Lorsqu'il s'agit de rendre hommage à l'oeuvre d'un Géologue, il suffit bien souvent de revoir toutes ses publications. Elles permettent de reconstituer ce que fut son activité scientifique, voire son enseignement et de mesurer l'héritage qu'il nous laisse.
Pour Louis Guillaume, il en est tout autrement. Dans ce souci de perfection qui fut l'un des traits de son caractère, il a peu publié et l'analyse de ses publications ne donnerait qu'une idée tout à fait incomplète de l'action qu'il a exercée, action qui fut très profonde sur le plan scientifique comme sur le plan technique et sur le plan humain. Pour bien rendre compte de cette action il faudrait avoir pu la suivre de près dans tous les postes que Louis Guillaume a successivement occupés à Caen (1922-1925), à Strasbourg (1925-1939, puis 1952), à Paris (1939-1952).
Si l'un de nous a connu les premières années du séjour à Strasbourg, si tous deux nous avons été quotidiennement associés à son oeuvre à Paris pendant plus de dix ans, si enfin nous avons pu rassembler bien des souvenirs et des impressions de ses amis ou de ses disciples, notre témoignage restera sans doute incomplet sur bien des points. Tel quel, il suffira pourtant à faire ressentir la perte que la disparition prématurée de Louis Guillaume représente pour la géologie française et à rappeler un souvenir que notre Société se doit de garder fidèlement.
Louis Guillaume était né le 4 janvier 1894 à Perpezat (Puy de Dôme) où son père était instituteur. La suite de son enfance se déroula dans d'autres localités du même département, où se poursuivit la carrière de son père, et notamment à Brassac-les-Mines et à Saint-Éloy-les-Mines. Ces années d'enfance l'avaient profondément marqué et expliquent bien des aspects de sa personnalité.
Sans doute est-ce à l'exemple de son père, dont il vénérait la mémoire, qu'il dût ce don pédagogique, cette ardeur à enseigner qu'il conserva, avec une fraîcheur extraordinaire et une inlassable patience, jusqu'à la fin de sa vie, ainsi que cette exigence d'un travail précis, poussé avec le souci d'une exactitude parfaite dans le détail, ne se contentant jamais d'à-peu-près. Peut-être aussi est-ce aux milieux miniers au sein desquels a débuté sa vie qu'il devait son souci de faire de la géologie un auxiliaire efficace des techniques de recherche et d'exploitation et l'opinion, qu'il ne cachait pas, que, pour cela, les grandes théories - qu'il ne refusait d'ailleurs pas d'aborder - avaient moins de poids que l'observation attentive et fidèle.
Cette Auvergne, où il était né, il lui resta toujours attaché. Il y avait conservé une maison de famille, au Mont-Dore, et c'est là que son corps a été ramené, après sa mort accidentelle le 29 mai 1952.
C'est sans quitter son pays d'origine qu'il fit toutes ses études secondaires, au lycée de Clermont, de 1906 à 1914. Elles furent brillantes et s'achevèrent par l'obtention d'une bourse de Licence, au concours de l'École Normale Supérieure de 1914. Mobilisé dans l'artillerie dès le début de la guerre, il la fit toute entière comme combattant : blessé en 1915, une citation à l'ordre du Corps d'armée le qualifiait de « modèle de bravoure, toujours volontaire pour les missions dangereuses ». L'armistice le trouva en Orient, commandant de batterie. Avec son unité, il ne devait rejoindre la France que le 30 septembre 1919, à travers la Hongrie, où il fut un moment retenu prisonnier par Bela-Kun. Lieutenant à titre définitif, il avait une carrière toute tracée dans l'armée. Mais il démissionna et demanda à bénéficier à Strasbourg de sa bourse de Licence. Là, bien qu'il soit toujours resté un naturaliste complet, l'influence de Maurice Gignoux orienta définitivement sa vocation vers la Géologie.
Cependant son premier travail avait un caractère plus zoologique et paléontologique que géologique. Etudiant la classification des Turritelles, il montrait l'importance que présente le tracé des stries d'accroissement, qui lui permit de distinguer un certain nombre de groupes. Il ne se bornait pas à ce point de vue systématique, mais essayait de suivre l'évolution dans les différents phyllums et de retracer les migrations des Turritelles.
Dès ce travail, on trouve les qualités de soin et de méthode qui caractérisent tout ce que fit Louis Guillaume. Par la suite, il devait occasionnellement revenir sur les problèmes d'associations animales et de migrations [1929, 20], bien que ses travaux l'aient entraîné dans une voie bien différente.
L'étude des Turritelles avait conduit Louis Guillaume à travailler à Londres. De ce séjour date, outre une solide amitié avec plusieurs de nos confrères britanniques, une vive admiration pour l'organisation du British Muséum, dont il s'inspira largement toutes les fois qu'il eut à faire des propositions puis pour créer pour perfectionner, l'organisation du Bureau des Recherches Géologiques et Géophysiques.
Ses études achevées, Louis Guillaume était nommé en 1922, Assistant de Géologie du professeur Alexandre Bigot à la Faculté des Sciences de Caen, et reçu la même année à l'Agrégation de Sciences naturelles. Le 18 avril 1922, il avait épousé Mlle Hobeniche, licenciée ès Sciences physiques, qu'il avait rencontrée à Clermont comme étudiant. En peu d'années, sept enfants allaient venir enrichir le foyer, lourde charge pour un jeune universitaire, mais plus tard source de grandes satisfactions, lorsqu'il vit ses enfants réussir brillamment dans les différentes voies qu'ils avaient choisies. Un mois avant sa mort, le père avait la joie d'assister au mariage du premier de ses fils, Marcel, devenu géologue comme lui.
Les 7 enfants de Louis Guillaume et de son épouse née Marie Hobeniche : de haut en bas et de gauche à droite, Jean (né en 1923), Marcel (né en 1924), Maurice (né en 1926), Cécile (née en 1927), Michel (22/12/1929-30/11/2004), Françoise (née en 1928), Madeleine (née en 1932). (C) Collection privée de Madeleine Sauve-Guillaume
Marcel fut géologue. Le retour de Louis Guillaume à Strasbourg en 1952 était motivé en partie par son idée de s'occuper davantage de la formation et de la carrière de Marcel.
Cécile, physicienne, entra à l'ENS de Sèvres en 1947, et fut professeur de classes préparatoires scientifiques au lycée Fénelon à partir de 1957, lycée où elle avait fait des études comme jeune fille. Michel fit l'ENA et fut directeur de ministère et conseiller d'Etat. Madeleine fut enseignante à l'Université de Paris-Sud Orsay. |
A peine installé à Caen, Louis Guillaume choisit pour sujet de thèse l'étude du Bathonien de Normandie, et se mit immédiatement à l'oeuvre pour en recueillir les matériaux. Plus tard, le sujet s'élargit, et il avait accumulé dans ses dossiers des observations sur bien d'autres régions. Mais des raisons personnelles devaient le conduire à en ajourner la rédaction. Son intérêt pour le sujet primitivement choisi ne se démentit cependant jamais et, à plusieurs reprises, il ajouta à sa documentation des observations nouvelles. Bien des années plus tard, il songeait souvent aux richesses accumulées dans ses dossiers, et dont il connaissait la valeur ; il ne cachait pas son espoir de trouver enfin le temps de les élaborer en vue de la publication. Mais son extrême conscience, son souci de la perfection du détail, le peu de temps libre que lui laissaient, dans les dix dernières années de sa vie, les fonctions dont il s'était chargé, lui rendaient la rédaction difficile. De ce très grand travail, nous ne connaîtrons que quelques notes préliminaires : descriptions de coupes de détail,minutieusement observées [1925,7 ; 1927,12,13,14,15 ; 1929, 21], qui lui avaient permis de mettre en évidence l'individualité de la zone à Rhynchonella boueti ; études paléontologiques d'échantillons rencontrés [1926, 8 ; 1927, 16].
Le souci de s'appuyer sur des déterminations paléontologiques impeccables le conduisait à une revision des Posidonomyes jurassiques [1927, 11].
Beaucoup plus tard, en une courte note au C. R. sommaire [1938, 29], l'expérience ainsi acquise devait lui permettre d'apporter une contribution essentielle à la stratigraphie du Bathonien et des étages voisins dans les Basses-Alpes, en montrant l'âge très variable de la limite des calcaires marneux et des marnes de type oxfordien.
Lorsqu'il eut quitté Caen pour Strasbourg, Louis Guillaume prit l'habitude de revenir chaque année avec sa famille passer les vacances en Normandie. Ces vacances furent, en 1931, l'occasion d'une découverte qui eût sans doute échappé à un oil moins averti, que le sien. Sous les sables de la plage actuelle de Saint-Côme-de-Fresné, les tempêtes devaient jusqu'en 1939 raviner plus ou moins profondément une série de couches quaternaires comportant, sur une plage de sable à faune froide, des tourbes à fossiles marins, puis terrestres, et des argiles. Des fouilles poursuivies patiemment, année après année, lui permirent de rassembler une documentation, paléontologique extrêmement riche (Elephas primigenius y est représenté par sept individus, dont un squelette entier) de ce qui constitue certainement un des plus beaux gisements de Normannien des côtes françaises.
Les deux notes préliminaires [1932, 23, 24] qui avaient fait connaître cette découverte devaient, on l'a su plus tard, être attentivement scrutées par les géologues de l'État-Major allié, lors de la préparation du débarquement et c'est à l'emplacement même du gisement que fut établi le port préfabriqué d'Arromanches.
Une description sommaire du gisement, avec des listes de fossiles, a été présentée au XVIIIe Congrès géologique [1952, 35] mais les matériaux recueillis auraient mérité une description beaucoup plus complète.
De cette période normande de l'activité de Louis Guillaume, courte par la durée du séjour qu'il fit à Caen, mais prolongée par le travail de nombreux étés, il ne nous reste donc, malheureusement, que des publications incomplètes. Mais son travail devait cependant porter des fruits après la Libération. L'expérience très étendue et précise que Guillaume possédait à la fois de la stratigraphie normande et de l'hydrologie lui a permis d'orienter dans un sens pleinement efficace et souvent avec des succès remarquables les recherches d'eau entreprises par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme.
En 1925, il avait quitté Caen pour Strasbourg où il était nommé Assistant puis, en 1928, Chef des Travaux de Géologie, et où il devait à deux reprises, comme Chargé d'enseignement, assurer l'intérim de la chaire de Géologie après le départ de M. Gignoux puis de E. Chaput, jusqu'à l'arrivée du professeur Dubois. Plusieurs de ses anciens élèves ont apporté le témoignage de ce que fut son influence sur la vocation géologique de ses étudiants. Mais une autre tâche allait bientôt s'offrir à lui : l'alimentation en eau soulève de grosses difficultés dans les régions qui, en Moselle, sont occupées par le Keuper salifère, et les tentatives faites jusque-là pour aller chercher, plus bas, les eaux des grès vosgiens avaient échoué. En 1926, Louis Guillaume faisait effectuer, pour le compte du Génie rural, un premier sondage à Reding. Il avait compris que l'une des conditions du succès était une étude très minutieuse de la stratigraphie des couches traversées, pour fixer en particulier les niveaux du Muschelkalk sur lesquels pouvaient s'appuyer les cimentations, mais qu'il fallait également surveiller d'extrêmement près toutes les opérations techniques. S'adaptant par un travail acharné à ce qui était alors une technique nouvelle pour lui, il put fixer les conditions très strictes que devaient remplir les sondages qui avaient à traverser une nappe d'eau saturée de sel, sans la laisser filtrer vers l'eau douce qu'il s'agissait d'exploiter plus bas. Suivant lui-même toutes les opérations du sondage, observant tous les détails, les interprétant en fonction des niveaux stratigraphiques atteints, il réussit à mettre au point une technique, qui a ouvert des possibilités nouvelles à l'alimentation en eau de la Lorraine ; il devait, par la suite, répondre à de nombreuses demandes, de communes ou de syndicats d'abord, puis du Génie militaire, qui attachait une grosse importance à une alimentation en eau des ouvrages de la ligne Maginot ne comportant pas de canalisations éxtérieures susceptibles d'être coupées.
Les succès obtenus dans ces recherches d'eau furent nombreux et, souvent, inespérés pour d'autres que lui. L'on ne sait pas ce que l'on doit le plus admirer de la précision de ses observations géologiques ou de l'ardeur que ce géologue mit à acquérir toute une technique à laquelle rien ne le préparait et du courage avec lequel il prenait jusque dans le détail la responsabilité des opérations à exécuter dans les forages.
Ce courage, il le montrait aussi bien quand il s'agissait de lutter contre l'erreur ou la tromperie. En 1932, un sourcier avait fait adopter par la ville de Thionville un projet de sondage. Sans être sollicité, Louis Guillaume n'hésita pas à donner publiquement son avis et à affirmer qu'il n'y aurait pas d'eau à la profondeur annoncée et que, beaucoup plus bas seulement, on rencontrerait une eau impropre à la consommation. Il en résulta une polémique extrêmement vive, jusqu'au moment où le sondage confirma entièrement les prévisions du géologue. Le sourcier dut reconnaître son erreur, ce qui ne l'empêcha pas d'ailleurs de poursuivre sa carrière.
La guerre de 1939 vint interrompre cette période de féconde activité. Ce fut l'évacuation de Strasbourg, l'installation de fortune à Paris. Louis Guillaume était affecté au Service de Géologie militaire du C. N. R. S., où il eut la mission de préparer les cartes lithologiques détaillées de la Moselle, de la Sarre et du Palatinat; mais pendant l'hiver, l'armée fit encore fréquemment appel à lui pour assurer l'alimentation en eau des cantonnements.
Juin 1940. Le service qu'il dirigeait fut replié ; il réussit à sauver tout son matériel, y compris de précieux documents du Service de la Carte géologique d'Alsace et de Lorraine. Et, à chaque étape, le travail reprenait et la petite équipe qui l'accompagnait poursuivait le tracé des cartes du Palatinat avec une fidélité bien rare en ce tragique exode.
Au printemps de 1941, le Secrétaire d'État à la Production industrielle décidait la création d'un Bureau des Recherches géologiques et géophysiques, qui devait en particulier reprendre des sondages de reconnaissance entrepris dans le Jura, la Bresse et les Pyrénées orientales par les Mines domaniales de Potasse, dont le siège et les installations du Haut-Rhin étaient séquestrés par les Allemands, et recueillir l'équipe de géophysique des dites Mines.
Dès qu'il fut question de créer un nouveau service, il apparut clairement qu'il ne devait pas se borner à poursuivre les programmes de recherches des Mines domaniales de Potasse et à prendre en charge leur matériel et leurs équipes. Trop de besoins se faisaient sentir pour que l'on ne profitât pas de l'occasion pour essayer d'élargir son rôle. Depuis quelque temps déjà, des plans avaient été dressés par le Service de la Carte géologique pour aller au delà de la mission strictement cartographique à laquelle il s'était limité jusque-là. Mais il faut dire que c'est au choix de Louis Guillaume comme Géologue en Chef du Bureau, à l'expérience qu'il avait acquise dans le domaine de la Géologie appliquée, et au sentiment très profond qu'il avait des besoins à satisfaire, que l'on doit l'essentiel des conceptions qui ont inspiré le rôle attribué au Bureau, comme on lui doit sa réalisation matérielle.
Désigné comme Directeur de l'organisme à créer, l'un de nous avait eu comme première tâche de trouver un Chef-Géologue qui pût y consacrer tout son temps. Il pensa tout naturellement à Louis Guillaume, dont il avait pu apprécier les qualités morales et pédagogiques lorsqu'il l'avait connu à Strasbourg et, plus récemment, les qualités d'observateur lorsqu'il avait étudié avec lui les échantillons de certains sondages du Jura.
Cela pouvait sembler une gageure de constituer et d'équiper un Service géologique en 1941. Mais Louis Guillaume n'était de ceux qui s'inclinent devant une difficulté, quelle qu'elle soit. Et pendant onze ans, il allait mettre toute sa foi dans le Service qu'il organisait sans jamais perdre de vue l'idéal qu'il s'était fixé, ni se satisfaire de ce qu'il avait réalisé.
Sa première préoccupation fut de rassembler autour de lui une équipe de collaborateurs; leur choix devait toujours être son principal souci ; il examinait toutes les candidatures, même aux emplois subalternes, et mettait à juger les postulants toute sa pénétration psychologique, les suivant ensuite, et veillant à leur intégration dans l'équipe qu'il aimait. Toute sa passion pour l'enseignement s'exprimait ensuite dans la formation qu'il donnait aux géologues, en particulier au cours des écoles de terrain dans le Jura, qui étaient pour lui autant une occasion de juger leur caractère, leurs dons d'observation, que de leur enseigner patiemment l'art d'observer minutieusement une succession stratigraphique sans laisser échapper aucun indice. Indulgent aux lacunes dans les connaissances acquises, toujours réparables, il était aussi exigeant que pour lui-même quant au travail de formation qui lui paraissait encore nécessaire. Mais ce qu'il ne pouvait admettre, c'était l'improbité dans l'observation, la tendance à laisser déformer les observations par l'imagination. Voir se former ses jeunes collaborateurs sous son influence, pouvoir, sans indulgence, apprécier la qualité de leur travail, a été une des grandes joies de sa vie. Les notes qu'il rédigeait annuellement pour le Directeur, sans s'astreindre aux formes en usage dans l'administration, sont un modèle de lucidité et de pénétration, psychologique. S'il était exigeant pour ses collaborateurs, il avait aussi un très vif souci de leurs intérêts, et tant sur le plan moral que sur_le plan matériel, sa sollicitude pour eux ne s'est jamais démentie.
Il prenait aussi un soin extrême de l'équipement matériel du Bureau. Partant de zéro, à travers plusieurs déménagements dans des locaux mal adaptés, aux défauts desquels il ne s'était jamais résigné, il n'a jamais transigé sur l'idée qu'il se faisait des moyens matériels dont doit disposer le travail scientifique, n'acceptant pas le provisoire ou les solutions de fortune. Aucun détail ne lui paraissait sans importance, et il se consacrait tout entier à chacun d'eux, jusqu'à ce qu'il ait trouvé la solution qui lui paraissait parfaite. La constitution d'une bibliothèque était un de ses soucis majeurs, et il a dépensé des trésors d'ingéniosité pour l'enrichir, par des échanges ou des acquisitions de fonds. Il ne comprenait pas que des textes ou des règlements puissent constituer des obstacles à la réalisation du but qui lui était assigné, et savait mettre une telle conviction, une telle obstination dans l'exposé des conditions du travail géologique et des besoins qu'il implique, qu'il arrivait à convaincre les interlocuteurs les moins préparés et à lever ce qui pour tout autre serait apparu comme des obstacles insurmontables.
Si absorbant qu'ait été son rôle d'organisateur, il ne le détournait pas du travail proprement géologique. Dans les premières années de fonctionnement du Bureau, il n'est presque aucun travail qu'il n'ait suivi personnellement, accompagnant les géologues sur le terrain, discutant avec eux leurs rapports et y collaborant lui-même, si bien qu'il est impossible de démêler sa part, même dans des rapports qu'il n'a pas signés. Nous pouvons cependant souligner que cette part fut particulièrement importante pour les campagnes de recherche d'eau en Normandie et en Lorraine et pour la campagne des sondages du Jura, héritée des Mines domaniales de Potasse mais dont l'objet s'étendit largement par la découverte d'un nouveau bassin houiller dans la région de Lons-le-Saunier. Il avait suivi de près les premiers sondages du Jura, ne laissant à aucun autre le soin de relever tous les détails de la coupe, jusqu'à ce qu'il ait formé des collaborateurs qui aient, dans l'observation, la même précision et la même fidélité que lui. En même temps, il faisait entreprendre les levés de surface de détail, formant à sa méthode ses jeunes collaborateurs, puis les lançant sur le terrain, mais non sans aller ensuite contrôler lui-même toutes leurs observations. Cette région de Lons-le-Saunier resta d'ailleurs toujours le champ de prédilection des écoles de terrain où chaque année il réunissait les géologues du Bureau et dont il profitait pour développer l'esprit de collaboration et mieux souder l'équipe.
Louis Guillaume n'est donc pas seulement celui qui, le premier, a reconnu et prouvé la présence du Houiller au sondage de Revigny, origine de la découverte du bassin de Lons. Il est à la base de toutes les connaissances acquises depuis lors sur ce bassin. Sa dernière publication, parue après sa mort [1952, 36], est la mise au point des connaissances alors acquises qu'il avait présentée Congrès de Stratigraphie et Géologie du Carbonifère, à Heerlen, en juin 1951.
Pendant tous ces travaux, la guerre s'était achevée. Ce serait mal connaître Louis Guillaume que de penser qu'il s'était contenté de bien remplir les fonctions dont il était chargé. Lui qui ne transigeait jamais sur ce qu'il considérait comme la justice et la vérite, il n'avait pu se résigner à accepter la défaite et l'occupation. Dès l'hiver 1940, il avait entrepris de rédiger et de diffuser des tracts. Dans les années qui suivirent, il prit des responsabilités plus graves et s'exposa personnellement à des risques très sérieux dont il n'a jamais cherché à faire état par la suite.
Parmi les travaux qu'il suivit spécialement après la Libération, il faut signaler les recherches entreprises par les Mines de Houille de Lorraine, dont il avait déjà eu l'occasion de s'occuper avant la guerre, notamment pour étudier les morts-terrains traversés par les sondages. Il reprenait aussi le contrôle et la direction technique des sondages pour eau dans la même région, pour laquelle on était venu tout naturellement faire appel à lui.
Louis Guillaume n'avait jamais abandonné, ni considéré comme terminés les travaux qu'il avait entrepris aux différentes étapes de sa carrière, et il aspirait toujours après le moment où il pour rait les mener à bien ; il souffrait profondément d'une dispersion de son activité, imputable pour une grande part à sa conscience même, qui l'obligeait à se mettre tout entier dans la tâche du moment, sans jamais pouvoir la considérer comme secondaire. Il avait conservé la nostalgie d'une vie de calme recherche scientifique, qu'il n'avait connue que dans les premières années de sa carrière. Enthousiasmé par les découvertes paléontologiques de son ami et ancien élève M. Grauvogel, il rêvait d'une vie studieuse consacrée à l'étude de tels matériaux. Et d'autre part, le Bureau qu'il avait tant contribué à former avait atteint une maturité au moins provisoire ; l'organisation y cédait le pas au fonctionnement. Certaines espérances que l'on avait pu avoir d'une modification du statut administratif du Bureau, qui aurait permis un fonctionnement plus efficace, reculaient vers un avenir lointain et brumeux.
De tels soucis, d'autres, peut-être, plus personnels, et que même ses proches n'ont pu que pressentir, allaient le conduire à modifier, une dernière fois, l'orientation de sa carrière. Son deuxième détachement quinquennal du Ministère de l'Éducation nationale venait à expiration à la rentrée de 1951. Il n'en demanda pas le renouvellement et reprit le 1er janvier 1952 son poste de Chef de Travaux de Géologie à l'Université de Strasbourg. Mais il n'abandonnait pas pour autant ses tâches antérieures, et acceptait de conserver, au moins pour quelque temps, la direction du travail géologique du Bureau, s'organisant pour pouvoir lui consacrer presque régulièrement deux jours par semaine. Il avait retrouvé à Strasbourg, et l'enseignement, et la direction technique des sondages pour eau de Lorraine, qui étaient sans doute deux des aspects de son activité multiple auxquels il était le plus attaché.
Mais sa mort brutale, le 29 mai, dans un accident d'automobile, devait donner tout son sens à cette dernière période de sa vie, période de solitude, de recueillement, au cours de laquelle il jouissait d'une manière quasi mystique de la beauté de cette cathédrale qu'il pouvait contempler de sa fenêtre, et qui devait accueillir son cercueil.
La Science a perdu, par cette mort prématurée, tout ce que lui seul aurait pu tirer des moissons d'observations accumulées dans ses dossiers, de l'expérience acquise dans le domaine de l'hydrogéologie, expérience qui se trouve dispersée dans d'innombrables rapports, sans qu'il ait jamais eu le loisir de l'exposer, et de codifier les règles qu'il s'était formées. Mais, si plus d'années lui avaient été accordées, en aurait-il été autrement ? L'oeuvre véritable de Louis Guillaume, c'est sa vie, l'influence personnelle qu'il a exercée, sur les hommes et sur les choses, l'eau qu'il a donnée aux populations normandes et lorraines, le Bureau qu'il a organisé. Sa nature, si riche, plus soucieuse de la réalité que de son expression, n'était pas de celles dont l'apport se concentre sur les rayons d'une bibliothèque. C'est sous une forme autrement vivante que ses amis et ses collaborateurs conserveront son souvenir.
1923. 2. Sur la présence de Gastropodes fossiles dans le loss en Normandie. Bull. Soc. linn. Normandie. 7e sér., t.6, fi, p. 56.
1924. 3. Essai sur la classification des Turritelles, ainsi que sur leur évolution et leurs migrations depuis le début des temps tertiaires. B. S. G. F., (4), XXIV, p. 281-311, 2 pl.
4. Observations sur les Turritelles figurées par F. W. Harmer dans son mémoire « The Pliocène Mollusca ». Bull. Soc. linn. Normandie, 7e sér., t. 7, p. 55-58.
1925. 5. Sur la présence d'épidote dans une brèche calcaire d'âge probablement permien, provenant du sondage de Mesnil-Vernon (Manche) (en collaboration avec P. Le Roux). Ibid., 7e sér., t. 8, p. 6-11.
6. Sur une formation calcaire récente à Gastropodes terrestres à La Bréche-au-Diable (Calvados). Ibid., 7e sér., t. 8, p. 40-46.
7. Observations sur le Bathonien supérieur de l'une des carrières de Ranville (Calvados), Ibid., 7e sér., t. 8, p. 46-56.
1926. 8. Ophiopeza portei, Ophiure nouvelle du Bathonien supérieur de l'une des carrières de Ranville (Calvados). B. S. G. F.(4), XXVI p. 117-126, 1 pl., 5 fig.
9. Épidote de néo-formation dans un calcaire marneux du Bathonien supérieur de Longues (Calvados). Ibid., (4), XXVI, p. 135.
10. Réponse à la note de M. G. F. Dollfus : « Critique de la classification des Turritelles. » Ibid., (4), XXVI, p. 425-428, 2 fig.
1927. 11. Révision des Posidonomyes jurassiques. C. B. somm. S.G.F., p. 105-107 et B. S. G. F., (4), XXVII, p. 217-234, 5 fig., 1 pl
12. Observations sur le Bathonien moyen et supérieur de la région au Nord et à l'Est de Caen. C. R. somm. S. G. F., p. 123-125.
13. Note préliminaire sur les couches de passage du Bajocien au Bathonien dans la région de Port-en-Bessin (Calvados). Ibid., p. 137-139.
14. Note préliminaire sur le Bathonien du Bessin. Ibid., p. 168-171.
15. Observations sur la zone à Rhynchonella Boueti à la base du Bathonien supérieur de Normandie. Ibid., p. 213-215.
16. Trois fossiles nouveaux du Bathonien moyen de Normandie. Ibid, p. 217-219.
1928. 17. Sur la présence de Cyclostoma elegans Müller dans la région littorale du Bessin. Bail. Soc. linn. Normandie, 8e sér., t. 1, p. 3.
18. Un nouveau gisement des couches à Teloceras Blagdeni auprès de Rosheim (Bas-Rhin). Bull. Ass. philom. Als.-Lorr., t. 7, p. 157-161.
1929. 19. Forage à Hochfelden (Bas-Rhin) (en collaboration avec G. Dubois). Ibid., t. 7, p. 282-286.
20. Le peuplement des fonds marins dans les eaux danoises et les associations animales ou communautés, d'après les travaux de la Station biologique danoise. Ann. Géogr., t. 28, p. 617-621.
21. Observations sur les horizons à Céphalopodes du Bathonien moyen dans la région de Caen (Calvados). C. R. Somm. S. G. F., p. 173-175.
1931. 22. Éléments de la flore dinantienne dans le massif schisto-grauwackeux de la Bruche (en collaboration avec P. Corsin et G. Dubois). Ibid., p. 84-85.
1932. 23. Dépôts monastiriens et flandriens de Saint-Côme de Fresné et Asnelles-Belle-Plage (Calvados). Ibid., p. 119-121.
24. Dépôts monastiriens et flandriens de Saint-Côme de Fresné et Asnelles-Belle-Plage (Calvados). 2e note, Ibid., p. 134-135.
1935. 25. Observations sur la 2e éd. de la feuille Metz de la Carte géol. détaillée de la France au 1/80.000e. Bull. Soc. Hist. nat. Moselle Bull. du Centenaire), 3e sér., t. 10, p. 213-220.
26. Excursion géologique dans la région de Thionville. Ibid., 3e sér., t. 10, p. 387-400.
1936. 27. Observations sur les dépôts quaternaires de Saint-Côme de Fresné et Asnelles Belle-Plage (Calvados). Bull. Soc. linn. Normandie, 8e série, t. 8, p. 63-71.
1938. 28. Observations sur la stratigraphie du Trias lorrain. Forage de Saint-Clément (Meurthe-et-Moselle). C. R. 1er Congr. lorrain Soc. sav. Est Fr., Nancy (6-8 juin). Bull. Soc. Sc. Nancy, nouv. sér., t. 3, fasc. 9 bis.
29. Observations sur la limite inférieure des Marnes à Posidonomya alpina entre Digne et Castellane (Basses-Alpes). C. R. somm. S. G. F., p. 198-199.
1939. 30. Forage profond de recherche d'eau potable à Dompaire (Vosges) et observations sur la constitution du Muschelkalk lorrain. Bull. Soc. Sc. Nancy, nouv. sér., t. 4, p. 48-56.
31. Elephas primigenius Blum. aux. environs de Montmédy (Meuse). Ibid., t. 4, p. 76-79.
1942. 32. Contribution à la stratigraphie et à la tectonique du Lias de la région de Thionville (Moselle). B. S. G. F., (5), XII, p. 35-73
1947. 33. Note préliminaire sur le Trias de Provence (en collaboration avec Jean Ricour). C. R. somm. S. G. F., p. 28-39.
1951. 34. Existence d'un bassin fermé à Ressaincourt (Moselle). Ibid., p. 151-152.
1952. 35. Les formations quaternaires de la Plage du débarquement britannique de Saint-Côme de Fresné-Asnelles Belle-Plage (Calvados). Rep. XVIIIth. sess. Intern. geol. Congr. Great.-Britain, 1948, p. 13, 105-112, 2 fig.
36. État actuel de la reconnaissance du nouveau bassin houiller découvert par les forages profonds du B. R. G. G. dans la région de Lons-le-Saunier (Jura). C. R. 3e Congr. Stratigr., Géol. Carbon., Heerlen, 1951, vol. 1, p. 227-231, 3 fig.
(1894-1952)
Agrégé de l'Université
Chef des Travaux de Géologie à l'Université de Strasbourg
Ingénieur Géologue en Chef du Bureau des Recherches Géologiques et Géophysiques
Mes frères, je dois d'abord vous exhorter à prier pour celui dont l'amitié nous rassemble ici aujourd'hui et qui vient d'une façon si brutale, et si cruelle pour nous, d'achever le cours de sa vie terrestre.
Mais je sais que vous le faites, - chacun à la mesure de votre foi, - de tout votre coeur.
Qu'il me soit donc permis, en outre, d'essayer de donner une expression à nos sentiments communs, et de dire ce que Louis Guillaume a représenté pour nous tous qui l'avons connu et aimé.
« Il n'était pas de ce monde », me disait hier encore un de ses fils, « il n'a jamais été de ce monde ». Et c'est vrai, au moins au sens où ce monde est un réseau d'égoïsmes, d'intérêts, d'ambitions, d'injustices et de petitesses, car il était radicalement étranger à tout cela.
Il n'était pas de ce monde, en un sens plus profond peut-être, parce qu'il se montra toujours mal adapté aux conditions de l'existence terrestre, comme un grand oiseau qu'on aurait mis en cage et qui se heurte sans cesse aux barreaux dans ses tentatives pour s'envoler, ou comme un étranger qui s'étonne de lois qui n'ont pas été faites pour lui.
Son imagination et sa sensibilité, qu'il avait très vives, l'entraînaient souvent sur les chemins du rêve et de la poésie, à laquelle il était merveilleusement ouvert, et ce n'était pas un de ses moindres charmes.
Il était parmi nous comme le témoin d'un autre univers plus beau, plus libre - nous pouvons bien penser que c'est celui où il est entré définitivement désormais - et si nous étions un peu déconcertés parfois de ne pouvoir le ramener aux cheminements plus terre à terre de notre raison, nous étions éblouis souvent par l'aisance véritablement ailée des démarches de son esprit et par la profondeur soudaine de ses intuitions.
Mais s'il n'était pas de ce monde par tout cet aspect de sa personnalité, cela ne veut pas dire qu'il n'était pas profondément attaché à toutes les réalités humaines.
D'autres que moi devront rendre hommage à sa conscience professionnelle, à sa compétence hors pair, et à la qualité de son oeuvre de géologue. Du moins ai-je été le témoin de son travail acharné, obstinément poursuivi dans des conditions souvent bien défavorables, et sans qu'il consentît jamais à tenir compte d'une fatigue qui alarmait souvent ses proches.
Et je puis dire aussi comment il savait faire partager même à des ignorants comme moi son enthousiasme pour la terre, son histoire et ses transformations. Pour lui Dieu n'était pas absent de ces grandioses perspectives et j'ai rarement rencontré quelqu'un qui eût au même degré le sens de la Création.
Dans les oeuvres de l'esprit et dans les choses de l'art, c'était aussi un reflet de la divine beauté qu'il goûtait à travers les qualités sensibles : son esthétique était éminemment spirituelle. Je n'en veux pour exemple que l'attrait quasi mystique qu'exerçait sur lui cette cathédrale où nous sommes réunis en ce moment autour de lui et qu'il ne se rassasiait pas de contempler...
(C) Collection privée de Madeleine Sauve-Guillaume Photographie de la cathédrale de Strasbourg, prise par Louis Guillaume lui-même, depuis sa fenêtre
Reine qui vous levez sur tous les océans,
| Vous penserez à nous quand nous serons au large.
Louis Guillaume était un fervent lecteur de Charles Péguy |
DIEU nous l'a enlevé brusquement, en pleine force, si jeune encore - aurait-il d'ailleurs jamais vieilli? - alors qu'il était (nous disons-nous) si nécessaire aux siens, si nécessaire à nous tous.
« Je viendrai comme un voleur » a dit le Christ, et cette prédiction se vérifie une fois de plus. Et nous savons qu'il importe d'être prêt.
Il est grave assurément d'être jeté soudain devant le souverain Juge. Mais aussi bien nous devons lui laisser le jugement, car seul il en possède les éléments.
Pour nous, souvenons-nous qu'il est aussi la miséricorde infinie. Et comment pourrions-nous penser que notre Père du ciel prendrait ses enfants « en traître »? Ce serait, me semble-t-il, faire injure à la divine bonté. Soyons sûrs qu'il les appelle à lui au moment qu'il juge le plus favorable, lui qui seul voit le fond des coeurs et embrasse d'un seul regard la courbe entière de nos destinées.
Certes nous devons prier pour celui que nous pleurons. Parce qu'il faut être très pur pour s'unir au Dieu de toute sainteté. Et parce que nous contractons tous des souillures au cours de notre pérégrination terrestre, en nos bas chemins.
Mais ayons confiance dans la vertu purificatrice du sacrifice de notre Christ.
« Quand j'aurai été élevé de terre, disait-il, j'attirerai tout à moi ».
Louis Guillaume n'a jamais refusé de se laisser attirer. Je puis attester même que son âme rendait un son étonnamment évangélique. Permettez-moi de terminer sur un trait que je vous laisserai comme une leçon de sa part.
Un jour on discutait devant lui du problème du mal, de ce mystère insondable de la souffrance et du péché qu'aucun esprit humain n'est capable d'éclairer jusqu'au fond. Et lui, qui se taisait depuis un moment, dit soudain, d'une voix très calme et très douce, comme une source profonde qui affleure sans effort, - et l'on sentait qu'il exprimait une conviction qui faisait corps avec son être :
« Pour moi, il n'y a qu'une solution au problème du mal ».
- « Laquelle donc? » lui demanda-t-on.
- « Les Béatitudes ».
Et personne ne discuta plus avant.
Aucun mot, je crois, ne saurait mieux le peindre en sa vérité. Lui-même s'est toujours efforcé de suivre, et non sans doute sans une grâce cachée, cette voie des Béatitudes en laquelle se résume tout l'enseignement de Jésus.
Désintéressé, véritablement pauvre en esprit, il le fut plus qu'aucun homme que je connaisse.
Il était sans orgueil aussi.
Capable de pleurer sur les autres plus que sur lui-même.
Affamé de justice en un sens plus absolu qu'on ne l'entend d'ordinaire, au point d'étouffer ici-bas, comme je l'ai dit, et d'aspirer plus ou moins consciemment à un autre monde, celui où Dieu, qui seul le peut, mettra dans les coeurs Sa Justice.
Miséricordieux et artisan de paix, tous ceux qui ont vécu avec lui ont pu l'éprouver.
D'une pureté de coeur qui souvent m'a rappelé la candeur de l'enfance.
Il ne lui a même pas manqué le bénéfice de la huitième béatitude, car il souffrait intensément de tous les heurts et de toutes les indélicatesses, et il n'a pas été sans subir, hélas! sinon les persécutions, du moins les incompréhensions, les ingratitudes et les procédés déloyaux dont il était, à cause de son désintéressement même et de sa droiture sans feinte, une victime désignée.
Puisse-t-il donc recevoir maintenant la récompense promise : qu'il connaisse le repos après le travail et la lutte; qu'il connaisse la miséricorde et le pardon; qu'il accède à la vue de Dieu après les obscurités et les incertitudes; qu'il entre dans le lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix; qu'il entre dans le Royaume de l'Amour, pour lequel il était fait.
Et nous, il est bien juste assurément que nous le pleurions, mais ne le pleurons pas d'une manière qui serait indigne de lui, ne le pleurons pas comme ceux qui n'ont pas d'espérance.
Modèle de bravoure, toujours volontaire pour les missions dangereuses. A donné à ses hommes l'exemple de l'entrain et de l'énergie pendant les journées du 18 au 25 mars 1917. Blessé en 1915 comme commandant d'une demi-batterie de canons de tranchée.
Citation à l'Ordre du Corps d'Armée - 26-4-17.
Savant de haute valeur, d'un dévouement hors de pair. A su créer et sait animer une équipe remarquable.
Le Directeur du B.R.G.G. - 19-12-48.
Mon Dieu! faites-moi suivre le chemin qu'il vous plaira, pourvu qu'il conduise à votre Amour.
Prière trouvée dans son portefeuille.
Lux, quando te aspiciam!
Inscription sur la porte du château de la Brède, qui lui était chère.
La mort accidentelle du Professeur Louis Guillaume, survenue le 29 mai 1952 à Strasbourg (Bas-Rhin), vient d'endeuiller le monde géologique français. Né le 4 janvier 1894 à Perpezat (Puy-de-Dôme), au pied du massif volcanique du Sancy, où son corps repose maintenant dans le site majestueux du Mont-Dore, Louis Guillaume fit, de 1906 à 1914, des études particulièrement brillantes au Lycée de Clermont-Ferrand. Reçu Boursier de Licence en 1914, au Concours de l'Ecole Normale Supérieure, il fut aussitôt mobilisé dans l'artillerie et participa avec une ardeur généreuse à la défense de sa Patrie sur les fronts d'Alsace, de Champagne, de Verdun et de la Somme. Blessé en 1915, une citation à l'ordre du 35ème Corps d'Armée résume sa brillante conduite militaire : " Modèle de bravoure, toujours volontaire pour les missions dangereuses." Promu Lieutenant à titre définitif, il termina la guerre faisant fonctions de Commandant à l'Armée d'Orient. Ayant rejoint la France le 30 septembre 1919, il ne tarda pas à donner sa démission pour reprendre ses études. Il demanda à les faire à Strasbourg où il eut le bonheur d'être l'élève du Maître Maurice Gignoux qui alluma en lui la vocation géologique. Flamme ardente, magnifique, qui fut la lumière et la joie de sa vie. Nommé Assistant de Géologie à la Faculté des Scieices de Caen, en 1922, il obtenait la même année le grade d'Agrégé de Sciences Naturelles. Les vicissitudes de sa carrière universitaire le ramenèrent à la Faculté des Sciences de Strasbourg en 1925, comme Chef des Travaux de Géologie. Chargé d'Enseignement à plusieurs reprises, il y demeura jusqu'aux événements tragiques de 1939. Il fut alors mobilisé comme Géologue des Armées au Centre National de la Recherche Scientifique à Paris. C'est là qu'il fut sollicité au début de 1941, par Monsieur E. Friedel, pour participer à l'organisation du Bureau des Recherches Géologiques et Géophysiques nouvellement créé afin de coordonner, faciliter et au besoin entreprendre toutes recherches de substances utiles en France. C'est au poste d'Ingénieur en Chef de cet organisme qu'il se dévoua sans mesure depuis 1941, heureux de former pour son pays un instrument de Recherches qui lui manquait, et de constituer une équipe de géologues d'élite. D'une nature puissamment dynamique, il avait toujours ajourné le travail fastidieux, pour lui, de la rédaction d'une Thèse, qui sans nul doute l'eût porté au faîte de la hiérarchie universitaire. Ce n'était pas l'essentiel à ses yeux. L'essentiel était de communiquer rapidement des résultats clairs et sûrs. Il le fit par de nombreuses publications, à l'Académie des Sciences, à la Société Géologique de France et dans diverses revues scientifiques. En paléontologie il fut un spécialiste des Ammonites jurassiques, des Rhynchonelles, des Turritelles, des Posidonomyes. Touchant aussi au domaine de la géographie, il s'est occupé un temps des associations animales marines. En Stratigraphie, il fut un maître incontesté du Trias et du Jurassique inférieur et moyen. On lui doit en outre la découverte remarquable et l'étude d'un gisement quaternaire sur une plage normande, là-même où en juin 1944 devait être établi le port de débarquement des troupes britanniques. De nombreuses régions de France, et en premier lieu la Lorraine, le Jura et la Normandie, conserveront le bénéfice des recherches fécondes qu'il a déployées sur le plan technique grâce à la sûreté et à l'étendue de ses connaissances scientifiques. De très nombreux forages couronnés de succès, tant pour la recherche de l'eau que pour celles du charbon et du gaz naturel, demeureront les témoins éloquents et incontestables de sa contribution précieuse à l'équipement économique et social de la France. La mort prématurée de Louis Guillaume laisse inachevée l'élaboration d'ouvrages importants, notamment sur l'Hydrogéologie, pour lesquels il avait amassé une documentation de valeur inestimable. Le Professeur Louis Guillaume était de vieille date un fervent ami de la Grande-Bretagne. Sa disparition sera vivement ressentie dans les milieux scientifiques de ce pays où il comptait de nombreuses amitiés.
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