développement, en accord avec les impératifs de la reconstruction de l'après-guerre. En 1952, citant un rapport de Paul Ramadier, le député Paul Coutant exprimait l'idée d'instituer " un bureau de recherches jouissant de prérogatives plus larges et, partant, de possibilités plus grandes ". L'inadaptation du BRGG parut particulièrement flagrante lorsqu'il fallut développer les recherches minières entreprises, notamment sur le bassin de Lons-le-Saunier et sur les gîtes de tungstène de Costabonne (Pyrénées-Orientales).

Entre temps, dans l'Union française de l'époque, avaient été créés, sous forme d'Établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ou de sociétés d'État, des bureaux miniers, qui avaient démontré leur efficacité : Bureau minier de la France d'Outremer (BUMIFOM) et Bureau de Recherches minières de l'Algérie (BRMA) en 1948, Bureau minier guyanais (BMG) en 1949.

Sous l'impulsion de Pierre Laffitte, une loi de 1953 substitua au BRGG le Bureau de Recherches géologiques, géophysiques et minières de la France métropolitaine (BRGGM), doté d'un statut d'EPIC. En plus des missions déjà assurées par le BRGG, le nouvel organisme était habilité à acquérir les titres miniers nécessaires à ses activités de prospection et de développement et également à prendre des participations dans des sociétés d'exploitation. Ce changement de statut s'accompagna d'une sensible et rapide augmentation des effectifs qui, toutes catégories confondues, doublèrent pratiquement entre 1952 et 1954. C'est tout naturellement Pierre Laffitte qui assura la direction générale du BRGGM jusqu'en 1959.

Cependant, à partir de 1958, l'accession à l'indépendance des différents pays d'Afrique et de Madagascar démontra la nécessité de regrouper les organismes de recherche géologique et minière. Un décret d'octobre 1959, agrégea au BUMIFOM, le BRGGM, le BRMA et le BMG, pour donner naissance au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), avec, comme son prédécesseur, un statut d'EPIC, qu'il possède encore actuellement.

Dans cette évolution, il convient de revenir sur les relations qu'entretinrent le BRGG et le Service de la Carte géologique : tous deux étaient des services extérieurs de la même Direction des mines et, de 1941 à 1952, tous deux eurent le même directeur adjoint, en la personne de Jean Goguel. Cette proximité administrative et la complémentarité, si souvent évoquée entre les deux organismes, auraient pu en favoriser la fusion. Or il n'en a rien été et, comme on le sait, il a fallu attendre 1968 pour la voir se réaliser (Médioni, 2002). Jean Goguel, toujours attaché à défendre les missions et les prérogatives du Service de la Carte, a tenté une explication : il pensait que, " si on avait voulu développer au sein de la Carte géologique, les activités nouvelles du BRGG, on aurait complètement désorganisé les fonctions traditionnelles de la carte. Ce n'est que, quand celle-ci a connu à son tour, mais beaucoup plus tard, une expansion de ses moyens, que la fusion s'est imposée ".

Références bibliographiques

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