Camille SAGLIO (1844-1904)


Camille Saglio, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Né le 18/8/1844 à Graville (Seine Inf.). Mort en janvier 1904. Père de l'abbé Jean Saglio, mort en 1918.

Admis aux cours préparatoires de l'Ecole des mines le 8/9/1864 (classé 17) puis il devient Ingénieur civil des mines de la promotion 1865 de l'Ecole des Mines de Paris (entré classé 15 le 8/11/1865, sorti classé 4 le 30/5/1868). Voir le bulletin de notes


Publié dans le Bulletin des Anciens Eleves de l'Ecole des Mines, 1904

Camille Saglio naquit au Havre le 16 août 1844. Des intérêts dans l'industrie avaient amené en cette ville plusieurs membres de sa famille, dont l'origine était alsacienne. C'est à Biblisheim, non loin du champ de bataille de Reichshoffen que se trouvait la propriété de famille. C'est là que la grand'mère paternelle de Camille Saglio, demeurée veuve à 31 ans, parvint, à force d'énergie, à élever ses huit enfants. Quand elle mourut à 72 ans (1844), le domaine familial passa en des mains étrangères.

Le cadre spécial de cette notice ne saurait comprendre ce qui se rapporte aux toutes jeunes années de notre camarade, et cependant pourrait-on ne pas mentionner les influences familiales qui eurent une influence si marquée sur le développement de ses rares qualités naturelles?

Lorsqu'après d'excellentes études à Sainte-Barbe, Camille Saglio entra à l'École des Mines (au cours préparatoire, en 1864), ce fut sous les plus favorables auspices. Son nom y avait été porté avec bonneur non seulement par son frère Henri (promotion de 1854), mais par M. Alfred Saglio (1843), son cousin germain. Nombreux étaient ses anciens camarades de Sainte-Barbe, et bientôt parmi les autres élèves il ne compta que des amis.

Qu'on me pardonne cette illusion si c'en est une, mais l'École me paraît avoir alors brillé d'un éclat qui n'a pas été dépassé depuis. Au cours préparatoire, MM. Haton de la Goupilière, Moissenet et Fuchs; à l'École même, Elie de Beaumont, Daubrée, de Chancourtois, Callon, Rivot, Gruner, Couche, Delesse, Lamé-Fleury et Bayle distribuaient un enseignement dont leur bienveillance rendait l'assimilation facile. Tandis que le directeur Combes, l'une des gloires de l'Académie des Sciences, se donnait tout entier à ses travaux sur les machines à vapeur, Gruner assurait la bonne marche de l'Ecole sans cesser, lui aussi, de suivre, quand il ne les devançait pas, les progrès de la métallurgie, et le respect affectueux qu'il inspirait à tous était la meilleure garantie d'obéissance a une discipline toute paternelle.

Apprécié à sa juste valeur par tout le corps enseignant, il fut, de la part de Rivot, l'objet d'une affection particulière. Qui, parmi ses anciens élèves n'a gardé le souvenir de ce maître éminent, créateur d'un enseignement et de laboratoires assurément remarquables pour l'époque ? Tout en lui était sympathique, jusqu'à sa prédilection pour les exercices du corps : en cela aussi il était un précurseur.

La connaissance commencée au laboratoire continua et devint plus intime à Vialas, où Rivot poursuivait de très curieuses études sur les filons et, pendant les vacances, se plaisait à y associer le jeune élève. Et quand bientôt après, un mal implacable vint terrasser notre cher maître, il dut, plus d'une fois, penser aux entretiens où Camille Saglio avait respectueusement défendu devant lui ses fermes croyances religieuses.

A l'École, notre camarade se fit remarquer par son travail soutenu qui se portait avec le même soin sur toutes les parties du programme ; une grande diversité d'aptitudes, servie par un jugement très sûr, lui permit de réussir en tout et de sortir troisième de sa promotion.

Il n'eut pas à chercher une position pour ses débuts : elle lui fut offerte à Fourchambault (Boigues, Rambourg et Cie) où il allait se trouver en famille et commencer son service dès octobre 1868.

Il avait auparavant fait un voyage a l'étranger, terminé par un court séjour dans le Hartz, puis à Stassfurt. Si nous mentionnons cet épisode de la vie de Camille Saglio, c'est qu'au retour par le chemin des écoliers (Vienne, Trieste, Venise et le Brenner), il passa par Belfort et Strasbourg et fit, avec la branche alsacienne de sa famille, une connaissance qui devait exercer sur sa carrière et sa vie une influence décisive.

Les établissements de la Compagnie de Fourchambault formaient pour l'époque un champ d'expériences intéressant. La forge, comme puddlage et laminoirs, était bien outillée et avait une réputation méritée par la qualité de ses produits. On était encore à l'âge du fer : le Bessemer était peu répandu et ne pouvait donner de produits même ordinaires qu'en partant de fontes extra-pures, le procédé Siemens-Martin débutait à peine.

Camille Saglio se mit courageusement au travail et dès ce moment prit contact avec l'ouvrier, ne craignant pas, après toute une journée consacrée a son métier d'ingénieur, de revenir le soir passer le crochet au four de puddlage.

Puis vint juillet 1870. Dès le début de la guerre, Camille et son plus jeune frère Robert répondaient à l'appel de leur oncle, M. Emile Keller, et s'engageaient sous ses ordres dans la légion Alsace-Lorraine. L'un et l'autre firent vaillamment leur devoir, souvent au feu, toujours d'une façon non moins méritoire en partageant les fatigues de leurs hommes. Une dernière fois, devant Héricourt, leur vie fut gravement en danger: échappés presque miraculeusement aux obus de l'artillerie allemande, ils purent, avec leur corps, éviter la retraite sur Pontarlier et la paix survint sans qu'ils eussent quitté la terre française.

Ce fut la reprise de la vie de Fourchambault, mais plus pour longtemps : en 1874, à la suite de son mariage avec sa cousine, Camille Saglio venait occuper la position d'ingénieur de la Compagnie des Forges d'Audincourt et dépendances.

Peut-être verrait-on quelque intérêt à l'étude de ce centre industriel, le dernier réduit probablement de la fabrication du fer au charbon de bois. On y reconnaîtrait l'influence éminemment bienfaisante de la famille Saglio-Humann et, ce qui ne serait pas moins remarquable, à ces témoignages de la sollicitude patronale on verrait correspondre la fidèle et confiante affection de toute une population ouvrière.

A cette oeuvre, Camille Saglio prit une part prépondérante, d'abord comme ingénieur, remplissant en réalité plutôt les fonctions de sous directeur auprès du digne M. Reverchon, puis, à partir de janvier 1892, comme directeur en titre.

La conduite d'une entreprise métallurgique ancienne et de modeste importance présente des difficultés particulières qui passent trop souvent inaperçues : dans quelle mesure doit-on conserver ou innover ? Et, quand on prend ce dernier parti comment éviter de trop grandes dépenses? Non moins que son talent d'ingénieur, la netteté et la précision de jugement de Camille Saglio lui permirent de n'être jamais au-dessous de sa tâche. Grâce à lui, la Compagnie d'Audincourt fut de bonne 1 heure pourvue d'un outillage très convenable pour la fabrication des tôles à chaudières en métal soudé, en même temps que se développaient les laminoirs à tôles minces. Il avait personnellement installé la difficile fabrication du nickel plaqué, et cela au prix d'un travail acharné. Avec sa participation, un atelier considérable s'était constitué dans l'usine même d'Audincourt en vue de la préparation des tuyaux en tôle soudée, puis de divers travaux basés sur leur emploi. Enfin il dota la Compagnie d'une aciérie Martin-Siemens assurément modeste, mais qui, au moment de sa création (1890), réalisait plusieurs améliorations passées depuis dans la pratique courante.

Et à côté de ce qui a été exécuté, combien devrait-on encore mentionner d'études, souvent poussées très loin, desquelles notre camarade ne put entreprendre la réalisation !

Directeur en titre, on le voit s'attacher toujours davantage à assurer le bien-être de la population ouvrière dont il est entouré. D'abord et avant tout il donne le bon exemple ; puis, secondé en cela par toute sa famille, il prend l'initiative de toutes les oeuvres de bienfaisance qu'il est possible d'établir.

Disons bien vite, à l'honneur du personnel des Forges, qu'il sut comprendre un semblable dévouement et y répondre comme il convenait : lorsque la mort vint frapper à sept ans d'intervalle les deux filles de leur bien-aimé directeur, ce fut un deuil public et tous se sentirent atteints.

Les témoignages de cette bonne harmonie abonderaient : n'en rappelons plus qu'un seul. On n'a pas oublié les importantes grèves de 1899 qui, pendant plus d'un mois, désolèrent la région d'Audincourt et par leur commencement d' « exode sur Paris » acquirent une triste célébrité. Tous les établissements industriels eurent plus ou moins à en souffrir, sauf ceux de la Compagnie des Forges où, avec un véritable courage, les ouvriers tinrent à honneur de se montrer plus corrects que jamais et plus attachés à leurs chefs.

Malgré sa modestie et sa façon scrupuleuse de se donner tout entier à ses devoirs de patron, le mérite de Camille Saglio n'avait pu être méconnu. Bien vite il fut hautement apprécié dans la société où tout en lui semblait fait pour plaire et l'on ne tarda pas à reconnaître que sous cet extérieur si prévenant se trouvaient les plus rares et les plus solides qualités. Longtemps la commune d'Audincourt lui confirma les fonctions de conseiller municipal et n'eut pas à s'en repentir; si aux dernières élections qui eurent lieu de son vivant ce mandat lui fut retiré, du moins on réclama jusqu'à la fin son concours pour l'administration du Bureau de Bienfaisance.

Dans le monde industriel on fut plus empressé encore à se l'assurer. Le Syndicat des Maîtres de forges de Franche-Comté le distingua bien vite, et en fit d'abord son secrétaire puis son président. Membre de la Chambre consultative des Arts et Manufactures de Montbéliard, il fut appelé aussi à faire partie des comités du Syndicat général des Fondeurs de fer et de l'Association des Industriels de France contre les accidents.

Hommage plus significatif encore rendu à ses éminentes qualités : il fut choisi comme unique arbitre pour régler un litige portant sur des sommes considérables et termina cette affaire d'une exceptionnelle difficulté à la satisfaction des deux parties.

Tout cela ne se fit pas sans beaucoup de travail et sans grands efforts ; encore que notre camarade le dissimulât avec sa bonne grâce habituelle, on put voir il y a peu d'années sa robuste santé subir une atteinte l'obligeant pour la première fois à des soins. Deux saisons à Vittel avaient semblé lui faire grand bien et il paraissait rassuré à l'automne de l'année dernière. C'est alors que, vers le milieu de novembre, on le vit pour la première fois atteint de crises effroyablement douloureuses qui depuis lors se succédèrent, séparées par des accalmies de plusieurs jours. Le 7 janvier, se croyant tout à fait rétabli, il s'était levé de bonne heure et avait pour la première fois repris son régime de travail habituel quand, à deux heures, au moment de sortir en voiture, il fut atteint d'une crise encore plus violente. Calmée vers quatre heures, elle recommença peu après pour avoir une issue fatale vers sept heures et demie.

Nous n'essayerons pas de décrire la douleur générale provoquée par un malheur aussi inattendu; ce ne fut pas un deuil éphémère, l'impression persiste et frappe maintenant encore les étrangers qui visitent les forges.

Le 10 janvier, un long cortège de parents et d'amis accompagnait la dépouille mortelle de cet homme si parfait en qui l'on ne sait qui admirer davantage, le chef de famille modèle, le patriote prêt à tous les sacrifices ou le patron accompli.

Puis, au cimetière, trois de nos camarades prenaient successivement la parole : J. Keller (1877) au nom du Conseil d'administration ; Picot (1866) comme représentant le personnel et J. Maître (1881) ancien ingénieur au Corps des Mines, pour le Syndicat des Maîtres de forges de Franche-Comté.

Et maintenant les restes mortels de Camille Saglio reposent dans ce pays qui lui a été si cher, auprès des deux filles bien-aimées dont la perte avait seule troublé une union bénie entre toutes ; auprès aussi de deux personnes bien chères mortes en exil loin de la sépulture familiale : Mme Humann, veuve de l'ancien maire de Strasbourg, sa grand'mère par alliance, et son beau-père, M. Alphonse Saglio, l'un des derniers députés français élus par l'Alsace.

L. PICOT.