Alexandre POURCEL (1841-1934)

 

Un grand métallurgiste : Alexandre POURCEL

par G. MAGNINY (1925)

Biographie par rédigée par G. MAGNINY sur l'initiative de LOISY et PORTEVIN ; publiée par la Société amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Saint-Etienne (1925).

L'âge de l'acier, qui a révolutionné la civilisation tout entière et a produit les merveilles de nos temps modernes, a eu pour origne vers la fin du siècle dernier deux grandes découvertes : le convertisseur et le four à sole à affinage. Bessemer en 1855, Martin en 1864, attachèrent pour jamais leur nom à ces inventions d'une fécondité incalculable, et l'on ne peut sans ingratitude, manquer d'abord de rendre hommage à leur mémoire. Mais il faut observer que les principes de leurs inventions consistaient, soit à décarburer uniquement la fonte, soit à fondre simplement des déchets d'acier, sans aucune idée de purification. Il en résultait que leurs procédés, très limités dans leur utilisation, n'auraient sans doute jamais franchi les bornes d'une belle découverte, si l'idée de l'affinage ne leur avait été ajoutée et n'était venue, en les transformant, leur donner un essor illimité.

Aussi, à côté des précurseurs Bessemer et Martin, est-ce un devoir de nommer les inventeurs de la déphosphoration et de son application à ces deux méthodes de traitement. Mais, tandis que le nom de Thomas s'associe dans toutes les mémoires à celui de Bessemer on ignore souvent, et en France en particulier, le nom de Pourcel qui devrait se joindre à celui de Martin et devrait également partager sa gloire.

Pourtant l'oeuvre métallurgique de M. Pourcel est immense et déborde encore la place de choix où nous venons de la situer. Il est donc utile de la mettre en lumière, de la rendre classique, et de revendiquer sinon pour notre ami - sa modestie de vrai savant ne l'admettrait point - du moins pour notre corps scientifique français, la place que doivent tenir ses travaux dans l'histoire de la grande métallurgie moderne.

Cette étude semble particulièrement indiquée au moment où tous les amis de M. Pourcel se préparent à fêter avec lui le soixantième anniversaire de son entrée dans l'industrie. Elle permettra de juger avec tout le recul du temps, la longueur du chemin parcouru, la difficulté des étapes et la moisson récoltée au cours du voyage. Elle sera, pour les innombrables amis scientifiques de M. Pourcel, un rappel agréable de collaboration féconde ou de discussions passionnées, pour tous ceux qui l'admirent, une occasion de le mieux connaître, et pour ses camarades de l'Ecole nationale des mines de Saint-Etienne un chapitre supplémentaire à ajouter aux pages de gloire du livre d'or de leur école.

Pour tous enfin, elle constituera un gage nouveau de respectueuse sympathie à l'égard du maître qu'ils admirent et qu'ils désirent voir plus connu et mieux apprécié.

LA CARRIÈRE DE L'INGENIEUR

Alexandre Pourcel naquit à Marseille, le 23 septembre 1841. Sa mère, fille d'un capitaine au long cours, lui transmit avec cette curiosité native qui distingue les marins, cet esprit combatif qui avait jadis engagé son grand-père à batailler contre les Anglais et lui avait valu trois ans de réclusion à bord de leurs pontons. Son père, fils et petit-fils de montagnards, lui apporta la ténacité et la volonté qui forcent tot ou tard le succès.

A quatorze ans, après de solides études primaires, il commença, sur les instances réitérées du censeur, ses études secondaires au lycée de Marseille. Il entra ainsi en sixième. Mais un directeur d'institution privée connaissait le jeune homme et avait su reconnaître en lui des dons exceptionnels. L'année suivante il offrit donc aux parents du jeune Pourcel de recevoir leur fils chez lui afin d'abréger ainsi sa préparation au baccalauréat. L'élève ne déçut pas le maître, il termina brillamment ses humanités et fut encouragé à poursuivre son éducation par l'étude des mathématiques spéciales. Or, à cette époque, les centres d'études supérieures régulièrement organisés étaient rares et coûteux ; le modeste étudiant s'adressa donc à un professeur qui préparait les candidats à l'Ecole des capitaines au long cours. Malheureusement, le maître goûtait avec plus d'assiduité les douceurs du bon vin que les charmes de la Mathématique. Aussi arriva-t-il parfois aux élèves-capitaines de voir leurs compositions corrigées et même certains cours professés par le jeune Pourcel.

La formation de l'élève se poursuivait cependant malgré ces conditions défavorables et le 1er octobre 1863 il entrait à l'Ecole des mines de Saint-Etienne.

Il eut la joie d'y rencontrer d'éminents professeurs, surtout Mallard, Vicaire qui comprirent combien cette nature indépendante était riche de promesses d'avenir. Toutefois tout n'alla pas pendant les trois ans sans quelque difficulté : la discipline était sévère et, sur vingt-six élèves reçus avec lui au concours d'entrée, quatorze seulement sortirent de l'Ecole munis de leur diplôme. M. Pourcel, d'ailleurs, ne travaillait point pour le classement, mais pour la satisfaction de son intelligence, et s'il sortit sixième de sa promotion, ce fut par le simple et naturel épanouissement de ses facultés

Il se lia d'une solide amitié avec des camarades dont les noms furent plus tard célèbres, en particulier avec deux d'entre eux : Faure et Harmet. M. Joseph Faure eut une brillante carrière industrielle et joua un rôle de premier plan dans la mise en valeur des gisements métallifères d'Algérie et de Tunisie. M. Pourcel fut heureux de le trouver plus tard dans les Conseils d'administration de Senelle-Maubeuge et des Aciéries du Chili, dont il faisait partie, parmi de nombreux autres. Son camarade Harmet fut l'inventeur du procédé de compression de l'acier à chaud qui porte son nom. Ce procédé eut un retentissement considérable; ses applications reçurent un traitement de faveur dans les cahiers des charges de la guerre, de la marine, et grâce à lui, son auteur entra à l'Iron and Steel Institute. M. Pourcel, lors de son séjour à Terrenoire, discuta souvent métallurgie avec son camarade M. Harmet, qui dirigeait brillamment les usines des Aciéries de Saint-Etienne. C'est fréquemment que l'un et l'autre se donnèrent la réplique dans les réunions techniques organisées à Saint-Etienne par la Société de l'Industrie minérale et actuellement encore, cette amitié, vieille de soixante années, n'a rien perdu de sa fraîcheur.

M Pourcel sortit le 4 août 1865 de l'Ecole ; il visita, en voyage d'études, le bassin du Borinage, Denain, Anzin, le Creusot, puis se dirigea vers l'usine de Terrenoire, non loin de Saint-Etienne, où une situation lui avait été offerte.

C'est là, le 1er mars 1866, qu'il devait commencer sa carrière d'ingénieur pour la poursuivre ensuite par 18 années d'études techniques fécondes, qui marquèrent l'époque de ses grandes découvertes et furent la base de son action industrielle future. Il débuta, raconte-t-il volontiers aux jeunes ingénieurs qui lui demandent encore conseil, par une « retraite » d'un an consacrée à l'étude pure des phénomènes chimiques, physiques et thermodynamiques qui étaient encore bien peu connus. Ne voyait-on pas par exemple, un répétiteur de l'Ecole des mines prétendre que le chlore n'était pas un corps simple, et telle autorité métallurgique se moquer aimablement « d'un nouveau procédé d'affinage appliqué à la fonte de fer pour lequel M. Bessemer a pris un brevet d'invention en Angleterre ».

M. Pourcel s'enferma au laboratoire ; il y jeta les germes de méthodes nouvelles d'analyse, comme les procédés qu'il publia plus tard de recherche dans les aciers, des métaux alcalins ou alcalino-terreux. Il étudia longuement, et en particulier l'action du phosphore sur les composants des laitiers et sur les matières réfractaires : de cette étude, devaient sortir plus tard les théories de la déphosphoration. Ainsi se constitua en lui un fonds scientifique fertile, où allaient bientôt germer et prospérer les suggestions de la pratique industrielle. Ainsi fut formé ce jugement solide, qui fait encore autorité aujourd'hui même dans les questions les plus nouvelles.

L'usine de Terrenoire était alors dirigée par Euverte, une des notabilités de l'époque ; elle avait pour chef de service de l'aciérie Valton, ancien major de l'Ecole des mines de Paris, qui fut un ingénieur distingué et fut très connu dans les milieux métallurgistes, malgré sa trop grande modestie. Située à proximité des charbons, ce qui était un avantage considérable à cette époque de transports pénibles et de grosse consommation de houille, l'usine était l'un des centres les plus florissants de la grosse métallurgie française. Les minerais lui arrivaient de toutes parts au moyen du canal de la vallée du Gier et la main-d'oeuvre était abondante dans cette région stéphanoise, qui fut l'un des berceaux de l'industrie française du fer.

L'usine comprenait plusieurs hauts fourneaux, de nombreux fours à puddler, des trains pour cingler et laminer, plusieurs fours à réverbère installés d'après les principes de Siemens et de Martin, sans compter des ateliers de forgeage et de finissage. Elle posséda bientôt deux, puis quatre cornues Bessemer qui étaient alors la dernière nouveauté. Sa production était variée, elle expédiait des tôles pour les constructions navales, des profilés pour l'industrie régionale des armes et de la coutellerie, et des rails pour les chemins de fer, dont le développement immense ouvrait des perspectives sans limite à cette fabrication. Elle fit aussi, sous l'influence de M. Pourcel, des moulages d'acier, et elle mit au point des fabrications de projectiles et de canons, qui surpassèrent en qualité celles de l'industrie anglaise. Bref, Terrenoire était alors un des centres métallurgiques de France les plus actifs, les mieux outillés et tenait sans peine la tête du mouvement qui s'annonçait déjà prodigieux. Il n'est pas de grand inventeur ou de grand « maître de forges », pour employer le mot de l'époque, qui ne vînt à Terrenoire, soit pour étudier les fabrications toujours en avance sur celles des concurents, soit pour prendre avis ou conseils de M. Pourcel. C'est ainsi que Gilchrist et Thomas vinrent d'Angleterre, Tschernoff de Russie. Et n'oublions pas ce que représentait, à l'époque, un voyage de Saint-Pétersbourg à Terrenoire.

Après son stage au laboratoire, M. Pourcel passa à l'aciérie, dont il devint chef de service en mars 1874. A cette époque en effet, Valton quitta la Loire pour aller à Paris s'occuper des sociétés russes dans lesquelles était intéressée la compagnie de Terrenoire.

Depuis son arrivée à l'usine, M. Pourcel avait vécu dans l'intimité de Valton ; il avait pu apprécier dans la famille de son camarade, les qualités de goût et d'art qui faisaient de M. Valton père un peintre d'histoire célèbre ; les toiles de l'artiste figurèrent au Luxembourg, pour orner ensuite le musée de Troyes, sa ville natale. Aussi le 21 avril 1870, ces liens d'amitié se changèrent-ils en liens de parenté, lorsque M. Pourcel devint le beau-frère de Valton.

Henri Valton (Troyes, 1810 - Terrenoire, 1878)
Colporteur vendant des châles à des femmes de la région troyenne
Coll. Musées d'Art et d'Histoire de Troyes - INV. 61.2

Henri Valton est le beau-père de Alexandre Pourcel
et le père de l'ingénieur civil des mines F. Valton

C'était alors l'apogée de Terrenoire. Pourquoi fallut-il qu'une prospérité aussi brillante fût sans lendemain et que, bientôt, vers 1888, ce foyer d'activité industrielle disparût au milieu d'inextricables difficultés financières ? M. Pourcel l'avait abandonné en 1883 et n'eut pas la tristesse de voir sombrer l'usine qui avait abrité ses premiers travaux.

Au cours d'un voyage en Angleterre, M. Pourcel avait fait la connaissance de Martin, directeur des usines de Dolwais et de Windsor Richards, directeur de la firme anglaise Bolkow-Vaughan dans le Cleveland. Ses deux amis l'avaient souvent engagé à venir en Angleterre auprès d'eux. L'occasion ne s'était jamais présentée, lorsque, sur les conseils de Richards, on offrit à M. Pourcel la direction technique d'une usine qui allait se construire en Espagne pour traiter sur place les excellents minerais de la région de Bilbao. M. Pourcel, qui voyait alors d'un oeil sceptique les vastes opérations financières projetées ou nouées par sa compagnie, céda enfin aux sollicitations de Richards et partit dans les premiers jours de septembre 1883, pour aller à Baracaldo, aux environs de Bilbao, installer une puissante usine productrice d'acier Bessemer.

Deux ans après son arrivée une épouvantable épidémie de choléra s'abattit sur la région. M. et Mme Pourcel firent l'admiration de la population par leur courage et leur bonté. Les habitants du village de Baracaldo appelaient Mme Pourcel « la mère des abandonnés et des désespérés », et le gouvernement espagnol, reconnaissant sa belle conduite, lui fit envoyer, en France en 1888, la croix de 1re classe de l'ordre de la « Beneficencia », la plus haute récompense qu'il pouvait lui attribuer.

L'usine se construisit, absorbant un capital formidable pour l'époque de 25 millions de francs; successivement deux fourneaux avec coopers sortirent de terre, puis trois cornues Bessemer de douze tonnes suivirent. M. Pourcel était directeur technique ; mais il y avait sur place un Président du Conseil du pays qui ne cessait de lui attirer des difficultés. La situation s'aggrava tant et si bien qu'en 1887 M. Pourcel fut obligé d'abandonner l'Espagne.

Ses amis britanniques renouvelèrent leurs appels. En mai 1887 M. Pourcel rencontra à un congrès de l'Iron and Steel Institute à Londres, sir Lowthian Bell, savant et industriel distingué qui le décida à venir diriger la construction, à Middlesborough dans ses usines, d'une vaste aciérie Siemens-Martin basique utilisant les fontes du Cleveland. L'usine fut achevée et mise en route en 1889. Mais l'année suivante, souffrant de la nostalgie du pays natal et de l'éloignement de sa famille, M. Pourcel abandonna non sans regrets les excellentes amitiés qu'il avait nouées de tous côtés dans les milieux industriels anglais et il regagna Paris.

La Société de Commentry-Fourchambault avait alors pour directeur M. Fayol, le camarade et l'ami de M. Pourcel. Ses travaux sur l'administration ne l'avaient point encore signalé à l'admiration universelle, mais sa direction s'affirmait déjà magistrale. Il sut voir le merveilleux soutien que pouvait être M. Pourcel pour sa société et il en fit le conseiller prudent et éclairé de toutes les grandes décisions.

De nombreuses sociétés vinrent de même solliciter M. Pourcel à son arrivée à Paris et, dès cette époque, les missions industrielles se succédèrent pour lui sans relâche.

En 1889, avant même son retour en France, M. Pourcel participa avec l'autorisation de sir Lowthian Bell à l'installation à Milan d'une aciérie pour la production de moulages. Il l'équipa avec convertisseurs à soufflage latéral et en resta ingénieur conseil jusqu'en 1920.

Vers 1906, la Société de Senelle-Maubeuge eut recours aux avis de M. Pourcel et décida sur ses conseils, la création de l'aciérie Thomas qui fit la fortune de l'usine de Senelle. Cette société reconnaissante lui offrit une place dans son Conseil d'administration.

De même, en 1907, les aciéries italiennes de Terni vinrent soumettre à M. Pourcel les difficultés techniques qui arrêtaient leur essor. Elles réalisèrent, sur ses indications, la réfection complète de leurs ateliers de forge et de laminage, et installèrent d'après ses données une presse hydraulique de 6.000 tonnes et un train de laminoirs à blindages. M. Pourcel fut ingénieur conseil de cette société jusqu'en 1919.

Plus tard, une Société française fonda au Chili une importante usine pour la fabrication de la fonte au bois. Mais les fourneaux végétaient, leur production était insuffisante et les administrateurs vinrent solliciter une consultation. M. Pourcel se fit montrer les plans de l'installation et décrire la fabrication dans tous ses détails, puis il formula un questionnaire et demanda qu'il fut rempli par l'un de ses amis, qu'il enverrait sur place. Au retour du mandataire, le diagnostic fut établi d'après les renseignements rapportés et les directives données firent immédiatement passer la production journalière de 55 à 85 tonnes par fourneau.

Cette profonde clairvoyance fut également mise à contribution par de nombreuses Commissions d'études ou Sociétés savantes. M. Pourcel fut notamment un membre très actif du comité d'études de la Commission des méthodes d'essai des matériaux de construction, et il fut nommé membre honoraire du Comité des forges de France dès 1891.

A l'exposition universelle de 1878, les ferro-manganèse à 85 %, les silico-spiegels, les ferro-tungstène, fabriqués au haut fourneau, les moulages d'acier exposés, attirèrent sur lui l'attention de tous les métallurgistes, et lui valurent la médaille d'or de collaborateur.

A la suite des communications célèbres qu'il fît aux réunions de la Société de l'Industrie minérale, lors de son séjour à Terrenoire, cette Société lui offrit une place dans son Conseil, et M. Pourcel l'occupa très brillamment jusqu'à son départ pour l'Espagne en 1883. A l'occasion de son cinquantenaire, en 1908, la Société lui remit ensuite sa médaille d'honneur, pour marquer tout le lustre qu'il lui avait apporté.

En 1909, l'Iron and Steel Institute, qui l'avait admis dans son sein dès 1878, le choisit pour la plus haute récompense que puisse ambitionner un métallurgiste : la médaille Bessemer. Renouvelant son hommage, cette illustre Compagnie lui décerna en 1918 le titre, insigne pour un étranger, de vice-président honoraire.

M. Pourcel faisait encore partie, depuis 1876, de l' « American Institute of Mining and metallurgical engineers ». Sur la proposition de Howe, le célèbre métallurgiste américain, il fut nommé en 1889 membre d'honneur. Il n'est pas inutile de rappeler à ce sujet, que cette puissante association de 9.500 membres ne comprend que 19 sociétaires étrangers, et que les trois seuls Français qu'elle a admis jusqu'ici, furent après Osmond, MM. Haton de la Goupillère, Henry le Chatelier et le maréchal Foch.

Nous ne rappellerons pas, le prix annuel que décerna à M. Pourcel en 1892, la Société des ingénieurs civils de France.

Nous ajouterons cependant que ses camarades de l'Ecole des mines de Saint-Etienne, reconnaissants de l'amitié qu'il n'a jamais cessé de leur témoigner, l'avaient en 1875 choisi pour faire parti du Conseil de leur Société amicale, et ce fut à regret qu'ils virent M. Pourcel abandonner ce poste en 1883, lors de son premier départ de France.

Ainsi se trouve esquissée, dans ce schéma bref et incomplet, cette carrière de soixante années, commencée dans l'étude pure d'un laboratoire, continuée dans la technique des fabrications par les plus belles découvertes, comme nous le verrons, puis prolongée par une oeuvre de vaste direction industrielle.


L'OEUVRE DU TECHNICIEN

Cette oeuvre est une des pierres angulaires de la sidérurgie actuelle et, en l'analysant, c'est la genèse même de l'acier que nous verrons se dérouler sous nos yeux. Une de ses caractéristiques réside dans la perfection des solutions réalisées ; les procédés inventés devinrent classiques dans le monde entier dès leur éclosion, et ils se sont conservés intacts jusqu'à nos jours. Nous donnerons plus loin le compte rendu, publié en 1882 (Revue suédoise Iern Kontaret Annalers), des opérations basiques effectuées à Alexandrowsky, près de Saint-Pétersbourg, dans les vastes usines fondées sur les données de M. Pourcel, pour l'exploitation industrielle de son nouveau procédé. On est émerveillé : rien n'a été modifié dans la suite des années et tous les aciéristes modernes ne font que répéter encore aujourd'hui dans leurs plus petits détails, les gestes arrêtés par M. Pourcel à cette époque.

Ces usines furent, du reste, l'école d'application où vinrent s'initier tous les métallurgistes ; elles reçurent la visite de toutes les sommités industrielles du temps et l'on ne peut s'empêcher d'admirer la libéralité avec laquelle l'inventeur favorisa la dillùsion de ses procédés pour le plus grand progrès de l'industrie et le plus grand bien de tous. Une seconde caractéristique de cette oeuvre c'est en effet sa haute tenue scientifique : M. Pourcel dédaigna toujours, aussi bien la mesquine préoccupation de cacher ses découvertes que le désir de les publier à tous vents pour en recueillir une vaine gloriole. S'il prodigua volontiers ses conseils et exposa toujours, avec l'amabilité du savant, ses théories et ses procédés, il écrivit très peu, et ne publia que rarement les conférences qu'il fit dans les milieux très restreints des grandes sociétés scientifiques. Ainsi s'explique le fait, tout à son honneur, que son oeuvre est demeurée anonyme, et n'a pas reçu, en France du moins, toute la notoriété qui lui est due. Ce serait une juste réparation que de faire porter au procédé Martin basique le nom de son inventeur.

Notre exposé, pour être vivant, et donner l'image de la réalité, devrait suivre la marche parallèle des diverses questions étudiées ; nous en apercevrions mieux la genèse, les influences mutuelles et la solution. Mais cette méthode nous conduirait à une trop grande complexité et nous serons contraints, pour la clarté du sujet, de grouper tous les travaux du maître sous quelques rubriques simples qui mettront mieux en lumière les résultats obtenus.

I. - IMPORTANCE DU MANGANÈSE DANS LES ACIERS. - UTILISATION DU FERRO-MANGANESE. - FABRICATION DU FERRO-MANGANÈSE AU HAUT FOURNEAU.

Dans le compte rendu d'une réunion de métallurgistes, tenue en 1876, nous lisons que l'acier est « la forme du fer malléable et fusible » et se trouve constitué par « un alliage de fer et de carbone ». Certains prétendent que les propriétés de malléabilité proviennent de ce que le fer se trouve dans le minerai à l'état magnétiqne de « ferrosum », tandis que le minerai renfermant le fer à l'état non magnétique de « ferricum » n'a pas la « propension aciéreuse » et se trouve incapable de fournir un métal forgeable.

Telles étaient, touchant la composition de l'acier, les théories assez répandues dix ans après l'entrée de M. Pourcel à Terrenoire.

On voit quelle tâche était à accomplir pour faire admettre des principes qui nous paraissent aujourd'hui si élémentaires et qui constituent la base de la métallurgie du fer. M. Pourcel répondit du reste, au membre de l'Assemblée qui exposait alors cette bizarre théorie, par cette profession de foi qui définissait et résumait si bien toute la question :

« Un minerai à ferrosum sans manganèse ne peut donner qu'un métal rouverin, s'il n'y a pas d'addition de spiegel au cours de la fabrication. Si certaine fonte citée donne sans spiegel du métal malléable, c'est qu'elle renferme du manganèse. La valeur d'un minerai dépend seule de sa pureté en soufre et en phosphore et de sa richesse en manganèse, et non de ses qualités natives. Tout acier obtenu au bas foyer, au Bessemer ou au four à réverbère acide doit renfermer de 1 à 12 millièmes de manganèse. Cet élément est constitutif de l'acier ; d'autres éléments peuvent s'y ajouter, aucun le remplacer ».

Bien avant cette année 1876, un an après son arrivée à Terrenoire, M. Pourcel avait été amené à s'occuper de la question du manganèse dans les aciers, et d'une façon toute pratique ; voici comment :

Il était alors ingénieur suppléant du chef de service de l'aciérie, et à ce titre, étudiait les fabrications Bessemer mises en train depuis peu. Notons au passage ce détail qui ne manque pas d'intérêt : c'est au cours de ses débuts en 1867, que pour la première fois l'usine de Terrenoire réalisa l'alimentation directe du convertisseur en fonte liquide : la fonte, jusqu'à cette époque, provenait d'une seconde fusion au cubilot. Dans ces fonctions d'aciériste, un point retenait son attention : les tôles Bessemer produites par les usines anglaises et employées par la marine, présentaient une trop grande fragilité et une corrosion rapide à l'eau de mer. M. Valton, ingénieur en chef, entreprit avec M. Pourcel des recherches en vue de leur fabrication et reconnut bientôt que la corrosion diminuait avec la fragilité, lorsque la teneur en carbone s'abaissait. Il s'agissait donc de réaliser au convertisseur de l'acier aussi décarburé que possible. Mais le procédé d'affinage de Bessemer exigeait, pour que le métal fût utilisable, une addition finale de manganèse faite à l'état de spiegel à 10-12 %, et ce spiegel, renfermant 5 % de carbone, recarburait fortement le bain. C'est pour cette raison que les tôles anglaises étaient en métal trop dur et trop attaquable à l'eau de mer. M. Pourcel connaissait d'autre part l'existence du ferro-manganèse préparé au creuset, avec 6 % de carbone pour 60 à 70 % de manganèse. Il pensa qu'en remplaçant le spiegel par du ferro-manganèse, dans l'addition finale de l'opération Bessemer, on obtiendrait la solution du problème puisqu'on introduirait, pour la même quantité de manganèse, quatre fois moins de carbone. En 1867, Terrenoire livra ainsi aux constructions navales les premières tôles Bessemer en acier doux.

Mais pour que cette fabrication fût possible il restait à obtenir industriellement le ferro-manganèse par des moyens plus puissants que le creuset. Les Anglais avaient eu l'idée de réduire le minerai de manganèse au four à réverbère au moyen du coke et le procédé Henderson, monté à Sheffield, donnait avec une sole en carbone des produits beaucoup moins coûteux. Ce procédé qui constituait un réel progrès fut installé à Terrenoire en 1869.

Depuis longtemps cependant, M. Pourcel avait songé à un moyen beaucoup plus élégant de résoudre le problème, c'était d'obtenir le ferro-manganèse au haut fourneau, l'appareil réducteur par excellence. La difficulté qui l'arrêtait était d'empêcher le garnissage d'être rongé, mais - le four Henderson venait de lui en donner l'idée - il suffisait, sans doute, de remplacer les briques silico-alumineuses par des briques de carbone. Aussitôt la mise à exécution commença.

Il faut lire en entier le récit de ces essais, dans les intéressants articles publiés par M. Pourcel dans les numéros du Génie Civil de mai 1885, articles qui furent d'ailleurs reproduits plus tard par Moissan, dans l'Encyclopédie chimique de Frémy. Les trop courts extraits auxquels nous sommes obligés de nous limiter donneront cependant une idée de ces expériences importantes qui durèrent trois ans, et furent couronnés en 1878 par une campagne d'un mois de ferro-manganèse à 82 %.

Cependant le haut fourneau n° 2 de l'usine ayant été mis hors feu, en février 1875, l'ordre fut donné de tout préparer pour qu'à son prochain allumage on y fit l'essai de la fabrication du ferro-manganèse en employant un minerai à gangue calcaire provenant d'une mine de Toscane.

Ce devait être un essai de fabrication de courte durée, car, d'une part le stock de minerai manganésifère dont on disposait ne dépassait pas 700 tonnes, et d'autre part, le fourneau n° 1 devant être réparé dans le courant de l'été, on avait hâte de faire produire de la fonte Bessemer au haut fourneau n° 2. Ces circonstances, jointes à la crainte d'un risque trop grand à courir, firent que l'on n'osa pas construire la sole et le creuset entièrement en briques et pisé de graphite, ce qui ne fut mis à exécution que l'année suivante, en 1876. On ne fit donc faire avec ces matériaux qu'un simple revêtement intérieur mesurant 25 centimètres environ dans sa plus grande épaisseur. Pour la mise en feu, toute la partie en graphite fut préservée par une couche de terre réfractaire simplement damée.

Voici en quelques lignes le compte rendu de cet essai :

Marche du haut fourneau. - Le haut fourneau n° 2 allumé le 11 avril 1875, donne de la fonte Bessemer le 15 avril dans la journée. Il est muni de trois tuyères ; le vent est donné par trois busillons de 120 milimètres de diamètre à une température de 600° et à 14 centimètres de mercure de pression. Dans ces conditions, en marche normale, ce haut fourneau produit de 43 à 45 tonnes de fonte Bessemer par vingt-quatre heures avec une consommation, par tonne de fonte, de 950 kilogrammes de coke à 15 % de cendres.

Le minerai dont on dispose permet de faire du ferro-manganèse à 60 % environ, si toutefois l'on arrive à une utilisation de 60 % du manganèse entré dans la charge. Pour tâcher d'obtenir ce résultat en tenant compte de la difficulté de réduction de l'oxyde de manganèse, on diminue la vitesse de descente des charges presque de moitié et on double la consommation de coke par tonne de fonte.

Le 16 avril, à 9 heures 1/2 du matin, on introduit la première charge du dosage, destinée à donner du ferro-manganèse à 50 % ; le lendemain 17 avril, une première coulée, faite à 3 heures du matin, donne de la fonte grise; la seconde coulée à 9 heures 1/4 donne un spiegel à 21 % de manganèse ; la troisième coulée, à 4 heures après-midi, donne du ferro-manganèse à 42 % ; la quatrième coulée, faite à minuit, donne du ferro-manganèse à 48 %. Le 18 avril, à 8 heures du matin, c'est du ferro à 50 % de manganèse que l'on coule.

Le gaz est devenu très abondant au gueulard ; il a pris une teinte foncée, il est épais et presque incombustible. On ne l'utilise plus aux appareils Cowper ; seul le gaz du haut fourneau n° 1, en allure Bessemer, sert au chauffage du vent dont la température se maintient aux environ de 600°. Le laitier est vitreux à la surface, à cassure cireuse et de couleur vert foncé ; sans doute le revêtement de terre réfractaire destiné à préserver la garniture en graphite du creuset a dû fournir un excès de silice, en commençant à fondre quand est arrivé aux tuyères le dosage pour ferro-manganèse.

Du 18 au 22 avril, la teneur en manganèse de la fonte varie peu : de 50 à 51 %. Le laitier est devenu un peu moins foncé et sa cassure un peu moins pierreuse. Le 22 avril, le dosage destiné à donner du 60 % commence à arriver aux tuyères. Le laitier est un plus clair, aussi fluide à la coulée que le précédent, mais d'aspect plus pierreux. La coulée de 4 heures de l'après-midi donne 55 % ; celle de minuit également. Le 23 avril, la coulée de 8 heures du matin donne du 57 % de manganèse, celle de 4 heures de l'après-midi du 60 % ; celle de minuit du 64,80 %. Le laitier est d'un vert très foncé un peu court. La proportion de chaux a été augmentée dans ce dosage, comme on le verra plus loin, et l'utilisation du manganèse a été supérieure à 60 %.

Mais le stock de minerai manganésifère étant épuisé, on remet au haut fourneau, dans l'après-midi, le dosage pour fonte Bessemer. Le 24 avril, à 8 heures du matin, on coule du ferro-manganèse à 60,5 % ; à la coulée de 4 heures du soir, c'est encore 55 %, à 10 heures du soir du 40 %, enfin le lendemain à 4 heures, on coule du spiegel riche à 27 %. La production moyenne par vingt-quatre heures a oscillé entre 11 et 12 tonnes, tandis que la consommation du coke par tonne de fonte a été de 1.700 à 1.900 kilogrammes.

Composition des laitiers. — Dans ces essais, il y a eu perte de manganèse et de chaux par volatilisation ou plutôt par un simple entraînement par le courant gazeux. Néanmoins, comme il y a eu du ferro-manganèse produit à une teneur voisine de 65 % l'utilisation a été supérieure à 60 %. Or, comme le laitier, malgré sa composition chimique intermédiaire entre le sous-silicate et le protosilicate, a présenté une fluidité parfaite à sa sortie du creuset, il est évident qu'on peut, sans altérer les proportions de l'oxygène de l'acide à celui des bases, diminuer notablement la quantité de protoxyde de manganèse qu'il renferme par l'adjonction au dosage de bases alcalino-terreuses. Ce raisonnement nous conduisit dans les essais subséquents, qui eurent lieu en septembre 1875 et en janvier et février 1876, à fixer la dose de la baryte à la moitié de celle de la silice introduite, et à augmenter peu à peu la proportion de chaux jusqu'à ce que le laitier devînt fusant. Enfin, quand en avril 1876 on put commencer une fabrication de longue haleine dans un fourneau préparé, et grâce à un approvisionnement assuré de minerai de manganèse, on s'arrêta pour la composition des dosages à cette formule pratique :

Chaux = 2 fois silice.

Silice = 2 fois baryte.

En employant la dolomie comme castine, on additionnait la magnésie avec la chaux. L'expérience a consacré cette formule : en allure pour ferro-manganèse à 82 % elle a permis d'obtenir régulièrement à Terrenoire ainsi qu'à Tamaris, sous la direction de M. Escalle, des utilisations de 72 à 75 %. Nous dirons plus loin quelques mots de ces fabrications.

Une question nous avait été posée par M. Gruner, en 1876, quand nous lui fîmes part de l'emploi que nous faisions du sulfate de baryte, dans les dosages pour ferro-manganèse riche : « Que devient le soufre, avait-il demandé ; s'il ne sulfure pas la fonte, à quel état passe-t-il dans le laitier ? »

Le soufre du sulfate de baryte ne sulfure pas la fonte de manganèse ; une faible proportion s'en va dans les gaz à l'état d'acide sulfureux, l'autre passe dans le laitier, partie à l'état de sulfure de calcium et partie à l'état de sulfure de manganèse, sans qu'on trouve traces de sulfure de baryum.

Pour finir l'historique de nos essais, nous ajouterons que le 2 février 1876, après une campagne d'un mois en spiegel à 20 % et avant de fabriquer du 40 % qui était demandé, nous avons essayé de passer pendant vingt-quatre heures un dosage pour produire du 74 % avec une utilisation supposée de 60 %. Le 4 février on eut de la fonte à 73 %, le 5 février une coulée à 74 % et les autres à 71 % ; au total, près de 14 tonnes dans les vingt-quatre heures.

...........................

La consommation de coke s'était élevée à 2.600 kilogrammes.

Ce fut enfin au mois d'avril 1876 qu'on entra, à Terrenoire, en fabrication suivie de ferro-manganèse avec le haut fourneau n° 3, pourvu d'appareils Cowper. Après avoir produit du 23 avril au 25 mai, suivant les demandes, des teneurs variant entre 42 et 65 % nous avons voulu produire du 82 %, mais nous n'y sommes pas parvenus ; les minerais dont nous disposions étaient trop pauvres, le mélange le plus riche qu'ils pussent donner atteignait à peine une teneur moyenne de 33,6o % de manganèse.

Cependant en passant 34 charges par vingt-quatre heures, au lieu de 52 au moins en allure Bessemer, avec du vent soufflé à 12 centimètres de pression et à 750°, le fourneau donna régulièrement du 21 juin au 4 juillet, du 72, du 76 et du 77 %, à raison de 12 tonnes en moyenne par vingt-quatre heures. L'utilisation du manganèse varia de 64 à 70 % ; elle fut un jour de 72 % ; la consommation de combustible s'éleva à 2.700 kilogrammes par tonne de fonte et ne fut pas inférieure à 2.400 kilogrammes.

Ces résultats, à cause de la pauvreté du lit de fusion parurent très satisfaisants, et à partir de ce moment nous ne doutions plus de pouvoir produire avec des minerais suffisamment riches, c'est-à-dire renfermant au moins 45 % de manganèse, des ferro-raanganèses à 82 % et plus de manganèse, à raison de 10 tonnes au moins par vingt-quatre heures et avec 2.700 kilogrammes de coke à 15 % de cendres.

En résumé, dans le mois de juin 1876, le haut fourneau produisit en ferro-manganèse à teneurs élevées :

72 tonnes à 62 pour 100 11 - 67 - - 85 - 72 - - 27 - 75 à 77 pour 100.

Il produisit en outre des teneurs variant de 42 à 57 %. La campagne fut terminée fin septembre. La fabrication de la fonte de manganèse était désormais un fait industriel acquis ; avec des minerais à une teneur inférieur à 40 % de manganèse, le seul inconvénient constaté dans la fabrication des ferro-manganèses à 72 et 77 % est que le creuset se garnissait et que la sole montait après quelques semaines de marche. Cet inconvénient, qui est à redouter quand on fabrique des fontes riches en silicium et manganèse, n'existe plus, même avec une production de 82 à 85 % du moment que le lit de fusion est riche, c'est-à dire que le rendement en scorie ne dépasse pas le rendement en fonte.

A Terrenoire on ne disposa qu'en 1878 de minerais riches, à teneur en manganèse dépassant 45 % et atteignant même 54 %. Cependant au mois d'août de l'année précédente, on avait passé trente charges d'un dosage dans lequel entrait un minerai de Romanèche à 44 % de manganèse et qui avait été calculée pour donner un alliage à 81 % avec une utilisation de 60 % et une consommation de 3 tonnes de coke par tonne de fonte. On eut une coulée de 3.800 kilogrammes d'alliage à 81 % intercalée entre une coulée de 79 et une de 77 %. Les stocks de minerais ne permettaient pas alors la fabrication d'un alliage aussi riche, mais il n'y avait aucun doute à avoir sur la possibilité de l'obtenir en se plaçant dans de bonnes conditions.

En effet, en juin 1878 avec un mélange de minerais à teneur moyenne de 50 % de manganèse, on fit pendant trois jours quelques tonnes de 83 à 85 % en utilisant plus de 70 % de manganèse entré dans le dosage, tandis que la consommation du coke n'atteignit pas tout à fait 3 tonnes par tonne de fonte.

Mais, ce ne fut qu au mois de décembre de la même année qu'on put, grâce à un approvisionnement de bons minerais, commencer une fabrication suivie d'alliage à 82 %. Ayant à solder une commande de 300 tonnes de cet alliage, on en fabriqua sans intermittence, et avec la plus grande régularité dans l'allure, 353 tonnes environ, depuis le 12 décembre jusqu'au i3 janvier inclus, c'est-à-dire pendant 33 jours. La production moyenne fut donc, en chiffres ronds, de 10.500 kilogrammes par vingt-quatre heures, tandis que la moyenne des charges passées pendant le même temps fut de trente-quatre.

Ainsi, comme le disait plus haut M. Pourcel, la fabrication du ferro-manganèse était un fait acquis. Le prix de revient qui était de 2.OOO francs par tonne au creuset, et de 1.400 francs au four Henderson, venait d'être ramené à 40 francs !

Ces résultats n'étaient cependant qu'une première étape, comme nous le verrons dans le chapitre suivant à propos des silico-spiegels. Mais le chemin parcouru était déjà fort long : M. Pourcel venait de montrer l'impérieuse utilité du manganèse dans les aciers, et le parti précieux que l'on pouvait tirer du ferro-manganèse pour obtenir des aciers doux. Il venait surtout de doter les métallurgistes d'un moyen de production du ferro-manganèse à la fois puissant et économique qui constituait « une véritable révolution dans l'obtention, et, par suite, les possibilités d'emploi de cet indispensable produit métallurgique » (De Loisy et Portevin, Revue de métallurgie d'avril 1934).

II. - UTILITÉ DU SILICIUM DANS LES ACIERS. - ACIERS SANS SOUFFLURES. - PRODUCTION DES FERRO-SILICIUM. - MOULAGES D'ACIER. - TRAITEMENTS THERMIQUES DES MOULAGES.

Comme beaucoup de grandes découvertes, la désoxydation de l'acier par le silicium (ou mieux par les alliages silicium-manganèse), fut suggérée à M. Pourcel par une remarque très simple qu'il fit à l'occasion des opérations Bessemer et Martin et qu'il sut interpréter. Voici le compte rendu d'une réunion scientifique (séance du groupe stéphanois de la Société de l'Industrie minérale du 4 novembre 1876) où M. Pourcel donna l'historique complet de cette question.

« Au four Martin, dit M. Pourcel dans sa communication, en adoucissant une fonte grise siliceuse au moyen d'additions successives de fer ou d'acier, on constate, en prenant des éprouvettes ou échantillons, après chaque addition, qu'à un moment donné le métal coulé est criblé de soufflures. Ceci constaté, si l'on soumet à l'analyse l'éprouvette non soufflée prise immédiatement avant l'éprouvette soufflée, on trouve du silicium dans le métal exempt de soufflures, tandis que le métal soufflé peut contenir de la scorie interposée, mais non du silicium libre.

« Tel est le résultat analytique dont on peut reproduire les effets synthétiquement : Si l'on ajoute du silicium, sous forme de siliciure de fer, à un bain d'acier tout formé, on en fait disparaître complètement les soufflures.

« Il est vrai de dire que cet acier est généralement mauvais à chaud, et son état rouverin a été et est encore attribué à la présence du silicium, non pas seulement par les fabricants d'acier, mais encore par la plupart de nos chimistes les plus distingués. »

C'est une explication que M. Pourcel a admise d'abord, sous réserves ; aujourd'hui, il pense qu'elle est sujette à discussion. Son avis personnel, d'ailleurs, c'est que le silicium n'ote à l'acier aucune de ses qualités, dans les proportions où il s'y trouve habituellement, et qu'il ne le rend ni rouverin à chaud, ni fragile à froid.

Les soufflures qui existent dans l'acier coulé - Bessemer l'a démontré et publié il y a huit ou dix ans - sont dues à l'oxyde de carbone qui prend naissance dans l'acier liquide par une réaction intermoléculaire entre le carbone du métal et l'oxyde de fer formé pendant la coulée. Lorsque le métal reste assez longtemps liquide, les gaz s'échappent; mais généralement, la température de coulée de l'acier étant peu supérieure à celle de sa solidification, l'oxyde de carbone reste emprisonné et donne naissance à des soufflures ou alvéoles argentées, disposées symétriquement et perpendiculairement au grand axe du lingot.

Le silicium empêche ces soufflures de se former, parce qu'il est plus oxydable que le carbone - par combustion intermoléculaire, bien entendu - (le corps oxydant étant le peroxyde de fer ou l'acide carbonique, ou l'un ou l'autre), mais alors, au lieu d'être un gaz, le produit de l'oxydation est un corps solide qui prend naissance dans la masse du métal et se trouve uniformément réparti entre ses molécules. C'est un silicate de fer, c'est de la scorie interposée entre ses molécules qui rend le métal mauvais à chaud et diminue ses qualités en tant que métal coulé. Le moyen de se débarrasser de cette scorie, c'est de lui adjoindre une base qui lui donne de la fluidité et lui permette de se liquater : M. Pourcel s'est servi du manganèse, et c'est là le point capital.

Le manganèse sert, dans l'opération Bessemer, à débarrasser le métal fondu du peroxyde de fer qu'il tient en dissolution ; il le réduit à son minimum d'oxydation en prenant un équivalent de son oxygène, et l'adjonction de l'oxyde de manganèse qui se forme, au silicate de fer, donne une scorie très fluide qui se liquate.

MM. Troost et Hautefeuille ont confirmé, dans leurs savants travaux communiqués à l'Académie des sciences, cette explication du rôle du manganèse qu'on ajoute à la fin de l'opération Bessemer, explication donnée par M. Valton, il y a plus de huit ans, dans un mémoire sur le Bessemer publié dans le Bulletin de la Société de l'Industrie minérale. Aujourd'hui, cette théorie est entrée dans le domaine de la pratique, et ses conséquences ont été fécondes.

Une de ces conséquences a été tirée par M. Pourcel, en substituant au siliciure de fer un siliciure double de fer et de manganèse comme addition d'un bain d'acier destiné à donner du métal sans soufflures. Les deux corps réducteurs, silicium et manganèse, agissent simultanément dans la masse en fusion pour réduire le peroxyde de fer et empêcher la formation de l'oxyde de carbone, et le résultat de leur oxydation est un silicate de protoxyde de fer et de protoxyde de manganèse, très fluide à la température de solidification de l'acier et qui se liquate facilement. Quant au siliciure en excès, ses effets ne sont pas nuisibles. C'est la conviction de M. Pourcel.

Le principe de fabrication que vient d'exposer en quelques mots M. Pourcel est bien simple dans son énoncé, mais l'application en est délicate et plus complexe. Cependant, il peut dire que les difficultés pratiques en ont été en grande partie résolues, et aujourd'hui, on produit aux aciéries de Terrenoire, en acier coulé, à peu près toutes les nuances qui caractérisent l'acier forgé, depuis le plus dur jusqu'à l'extrême doux. L'homogénéité parfaite de ces aciers fondus, résultat de leur composition chimique, et le parfait équilibre de leurs molécules, que l'on produit par un recuit ou une trempe de nature variée, peuvent, dans l'opinion de M. Pourcel, conduire à des résultats qu'on n'a jamais obtenus pour les aciers forgés.

Mais pour rendre possible les aciers sans soufflures, il fallait savoir produire industriellement les alliages de silicium, ou les alliages mixtes de silicium et de manganèse. Cette fabrication, M. Pourcel venait de la mettre au point fortuitement, à la suite d'essais effectués au fourneau pour réduire, dans la production des spiegels, les pertes en manganèse. Le rendement des charges en manganèse devait augmenter, en effet, en ralentissant leur descente tout en maintenant la mise au mille de coke. Mais au lieu du résultat cherché dans cette hypothèse, M. Pourcel constata que le spiegel perdait ses facettes brillantes, prenait un grain fin et serré et était constellé de petites paillettes de graphite. En même temps l'analyse révélait 10 à 12 % de silicium. Le silico-spiegel était trouvé. A partir de 1875, il fut fabriqué aux hauts fourneaux de Terrenoire du silico-spiegel à 10 puis 12 % de silicium, avec 20 à 26 % de manganèse.

Les essais ainsi amorcés par un hasard heureux furent étendus. Terrenoire produisit alors des fontes manganésées contenant 25 % de chrome ou 24 % de tungstène, qui firent sensation à l'Exposition de 1878. Ce fut en cherchant à mettre au point la fabrication de ces fontes à haute teneur en chrome, que M. Pourcel constata la difficulté de réduction des blocs de chromite non concassés et eut l'idée d'utiliser dans le revêtement des fours, les qualités réfractaires de ce minerai.

M. Pourcel s'aperçut rapidement de l'avenir qui était réservé aux ferros et aux additions désoxydantes de silicium en particulier. Faisant preuve, en cette matière, de la libéralité scientifique que nous avons déjà eu l'occasion de signaler, il se hâta de faire connaître la technique des aciers calmés et il fit campagne pour le silicium, comme autrefois pour le manganèse. Dans ce second cas, comme dans le premier, l'avenir lui donna une éclatante approbation et les théories qu'il exposait alors constituent encore, sur ce sujet, le Credo des métallurgistes actuels. Le 7 septembre 1878, il expliquait : « Lorsqu'un bain d'acier a été au préalable désoxydé par une addition suffisante de manganèse et que, avant de le couler, on s'est assuré, au moyen d'éprouvettes, qu'il se laisse parfaitement marteler à chaud, on est sûr qu'il ne renferme plus de peroxyde de fer, sinon des traces. Malgré tout, au moment de sa solidification, l'acier dégage du gaz oxyde de carbone, et, que ce gaz existe dissout ou qu'il prenne naissance par réaction intermoléculaire du carbure de fer de l'acier sur l'oxyde de fer formé pendant la coulée, il n'en est pas moins la cause des soufflures argentées qui se rencontrent si abondantes, dans les blocs d'acier. Le silicium absorbe ce gaz et supprime ces soufflures. Il en reste une partie incorporée au métal, mais ce constituant n'a aucun inconvénient, bien au contraire. Il joue dans l'acier le rôle du carbone, quoique avec une énergie moindre. Son action s'ajoute à celle des éléments durcissants de l'acier, le carbone et le manganèse, mais comparée à celle du carbone, son influence est moindre, trois à quatre fois. Tandis que 1/1000 de carbone augmente la résistance à la traction de 6 kg/mm2, la même quantité de silicium ne donne en supplément qu'un kg, Reste à examiner si le recuit ou la trempe sont influencés par la présence du silicium. Or, le silicium ne détermine que très faiblement la trempe et, c'est là une propriété favorable, enlève la fragilité. »

Il ne faut pas croire que cette théorie du silicium, aujourd'hui classique, rencontra partout un accueil enthousiaste. M. Pourcel eut à batailler longuement, en particulier avec un certain Dr Muller, du Brandebourg, qui lui opposa en toute occasion des arguments souvent entachés d'erreurs d'expérience ou entourés d'obscurités nombreuses. Grâce aux études de son camarade M. Harmet de Stead, Richard, Wedding et surtout à la suite de ses recherches personnelles, M. Pourcel arriva à faire triompher la vérité, énergiquement soutenu en cette circonstance par ses amis britanniques de l'Iron and Steel Institute, auxquels il garda toujours une véritable reconnaissance.

C'est à eux qu'il exposa en 1882 les résultats surprenants obtenus par l'application de l'acier calmé aux moulages, résultats complétés par les traitements thermiques, dont il fut un des initiateurs. Avant de reproduire la communication qu'il fit sur ce sujet, au congrès de Vienne de l'Iron and Steel Institute, il convient de citer brièvement un document qui authentifie, dès 1875, les essais qu'il poursuivait déjà sur les moulages. A cette date, le 24 septembre, eurent lieu à Gâvres, des expériences de tir effectuées avec trois obus en acier moulé envoyés par Terrenoire. Ces projectiles de 240 mm. de diamètre, d'un poids de 145 kg., furent tirés avec une vitesse au choc de 390 m. sec. contre une plaque de blindage de 22 cm. d'épaisseur sous une incidence de 15 à 18°. Alors que tous les projectiles analogues avaient laissé la plaque intacte, le premier obus la traversa ainsi que la fourrure et tomba presque sans déformation à 247 m. ; le second, après avoir fait éclater la plaque sans subir aucun refoulement, parcourut 628 m. ; le troisième enfin réalisa le même trajet, ricocha quatre fois sur le sol et atteignit 273 m. Inutile d'ajouter que la Compagnie de Terrenoire reçut des félicitations de la Commission de Gâvres.

L'exposé de M. Pourcel à l'Iron and Steel Institute eut un retentissement mondial et il est nécessaire d'en donner quelques extraits. Il fait remarquer en commençant que ses efforts ont porté sur deux points : l'obtention de moulages absolument dépourvus de soufflures grâce à l'acier calmé, et le traitement de ces pièces par des chauffages, trempes et recuits appropriés, qui augmentent considérablement les propriétés mécaniques.

« Actuellement, pour indiquer des faits, Terrenoire vient de couler pour une maison de constructions mécaniques de Paris, des cylindresde 2 m, 04 de diamètre intérieur, de 2 m. de hauteur et d'une épaisseur uniforme de 50 mm. Ces cylindres devaient supporter une pression hydraulique intérieure de 45 atmosphères sans suintement. Le métal traité devait donner une résistance de 50 kg. par mm2 , et un allongement de 8 %, 6 de ces cylindres ont été livrés. La composition du métal correspond à :

C = 0,65 % Mn = 1 % Si = 0,20 à 0,30 %

« C'est la nuance des aciers à rail des Compagnies françaises de chemin de fer. Après avoir passé au tour, les surfaces étaient lisses et exemptes de tout défaut.

« Ces cylindres avaient été traités.

« Les traitements thermiques ont pour but d'assurer une transformation dans les molécules, et ensuite, une stabilisation d'équilibre de ces molécules, qui donne au métal la plus haute résistance correspondant à sa composition. Il paraît difficile encore de formuler des lois, mais l'on peut citer des faits dans cet ordre d'idées ; nous prendrons comme exemple une fabrication considérée comme très délicate, celle des frettes à canon. Depuis deux ans, Terrenoire a livré à l'artillerie de marine francaise une grande quantité de frettes pour canon de 10 cm. Celles qui sont fournies actuellement ont pour dimensions :

Diamètre extérieur............... 360 mm.

— intérieur............... 246 —

Longueur......................... 266 —

« Ces frettes proviennent d'un lingot rond de 385 mm. de diamètre, fournissant en longueur plusieurs frettes, et dont on abandonne la tète : on coupe ce lingot en tranches, et l'on enlève la partie intérieure de chacune d'elles à l'aide de puissants outils, puis les pièces sont soumises au traitement. On choisit une frette par lingot, que l'on traite exactement comme les autres et qui sert aux essais de réception. Pour cela, ou découpe dans cette frette des rondelles, puis dans ces rondelles des barreaux, dont on détermine les caractéristiques mécaniques.

« On trouve ainsi :

« Limite élastique................. 36 à 40 kg. 8
« Résistance....................... 56 à 68 kg.
« Allongement..................... 13,2 à 20,1 %

« Un comparant ces chiffres à ceux que donnent les mêmes frettes non traitées, on trouve que rallongement est considérablement accru par le traitement, sans diminution de la résistance. Pour obtenir ce résultat, les frettes sont chauffées au jaune oxydant et plongées dans un poids déterminé d'huile. Elles sont ensuite réchauffées au rouge cerise et refroidies au bain d'huile. La première opération a pour effet de transformer la cristallisation du métal en donnant des grains fins et homogènes, la seconde détermine l'équilibre moléculaire correspondant à la composition et doit être plus ou moins intense, suivant que le métal contient plus ou moins de carbone et de manganèse.

« La composition du métal qui convient le mieux pour cette fabrication délicate est comprise entre d'étroites limites. Le carbone doit varier de 0,28 à 0,32, le manganèse en sens inverse, de 0,60 à 0,45 %. Le soufre doit à peine être décelé, et le silicium doit être compris entre 0,15 et 0,20 %. On doit remarquer que les trempes dont on vient de parler n'impliquent pas une idée de durcissement, donc ce terme ne doit pas être employé, et l'on doit parler pour ces opérations d'immersion et non de trempe.

« Il y a lieu de croire que le même procédé s'appliquerait aux frettes plus grosses, pour canons de 42 centimètres, par exemple. On est eu droit de le supposer, à la suite du succès des spécimens envoyés à Paris à l'Eposition de 1878, mais il est possible qu'il faille répéter le traitement plusieurs fois.

« En résumé, il est probable que si les jours des marteaux-pilons ne sont pas complètement comptés, il est du moins possible de faire acquérir à l'acier des propriétés mécaniques très intéressantes, par simple traitement. »

Ainsi se trouvait démontré l'avenir des moulages d'acier et l'utilité des traitements thermiques pour remplacer dans certains cas le martelage. Il faut savoir gré à M. Pourcel d'avoir, dès cette époque, signalé les excès du corroyage, contre lesquels les meilleurs métallurgistes s'élèvent aujourd'hui. Cette opinion fut développée longuement par Osmond et par lui-même, au cours des séances du Comité d'Etudes de la Commission des méthodes d'essais des matériaux. Dans la séance du 14 décembre 1895, M. Pourcel cita les chiffres surprenants qu'il avait obtenus dans les essais de ses frettes en acier moulé et traité . Il ajouta que les Suédois fabriquaient à Bofors des tubes de canon en acier à 3 % de nickel, et 0,30 % de carbone. Ces tubes, après traitement, sans laminage ni forgeage, donnaient une limite élastique de 45 kg., une résistance de 70 kg. et un allongement de 25 %. M. Pourcel concluait : « Le travail mécanique, laminage ou martelage, ne donne ces propriétés qu'à la température où le métal subit l'écrouissage. C'est là une déformation moléculaire, plutôt qu'un arrangement moléculaire ». La Commission se rendit en partie à ses arguments, en admettant un peu plus tard que le corroyage de 1 à 3 ou même de 1 à 2 était en général suffisant.

En résumé, comme le font observer si bien MM. de Loisy et Portevin dans leur article sur M. Pourcel (Revue de Métallurgie, avril 1924) : « Si les inventions de Bessemer, Martin et Thomas ont créé la fabrication du métal fondu, ce sont les études de M. Pourcel qui ont créé la pratique permettant d'obtenir du métal sain en lingots et en pièces moulées. » — « Il convient de remarquer que les découvertes de M. Pourcel constituent encore les principes fondamentaux qui gouvernent la pratique des additions, tant pour calmer l'acier que pour éliminer les inclusions ».

III.- LE PHOSPHORE DANS L'ACIER.- LA DÉPHOSPHORATION. - LES PREMIÈRES COULÉES D'ACIER MARTIN BASIQUE DÉPHOSPHORÉ.

C'est au cours de la période qui s'étend de 1870 à 1890, que s'élaborèrent les théories fondamentales de la composition de l'acier. Nous avons vu quelle part avait prise M. Pourcel dans l'évolution des idées concernant le manganèse et le silicium. C'est à lui que revient, de même, le mérite d'avoir dirigé l'opinion sur la question du phosphore. Il sut porter celle-ci sur le terrain scientifique, et tout en dégageant les principes, il eut aussi le mérite de mettre complètement au point les procédés encore actuellement utilisés.

Les idées sur le phosphore et la déphosphoration étaient à cette époque des plus vagues. Qu'il suffise pour en juger, de citer cette réunion du groupe stéphanois de la Société de l'Industrie minérale où M. Pourcel s'éleva contre les brevets achetés peu de temps auparavant par quelques métallurgistes de la Loire à un américain, M. Sherman. Celui-ci prétendait avoir trouvé le moyen d'éliminer le phosphore d'un bain d'acier, en ajoutant quelques kilogs d'iodure de potassium. M. Pourcel eut cependant beaucoup de peine à montrer l'inanité d'une telle opération et les industriels ne furent pas convaincus.

Dès 1872, M. Pourcel avait eu l'idée d'utiliser pour la fabrication de rails au four Martin acide, des riblons phosphoreux, refusés par des concurrents. Il s'aperçut d'abord qu'une partie des reproches adressés à ce lot provenaient de l'existence d'arsenic, confondu dans le dosage avec le phosphore. Et comme l'arsenic disparaissait à la fusion, l'utilisation de ces riblons était possible. D'autre part, l'aciériste avait également remarqué que la fragilité communiquée par le phosphore aux aciers, aux rails en particulier, s'atténuait lorsque le métal s'adoucissait. Il en conclut qu'il suffisait de pousser l'affinage pour arriver à faire subir aux rails ainsi obtenus les essais de réception à la fragilité. Et l'hypothèse fut pleinement confirmée.

Mais en même temps la pensée de la déphosphoration le préoccupait comme tous les sidérurgistes de l'époque. M. Pourcel fit appel aux recherches de chimie et de thermodynamique auxquelles il s'était livré lors de son entrée au laboratoire. Il entreprit des expériences en vue de reproduire synthétiquement au creuset les conditions de la réalité. Il s'intéressa à toutes les opinions émises, à toutes les tentatives effectuées en France et en Angleterre. Et ainsi, il dégagea les principes qu'il exposa pour la première fois, avec une autorité qui fit sensation, dans sa note du 14 août 1879 à l'Iron and Steel Institute. Qu'il soit permis d'en citer ici quelques extraits :

Dans la déphosphoration, il y a à tenir compte de trois éléments essentiels :

1° La composition chimique de la scorie ;

2° La température du milieu où l'on opère ;

3° L'atmosphère dans laquelle les réactions se passent.

Chacun de ces éléments peut entrer dans le problème avec un signe conventionnel, positif ou négatif, le signe positif étant attribué à la scorie basique, à la température élevée et à l'atmosphère réductive, tandis que le signe moins sera celui d'une scorie acide, d'une température moins élevée et d'une atmosphère oxydante.

Maintenant, suivant les circonstances dans lesquelles on se placera, suivant l'appareil où l'on opérera et l'état physique du produit final que l'on voudra obtenir, l'un des trois éléments entrera comme une donnée du problème tandis que les deux autres en seront les variables.

Posée de cette façon, la question de la déphosphoration, dans chacun de ses cas particuliers pourra, pour ainsi dire, être mise en équation et sa solution être étudiée d'une façon méthodique.

Je prends comme premier exemple le haut fourneau. Mon exemple parait peut-être paradoxal, car on ne déphosphore pas au haut fourneau ! En effet, on ne déphosphore pas, mais avec le même minerai, suivant les conditions de température, on peut obtenir de la fonte ou grise, ou traitée, ou blanche, ou froide et caverneuse, dont la teneur en phosphore varie souvent dans le rapport de 3 à 1. Est-ce la composition basique du laitier qui a l'influence prédominante dans ces résultats, ainsi que l'a cru le célèbre Berthier et l'ont enseigné, d'après ce grand maître, les professeurs les plus autorisés?

Non : C'est la température. Une température élevée, nécessaire à la production de la fonte très grise avec un laitier calcaire agit essentiellement dans l'atmosphère réductive du haut fourneau pour réduire l'acide phosphorique combiné, soit à la chaux soit à l'oxyde de fer peu importe, et faire passer tout le phosphore dans la fonte sans qu'il en reste de traces dans le laitier. Lorsque la température diminue, que le poids du minerai par rapport au coke augmente, sans que le vent soufflé soit plus froid, la fonte passe du gris au truite, du truite au blanc, et du blanc à la texture caverneuse ; et la fonte truitée a moins de phosphore que la fonte grise, la fonte blanche moins que la fonte truitée, la fonte froide et caverneuse moins encore que la fonte blanche.

Le laitier noircit, se charge d'oxyde de fer et s'enrichit en même temps de plus en plus en acide phosphorique. Est-il basique, au moins ? Pas du tout, il contient souvent plus de 40 % de silice et ce n'est pas quand il en contient davantage qu'il est moins chargé en acide phosphorique. La relation entre la silice et les bases ne joue en cette circonstance qu'un rôle secondaire, c'est la température qui joue le rôle principal.

Mais le Dr Percy pense que le manganèse peut, comme le fer, retenir le phosphore dans le laitier : l'expérience ne le prouve malheureusement pas.

Voici ce que m'a enseigné l'expérience : Quand j'ai commencé la fabrication du ferro-manganèse au haut fourneau, en avril 1870, j'ai obtenu presque aussitôt de la fonte à 62 % de manganèse. C'était beau mais c'était coûteux, car on n'utilisait pas plus de 50 %du manganèse métallique entré dans le haut fourneau et le reste passait, soit dans les poussières entraînées, soit dans le laitier. Ainsi le laitier contenait environ 30 % d'oxyde de manganèse, c'était donc le cas de vérifier s'il renfermait de l'acide phosphorique et si réellement le manganèse avait connue le fer le pouvoir d'entraîner l'acide phosphorique avec lui. On rechercha donc le phosphore dans ce laitier surchargé d'oxyde de manganèse, on répéta les analyses, mais on ne put en découvrir des traces. La conclusion à tirer est naturellement que le manganèse ne retient pas le phosphore dans le laitier.

De plus, quelle que soit la basicité du laitier, quelque grande que soit la quantité de chaux qu'il renferme, il ne saurait entraîner avec lui la plus faible trace de phosphore. Dans la fabrication du ferro-manganèse riche, à 80 ou 85 % de manganèse, alors que le laitier renferme seulement 20 à 22 % de silice et souvent plus de 40 % de chaux avec d'autres bases alcalino-terreuses, tout le phosphore passe dans la fonte.

Il me paraît démontré qu'au haut fourneau, où le troisième élément (atmosphère réductive) du problème entre comme donnée avec le signe positif, des deux éléments qui interviennent comme variables celui qui a l'action prépondérante, c'est la température.

Mes observations ont porté pendant cinq ans sur les fontes fabriquées en France aux hauts fourneaux de Lavoulte et du Pouzin, avec des minerais toujours semblables à eux-mêmes ; et régulièrement j'ai pu constater que la fonte grise, à gros grains, enfermait environ 0,60 % de phosphore ; la fonte traitée 0,38 à 0,40 ; la fonte blanche 0,30 à 0,32 ; la fonte froide caverneuse, 0,18 à 0,20.

Eu résumé, dans ce cas particulier du problème, où l'on opère dans une atmosphère réductive, où, par conséquent le troisième élément est parfaitement déterminé avec le signe positif, la déphosphoration est fonction inverse de la température, second élément, tandis que la composition chimique de la scorie qui n'a qu'une influence secondaire sur le résultat joue le rôle de variable indépendante.

Le problème se pose dans des conditions analogues au four catalan, où, au lieu de fonte, le produit est du fer. On n'obtient dans cette opération qu'une réduction imparfaite du minerai, et si les phosphates de fer peuvent être en partie réduits à basse température, comme généralement le phosphore est présent dans les minerais surtout à l'état de phosphate de chaux, à peu près tout l'acide phosphorique reste dans le laitier. Le phosphate de chaux est en effet irréductible par l'action combinée de la silice et de l'oxyde de carbone ; il faut opérer le mélange intime du carbone et de la silice avec le phosphate de chaux pour mettre le phosphore en liberté et déterminer sa combinaison avec le fer sous l'influence d'une haute température.

En résumé, pour revenir à l'idée synthétique qui me conduit dans cet exposé, ce qui caractérise le problème de la déphosphoratiou appliqué aux méthodes directes, c'est le signe positif avec lequel le troisième élément (atmosphère réductive), entre comme donnée dans le problème. On opère dans une atmosphère essentiellement réductive dont l'action varie avec l'intensité de la température : il faut une température modérée pour obtenir un métal exempt de phosphore, et quant à la composition chimique de la scorie à laquelle on a voulu faire jouer le rôle principal, elle n'a qu'une influence des plus secondaires et souvent nulle.

Le second exemple du problème de déphosphoration appliqué aux méthodes où le troisième élément entre comme donnée, avec le signe moins, c'est-à-dire où les réactions se passent dans une atmosphère oxydante, offre un aussi grand nombre de cas particuliers que le premier.

La fabrication du fer par l'affinage de la fonte s'est opéré au bas-foyer, puis au four à réverbère chauffé avec de la houille, enfin au four rotatif.

Au four à puddler, par exemple, on exagère à un moment donné la quantité d'acide carbonique au moyen d'un tirage énergique.

Cependant, aucun fabricant de fer ne contredira qu'une fonte étant donnée, le fer qui en provient est d'autant meilleur qu'il a été obtenu à plus haute température, et ce qui résulte des nombreuses études chimiques qui ont été faites sur la fonte et le fer aux différentes phases de l'opération du puddlage peut se résumer ainsi :

1° Avoir soin de rejeter la première scorie qui se forme pendant la fusion de la fonte ; cette scorie entraîne environ la moitié du phosphore.

2° Ajouter une scorie affinante pure et obtenir son contact intime avec la fonte par un moyen mécanique ou autre.

3° Quand le fer prend naissance, renouveler encore la scorie et maintenir la température aussi élevée que possible pour former les boules dans une scorie très fluide qui s'écoule facilement.

La composition chimique de la scorie a une influence directe sur la déphosphoration ; il la faut basique, au besoin avec un peu de manganèse pour augmenter sa fluidité, mais surtout basique par le fer.

L'introduction du manganèse facilite le départ du phosphore au puddlage, mais son action est moins chimique que physique.

Presque toute la silice présente étant neutralisée par le manganèse laisse une plus grande action à l'oxyde de fer affinant pour agir sur les corps oxydables qui restent dans la fonte c'est-à-dire à peu près tout le carbone et de faibles quantités de manganèse, silicium et phosphore.

Ainsi le problème était nettement posé et les principes de la déphosphoration scientifiquement énoncés. En même temps, ils étaient appliqués aux grands cas particuliers avec un discernement et un jugement de praticien. Cette communication fut traduite en toute langue et valut à M. Pourcel d'innombrables objections, d'interminables discussions auxquelles il se prêta avec tout le dévouement du savant.

Mais un événement considérable en cette matière, allait marquer cette année 1879; l'invention de Thomas et de Gilchrist. M. Pourcel ne manqua pas de lui accorder, dès le début, toute l'attention qui convenait. Voici comment il tint à faire connaître lui-même cette découverte qu'il considérait à juste titre comme primordiale (Communication à la séance du 7 juin 1879, du groupe stéphanois de la Société de l'Industrie minérale) :

Au meeting de l'Iron and Steel Institute, tenu à Paris au mois de septembre 1878, MM. Thomas et Gilchrist, chimistes anglais, présentèrent sur la question de l'élimination du phosphore au convertisseur Bessemer une communication qui, faute de temps, ne fut pas lue et passa pour ainsi dire inaperçue.

Cependant quelques journaux techniques anglais et américains donnèrent des extraits du travail de MM. Thomas et Gilchrist ; mais ce qui le fit connaître en France et attira l'attention des métallurgistes, ce fut l'analyse qu'en donna M. Gruner à la Société d'encouragement, à la séance du 28 novembre dernier.

A la suite de cet exposé du nouveau procédé de déphosphoration qui vient d'être publié un peu amplifié dans le dernier numéro des Annales des Mines, j'écrivais à notre vénéré maître, que : « Comme lui je croyais résolu le problème chimique de déphosphoration au convertisseur, mais que la consécration pratique ne me paraissait pas encore bien acquise.

Voilà ce que j'écrivais le 13 septembre dernier. Je revenais sur ce fait théorique que j'avais signalé à l'Industrie minérale en mai 1877, en rendant compte des essais de déphosphoration de M. Lowthian Bell : « Qu'à l'influence de la composition chimique de la scorie il fallait ajouter celle de l'action réductrice de l'oxyde de carbone dans toute opération où l'on veut obtenir simultanément la déphosphoration et l'affinage complet, c'est-à-dire avoir liquide un métal doux et déphosphoré. »

Je reviens au procédé Thomas et Gilchrist. Comme je l'ai dit, ce procédé passé inaperçu au mois de septembre dernier a reparu complété par de nouvelles expériences, avec un retentissement inouï au dernier meeting de l'Iron and Steel Institute, tenu les 7, 8 et 9 mai dernier à Londres.

Je viens d'en esquisser, en quelques mots, le principe théorique. En résumé, pour arriver à un métal malléable fondu, en partant d'une fonte phosphoreuse et siliceuse, il faut affiner dans un milieu neutre ne pouvant jouer le rôle à l'égard de l'oxyde de fer, ni de base, ni d'acide, disposer d'une action oxydante très énergique et pouvoir la prolonger jusqu'à ce qu'elle annule linfluence réductrice de l'oxyde de carbone produit intermoléculairement par l'action réciproque du carbure sur l'oxyde de fer.

Les expériences de MM. Thomas et Gilchrist ont été faites au convertisseur Bessemer, fixe ou mobile. Je n'en reproduirai pas l'historique, donné à l'Iron and Steel Institute ; je me contenterai d'en faire apprécier le résultat pratique par la description détaillée d'une des opérations que j'ai suivies à l'usine Bolkow et Voghan, à Eston, dirigée par M. Richards.

En résumé, les deux points essentiels que, j'ai signalés en commençant ressortent nettement de l'étude des différentes phases de l'opération qui vient d'être décrite :

1° La neutralisation de la silice provenant de l'oxydation du silicium de la fonte, par un mélange de chaux et d'oxyde de fer (Cet oxyde de fer est du Blue-Billy, ou résidu de grillage pyrites, riche en fer et ne renfermant que 4 à 5 % de Sio3, et 0,5 de S) qui paraît répondre au but proposé ;

2° Le sursoufflage ou action oxydante prolongée qui détermine la scorification du phosphure de fer.

La neutralisation de la silice entraîne la production d'une grande quantité de scorie qui tient dans le convertisseur un volume considérable et diminue son effet utile dans la proportion de 1/4 à 1/3.

Le sursoufflage augmente la proportion de peroxyde de fer dissous dans le bain de métal et nécessite, par suite, l'addition d'une quantité considérable de manganèse qui devrait être porté à 2 ou 3 % en marche courante pour risquer le moins possible d'avoir un produit rouverin.

Je passe sur les inconvénients résultant :

...................................................

des explosions que détermine l'addition du spiegel : inconvénients inhérents à l'opération, que l'on peut apprécier plus ou moins grands suivant les circonstances dans lesquelles on opère, mais qui pourront disparaître un jour.

Un fait à remarquer : c'est que le métal est plus phosphoreux après qu'avant l'addition du spiegel, et cependant, le phosphore qu'introduit cette fonte ne peut expliquer une augmentation de teneur dans les proportions marquées. Il faut admettre nécessairement qu'une partie du phosphate de fer de la scorie est réduite sous l'action de l'énorme quantité de CO qui se dégage du bain et traverse la couche de scorie au moment où l'on ajoute la fonte manganésée. Voilà donc encore une preuve de plus qu'il faut réduire au minimum de dégagement de CO dans la masse de métal en fusion, faire dominer l'action oxydante pour que le phosphore puisse passer et demeurer dans la scorie, et que si le phosphore s'y incorporait à l'état de phosphate de chaux, il est évident que ce phénomène de réduction instantanée ne se produirait pas.

Bien que mon opinion soit en contradiction directe avec les assertions formulées à la séance du 5 avril de la Société de l'Industrie minérale, je répéterai ce que j'ai dit au meeting de Londres : « que la chaux après avoir joué son rôle de base neutralisante dans la première période de l'opération afin de préserver le revêtement de toute action corrodante de la part de la silice, ne joue plus qu'un rôle passif dans la période du sursoufflage. Le phosphate de chaux est un corps absolument infusible, dont aucune affinité ne semble devoir ici provoquer la formation, que la chaux soit libre, ou qu'elle soit combinée avec la silice ».

Dans quelque milieu que l'on opère et quelque faible que soit la teneur en silice de la scorie, en la supposant nulle, même, c'est toujours sous l'action d'une énergique oxydation, et lorsque le carbone est réduit à son minimum, que le phosphore de fer se scorifie. Par conséquent, la période de sursoufflage est et restera la caractéristique de la méthode de déphosphoration au convertisseur Bessemer.

La déphosphoration au convertisseur Bessemer est un fait acquis à la science.

M. Pourcel fut frappé, on le voit, par les explosions et la rephosphoration qui se produisaient au moment de l'addition du spiegel. Il assimila un peu plus tard ces phénomènes à ceux que l'on constatait au Martin au moment de l'addition, et il supprima totalement cet inconvénient en conseillant l'emploi du silico-spiegel au lieu du spiegel. Ainsi, grâce à lui, une amélioration très intéressante fut apportée au procédé Thomas.

Cet exposé et sa critique, que nous regrettons de n'avoir pu citer ici que par fragments, eurent autant de succès que celui de Thomas et Gilchrist lui-même, tant était grande l'autorité du maître en cette matière. Et il eut à répondre encore à d'innombrables questions. Il s'y prêta de bonne grâce, même pour les plus futiles. C'est ainsi que le 6 septembre 1839, un de ses collègues de la Société de l'Industrie minérale ayant exprimé le regret que le procédé Thomas ne fût pas français, M. Pourcel répliqua qu'un Français pouvait revendiquer la paternité de l'idée, et il cita comme preuve une lettre curieuse écrite en 1869 à M. Jouguet, directeur du groupe du Gard des usines de Terrenoire, par un ingénieur de Paris, M. Muller:

« Il est certain, et M. Gruner l'a écrit dans son livre de l'acier, que l'enveloppe joue un très grand rôle dans les réactions Bessemer. Il est impossible actuellement de traiter au convertisseur des fontes ordinaires phosphoreuses, parce que les scories acides qui se forment empêchent l'existence des phosphates ; de plus, à cause de ces mêmes scories acides, il n'y a qu'une très petite quantité de soufre éliminé. On est donc amené à employer des fontes pures d'un prix élevé.

Les scories sont acides parce qu'elles trouvent toujours dans la garniture un excès de silice qui se dissout : comme à cette température élevée la silice peut décomposer tous les sels, les phosphates formés par l'oxydation directe sont décomposés et le phosphore mis en liberté rentre dans le métal.

« En construisant au contraire la garniture intérieure du convertisseur en matière basique, en magnésie pure (ou du moins ne renfermant que quelques centièmes d'impureté) ; comme la silice sera limitée à celle provenant du silicium de la fonte, on aura des scories basiques par suite probablement des phosphates stables, et par conséquent on peut espérer faire passer tout le phosphore et tout le soufre dans les scories et obtenir des aciers débarrassés de ces corps. Il devient alors possible de recarburer autant qu'on veut et d'obtenir avec des fontes inférieures un acier bien supérieur au métal Bessemer ordinaire. »

Il était naturel qu'ayant acquis pareille maîtrise de la question. M. Pourcel cherchât à appliquer à ses fabrications les principes qu'il avait si bien dégagés.

C'est ce qu'il fit en 1879, en construisant la première sole basique de four Martin et en réalisant ainsi la première coulée d'acier doux déphosphoré (En même temps que M. Pourcel d'autres métallurgistes avaient cherché à mettre au point le procédé utilisant la sole basique ; on ne peut passer sous silence les efforts de Valrand et de Lencauchez).

Cet événement, car c'en est un, aurait dû être signalé à l'attention générale ; trop occupé par la direction d« l'usine de Terrenoire, M. Pourcel n'eut pas les loisirs nécessaires pour publier la nouvelle méthode qu'il avait mise au point pour toujours. Mais l'aciérie basique d'Alexandrowsky installée et mise en marche par Valton, avec le concours d'une équipe de Terrenoire devint en quelque sorte l'usine de démonstration du nouveau procédé, et ses fabrications furent jalousement décrites dans tous les organes techniques étrangers.

Il faudrait citer en entier l'un de ces articles, par exemple celui de Tellander qui parut en 1882, en Suède, dans « Iern Kontoret Annalers ». Seul un aciériste Martin peut apprécier à cette lecture la perfection de la mise au point, qui a fait subsister jusqu'à plus de 47 ans de distance, les plus infimes détails.

« Depuis un an la déphosphoration des fontes phosphoreuses et autres matières premières phosphoreuses est pratiquée à une grande échelle au four Siemens-Martin à Alexandrovvsky. On a déjà produit plus de 14.000 tonnes d'après ce procédé et comme on a eu ainsi l'occasion de l'étudier parfaitement et que le reproduire est d'une excellente qualité sous tous les rapports, une communication à ce sujet ne manquera pas d'intérêt. La fusion a lieu dans les mêmes fours qu'autrefois, seulement le fond et les parois sont construits à l'aide d'une masse composée de dolomie et de goudron de houille, remplaçant l'ancien revêtement siliceux.

La masse basique se compose de dolomie en mélange avec 17 à 18 parties en poids de goudron de houille. La dolomie préalablement fortement calcinée est réduite en morceaux de la grosseur d'un pois et mélangée avec des goudrons parfaitement liquides et préalablement chauffés de telle sorte qu'elle en soit complètement humectée. Le mélange a lieu sur une table en plaques métalliques, établie sur un foyer à grille ; plus la dolomie est mal calcinée et plus elle est finement pulvérisée, plus il faudra de goudron et vice-versa. »

On ne peut s'empocher de conclure par la remarque que faisait un jour M. Pourcel, en citant un texte d'un précurseur :

« Ces phrases contiennent quelques passages assez rares qui ont un peu vieilli, mais il ne faut pas oublier que ces lignes ont été écrites il y a longtemps ; l'ensemble est complètement moderne ».

M. Pourcel ayant ainsi réalisé la déphosphoration au « Scraps-process », l'aurait facilement étendue à l'« Ore-process », si les circonstances lui en avaient donné l'occasion. Mais ni à Terrenoire, ni dans aucune usine de la région cette seconde méthode n'était employée. Du reste, en 1883, il quittait Terrenoire pour l'Espagne et la direction de l'usine de Bilbao l'absorba tellement qu'il lui fut impossible pendant cette période de poursuivre ses recherches. Ce ne fut qu'en 1888 qu'il reprit en Angleterre la question au point exact où il l'avait laissée. Les Anglais cependant, dans l'intervalle, ne s'en étaient point désintéressés, mais ils avaient maladroitement appliqué à l'« Ore-process » ce qu'ils avaient vu pratiquer au « Scraps-process ». Voici du reste ce qu'en disait M. Pourcel à son retour d'Angleterre en 1891 : (Note présentée à la Société des ingénieurs civils en 1891)

En 1887, M. Wailes fit, au meeting d'automne de l' « Iron and Steel Institute », tenu à Manchester, une communication emphatique qui fut accueillie avec le même enthousiasme qu'eut excité la révélation d'un procédé nouveau. C'est que les métallurgistes anglais étaient bien aise d'apprendre qu'on avait enfin rendu pratique une fabrication que bon nombre d'entre eux, pour l'avoir vue de leurs yeux, savaient être en marche courante dans plusieurs usines du continent depuis longtemps déjà. C'était surtout l'usine d'Alexandrowski près de Saint-Pétersbourg, qui avait été l'objet d'un pèlerinage de leur part, parce qu'on y traitait des fontes du Cleveland et M. Gilchrist avait été un des premiers à l'accomplir.

La communication de M. J.-W.Wailes avait pour but non pas de faire connaître comment étaient résolues les difficultés pratiques du nouveau procédé, mais d'apprendre que c'était lui, M. J.-W. Wailes qui les avait vaincues en se servant d'un four rond, à sole fixe et à voûte mobile (le contraire du four Pernod), breveté par lui et MM. Batho, J. Riley, etc. Des réactions, il n'en était pas question, attendu « qu'elles sont du domaine du chimiste plutôt que de l'ingénieur », et M. Wailes est ingénieur, c'est-à-dire homme technique, s'intéressant principalement aux questions de mécanique et de construction. Cependant, il ne peut s'empêcher de manifester naïvement l'étonnement que lui causent les résultats obtenus : « Quand on constate, dit-il, que c'est avec quatre-vingts parties d'une fonte renfermant 0,15 de soufre et 3,75 de phosphore, et vingt parties de bons riblons, que l'on obtient un excellent métal doux, on peut alors s'imaginer l'effet que produit sur le métal « une énergique oxydation sous l'influence d'une température très élevée. »

En quelques mois, on vit se monter des fours Siemens-Martin dans la plupart des usines du Stalffordshire ; et, naturellement, puisque la forme ronde avait fait ses preuves à Wednesbury, c'est celle-là qui fut uniformément adoptée. Mais l'engouement ne fut pas de longue durée.

M. W. Richards, d'Eston, manifesta alors tous ses regrets d'avoir cru trop facilement sur parole les déclarations optimistes de M. J.-W. Wailes. Il avait, lui aussi, monté un four rond de dix tonnes, dont la marche avait été désastreuse. La chaleur était rien moins qu'uniforme dans le laboratoire où la flamme suivait le plus court chemin sans s'étendre sur les côtés, et l'opération de la coulée demandait chaque fois deux, trois et même quatre heures de travail.

En ovalisant le four, on n'avait pas obtenu d'amélioration sensible dans la marche, et finalement, bien qu'il y eût plus de difficulté à maintenir le garnissage basique dans un four de forme rectangulaire, c'est à cette solution qu'il avait fallu arriver pour obtenir enfin des résultats pratiques.

En résumé, on voit que pour le procédé basique comme pour le procédé acide, le succès de l'opération avait été longtemps retardé en Angleterre par les difficultés de construction et d'entretien inhérentes à la forme massive, à la cuvette profonde que comporte le four Siemens-Martin pour le mode de travail qu'on y pratique.

M. Pourcel, lors de sa mission en Angleterre, n'eut pas de peine à diagnostiquer le mal et à indiquer les remèdes. Il conseilla d'augmenter la surface d'oxydation du bain, fît décrasser soigneusement avant l'addition afin d'éviter la rephosphoration, et il contribua ainsi à mettre au point l' « Ore-process » sur sole basique.

De tout ce qui précède, il résulte que M. Pourcel fut un des maître incontestés de la déphosphoration. C'est lui qui appliqua le premier au four Siemens-Martin le revêtement basique et qui fixa pour toujours avec Valton les méthodes de l'opération déphosphorante. Et ce n'est pas là un maigre titre de gloire, à notre époque, où plus de la moitié de la production mondiale de l'acier est obtenue par le procédé Martin basique.

IV. - LA SÉGRÉGATION.

Il est impossible de mieux résumer les travaux effectués par M. Pourcel sur cette question, en collaboration avec Valton, qu'en citant les principaux passages du mémoire qu'il présenta le 10 mars 1892 à la Commission des méthodes d'essais des matériaux de construction. Cette étude, pleine d'idées nouvelles pour l'époque et de vues dont l'avenir confirma l'exactitude, constitue le résumé de tout ce qui a été dit sur la question jusqu'à nos jours.

Les phénomènes de liquation que l'on a constatés dans les lingots de toutes dimensions, d'acier ou de fer fondu, mais qui sont naturellement plus accusés dans les lingots de grand poids, bien qu'ils aient été signalés depuis les commencements de la production en grande masse de l'acier, au Bessemer et au Martin Siemens, n'ont été étudiés avec quelque soin que depuis peu d'années seulement.

Ce sont les Anglais et les Américains qui ont les premiers publié les résultats de leurs investigations sur ce genre de phénomène, auquel ils ont donne le nom de ségrégation.

HISTORIQUE DE LA QUESTION. - D'après Tchernoff, avec qui nous nous étions longuement entretenus de la question en 1878 à propos de blindages en acier coulé de fortes dimensions, destinés à la marine italienne, que nous lui montrions à Terrenoire, Kalakoudsky aurait signalé, dès 1866, le manque d'homogénéité des lingots d'acier Bessemer, surtout coulés dans des moules en sable.

Notre attention sur les phénomènes de liquation avait été éveillée en 1869 par un fait assez surprenant qui s'était reproduit sur la presque totalité d'un certain nombre de lingots d'acier pour rails venus de Sireuil (usine de MM. Pierre et Emile Martin) pour être laminés à Terrenoire. Au chauffage ou à la première cannelure du laminoir, une tranche de 6 à 10 centimètres d'épaisseur se séparait de la tête de chaque lingot. Ensuite, généralement, la chute du rail provenant de la partie supérieure du lingot était fragile, tandis que la chute provenant du fond du lingot supportait admirablement les essais du P.-L.-M.

Ces observations nous conduisirent, à Terrenoire, à adopter en 1870 un dispositif particulier pour les lingots Bessemer destinés à forger des canons pour la défense nationale. Le métal était coulé dans une lingotière en fonte de forme tronconique, à section hexagonale, à parois très épaisses, coiffée d'un moule en sable étuvé et d'un volume égal à la moitié de celui de la lingotière.

Ainsi, en plus du poids du métal exigé pour le lingot destiné à fournir le canon, on en coulait encore un poids égal à la moitié, dans une enveloppe portée au préalable au rouge, afin de le conserver fluide le plus longtemps possible après la solidification de la masse contenue dans la lingotière.

Ce dispositif servait toujours à Terrenoire pour couler les lingots de tous poids destinés à des arbres forgés.

Il est bien évident qu'il n'évite pas absolument la liquation partielle qui se fait dans le centre du lingot, principalement dans les zones voisines de la partie coulée en sable, servant de masselotte ; mais c'est là un inconvénient sans conséquence pour les canons et de peu d'importance pour les arbres forgés, puisque dans le premier cas la matière non homogène disparaît dans le forage de la pièce ; et, dans le second, elle se trouve dans la région des fibres neutres du solide.

L'accident arrivé aux chaudières du Lividia fut le point de départ de discussions très vives qui s'engagèrent en Angleterre sur les causes du défaut d'homogénéité des tôles d'acier. Telles qu'on les demandait alors pour la construction des chaudières, avec une résistance minima de 42 kilogrammes, 25 % d'allongement et le pliage à bloc après trempe, une tôle sur dix rarement donnait ces résultats d'essai, de sorte que, généralement, on s'arrangeait pour prendre les essais pour la traction en haut de la tôle, et les essais pour la trempe à la partie inférieure.

On voulut attribuer aux souillures la cause principale des défauts constatés dans les pièces forgées ou laminées, rails ou tôles en acier dur ou doux, mais doux principalement.

Cependant, au meeting de l'Iron and Steel Institute, tenu à Londres au printemps de 1881, M. Stubbs, de Manchester, mit le doigt sur la plaie en mentionnant les résultats hétérogènes d'analyses faites sur différentes parties d'un lingot de forte section. Il cita des chiffres. Une prise d'essai, faite à 60 centimètres environ de la tête d'un lingot de 2 m, 3o de hauteur, avait donné à l'analyse des résultats très différents de ceux d'une prise d'essai faite à 70 centimètres du fond :

C Mn Si S Ph

haut........................... 0.92 0.535 0.043 0.161 0.261 bas.................. ......... 0.37 0.498 0.006 0.025 0.096

ORDRE DE SÉGRÉGATION DES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DE L'ACIER.- Il n'existe pas de loi absolue suivant laquelle se liquatent les différents corps métalloïdes et métaux qui entrent dans la composition des aciers industriels ; mais la moyenne d'un grand nombre d'observations a démontré que l'ordre de ségrégation est à peu près le suivant : carbone et phosphore, soufre, silicium et manganèse. Le cuivre se liquate facilement quand il entre dans de notables proportions. On donne de l'homogénéité aux aciers, au cuivre en ajoutant une faible proportion d'aluminium. Il est également difficile d'obtenir des masses homogènes avec des aciers au chrome, au tungstène ; mais ces alliages sortent du cadre de notre étude.

A QUEL MOMENT SE FAIT LA SÉGRÉGATION ? - Elle s'opère pendant le refroidissement de la pièce moulée et elle s'accuse dans les parties qui se solidifient les dernières. Le professeur Howe donne des exemples qui démontrent l'homogénéité du métal dans la poche de coulée. En effet, nous l'avons constaté bien des fois, pour des aciers doux, le métal sorti le premier de la poche de coulée ne diffère pas sensiblement de celui qui en sort le dernier.

Du reste, si la ségrégation est surtout accusée, dans un lingot, à sa partie centrale et autour du vide de retassement, on peut constater aussi des différences de composition chimique portant principalement sur les teneurs en C et Ph, dans les prises faites en différents points d'une tranche horizontale. Il semble donc que l'homogénéité soit une qualité à peu près impossible à réaliser dans un bloc d'acier.

CONSÉQUENCE DU PHÉNOMÈNE DE SÉGRÉGATION. - Le métal-mère, contenu dans l'appareil où il a été formé, convertisseur Bessemer ou four à sole, est à peu près homogène. Dans la poche de coulée on peut l'obtenir avec une homogénéité parfaite. Mais sous forme de lingot ou de pièce moulée, une fois solidifié, le bloc de métal présente des parties plus douces et moins souillées d'éléments étrangers, que le métal-mère ; tandis que d'autres au contraire, en diffèrent absolument et même ne rappellent plus du tout.

En résumé, il paraît impossible de soustraire au phénomène de ségrégation l'acier coulé, dur ou doux, soit en grande ou en petite masse. Même pour l'acier à outil, fondu au creuset et coulé en petits lingots de 30 à 40 kilogrammes, il est rare de rencontrer une barre de 2 à 3 mètres d'une parfaite homogénéité. L'examen microscopique décèle des différences entre deux échantillons pris à des places voisines d'une pièce martelée ou laminée. On a donc affaire à un mal inévitable, mais dont on petit cependant atténuer en grande partie les effets en le localisant.

CONCLUSIONS. - C'est le dispositif inauguré à Terrenoire en 1850 qui a été universellement adopté pour atténuer les effets les plus accentués de la ségrégation, dans l'obtention des plus gros blocs d'acier pour blindages et canons de gros calibre. Le succès, pour cet outillage d'une importance primordiale, ne s'est pas affirmé sans bien des défaillances, et aujourd'hui encore on est loin, pour les blindages surtout, de se contenter du résultat acquis. La trempe a été mise en cause avec juste raison ; mais la trempe ne peut pas uniformiser les résistances au choc d'un bloc qui n'est pas de composition homogène. On connaît le métal qu'il ne faut pas employer ; mais sait-on bien quel est celui dont la composition chimique répond exactement à l'emploi? Dans tous les cas, le métal qui forme le corps du blindage fini diffère du métal préparé dans le four, et l'on voit que le problème ainsi posé : « Quel est le métal-mère qui doit donner un bloc d'une composition déterminé? » n'est pas facile à résoudre, attendu que la solution dépend de bien des variables. Un même métal-mère peut fournir des pièces coulées de composition différente.

Dans les canons de gros calibre si, en outre de la partie coulée en sable, dite masselote, on rejette le tiers de la partie supérieure du lingot, on peut obtenir un tube de composition à peu près homogène, puisque la partie centrale est naturellement supprimée par le forage de la pièce. Pour les aciers extra-doux, destinés aux tôles de navires ou aux tôles de chaudières, la solution pour une homogénéité à peu près parfaite s'offre dans l'obtention d'un métal répondant plus exactement à son appellation de métal extra-doux. Il faut reconnaître l'erreur qui a été commise par les grandes industries de construction, soit du domaine privé, soit du domaine de l'Etat, en exigeant d'un métal appelé extra-doux, peu ou point sensible à l'action de la trempe, des résistances de 42 à 48 kilogrammes par milimètre carré de section.

A notre avis, il faut supprimer les conséquences nuisibles de la ségrégation, en diminuant jusqu'aux dernières limites les éléments qui se liquatent.

Sur sole basique ou neutre, en partant d'un bain initial composé de matières à peu près pures, on arrive facilement à obtenir un métal à 1/1.000 de C au plus, ne renfermant le phosphore et le soufre qu'à l'état de trace : 0,020 au plus de Ph et traces de S ; avec 0,10 de Mn. Avec une addition de 1/1.ooo d'aluminium, on peut couler ce métal très calme, sans altérer sa composition ; par conséquent, si du lingot destiné à une tôle de chaudière on retranche encore un quart à un tiers de la partie supérieure où le carbone et le Ph peuvent être portés respectivement l'un et l'autre à 0,120 et 0,020 par exemple, on aura un bloc d'une homégénéité à peu près parfaite.

En opérant de la sorte, nous avons obtenu dans une grande usine du nord-est de l'Angleterre des lingots de deux à trois tonnes, ayant une section carrée de 18 pouces de côté, qui martelés à la presse et laminés ensuite en billettes, ont servi presque sans déchet, à fabriquer des fils pour câbles télégraphiques homogènes en tous points.

Nous estimons que notre savant collègue, le regretté M. Cornut, avait rédigé pour l'Association des propriétaires d'appareils à vapeur du nord de la France le cahier des charges renfermant les conditions les plus convenables pour le métal à chaudières.

L'allongement en long sur tôle ne devrait jamais être inférieur à 30 % sur 20 centimètres ; quant à la résistance, 40 kg. par millimètre comme maximum nous paraît un chiffre encore trop élevé.

Pour les tôles à navire, quelque importance qu'il y ait à avoir un métal plus résistant afin de diminuer les épaisseurs et de gagner sur le poids mort, notre opinion est que l'on sacrifie trop à cette considération si l'on met en ligne de compte :

1° Le travail plus facile et plus sûr pour la mise en oeuvre d'un matériel en métal plus malléable ;

2° L'usure à l'eau de mer qui peut être un cinquième à un quart plus rapide pour un métal à 45 kilogrammes de résistance que pour celui plus doux, plus homogène, qui ne résiste qu'à 38 kilogrammes.

Pour la construction des ponts, notre opinion de l'emploi d'un métal extra-doux vient se heurter contre le desideratum qu'on poursuit, d'avoir pour ce matériel un métal à limite élastique élevée. Mais, cependant, ce n'est pas en augmentant la dureté au delà d'une certaine limite, même très restreinte, qu'on a voulu jusqu'à présent, demander cette précieuse qualité mécanique au métal de pont. Pourquoi ne pas choisir un nouvel alliage ? Déjà l'acier au chrome a fait ses preuves. Et quand dans un métal pur, comme celui de chaudière, on a introduit 2/1000 à 4/1000 de chrome, on a obtenu des blocs homogènes, et élevé très notablement la limite élastique jusqu'aux deux tiers de celle de rupture sans altérer sensiblement l'allongement.

La voie des alliages peut fournir au métal destiné aux constructions civiles des solutions très variées et avantageuses.

Comme dernière conclusion de cette étude sommaire, nous ferons remarquer que les essais de traction et les essais mécaniques en général peuvent déterminer a priori les qualités intrinsèques d'une masse de métal fluide, mais non pas celles d'un bloc de métal solide, soit brut, soit travaillé.

Il faut remarquer les observations sur les conditions de réception des tôles de chaudières, qui furent étendues à tous les cahiers des charges et les prévisions sur l'emploi des aciers spéciaux dans la grande construction, appliquées depuis en Amérique.

Cette note fut traduite en anglais et présentée la même année au meeting de Chicago de l'American Institute of Mining and Metallurgical Engineers. Elle eut un retentissement considérable et fut l'origine de nombreuses et importantes discussions qui se poursuivirent aux Etats-Unis pendant deux ans, sans infirmer une phrase ni ajouter une idée.

V. - QUESTIONS ET TRAVAUX DIVERS.

A côté des grands problèmes d'une importance vitale pour la métallurgie, auxquels M. Pourcel apporta une solution souvent définitive, se placent un certain nombre d'innovations ou d'études dont il nous reste à donner quelques exemples.

Emploi du mélangeur. - Pendant son séjour en Angleterre en 1888. M. Pourcel eut l'occasion d'étudier les fabrications des usines de la « Barow Steel Work in Furness » qui donnaient lieu alors à de nombreux mécomptes. Le vice-président de cette société était sir Lowthian Bell, et le président lord Cavendish, fils du duc de Devonshire, et frère du vice-roi d'Irlande. Tous deux accompagnèrent M. Poureel dans ses visites, pendant les huit jours qu'il passa à la Barow Steel. Les fourneaux avaient alors une allure des plus irrégulières ; il fallait mettre en stock une proportion considérable de coulées jugées inaptes à la production de rails et rebuter, par suite des irrégularités de l'acier, un pourcentage élevé des produits laminés. M. Pourcel découvrit rapidement la source de ces ennuis dans une différence de composition très prononcée des blocs constituant le minerai ; ces blocs étant intimement mélangés dans le gisement leur classement était impossible et il fallait donc se résigner aux irrégularités de composition de la fonte, que cela entraînait. On aurait pu classer les coulées en lots trop chauds et en lots trop froids, en ne passant au Bessemer que les coulées moyennes, quitte à refondre ensuite au cubilot un mélange des deux lots. Mais un moyen plus élégant se présentait : « Je considère, dit M. Pourcel dans son rapport, comme plus pratique l'établissement d'un immense réservoir du système « Edgar Thomson Steel Works's » où seront mélangées les fontes de tous les fourneaux et de toutes les coulées depuis la qualité 1 jusqu'à la qualité 4 en proportion voulue, de façon à ne traiter au convertisseur qu'une fonte à 2 % de silicium et de préférence un peu au-dessous ». Sir Lowthian Bell, métallurgiste éminent, combattit cette idée ; mais lord Cavendish , confiant en M. Pourcel, la fit adopter et le mélangeur fut installé en 1890 avec une capacité de 100 tonnes. Les résultats économiques furent surprenants et sir Lowthian Bell lui-même les exposa au Meeting d'automne de l'Iron and Steel Institute.

Ce mélangeur fut le premier installé en Europe.

Revêtements des fours métallurgiques. - Dans le chapitre traitant du manganèse, nous avons relaté comment M. Pourcel arriva à obtenir industriellement le ferro-manganèse à 83 % en revêtant le haut fourneau de briques de carbone. Ce fut là une idée très féconde puisqu'elle aboutit à la fabrication industrielle du ferro-manganèse.

Nous avons vu également qu'au cours de ses expériences pour obtenir de la fonte à 23 % de chrome, il avait constaté la difficulté de réduction des blocs de chromite insuffisamment concassés, et avait conçu la possibilité d'employer cette substance comme matière réfractaire. Lors de la confection de la première sole basique, M. Pourcel utilisa les propriétés neutres et réfractaires de la chromite pour intercaler un joint isolant entre les matériaux basiques et acides de la sole et de la voûte, qui s'attaquaient. A partir de cette époque, la chromite fut employée avec succès, dans la confection des murs de four Martin, dans le revêtement des cubilots de frittage de la dolomie ou de la magnésie et dans de nombreux autres cas particuliers.

Il faut savoir gré à M. Pourcel d'avoir su doter les métallurgistes d'un matériau nouveau fort intéressant.


De nombreuses autres études furent poursuivies par M. Pourcel et nous ne pourrons qu'en fournir ici une rapide énumération. Elles portent sur les sujets les plus divers, depuis « L'application du Bessemer à la métallurgie du cuivre», jusqu'au « Coke obtenu de la houille grasse comprimée mécaniquement ». Certaines d'entre elles touchent à la chimie : « Analyse des aciers à l'aide des étincelles », ou « L'azote dans le fer et l'acier », d'autres aux questions actuelles : « Emploi du four électrique comme appareil de raffinage de l'acier. »

Certaines présentent une plus grande ampleur, telle « La dessiccation du vent dans les hauts fourneaux », qui fit l'objet de communication à l'Iron and Steel Institute et à l'American Institute of Mining and Metallurgical Engineers.

Quel que fût le problème, M. Pourcel y apporta toujours un rayon de lumière ou émit quelque jugement que l'avenir confirma. Par exemple, à l'aube même du four électrique, M. Pourcel pronostiquait que les aciers ainsi produits remplaceraient un jour les aciers au creuset et lorsque l'idée vint à la mode de dessécher l'air de soufflage des fourneaux, M. Pourcel démontra que le gain obtenu ne compensait pas les dépenses, et arrêta ainsi, dans l'industrie, de coûteux essais.

Telle est l'oeuvre, telle est la carrière de notre grand métallurgiste français.

Dans son oeuvre, M. Pourcel étudia toute la sidérurgie moderne qu'il contribua à créer et à développer. Il fixa à jamais le rôle des constituants essentiels de l'acier, manganèse et silicium ; il donna les premiers moyens industriels de les produire, il sut les appliquer à l'acier moulé et traité. Il établit la théorie de la déphosphoration, et institua le grand procédé du four à sole basique, utilisé aujourd'hui dans le monde entier. Il traita une foule de questions de détail telles que la ségrégation et fit avancer considérablement leur étude.

Les théories établies par M. Pourcel sont aujourd'hui tellement classiques, les découvertes qu'il réalisa sont devenues d'un emploi si courant dans l'industrie qu'on imagine à peine les difficultés qu'il eut à vaincre pour faire admettre ses principes et pour répandre ses procédés. M Pourcel eut un mérite immense à déblayer la science des conceptions naïves comme celles du ferrosum et du ferricum, qui constituaient alors le plus clair de sa substance. Et si le monde entier se plaît à admirer Lavoisier pour avoir remplacé le phlogistique par les grandes lois qui nous paraissent aujourd'hui si évidentes, tous les métallurgistes doivent aussi rendre hommage à M. Pourcel pour avoir édifié des théories et diffusé des procédés dont la banalité actuelle constituent un des plus beaux titres de gloire.

Pareille carrière, semblables résultats auraient dû inspirer à leur auteur un légitime orgueil ; il n'en fut rien. M. Pourcel ne chercha jamais ni la gloire ni les honneurs. A personne mieux qu'à lui ne s'applique la parole de La Bruyère : « La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau, elles lui donnent de la force et du relief. »

Fils de ses oeuvres, M. Pourcel s'éleva sans appui et sans relations par le seul rayonnement de son intelligence et de son savoir. Et l'on ne sait ce que l'on doit le plus admirer, ou de ce désintéressement, caractère spécifique du savant, ou de cette haute tenue morale qui lui fit toujours juger les gens et les choses avec la plus complète indépendance, sans égards ni pour la puissance, ni pour le nom, ni pour la situation. Inflexiblement juste en matière scientifique, il aida toujours avec joie les talents ignorés, soit en leur prodiguant ses conseils et son appui, soit en faisant apprécier leur valeur. Aussi ne cessa-t-il d'être entouré de la respectueuse affection des nombreux métallurgistes français et étrangers que leurs travaux mirent en relations avec lui.

Nous avons rappelé plus haut les hommages qui lui furent rendus par de nombreuses sociétés savantes. On peut regretter que notre pays lui-même n'ait pas mieux témoigné sa reconnaissance à l'un de ses meilleurs serviteurs. On lui laissa refuser la Légion d'honneur lors de l'exposition de 1878, afin, dit-il lui-même, « de n'en point priver un de mes amis et parents, moins jeune et plus méritant ». Et plus tard, il fallut la promotion du centenaire de la fondation de l'Ecole Nationale des mines de Saint-Etienne pour qu'une croix de chevalier lui fût offerte. M. Pourcel refusa de nouveau pour ne pas en priver cette fois-ci ses camarades plus jeunes. Il est juste de reconnaître que pour calmer ses scrupules, cette distinction lui fut alors conférée à titre spécial consacrant bien mieux ainsi le mérite exceptionnel d'une belle carrière.

Nous avons tenté de montrer la place magnifique qui doit revenir à M. Pourcel dans l'histoire de la métallurgie. Si notre dessein n'a pu recevoir ici qu'une réalisation terne et incomplète, nous ne doutons pas cependant que les faits soient plus éloquents que le récit et nous sommes certains que chaque lecteur fera sien le juste éloge que prononça le Président de l'Iron and Steel Institute, lorsqu'il remit à M. Pourcel la médaille Bessemer :

« Je connais M Pourcel depuis un grand nombre d'années, et le connaître c'est l'estimer. Personne ne l'a approché sans ressentir pour lui le plus profond respect et la plus grande affection.

« C'est donc pour moi un très grand plaisir de lui offrir, au nom de l'Iron and Steel Institute, le plus grand honneur qu'il soit possible de lui accorder en lui remettant la médaille Bessemer. Les questions d'estime personnelle sont cependant hors de propos dans cette circonstance. Ce n'est pas parce que nous estimons M. Pourcel que nous le fêtons aujourd'hui c'est parce que nous le considérons comme un métallurgiste qui a fait de grandes choses dans l'industrie ou il a vécu. Pendant quarante-cinq ans, bientôt un demi-siècle, il a travaillé, lutté et je le félicite de ce demi-siècle d'effort qu'il peut contempler derrière lui. L'Assemblée considérera comme moi, qu'aujourd'hui en honorant M. Pourcel nous honorons notre société et la médaille Bessemer elle-même ».

On ne lira pas sans quelque intérêt la réponse faite par le récipiendaire, réponse publiée par « The Iromnonger » du 15 mai 1909, et que nous reproduisons ici :

« Messieurs, la médaille Bessemer que décerne l'Iron and Steel Institute, vous devez, à juste titre, la considérer comme, la récompense la plus recherchée, comme la plus honorable que peut ambitionner le métallurgiste spécialiste du fer et de l'acier. C'est celle que j'ai enviée, depuis que j'ai cru pouvoir la mériter, mais cependant sans grand espoir de l'obtenir. Aujourd'hui, au moment où elle m'est décernée, ma conscience me commande de ne prendre, de l'honneur qui m'est fait, que la modeste part qui me revient pour en laisser la plus grande aux deux hommes dont les noms ont été cités, ici, par Sir Robert Hadfield, il y a quatre ans, dans son magistral discours présidentiel : ces noms sont ceux de MM. Euverte et Valton. Ces deux métallurgistes éminents qui furent mes chefs bienveillants et mes guides au début de ma carrière industrielle, ont été vos collègues à l'Iron and Steel Institute pendant trente-cinq ans. Les infirmités de l'âge les ont éloignés de la vie active, et je reste seul, parmi vous, des trois métallurgistes dont les travaux ont été rappelés à votre souvenir, dans des termes que seul un savant doublé d'un homme de coeur, tel que Sir Robert, est capable de trouver et d'employer. C'est donc la prérogative de l'âge qui me vaut l'honneur de recevoir aujourd'hui la haute récompense que je considère comme le couronnement de ma carrière industrielle. Merci à notre éminent président Sir Hugh ; merci à nos honorables membres du Conseil et merci à vous, mes chers collègues qui voulez bien accueillir avec sympathie le nouvel élu dans la liste des « Bessemer-Médallists ».

Saint-Etienne, Avril 1925.

G. MAGNINY,
ingénieur civil des mines.


Mis sur le web par R. Mahl