COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 8 décembre 2004)
Résumé.
Le dix-neuvième Congrès géologique international tenu à Alger en septembre 1952, a réuni plus de 1100 participants. Des réponses sont données à quelques questions : 1° comment fut-il décidé que ce congrès se tiendrait à Alger ? 2° comment était alors organisée la géologie en Afrique du Nord ? 3° quel rôle jouèrent les comités d'organisation ? 4° quelle fut l'importance numérique des délégations nationales ? 5° comment se déroulèrent les réunions du Conseil du Congrès, et celles des quinze sections thématiques. En outre, sont évoquées la croisière géologique du paquebot « Champollion » le long des côtes algéro-tunisiennes et les nombreuses excursions dans toute l'Afrique du Nord et même en Afrique occidentale. Le congrès permit enfin d'éditer de nombreuses publications qui témoignèrent des progrès réalisés à cette date dans la connaissance géologique de l'Afrique du Nord. Mots clés : congrès - géologie - Alger - Algérie - Maroc - Tunisie - XXe siècle.
Abstract.
The nineteenth International Geological Congress took place in Algiers in September, 1952. It was attended by more than 1 100 members. In this paper, answers are given to some questions : 1° how was settled the designation of Algiers? 2° how, at that time, were organized geological activities in French North Africa? 3° what was the role of the Organizing Committees ; 4° what was the numerical importance of the main national delegations ? 5° how went off the meetings of the Congress Council and those of the fifteen thematic sections ? Additionally, information is given about the geological cruise of the ship « Champollion » along the Algerian and Tunisian coasts and the numerous excursions organized throughout North Africa, Sahara and even West Africa. Finally, the congress gave an opportunity for editing many publications testifying to the progress made at that time by the geological knowledge of the Maghreb countries. Key-words : congress - Geology - Algiers - Algeria - Morocco - Tunisia - XXth century. |
Le congrès d'Alger s'intercale chronologiquement entre ceux de Londres (1948) et de Mexico (1956). Il constitue, après celui de Pretoria (1929) en Afrique du Sud, le second congrès tenu sur le continent africain. La réunion plénière eut lieu à Alger du 8 au 15 septembre 1952. Elle regroupa 1 129 participants (sur 2 910 inscrits) provenant de 82 pays. La présidence fut occupée par le professeur Charles Jacob, membre de l'Académie des sciences (Paris). Le secrétariat général fut assuré par Robert Laffitte, alors professeur à la faculté des sciences d'Alger. Les exposés scientifiques furent répartis en 17 sections. Outre une excursion-croisière avant le congrès, 44 excursions eurent lieu, soit avant, soit après la réunion d'Alger, dans les territoires alors sous administration française : Algérie, Maroc, Tunisie, et leurs dépendances au Sahara, et en Afrique occidentale.
Ce choix résulte d'une longue histoire ! Au 17e congrès de Moscou (à l'époque URSS), Charles Jacob, chef de la délégation française, eut, le 22 juillet 1937, « the honour to make the preliminary proposal to convene the XVIIIth session in French North Africa » mais « he could not consider it final [because] this proposal had not yet been authorized by the French Government ». Le lendemain 23 juillet, deux propositions officielles furent présentées pour le futur congrès (prévu en… 1940) : d'une part, par la Geological Society of London ; d'autre part, par le Japon. Evidemment, la situation politique influa sur le choix, décidé le 28 juillet, en faveur de Londres (65 voix), Tokyo n'obtenant que 5 suffrages. Avant ce scrutin, Charles Jacob avait informé que « the French delegation will vote in favour of the British invitation ». Nous étions en pleine « entente cordiale » entre les deux grandes démocraties européennes qui, en outre, flirtaient alors avec l'URSS : ostensiblement les Russes votèrent pour Londres.
La Seconde Guerre mondiale et ses séquelles expliquent que le 18e congrès fut retardé et qu'il ne put se tenir en Grande-Bretagne que pendant l'été 1948. Le Conseil de ce congrès fut alors saisi de deux candidatures pour la tenue de la session ultérieure : celle d'Alger, « on the invitation of the Government of France and the Governments of French Territories in North Africa », et celle de l'Inde, administrée de son côté à cette époque, par la Grande-Bretagne. Le président de la délégation française à Londres, le professeur Léon Lutaud, demanda lecture du procès-verbal de la réunion de Moscou. Cette lecture rappela que, pour le choix du 18e congrès, la France avait suggéré Alger mais s'était désistée en faveur de Londres. Partagés entre ses deux alliés de la guerre, les Etats-Unis ne se prononcèrent pas. Par la voix de Belousov, l'URSS fut toute heureuse de voter pour la candidature de la France, les délégations suisse et belge appuyant vivement le choix d'Alger. Le 30 août 1948, par un vote à mains levées, qui ménagea les susceptibilités, cette décision fut adoptée. Pour des raisons pratiques, il fut accepté que le Congrès d'Alger aurait lieu 4 ans plus tard, c'est-à-dire en 1952. Cette nouvelle périodicité fera dès lors jurisprudence.
L'Algérie possédait une longue tradition géologique. Parmi les troupes qui, en 1830, se lancèrent à la conquête de la « Régence d'Alger » (qui dépendait théoriquement de la « Porte ottomane ») figurait un géologue, le capitaine Claude-Antoine Rozet. Celui-ci joua un rôle important à la Société géologique de France, fondée à Paris la même année. Plus tard, en 1839, une « Commission scientifique », dont Emilien Renou fut le géologue, fut chargée de dresser un premier inventaire de l'Algérie. Ultérieurement furent créés un Service de la carte géologique (1883) au sein du Service des mines (fondé en 1842) et l'Ecole des sciences d'Alger (1879), future faculté des sciences (1909) : la parfaite entente des chefs de ces deux organismes (Justin Pouyanne et Auguste Pomel) aboutit, dès 1882, à la première édition d'une carte géologique générale de l'Algérie, à 1/800 000, une deuxième édition, complétée et unifiée la suivant en 1889[1], avant une troisième et dernière édition à cette échelle en 1900.
Le développement des études régionales verra longtemps une émulation entre les universitaires d'Alger et leurs confrères venus de France. Deux réunions de la Société géologique de France (spécialement celle de 1924), qui sillonnèrent le nord de l'Algérie, montrèrent que l'étude géologique du pays était déjà aussi avancée que dans bien des secteurs d'Europe. La Tunisie et le Maroc commencèrent à être étudiés lors de l'instauration des « protectorats », respectivement en 1881 et en 1912. Ce fut essentiellement grâce à l'action de services géologiques actifs, rattachés à l'administration des Services des mines, puis aux travaux d'universitaires venus d'Europe, spécialement de France. Au congrès d'Alger pourra ainsi être présenté un panneau complet des cartes géologiques à 1/500 000 allant du Maroc à la Tunisie (12 grandes feuilles !).
Les territoires d'Afrique du Nord sous administration française n'avaient pas subi de trop graves destructions lors de la Seconde Guerre mondiale. En 1953, l'infrastructure géologique était donc d'avant-guerre, mais elle s'était enrichie par l'arrivée de nouveaux géologues formés dans les universités françaises entre 1940 et 1950. Ils peuplèrent les services géologiques, tant ceux de l'administration que ceux des compagnies pétrolières.
Il fut donc relativement facile d'organiser le congrès de 1952 et ses excursions. La préparation technique fut l'œuvre d'une centaine de géologues coordonnés par les comités d'organisation de Rabat, Tunis et Alger. A l'université d'Alger, le personnel des laboratoires de géologie appliquée (Robert Laffitte), de minéralogie (M. Roger), de géologie (Henri Termier) prépara les manifestations d'Alger, l'édition des publications et la coordination des excursions. Celles-ci furent organisées par des membres de divers organismes, le Service de la carte géologique (ingénieurs et « collaborateurs » venus d'Europe) dirigé par l’ingénieur général Gaston Bétier ; le Bureau de Recherches minières (BRMA) ; des géologues pétroliers, principalement de la Société nationale de Recherche de Pétrole en Algérie (SNREPAL) ; le Service de la colonisation et de l'hydraulique ; le Centre de Recherches sahariennes.
Au Maroc, le puissant Service géologique, dirigé par Jean Marçais, regroupait plus de trente géologues dans ses sections : carte géologique (Georges Choubert), gîtes minéraux (Jules Agard), centre d'études hydrogéologiques (Albert Robaux). Le Bureau de Recherches et Participations minières (BRPM) et la Société chérifienne des Pétroles participèrent aussi à l'organisation des excursions. Quelques géologues (Institut scientifique chérifien) et géographes (Institut des hautes Etudes marocaines) d'organismes de recherche universitaire intervinrent également.
En Tunisie, les géologues du Service des mines et ceux de son émanation, le Service géologique (Gilbert Castany), eurent le rôle essentiel. Ils furent aidés par les ingénieurs de plusieurs sociétés de pétrole (Compagnie des Pétroles de Tunisie, Société nord-africaine des Pétroles, SNAP et surtout Société d'Etude et de Recherches des Pétroles de Tunisie, SEREPT).
Dès la clôture du congrès de Londres en 1948, la Société géologique de France mit en route l'organisation du futur congrès d'Alger. Le président de la Société était en 1948 le professeur Pierre Pruvost : venant de l'université de Lille, celui-ci allait prendre en 1950 la suite de Charles Jacob dans la grande chaire de géologie de la Sorbonne.
Cinq comités d'organisation furent parallèlement établis. Le premier à Paris, dans « la métropole », eut pour tâche essentielle l'impulsion "politique" et la recherche des soutiens financiers : présidé par Charles Jacob, le secrétaire en était le professeur Marcel Roubault (Nancy), dont la thèse avait porté sur la pétrographie d'un massif d'Algérie orientale. Le comité d'Alger avait évidemment la charge la plus lourde : présidé par Marius Dalloni, professeur (retraité) de géologie appliquée à Alger, ce comité avait pour secrétaire le successeur du précédent, Robert Laffitte. Trois autres comités étaient constitués au Maroc (Jean Marçais, secrétaire général), en Tunisie (Gilbert Castany, secrétaire) et à Dakar en Afrique occidentale française (AOF). En l'absence d'organismes universitaires, ces trois comités étaient présidés nominalement par des ingénieurs des mines, qui dirigeaient administrativement les services géologiques. Ceux-ci eurent la charge essentielle d'organiser les excursions dans chacun de ces pays. Parmi ces trois services, celui du Maroc, par son importance et sa remarquable organisation, manifesta clairement, sous l'égide de Paul Fallot, professeur dans la chaire de Géologie méditerranéenne du Collège de France (Paris), son désir d'avoir une vie propre.
Le premier travail du Comité d'Alger fut l'établissement d'une « Liste des Géologues du Monde ». Elle était destinée à aviser personnellement du programme du congrès le plus grand nombre possible de scientifiques appartenant à la grande famille des sciences de la Terre. En effet, les listes d'avant 1939 étaient périmées et celle du congrès de Londres s'avérait trop partielle. Cet énorme travail aboutit à l'édition d'un volume de 355 pages où sont indiqués, par pays, puis alphabétiquement, les 27 000 personnes à qui fut envoyée la première circulaire. Celle-ci reçut environ 10% de réponses a priori positives pour participer au congrès. La réponse à la troisième et dernière circulaire suscita l'inquiétude des organisateurs : seuls 414 géologues ayant confirmé leur participation en temps voulu (avant le 31 décembre 1951). Les incertitudes de la guerre de Corée avivaient les inquiétudes dans le monde. Cela obligea à assouplir la date de prise en considération : ainsi, au 1er mars 1952, on compta 1295 inscrits.
La réalité fut quelque peu différente. Les chiffres officiels d'Alger enregistrent : 2910 inscrits (contre 2362 à Moscou, en 1937, et 1778 à Londres en 1948), ainsi que 1129 présents (contre 949 à Moscou et 1276 à Londres). S'y ajoutèrent environ 300 personnes accompagnant les congressistes.
Le budget du congrès s'éleva à 266 millions des francs d’alors (= approximativement près de 30 millions des actuels euros) : 65% provenaient des subventions d'Etat (France surtout et divers territoires) ; 25% émanaient de 69 sociétés, 10% des cotisations d'inscription des participants. Les publications représentèrent 55% des dépenses ; les excursions (préparation et aide aux participants), 30% ; le secrétariat et l'administration du congrès, 15%. Les cotisations pour l'inscription ayant rapporté 10 millions de francs, le prix de l'inscription dut être de l'ordre de 3000 anciens francs (soit environ 40 euros).
Comme à l'accoutumée, les géologues du pays invitant, la France dans le cas particulier, constituèrent le plus grand nombre (ici environ la moitié) des participants : sur ces 532 personnes, 262 venaient de France, 168 étaient basés en Algérie, 58 au Maroc, 22 en Tunisie, les autres dans divers autres territoires. Les Etats-Unis, avec 114 géologues, étaient remarquablement représentés. De la vieille Europe, 54 venaient de Grande-Bretagne et 67, conduits par le célèbre Hans Stille, d'Allemagne, ce qui prouvait la cicatrisation des blessures de la Seconde Guerre mondiale. Les autres pays d'Europe à tradition géologique étaient également bien représentés : Pays-Bas (43), Belgique (38), Italie (35), Espagne (22), Suisse et Suède (chacune 19). On note un chiffre significatif pour la Turquie (11) et la Yougoslavie d'alors (9).
Le bloc des pays communistes bouda la manifestation, la France ayant alors clairement choisi son camp, celui des démocraties occidentales. In extremis, un groupe officiel de 11 géologues russes arriva subitement, hors délais… Parmi les pays « satellites » d'alors, certains (Bulgarie et même la latine Roumanie) ignorèrent totalement le congrès. La Hongrie et la Tchécoslovaquie (chacune 9 inscrits, 1 présent) et surtout la Pologne (16 inscrits, 3 présents) osèrent se manifester. Mais personne ne vint de la nation la plus peuplée du globe, la Chine… La géologie mondiale était vraiment coupée en deux. Quant aux pays du « Tiers Monde » d'alors, ils ne s'étaient pas encore significativement intéressés aux manifestations scientifiques.
Séance préliminaire du Conseil. Le Conseil du congrès était statutairement composé par les chefs de délégations gouvernementales (74 à Alger), plus 6 membres du Comité d'organisation et 3 membres du congrès, cooptés. On y procéda à l'examen de la nomination du Bureau du nouveau congrès, le matin du lundi 8 septembre, dans la « salle des Actes » de l'université. La séance fut dirigée par le professeur H. H. Read, FRS (Fellow of the Royal Society), président du précédent congrès de Londres.
La présidence du nouveau congrès fut proposée au professeur Charles Jacob (Fig. 1), ancien « pape » de la géologie française, qui avait occupé de 1928 à 1950 la principale chaire de géologie de la Sorbonne (Paris). Agé de 74 ans en 1952 et physiquement fatigué ; Charles Jacob demanda à être suppléé dans les tâches matérielles par deux collègues : pour la présidence effective des réunions du Conseil, le professeur Pierre Pruvost, son successeur à la Sorbonne, spécialiste bien connu du Carbonifère, avait l'avantage d'être parfaitement bilingue anglais-français ; quant au professeur Marius Dalloni, il devait s'occuper des questions algériennes. Et les 74 chefs de délégations gouvernementales, furent, comme de coutume, élus vice-présidents.
Le poste essentiel de secrétaire général fut évidemment attribué à Robert Laffitte (Fig. 2), personnalité affirmée, alors âgé de 41 ans, assisté de son collègue le professeur Gabriel Lucas.
Un esclandre survint alors ! G. Bogomolov, chef de la délégation soviétique, protesta vivement car seules deux langues avaient été retenues pour une traduction simultanée (anglais et français), alors que le congrès possédait 6 langues officielles (outre les précédentes, l'allemand, l'espagnol, l'italien et – depuis 1937- le russe). Robert Laffitte répliqua que cette décision, identique à celle du congrès de Londres, résultait de difficultés matérielles de traducteurs et que, de surcroît, aucun géologue russe ne s'était inscrit en temps voulu à Alger …
Séance inaugurale. Le même jour 8 septembre, elle se tint, de 10h 30 à midi, dans la grande salle de spectacles « Pierre-Bordes », au-dessous de l'édifice du « Gouvernement général » de l'Algérie. Rassemblant les 1300 congressistes, elle était décorée des drapeaux de toutes les nations représentées. Les murs étaient revêtus de cartes géologiques : en particulier la nouvelle édition de la carte à 1/500 000 des trois pays de l'Afrique du Nord et la nouvelle carte du Nord-Ouest de l'Afrique à 1/5 000 000 établie par Nicolas Menchikoff.
La séance fut ouverte par H. H. Read, qui fit accepter par acclamations Charles Jacob comme nouveau président du congrès. Après l'allocution de ce dernier, se succédèrent le président de la Société géologique de France (Louis Barrabé en 1952), le professeur Marius Dalloni – qui donna un exposé historique de la géologie algérienne depuis 1830 –, le député Bentounès au nom de ses compatriotes musulmans et enfin le gouverneur général R. Léonard.
Réunions du Conseil. De l'après-midi du lundi jusqu'au samedi 13 septembre, se succédèrent en alternance les réunions des sections – qui seront évoquées plus loin – et les assemblées du Conseil. Celui-ci fut élargi à tous les délégués officiels des pays et des organisations reconnues, soit 440 personnes ! Les sujets abordés concernèrent évidemment l'organisation de la géologie mondiale à travers ses congrès périodiques.
La troisième circulaire avait précisé que les résumés de communications seraient acceptés dans une des six langues du congrès mais que, pour « la commodité des travaux d'organisation », il était demandé de joindre une traduction en anglais ou en français pour les textes qui ne seraient pas dans l'une de ces deux langues. Cette recommandation ne fut pas suivie par les auteurs russes, ni par une bonne part des auteurs germanophones. Quoi qu'il en soit, un ouvrage de 175 pages, regroupant environ 500 résumés, fut distribué aux congressistes (un complément fut imprimé plus tard pour les résumés arrivés après le 1er juillet 1952).
Une discussion s'instaura sur cette question. Déjà, à Londres, avait été suggéré (Eugène Wegmann, Suisse et Daniel Schneegans) de rassembler dans quelques « symposiums préliminaires » les divers sujets dont les résultats seraient discutés durant le congrès : cela éviterait la dispersion des thèmes : les autres communications (hors-symposium) demeureraient écrites, sauf demande expresse de 5 membres au moins. Cette fois, à Alger, H. M. E. Schürmann (Pays-Bas) proposa qu'à l'image des congrès du Pétrole, on procède à un prétirage des textes, un représentant dans chaque pays étant chargé de sélectionner les interventions.
Le problème était ainsi posé : devant l'abondance des communications, jusque-là admises sans véritable examen, fallait-il envisager des mesures autoritaires : soit en définissant les sujets privilégiés à traiter ? soit en opérant une sélection parmi les textes proposés par les auteurs ? Prudemment la question fut une nouvelle fois… renvoyée au congrès suivant.
Le chiffre de 1 000 membres présents ayant été dépassé à Alger, l'un des organisateurs, Marcel Roubault, souligna que « le gigantisme, dont le congrès semble atteint, contient un germe de mort […]. Si le congrès doit continuer à vivre, des modifications s'imposent et tout le problème de ces réunions doit être repensé ». L’avenir de ce type de réunions prouvera que Marcel Roubault avait été trop pessimiste !
L'examen de cette question avait été inscrit au programme, conformément à la décision prise en 1948 à Londres. Le sujet occupa l'essentiel du temps de trois séances houleuses du conseil ! Les délégués français étaient partisans de l'organisation d'une telle union : deux personnalités, Marcel Roubault et Jean Goguel (directeur du Service de la carte géologique de la France), pourtant bien souvent en désaccord, se rejoignaient sur cette question ! Goguel avait même élaboré un projet de statuts, rédigés d'après les textes régissant les unions existant dans d'autres disciplines scientifiques : une union géologique internationale indépendante, un bureau permanent assurant la continuité entre les congrès et la réunion de commissions interdisciplinaires. Robert Laffitte, tout en admettant la séparation du Congrès et d'une éventuelle Union, déplora l'absence de comités nationaux responsables. Marius Dalloni plaida pour que de tels « organismes nationaux » soient fédérés dans une « organisation internationale », entièrement indépendante et sans rapport avec les congrès.
Les opposants à une union internationale regroupèrent curieusement des représentants de pays politiquement opposés ! On ne s'étonnera pas qu'au nom des Soviétiques G. Bogomolov s'oppose à une quelconque union, qui risquait à ses yeux d'être liée à l'UNESCO ; il rejetait également la notion de « comités nationaux » car, pour lui, les « délégations gouvernementales » suffisaient. De leur côté, certains géologues occidentaux rejoignirent le point de vue des Russes mais pour de tout autres raisons : Th. S. Lovering (USA) se satisfaisait du statu quo ; A. J. Butler (Grande-Bretagne), ancien secrétaire général du congrès de Londres, déclara que « tout ce qui est nécessaire est quelques géologues, un peu d'argent et beaucoup de bonne volonté ; si un petit pays désire avoir un congrès, il peut le faire » ! Dans le même esprit, Walter Herman Bucher (USA) déclara qu'« un secrétaire et deux ou trois sténographes suffiraient pour assurer la continuité des congrès… ».
La plus grande confusion régna donc au début de ces débats. Le 10 septembre, le Conseil estima que les congrès, tel celui d'Alger, devaient continuer. Un scrutin en faveur de la création d'organismes géologiques nationaux récolta 59 voix pour, 33 contre, sur… 446 votants potentiels !
Deux géologues de bonne volonté tentèrent de remettre le projet sur les rails. Le professeur Read suggéra qu'un géologue (ou un organisme) responsable soit désigné dans chaque pays. Et le professeur R. C. Moore (USA) proposa de réunir une « commission de travail » pour l'organisation d'un « conseil géologique international ».
Un nouveau vote intervint le 12 septembre. La proposition Read (« comités nationaux ») fut adoptée par 246 voix. Par contre, 203 voix s'opposèrent à l'institution d'une union internationale, jugée inutile. L'heure n'était pas encore venue pour la création de l'Union géologique et géophysique internationale (UGGI).
Les candidatures ne se bousculèrent pas ! La proposition de l'Inde, faite à Londres en 1948, ne fut pas renouvelée : ce pays était entre temps devenu indépendant. B. C. Roy, son délégué, devait déclarer lors de la clôture du Congrès d'Alger : « I will like to add that although it has not been possible to extend the invitation to the next congress to India, I will […] explore the possibilities of holding the XXIth session of the congress in India ». En fait, ce sera la 22e session, en 1964, qui se tiendra à New Delhi. Nous verrons que, finalement, le Mexique, à la suite de pressions insistantes, acceptera d'organiser la 20e session du Congrès.
Elles eurent lieu dans des salles de l'université d'Alger (rue Michelet, devenue l'actuelle rue Didouche Mourad, Fig. 3), entre 8h 30 et 16h, ce qui dégageait, en fin d'après-midi, la possibilité des réunions du Conseil. L'ambiance studieuse fut ainsi décrite par le « Journal d'Alger » : « Le 19e congrès international de Géologie poursuit ses travaux dans une atmosphère enfumée par les tabacs de tous les coins du monde, et dans l'ambiance exaltante du travail en commun, et de la confrontation des idées » !
Figure 3. L'université d'Alger en 1952, siège de l'organisation et des réunions du congrès d'Alger.
Le programme prévisionnel indique plus de 400 interventions. En se basant sur l'ouvrage rassemblant les résumés parvenus avant le 1er juillet la proportion linguistique des textes est la suivante : français, 53%, anglais, 30%, allemand, 8%, espagnol, 5%, italien et russe, chacun 2%.
Si les communications présentées lors des congrès apportent rarement des données originales, elles permettent cependant de connaître les sujets à la mode et les divergences entre les écoles de pensée. Certains thèmes abordés à Alger méritent ainsi d'être rappelés. Ils ont fait l'objet de 21 ouvrages, luxueusement imprimés sur « papier Alfa » (on sait que l'alfa est une graminée des Hauts-Plateaux algériens).
En section I (« Antécambrien »), des travaux significatifs concernent l'ensemble Ecosse-Irlande (J. G. C. Anderson, Grande-Bretagne), l'Anti-Atlas marocain (G. Choubert), la zone du golfe de Suez (Schürmann, Allemagne). L. Cahen (Belgique), A. M. Macgregor (Rhodésie) tentent de distinguer les orogenèses successives au sud du Sahara, en s'aidant des premiers âges radiométriques obtenus.
Dans la section II (« Paléozoïque »), W. J. Jongmans (Pays-Bas) note les caractères euraméricains des flores du Carbonifère supérieur de l'Atlas nord-africain, bordure sud de la Téthys. Dans le Cambrien inférieur marocain, Pierre Hupé découvre des Trilobites asiatiques au milieu des espèces euraméricaines.
Consacrée à la « Mécanique de déformation des roches », la section III est riche en intéressantes communications : rôle des corps granitiques dans les nappes penniques profondes lors de l’orogenèse alpine (W. K. Nabholz, Suisse) ; fabrique des marbres (F. J. Turner, USA) ; schistosité (Paul Fourmarier, Belgique) ; problème de la Rift Valley (B. B. Brock, Afrique du Sud) ; facteurs physico-chimiques dans la déformation des roches (Jean Goguel). En ce temps où la tectonique des nappes était bannie à Moscou comme produit de la « science bourgeoise », le polonais A. Tokarsky eut le courage de décrire les nappes de flyschs des Carpates, révélées par sondages profonds.
Dans la section IV (« Topographie sous-marine »), des travaux significatifs se rapportent aux canyons sous-marins (F. P. Shepard, USA), à la vitesse de sédimentation en mer profonde (Hans Petterson, Suède) et Jacques Bourcart fournit une première carte du littoral méditerranéen français.
Consacrée aux « Préhominiens », le fascicule de la section V, outre un texte de G. von Koenigswald (Pays-Bas) sur Pithécanthrope et Australopithèques, est surtout constitué par un « catalogue des hommes fossiles » rassemblant les données mondiales de 35 spécialistes.
La « genèse des roches filoniennes » (section VI) aborde la mémorable querelle entre magmatistes (tel Ernst Niggli, Suisse) et « solidistes », Marcel Roubault et l'ingénieur René Perrin qui affirmaient que les filons granitiques résultaient de remplacement à l'état solide, à la manière de la diffusion des ions en métallurgie.
En section VII (« déserts actuels et anciens »), D. A. Holm donna de splendides photos de « dome-shaped dunes » du Nedj, en Arabie. Divers auteurs nord-américains (A. D. Howard, A. T. Benjamin, F. K. Morris) traitèrent de la formation des pédiments en zones arides. Quant à K. C. Dunham (Grande-Bretagne), il attribua fort justement la couleur rouge des New Red Sandstones au remaniement de sols tropicaux.
L'« hydrogéologie des régions arides » (section VIII) suscite maints articles, en général sur des domaines particuliers, le Bas-Sahara (Roman Karpoff) par exemple. G. Bogomolov prononça un plaidoyer, « la géologie et l'hydrogéologie contribuent à la transformation de la nature dans l'URSS », en citant… l'irrigation des terres salines.
La « genèse des gîtes de fer » (section X) fut examinée dans divers pays, spécialement dans les formations, dites alors « précambriennes » (M. Alia et A. Arribas, Espagne) du Sahara méridional espagnol, dans la partie devenue l'actuelle Mauritanie. On a reconnu depuis lors la grande richesse de ces gisements.
L'abondance des « phosphates de chaux » dans l'Eocène du Maroc et de la Tunisie justifia la tenue de la section XI. Plusieurs notes rappelèrent leur relative richesse en uranium. Sous l'appellation de « Géologie appliquée » (Economic Geology), la section XII fut essentiellement consacrée aux gîtes minéraux. La théorie métallogénique de H. Schneiderhöhn (Allemagne) des « gîtes régénérés » (les eaux thermales dissolvant la matière de gisements plus anciens) trouva un certain nombre de défenseurs, tel Eugène Raguin pour le Pb-Zn marocain ou les Red Beds.
La section XIII (« questions diverses de géologie générale ») s'avéra être une section « fourre-tout ». L'abondance des communications justifia l'impression de trois fascicules. De nouvelles cartes géologiques des Guyanes (Boris Choubert) et de Nouvelle-Calédonie (Jacques Avias, André Arnould, Pierre Routhier) furent présentées. H. D. Hedberg (USA) rappela les bases de la « stratigraphic chronology », demandant de séparer litho- et bio-stratigraphie, la stratigraphie d'étages s'appuyant sur des coupes-types les justifiant : nous sommes à l'époque où se heurtaient les notions de « formations », familières en pays anglo-saxons, et d’« étages », utilisés par les géologues d'Europe continentale.
Jacques Bourcart défendit, contre ses détracteurs, sa théorie de la « flexure continentale », à la limite de la zone océanique. A. R. Lamego (Brésil) rappela la structure de la côte brésilienne, avec ses effondrements vers l'Atlantique à la fin du Crétacé, qui appuyaient l'hypothèse – curieusement devenu obsolète à cette époque – de la dérive continentale.
Le singulier métamorphisme à scapolites des terrains mésozoïques des Pyrénées (Jean Ravier) fut justement daté « d'âge post-albien et anté-cénomanien », ce qui fut par la suite vigoureusement – mais à tort – contesté. Un sujet eut les honneurs de la presse : l'annonce (Roman Karpoff) de la découverte du cratère, supposé météorique, de Talemzane à l'Est de Laghouat, dans le Sahara algérien ; d'un diamètre de près de deux kilomètres, il était considéré (en 1952) comme « le second cratère de ce genre dans le monde » par la taille, « avant le Meteor Crater d'Arizona » !
Dans « Les champs de pétrole des régions mésogéennes » (section XIV) est rappelée (M. Tenaille et J. J. Burger) la découverte en 1914 du premier – mais petit ! – gisement pétrolifère de Tliouanet, en Oranie (Algérie occidentale). A en croire le « Journal d'Alger », l'exposé sur la géologie pétrolifère du Mexique (E. J. Guzman et al.) fut applaudi « par l'assistance, debout pendant dix minutes » ! Cette ovation fut peut-être liée à l'éventualité de l'organisation par le Mexique du congrès géologique suivant …
« La Paléovolcanologie » (section XV) fut l'occasion de plusieurs exposés précurseurs sur les basaltes sous-marins en milieu profond et sur leurs rapports avec l'orogenèse. Jan Houghton Brunn parla des « éruptions ophiolitiques » du « volcanisme géosynclinal jurassique » en Grèce. Louis Dubertret décrivit les basaltes et « roches vertes » du Proche-Orient comme mis en place « en eau profonde ». Et Marc Vuagnat (Suisse) traita du « rôle des coulées volcaniques sous-marines dans les anciennes chaînes de montagnes ». Il faut se rappeler que la connaissance des océans actuels, source essentielle de la nouvelle tectonique globale, était balbutiante, en 1952.
Commissions spécialisées. Au Comité international pour l'Etude des Argiles (Fascicule XVIII), on assista à la discussion entre défenseurs d'une origine presque uniquement détritique des argiles dans les sédiments marins (André Rivière) et partisans de l'importance des néoformations chimiques (Georges Millot).
L'Union paléontologique internationale (Fascicule XIX) se réunit. On relève trois recommandations de R. C. Moore (USA) sur la classification et la terminologie en paléontologie, principes qui seront bientôt utilisés dans son célèbre « Treatise on invertebrate paleontology ».
L'association des Services géologiques africains présenta des travaux très variés (Fascicules XX et XXI). On relève plusieurs communications sur l'Angola, en particulier une nouvelle carte géologique (F. Mouta, Portugal), et une illustration de la recommandation d'Hedberg par la définition (devenue classique par la suite) de formations stratigraphiques mésozoïques en Tunisie (Pierre F. Burollet). Quant à Théodore Monod, il donna un recensement provisoire des « accidents circulaires ou cratériformes dans le Sahara occidental ».
Un symposium pour l'étude du Gondwana justifia un important volume, où diverses « séries de Gondwana » sont décrites. C. Teichert (Australie) donna une remarquable « History of the Gondwanaland concept », imaginé dès 1860 par Jules Marcou mais établi en 1875 par Blanford, développé par Neumayr en 1887, avant que le grand géologue autrichien Eduard Suess ne codifie le terme en 1885-1888.
Enfin une tradition des congrès géologique demandait que soit fait l'inventaire d'une ressource minérale déterminée. A Alger, l'ouvrage sur les « gisements de fer du Monde » (coordination de Fernand Blondel et Louis Marvier) réactualisa les données du congrès de Stockholm (1910). Deux tomes (1234 pages + atlas) traitèrent des gisements du monde entier. A l'exception de la Hongrie et de la Yougoslavie, les pays alors communistes (bloc soviétique et Chine) refusèrent de communiquer leurs données sur ces minéraux supposés stratégiques…
Cette spectaculaire manifestation précéda la tenue du congrès à Alger. Elle eut lieu du 24 août (Marseille) au 7 septembre 1952 (Alger) sur le paquebot « Champollion » de la Compagnie des Messageries Maritimes. Le coût était de 45 000 francs (environ 5 000 euros) par personne. Le professeur Marcel Roubault était le directeur général de l'excursion, le futur professeur Jean Hilly étant le directeur-adjoint. Près de 300 personnes figurent sur la « liste des passagers », parmi lesquels 80 membres des familles des congressistes. Les passagers français (74) et nord-américains (54) dominaient en nombre. Des représentations importantes venaient d'Allemagne (23), d'Italie (21), de Belgique (20), de Grande-Bretagne (18). Le groupe russe (11) était encadré par un « responsable ».
L'atmosphère sereine et la longueur des trajets favorisèrent les contacts entre les géologues des diverses nationalités et permirent d'utiles discussions entre les nombreux chefs de délégations présents à cette croisière.
Parti de France, le paquebot atteignit, après deux jours de traversée, la côte africaine, qu'il devait ensuite longer. Les escales duraient généralement deux jours : le navire servant d'hôtel, chaque journée à terre était consacrée à une excursion, mobilisant huit cars et pénétrant profondément à l'intérieur de la Tunisie puis de l'Algérie. Ces arrêts eurent lieu à Tunis (excursion de Bizerte au Djebel Zaghouan), à Bône – l'actuelle Annaba – (massif ancien de l'Edough et traversée du Tell jusqu'à la mine de fer de l'Ouenza), à Philippeville – l'actuelle Skikda – (massif ancien de Collo et environs de Constantine). Au-delà de Djidjelli – l'actuel Jijel -, le « Champollion » atteignit Bougie – l'actuel Bejaia – : trois excursions examinèrent la Kabylie des Babors et l'est de la Grande Kabylie. Dépassant Alger, après une nuit et une journée en mer, arrivée à Oran, avec deux circuits dans les régions côtières à l'ouest de la ville. Enfin, retournant vers l'est, les participants de l'excursion-croisière jouirent, le matin du dimanche 7 septembre, de l'éblouissante apparition d’« Alger-la-Blanche », terme du voyage. Outre la lecture d'un copieux livret-guide (129 pages), les passagers purent écouter plusieurs conférences, dont deux (Marcel Roubault et Jacques Flandrin) donnèrent le tableau de ce que l'on savait alors de la géologie de l'Algérie et de la structure des régions littorales. Voyage scientifique certes, mais aussi vraie croisière !
Seule ombre future à ce tableau enchanteur : le « Champollion », devait sombrer un an plus tard, sur la côte libanaise, devant Beyrouth…
Outre l'excursion-croisière, 57 possibilités, dispersées sur un immense territoire, étaient offertes aux congressistes. 44 eurent réellement lieu : 17 avant la session d'Alger, 22 immédiatement après celle-ci et 5 en octobre dans les zones méridionales très chaudes. Leur durée et leurs objectifs variaient suivant les pays visités. Elles étaient largement subventionnées par le budget du congrès.
En Algérie, leur durée fut généralement de 7 à 13 jours. La plupart (10) s'intéressèrent aux chaînes littorales ou à l'Atlas saharien. D'autres visitèrent des sites de géologie appliquée. 27 « monographies régionales » imprimées furent distribuées à cette occasion. Les plus significatives concernent le Sahara central (Maurice Lelubre), la chaîne du Djurjura (Jacques Flandrin), la « province d'Alger » (Louis Glangeaud et al.). Les deux tournées concernant « les aménagements hydrauliques » étaient commentées dans de nombreux petits fascicules, réunis en un ouvrage, La géologie et les problèmes de l'eau en Algérie (2 tomes). De même, les grandes régions de Tunisie et les ressources minérales de ce pays firent l'objet de sept monographies (par Gilbert Castany et al.). Elles illustraient les quatre tournées régionales (10 à 14 jours) et celles sur les ressources en eau.
Au Maroc, la dimension du pays justifia 14 excursions de durée généralement plus longue (15 à 18 jours). Les unes, qui furent répétées, traversèrent l'ensemble du pays du nord au sud, ou concernèrent les grands orogènes du Rif ou des Atlas. S'y ajoutèrent des tournées thématiques de pétrographie, de géologie minière, d'hydrogéologie et de géomorphologie du Maroc. Le Comité d'organisation de Rabat manifesta son originalité : outre les substantiels « livret-guides » (15) des excursions, furent imprimées à 5 000 ou 6 000 exemplaires d'importantes synthèses concernant tout le Maroc : gîtes minéraux ; industrie minière ; géomorphologie ; hydrogéologie ; géologie appliquée aux grands travaux ; géologie du Maroc (avec une copieuse description de l'Anti-Atlas par Georges Choubert).
Un dernier cycle de cinq excursions se plaça en octobre 1952. Une tournée (qui fut répétée) parcourut le Sahara central (Hoggar) pendant 18 jours. Des voyages au Sénégal, en Guinée et en Mauritanie eurent également lieu. L'un de ces périples, dirigé par Théodore Monod, célèbre naturaliste du Sahara, fut consacré au Paléozoïque de Mauritanie : pendant 25 jours, les participants voyagèrent à dos de chameau !
Le matin du samedi 13 septembre, une séance générale réunit l'ensemble des congressistes. On y fit le point sur diverses questions : état du Lexique stratigraphique international ; situation éditoriale des cartes géologiques internationales de l'Europe, de l'Afrique et du Monde. Les conclusions des commissions spécialisées furent enregistrées, ainsi que l'annonce de la création de l'Association pour l'étude des zones profondes de l'écorce terrestre (AZOPRO), dirigée par Paul Michot (Belgique). Des vœux furent émis pour la création de nouvelles sections du congrès, en minéralogie-pétrographie-géochimie, ainsi qu'en micropaléontologie.
Se faisant les interprètes des participants, Théodore Monod et Jacques Flandrin plaidèrent pour qu'à l'avenir des conférences sur des sujets généraux introduisent les futurs congrès. L'exemple du congrès de Londres (1948) où Sir Edward Bailey, en particulier, avait fait un exposé remarqué sur « The structural geology of Scotland », n'avait pas été imité à Alger : il est vrai qu'en 1952, aucune vision structurale claire n'était acceptée en Afrique du Nord. Sur un autre plan, F. R. S. Henson proposa l'indexation de la bibliographie géologique, pays par pays.
La séance de clôture du congrès d'Alger se tint l'après-midi du même jour. Quand le ministre français de l'Education nationale (André Marie), accompagné du gouverneur général Léonard, pénétra dans la grande salle Pierre-Bordes, éclata « La Marseillaise », jouée par la Musique de la garnison d'Alger. Pour des raisons de temps, seuls les chefs de délégations des pays ayant accueilli des congrès géologiques depuis leur création en 1878 purent prononcer les allocutions rituelles. Cependant le représentant de l'Inde (B. C. Roy) put prendre la parole au nom des pays asiatiques qui, jusque là, n'avaient pas reçu de congrès internationaux.
Le président Jacob exprima la satisfaction des congressistes, dont le séjour avait été favorisé par un temps clément. L'annonce, confirmée télégraphiquement, de l'acceptation du 20e congrès, à venir, par le Mexique fut accueillie avec soulagement par les organisateurs du congrès d'Alger. Dans son allocution finale, le Ministre André Marie déclara espérer que les congressistes avaient pu bien voir et photographier les sites et régions traversées, rappelant ainsi ironiquement la question que certains congressistes soviétiques avaient posée en arrivant à Alger !
Peu après la réunion de clôture, le maire d'Alger reçut les participants dans les salons de la municipalité. Le couronnement de la journée eut lieu le soir, pour les délégués officiels et les principaux organisateurs du congrès : un banquet, arrosé de vins algériens et de champagne, se tint au célèbre hôtel Saint-Georges dans les hauts d'Alger.
Au total, le congrès d'Alger fut, sur le plan de l'organisation matérielle, une grande réussite. En dehors des géologues francophones, l'Afrique du Nord était restée pour beaucoup jusqu'à 1952, un domaine ignoré. Grâce aux nombreuses et longues excursions, les congressistes constatèrent que l'étude géologique de ces divers pays était en plein développement. Les recherches entreprises depuis la fin de la deuxième guerre mondiale par de nombreux jeunes géologues y avaient largement contribué.
Les congressistes de 1952 n'eurent cependant pas la possibilité de connaître alors les grands développements des années suivantes en Afrique du Nord. Au plan structural, ce n'est qu'après 1955 que fut généralisée, et progressivement admise, la structure alpine en grandes nappes de charriage de tout l'Atlas littoral, du Rif marocain à la Kroumirie tunisienne (la future « chaîne des Maghrébides »). Au plan économique, ce fut en 1956 qu'allaient être découverts les premiers grands gisements de pétrole (Hassi Messaoud) et de gaz (Hassi R'Mel) dans le Sahara algérien.
Depuis que les pays d'Afrique du Nord ont acquis ou retrouvé leur indépendance, le relais dans l'étude géologique s'est progressivement et harmonieusement réalisé entre les géologues de la rive nord de la Méditerranée et leurs jeunes émules des nations algérienne, marocaine et tunisienne. En dépit des progrès enregistrés après 1952, tant de tragiques événements sont survenus que beaucoup de documents imprimés à Alger en 1952 conservent encore leur intérêt. Ils occupent dans les bibliothèques géologiques une longueur linéaire de 1m 50 !
Le congrès d'Alger fut ainsi couronné par un succès d'édition exceptionnel, dont il faut créditer les organisateurs (les futurs professeurs Georges Busson, Yves Gourinard et Christian Bär en particulier). Il pérennise le souvenir de cette manifestation exceptionnelle qui précéda la fin de la présence de la France sur la marge nord du continent africain.
L'auteur, qui participa modestement au congrès, par la co-direction d'une excursion en Kabylie, a surtout utilisé les documents imprimés. Il a aussi reçu d'utiles avis de ses collègues « algériens » d'alors, Georges Busson et Jean Hilly. Cependant beaucoup de pièces justificatives ont malheureusement disparu lors des tragiques événements d'Alger en 1961-1962, et l'acteur capital du congrès, le secrétaire général Robert Laffitte, mort en 2003, n'a pu être consulté…
1) La première édition correspondait à la simple juxtaposition des tracés des trois « provinces », Jules Tissot responsable du Constantinois ayant refusé toute entente avec ses voisins.