Edouard TINCELIN (1920-2010)


L'équipe de direction de l'Ecole des mines de Paris en 1973 ; de gauche à droite, Edouard TINCELIN (directeur des études du cycle ingénieur civil des mines), Raymond FISCHESSER, directeur, Pierre LAFFITTE (n° 2 de l'Ecole et responsable de la formation des ingénieurs du corps des mines) et Michel TURPIN, directeur de la recherche. Quelques semaines après la photo, R. FISCHESSER prend sa retraite, P. LAFFITTE devient directeur et Robert PISTRE devient n° 2 de l'Ecole et responsable de la formation des ingénieurs du corps des mines.

Certains textes de cette page sont extraits du Jubilé du professeur E. Tincelin, publié par la Société de l'Industrie Minérale.

Sommaire de la page :

Résumé de la biographie de Edouard Tincelin

Edouard Tincelin a passé l'essentiel de sa carrière comme professeur à l'Ecole des mines de Paris, dont il fut également directeur des études pendant 3 ans.

Il est né le 27 décembre 1920 à Andlau et décède le 10 juillet 2010.

Etudiant, il échappe au STO en s'engageant dans les mines de fer de Lorraine. Ce premier contact sera la source d'inspiration de toute sa carrière technico-scientifique.

En 1947, il obtient le diplôme de l'Ecole supérieure de mécanique de Metz. Il commence à travailler dans les mines de fer. C'est là qu'il réfléchit à la stabilité des terrains et aux bienfaits de la technique du boulonnage.

Bientôt, il rassemble ses travaux dans une thèse, soutenue en 1955, et publiée en 1958 par Jouve, éditeur à Paris.

A partir de 1958, il travaille à l'Ecole des mines de Paris, avec Lucien Vielledent, dans l'option "Mines, organisation".
En 1964, il participe à la naissance de la mécanique des roches. Les catastrophes de Clamart, de Malpasset, de Champagnole justifient des études sérieuses sur le sujet !
En 1967, l'Ecole des mines crée officiellement un Centre de mécanique des roches. Jacques Fine, collaborateur de Edouard Tincelin, s'installe à Fontainebleau où un ensemble de terrains et de bâtiments vient d'être cédé par la municipalité à l'Ecole.
Proche de ses élèves, E. Tincelin n'hésite pas à monter sur les barricades en 1968. Mais il doit surtout gérer l'après-mai 68, avec la création de nouveaux enseignements. Le centre de mécanique des roches accueille alors le jeune Claude Riveline, d'abord adjoint de Tincelin, ainsi que le jeune Manuel Bloch, adjoint de Riveline ! Peu après, Riveline deviendra patron du Centre de recherche en gestion de l'Ecole, et Bloch deviendra patron du Centre de calcul, puis du Centre de recherche en informatique.
E. Tincelin s'installe alors à Paris. En 1971, lorsque L. Vielledent devient directeur de l'Ecole des mines de Saint-Etienne, E. Tincelin lui succède comme directeur des études de l'Ecole des mines de Paris. C'est lui qui introduira dans l'enseignement de l'Ecole de nouvelles disciplines comme l'économie industrielle (à distinguer de l'économie politique enseignée par Maurice Allais) ou la sociologie.
En 1974, il cède à Michel Duchêne la responsabilité de l'option de 3ème année "sol et sous-sol". Il prononce la phrase : "Donnez-moi 1 bar et je supporte le monde".

Il prend sa retraite en 1990, âgé de 70 ans. Son jubilé sera fêté en 1994 par de nombreux discours et un ouvrage publié en 2002. Mais il continue à venir travailler à Fontainebleau, presque jusqu'à sa mort. Il reprend alors ses études antérieures sur la stabilité. En 2000, il fête ses 80 ans entre Paris et Montfarville (département de la Manche, presqu'île du Cotentin) où il s'était établi avec son épouse Françoise.

A Montfarville, il s'implique fortement dans la vie de la commune. Élu conseiller municipal le 18 juin 1995, pour un mandat qui s'est terminé le 18 mars 2001, et ayant des problèmes de santé, il ne souhaite pas prolonger son mandat au-delà de 2001. Pendant ces 6 années au Conseil municipal, il sait se faire apprécier au sein d'un conseil municipal, où il apporte toujours sa bonne humeur, ses conseils avisés, judicieux, mais aussi ses connaissances dans de nombreux domaines. Il s'implique beaucoup dans un travail de recherches historiques sur Montfarville, participant ainsi à l'élaboration du journal semestriel (Le Montfarvillais), où sa chronique du passé est très appréciée des habitants de la communes [Son collègue Félix Quentin du conseil municipal a bien voulu nous apporter ces précisions].

La cérémonie religieuse a eu lieu le 15 juillet 2010 en l'Eglise de Monfarville.

Edouard Tincelin a eu de nombreux enfants : Dominique, Luc, Elisabeth, Catherine, Marc, Pierre-Henry et François.


Carte envoyée par E. Tincelin à M. Duchêne quelques mois avant son décès

Edouard Tincelin
par
Michel Duchêne

Edouard Tincelin nous a quittés l'été dernier au terme d'une vie professionnelle de 50 années bien remplie, largement consacrée aux développements de la Mécanique des Roches. Nous voulons ici lui rendre hommage.

Lors des manifestations de son Jubilé en 1994 (publié par la SIM en 2002 dans Les fascicules de l'Industrie Minérale : De l'art des mines à la Technologie des travaux souterrains), plusieurs personnalités se sont exprimées sur les diverses facettes de son action, depuis son entrée quelque peu forcée (STO) dans les Mines de Fer de Lorraine en 1943 jusqu'à son départ de l'Ecole des Mines de Paris (Mines-Paristech). Nous pouvons trouver dans ces hommages à l'enseignant, au chercheur, à l'industriel, et plus largement au serviteur de l'industrie extractive, de nombreuses références à la Mécanique des roches.

Avec sa thèse en 1955, intitulée " Pressions et Déformations de Terrains dans les Mines de Fer de Lorraine ", on passe de l'art des mines à la mécanique des massifs rocheux miniers. Edouard Tincelin a énormément observé et décrit les phénomènes de déformation du massif rocheux soumis à excavation ; il a ainsi pu comprendre des mécanismes qui nous sont aujourd'hui familiers, au terme d'années de mesures (de pressions avec le vérin plat, de déformations avec extensomètres et convergencemètres) et d'interprétations, avec son équipe de la Chambre syndicale des Mines de fer.

Dans les années 1960 l'introduction de la notion de contraintes a permis à la mécanique des roches minières de rejoindre pleinement la communauté scientifique et d'accéder aux calculs les plus rigoureux. Avec son équipe de l'Ecole des Mines de Paris, à Fontainebleau, Edouard Tincelin a lancé la modélisation et les calculs par éléments finis dès que l'informatique est devenue assez performante dans les années 1970, ce qui lui permettait enfin de connaître la répartition des contraintes autour des excavations.

Citant Jack Pierre Piguet : " des pressions de terrains à la Modélisation en Mécanique des roches, Edouard Tincelin a profondément marqué toute cette histoire, faisant la course en tête dans toutes ces évolutions ".

Edouard Tincelin a été constamment guidé par le souci très concret de concourir au progrès industriel, et à l'amélioration de la sécurité dans les travaux souterrains, ce qui Ta conduit à innover, et pas seulement pour les mines. Il a ainsi contribué à résoudre de nombreux problèmes découlant de l'excavation du sous sol, ce qui lui vaut de la part de Gérard Vouille le qualificatif « industriel » ; et ce, parfois en opposition avec le conservatisme ambiant, ce qui lui vaut de la part de Pierre Laffitte le qualificatif « rebelle ».

Sa « croisade pour le soutènement suspendu » (je cite Gérard Vouille) est probablement le plus bel exemple d'une évolution qui marie les recherches de sécurité et de productivité. A force de recherche et d'expérimentation, il aboutira à un dimensionnement raisonné des boulons et cintres de soutènement. Nous savons que cette évolution s'est poursuivie bien au-delà des mines dans les chantiers de travaux publics : le percement du tunnel routier du Fréjus fut un temps fort pour la généralisation du boulonnage dans presque tous les travaux souterrains.

Son ancrage dans un monde minier qui très vite déborde les seules Mines de Fer, et qui lui demande diagnostics et conseils, lui permet d'identifier les pistes de recherche correspondant aux besoins réels de cette industrie. Je cite encore Gérard Vouille : « C'est ainsi qu'il va stimuler des recherches sur la rhéologie des roches...afin de mieux comprendre les phénomènes de rupture différée dans les mines »... (effondrements spontanés : comment les prévenir ?) et nous devons constater aujourd'hui que « la poursuite de ces recherches a débouché sur les comportements post-rupture, la visco-plasticité, les couplages thermo-hydro-mécaniques, et concrètement sur toute l'industrie du stockage souterrain d'hydrocarbures et de déchets ».

Le souci d'une amélioration de la productivité dans les mines de fer le conduit aussi à lancer des recherches sur l'abattage à l'explosif : l'apparition des détonateurs électriques permettait d'abattre en pleine section, à condition de mettre au point les schémas de tir adéquats, que nous pratiquons toujours ; puis sur l'abattage mécanique : ces recherches s'étendent aujourd'hui dans le domaine du forage pétrolier profond.

Edouard Tincelin a toujours été convaincu de la nécessité de communiquer le résultat de ses réflexions, recherches, intuitions, ce qu'il a fait avec une puissance de conviction étonnante, à destination d'interlocuteurs variés.

Enseignant à l'Ecole des Mines de Paris il a subjugué des générations d'élèves-ingénieurs et d'ingénieurs du Corps des mines, par son seul charisme, bien avant les outils modernes NTIC ; il a su, avant d'autres, et avec Pierre Laffitte, montrer qu'on peut faire de la Recherche dans une Ecole d'ingénieurs. Il a su utiliser son enseignement pour renforcer ses convictions : « enseigner pour être sur d'avoir soi-même bien compris ».

Ingénieur, puis Ingénieur-conseil, dans les mines de Fer où Jean Arthur Varoquaux admire - entre autres - ses qualités d'animateur de groupes, et auprès de l'administration qui le qualifie d' Expert reconnu et écouté lors de toutes les catastrophes telles Clamart, Champagnole ou Malpasset, il a su user de toutes les formulations imagées pour se faire entendre : qui n'a pas retenu l'effet du confinement latéral de 1 bar sur le paquet de cacahouètes ou de café ?

Homme de conviction, aussi bien dans ses engagements personnels que professionnels, il a toujours su mettre en avant l'Homme, y compris dans les confrontations techniques qu'il a suscitées, voire provoquées.

Observation, réflexion, modélisation, expérimentation, communication, illustration, conviction, Homme, voici quelques mots clés pour tenter de saisir la personnalité peu commune d'Edouard Tincelin.

Michel Duchêne





La plupart des textes donnés ci-dessous ont été recueillis à l'occasion du JUBILÉ EDOUARD TINCELIN, qui a eu lieu le 14 Décembre 1994 après-midi, à l'Ecole des mines de Paris - Amphi L 108.

Voici le programme de ce jubilé :





Couverture de la thèse de 1955 de E. Tincelin, dans sa version publiée en 1958

EDOUARD TINCELIN, L'ENSEIGNANT
par
Michel Duchêne

S'il est une qualité que nul ne peut contester à Edouard Tincelin, c'est à coup sûr celle d'enseignant. Car il a été - et continue d'être - un enseignant tout à fait extraordinaire par la force de conviction qui émane de son discours.

Le plus célèbre de ses enseignements porte sur les méthodes d'exploitation des mines souterraines stratiformes dans lesquelles le boulonnage constitue le soutènement principal sinon exclusif.

Le contenu de cet enseignement a varié bien sûr depuis l'époque de la thèse (1955), avec le développement de la " Mécanique des Roches" devenue une science en soi, avec le formidable progrès de productivité des mines de fer de Lorraine (de 5 t/hp en 1950 à 50 t/hp en 1990), avec la mise en œuvre des chambres et piliers foudroyés dans les mines de bauxite, de charbon, avec les mini-tailles et les îlots ... Mais les concepts essentiels sont restés, illustrés par une foule d'anecdotes et d'images toujours frappantes, nourris par l'intuition des phénomènes physiques qu'il observe avec acuité, martelés avec force pour faire comprendre les mystères de la répartition des contraintes dans le massif rocheux. Et la très grande diversité des auditoires de cet enseignement (élèves ingénieurs, ingénieurs de direction ou d'exploitation, agents de maîtrise), ainsi que de quelques autres enseignements (aérage, abattage, gestion ... ), tant en formation initiale que continue, ou dans le cadre de travaux d'expertise, ou dans le cadre de la Recherche, a été à chaque fois l'occasion de multiplier les images didactiques adaptées.

Une forme d'enseignement qu'Edouard Tincelin a particulièrement affectionnée est celle du Stage d'Enseignement. Au cours d'une semaine de visites industrielles, les jeunes élèves fraîchement arrivés à l'École sont amenés à découvrir les différents aspects d'une technologie et du fonctionnement des entreprises. Aussi bien les ingénieurs-élèves du Corps que les élèves ingénieurs civils ont été ainsi projetés dans la réalité de l'entreprise minière, ravis par la qualité des accueils -sans parler des repas ! - étonnés par les discours des ingénieurs rencontrés (sur la technique, sur la gestion, sur les hommes ... ), encore subjugués par les commentaires, remarques, digressions, illustrations, distillés par le maître Tincelin, qui connaît tout le monde et qui est capable de tout expliquer. Au sortir de ce tourbillon, on cesse définitivement d'être des étudiants indifférents au monde : pire, on se sent concerné, on est consterné et confondu de n'avoir pas compris tout cela plus tôt !

L'enseignant fut innovateur et pragmatique lorsqu'il créa en 1967 l'enseignement d'économie descriptive. Son enseignement incluait le fonctionnement de la mairie de Briey, le mouvement associatif humaniste Vie Nouvelle, ... , répondait au besoin de comprendre l'essentiel d'une comptabilité privée et au désir de comprendre les mécanismes élémentaires de l'Économie de tous les jours. Il élabora dans la ligne des travaux d'Albertini un cours d'économie descriptive en tous points remarquables jusque dans la manière dont il était enseigné: de 1967 à 1980, le cours était en effet donné par deux enseignants simultanément et les binômes Tinschaer, Tinduc, Tindar, Tinbar, ont laissé à tous les élèves de 1ère année de l'École des mines de Paris, des souvenirs impérissables d'amortissements, de création monétaire et de TEE, et " de couvents qui sont des Ménages ".
[ Évidemment TIN pour Tincelin (et les autres ...) ]

Mais l'École des mines ne serait pas l'École des mines s'il n'y avait l'option. Choisie en fin de 1ère année, l'option - Mines par exemple - est nourrie de cours, stages et visites techniques en 2eme année pour s'épanouir en 3eme année dans le traitement approfondi d'un sujet de fin d'études proposé par une entreprise et encore appelé sujet d'option.

Cette pratique est devenue aujourd'hui courante dans toutes les Écoles, mais était quelque peu révolutionnaire dans les années 1960 quand un binôme de deux jeunes - pas encore ingénieurs - débarquait dans une entreprise en posant une foule de questions indiscrètes, prétendant tout vouloir apprendre en quelques semaines à propos du sujet proposé!

Et quand au cours des réunions de mise au point périodique Edouard Tincelin s'associait aux deux élèves pour forcer les réticences des chefs d'entreprise, rien ni personne ne pouvait résister au formidable bouteur qui redéfinissait le sujet et traçait les lignes "évidentes" de solution. Enfin la présentation publique par les élèves de leur travail au début de juillet était toujours une grande manifestation de la profession dont Edouard savait tirer profit.

Ce serait pourtant limiter l'œuvre de l'enseignant Edouard Tincelin si on en restait aux problèmes de la mine: il a toujours en effet manifesté une curiosité extrême pour quantité de sujets et à chaque fois qu'il a voulu aller plus loin dans la compréhension d'une nouvelle discipline, il a tout simplement décidé d'en faire le sujet d'un cours ou d'une conférence: c'est ainsi qu'au début des années 1960, il enseignait avec Lucien Vielledent l'Informatique et la Recherche Opérationnelle , au début des années 1970, la chanson et la musique moderne. J'ai personnellement pu mesurer l'efficacité de cette technique: enseigner pour être sûr d'avoir soi-même compris. A ce stade, il n'y a plus qu'un pas à faire pour lancer des équipes de recherche sur les points qui restent obscurs!

De cet enseignant que plus de trente promotions ont côtoyé, tout le monde a, je crois, retenu quelques points forts:

Ce souci de création a été aussi, ô combien !, un moteur de sa vie personnelle.

La puissance de travail - Infatigable, indémontable, poussant toujours le bouchon un peu plus loin, Edouard Tincelin a eu le privilège - le plaisir aussi je crois -d'épuiser physiquement la plupart de ceux qui ont avec lui effectué ces tournées d'expertise avec visite au fond le matin, discussion l'après-midi, revisite au fond le soir. Et le lendemain matin il rédigeait son rapport entre 5h du matin et l'heure du petit déjeuner. Il faut dire qu'il a la faculté de repos aussi efficace que la faculté de travail: un quart d'heure de voiture au milieu de la journée entraîne automatiquement 10 minutes de sommeil réparateur.

Ce rythme de travail forcené était bien sûr aussi appliqué à la préparation des cours et conférences, toujours réécrits dans les grandes lignes pendant la journée et/ou la nuit qui précède! Cela enlève peut-être un peu de prestige aux improvisations géniales, mais quelle efficacité !

Quelle force de conviction par l'expression, l'intonation, par l'illustration bien avant l'époque des transparents et du multimédia ! Edouard Tincelin préparait ses interventions sur des larges feuilles de papier (aujourd'hui paper-board), par les formules clés qui tétanisent le questionneur - "mais je suis d'accord avec vous" - et par une logique parfois déroutante qui oblige le questionneur à abandonner son propre cheminement pour suivre le sien. Certains en ont parfois eu quelque chagrin, après avoir été désarçonnés, hypnotisés, convertis à la religion Tincelin, sans réussir à retrouver à quel endroit la logique pouvait être mise en défaut! La plupart ont été fascinés - et ravis : on ne compte pas les adorateurs (les fans !) du Maître en pression de terrains, dans les rangs de l'Administration, des états-majors d'entreprises minières, ou des agents de maîtrise des mines. Si j'avais cette même force de persuasion vous seriez tous convaincus de l'importance primordiale de mon propos et craignant d'en perdre une partie essentielle, en train de prendre des notes ! Ce qui n'est heureusement pas le cas ...

Mon cher Edouard, il faudrait beaucoup plus de temps pour dresser un panorama de toutes tes activités. Les orateurs suivants vont compléter, en évoquant différents aspects de l'enseignement de l'art des mines.

Michel Duchêne Professeur responsable de l'option Sol et Sous-sol à l'Ecole des mines de Paris




Les graphiques ci-dessus illustrent l'augmentation de la production, des effectifs, de la productivité et des accidents du travail dans les mines de fer lorraines pendant la période où E. Tincelin fut actif. Ces figures aident à comprendre l'immense effort d'augmentation de la productivité et de la sécurité auquel E. Tincelin fut l'un des principaux contributeurs grâce à sa compétence technique et sa force de conviction.
Extrait de l'ouvrage Les mines de fer de Lorraine, coordonné par Jean-Arthur Varoquaux. UIMM, Paris, 1992.




LES MINES DE FER, FOYER D'INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES
par
Jean-Arthur Varoquaux

Edouard Tincelin, Mesdames, Messieurs, mes chers Amis, a apporté une contribution considérable à ces progrès de l'industrie des mines de fer.

Au nom de toutes les mines de fer françaises, encore en vie ou déjà fermées, je lui en exprime notre vive reconnaissance.

Dès vos études secondaires à Nancy, mon cher Edouard, vous vous êtes intéressé à la mine de fer et à ses mineurs.

Des circonstances familiales vous ont amené à passer souvent vos vacances scolaires en pays minier et à voir vivre les mineurs de près. Au jeu de boules municipal, vous rencontriez des mineurs retraités et les faisiez parler de leur vie et de leur travail à leurs débuts (c'est-à-dire, il y a maintenant plus de cent ans !).

Est-ce que ce sont ces contacts humains qui ont éveillé en vous votre vocation de mineur ?

La débâcle de juin 1940 a précipité et raccourci vos études. Votre famille a été expulsée de Moselle et sans pouvoir recommencer une année de taupe, vous avez dans ces conditions difficiles terminé au plus tôt vos études d'ingénieur.

Lorsque vous avez reçu votre diplôme à la mi-1943, c'était l'époque du Service du Travail Obligatoire, le STO de sinistre mémoire, dont le but était de faire travailler la jeunesse européenne dans les usines produisant des armements pour la Wehrmacht.

Vous êtes entré dans les mines de fer. La profession avait en effet réussi à obtenir des autorités d'occupation que le métier de mineur soit considéré comme prioritaire. Pendant plus de six mois, vous avez travaillé comme mineur et chargeur au fond de la mine de Saint-Pierremont.

Comme vous aviez déjà l'esprit en éveil et tourné vers les améliorations et innovations, vous aviez signalé à votre ingénieur toute une série d'aménagements à apporter au niveau de votre poste de travail pour améliorer la sécurité ou le rendement. A votre surprise, votre ingénieur a en effet appliqué ceux concernant la sécurité des mineurs, mais pas les autres.

Par contre le directeur de la mine, conscient de vos talents d'animateur d'hommes et votre force de conviction vous a proposé de créer un Centre d'Apprentissage pour l'ensemble des mines de Saint-Pierremont et Tucquegnieux.

La Chambre syndicale faisait en effet à l'époque un effort énorme de formation initiale, à la fois :

• pour préparer le personnel qualifié qui pourrait dès la Libération produire en grande quantité le minerai source unique à ce moment-là du métal lotharingien,

• et pour soustraire le plus grand nombre possible de jeunes Français au STO. Vous vous êtes ainsi à 23 ans trouvé à la tête d'un groupe de 150 apprentis, à peine plus jeunes que vous.

Vous connaissant, nous imaginons que cela a dû marcher tout à fait.

Après la Libération, votre ingénieur de Saint-Pierremont est venu vous trouver et vous a tenu à peu près ce langage :

"Je n'ai pas appliqué vos suggestions d'aménagement de votre poste de travail, car je ne voulais pas améliorer nos rendements tant que nous travaillions pour les Allemands, mais maintenant je retourne en Moselle à ma mine, Sainte-Barbe. Venez avec moi comme ingénieur d'exploitation et nous mettrons en œuvre vos idées ".

Et vous y avez fait vos vrais débuts d'ingénieur et d'innovateur, puisque vous avez à Sainte Barbe (devenue La Paix) réalisé avec les moyens du bord le premier jumbo de foration de trous de mines, ce qui a permis de passer de volées de 8 coups de mine mises à feu à la mèche lente à des volées de plus de 30 coups de mine amorcées à l'aide de détonateurs électriques.

Si j'ai un peu insisté sur vos débuts, mon cher Edouard, c'est parce qu'y apparaissent tout de suite vos qualités techniques et humaines hors du commun.

D'abord, votre sens de l'observation et votre curiosité constante qui vous amènent à vous poser constamment des questions : est-ce-que ce mode opératoire est approprié? Est-ce qu'on ne peut pas faire autrement, c'est-à-dire mieux?

Vos connaissances minières qui sont considérables ne sont pas statiques. Elles alimentent perpétuellement un cerveau qui cherche à faire plus et mieux avec moins de fatigue physique et avec une sécurité plus grande.

Puis vos qualités d'animateur de groupe. Vous avez un charisme exceptionnel qui attire et fascine vos interlocuteurs. Vous avez une puissance de conviction considérable, un don de synthèse et d'exposition, un sens pédagogique inné, mais pas uniquement pour faire passer à d'autres des connaissances, mais pour les amener à agir, à participer à une action concrète, à donner le meilleur d'eux-mêmes dans une recherche collective. Je me souviens de ces réunions de tous les ingénieurs des mines de fer de Lorraine que nous tenions deux fois par an. Après votre exposé, il repartaient dans leurs mines, avec un moral tout neuf, prêts à appliquer les améliorations techniques dont vous les aviez entretenus.

Vous êtes vraiment, selon la parole de l'Évangile un "pécheur d'hommes".

Votre carrière dans les mines de fer est la conséquence de tous vos dons.

Quand Robert Le Besnerais mettait en place en 1948 une nouvelle structure de la recherche et du développement dans les mines lorraines, c'est tout naturellement qu'il est allé vous chercher à la mine de Sainte-Barbe pour vous demander de devenir son adjoint. Malheureusement il mourut quelques mois plus tard, mais vous avez alors rejoint le Service technique de la Chambre syndicale.

Vous vous y êtes intéressé à tous les aspects, à toutes les étapes de l'exploitation d'une mine. .

Grâce à vos travaux systématiques, vous avez pu maximiser les schémas de tir à l'oxygène liquide et incidemment comprendre les causes des explosions spontanées des bidons à oxygène liquide et les éliminer.

Dès vos débuts, vous avez cherché à réduire cette cause dramatique d'accidents mortels que sont les chutes de blocs et les effondrements de toits. Vous avez été, dès 1949, l'initiateur dans le bassin des méthodes de boulonnage du toit. Ayant mis au point le boulonnage à la résine, vous avez mené une campagne inlassable pour la généralisation dans les mines de fer, puis au-delà dans les Charbonnages, dans toutes les mines diverses, puis dans les Travaux Publics, convaincu que vous étiez de sauver par ce procédé d'innombrables vies humaines.

Cette action est peut-être, mon cher Edouard, la plus grande, la plus utile de toutes celles que vous avez menées.

Devenu professeur d'Exploitation des Mines en 1959-60 à l'École des mines de Paris puis directeur du Laboratoire de Mécanique des Roches de Fontainebleau, vous avez continué comme Conseil de la profession, à nous aider à résoudre nos problèmes.

J'énumère rapidement quelques-uns de vos travaux:


Toutes ces recherches vous les avez menées à bien avec une équipe de collaborateurs de très haut niveau et mus par les mêmes idéaux que vous. Parmi ceux-là, je citerai:
Il me faut évoquer aussi les directeurs successifs du service technique Georges Petit, Robert Deniau (1923-1993, ingénieur civil des mines, Paris promotion 1942), et vos correspondants attitrés au sein du service, Pierre Sinou et Olivier Léonet qui ont participé à peu près à toutes les recherches que j'ai énumérées.

Permettez-moi, Mesdames, Messieurs, mes chers Amis, de terminer sur une note plus personnelle.

Edouard Tincelin est, avant et surtout, un homme de cœur.

Il y en avait beaucoup dans la profession des mines de fer de Lorraine. Et l'ambiance humaine qui régnait entre les ingénieurs et cadres des diverses sociétés minières était extrêmement agréable pour tous ceux qui ont eu le privilège d'y travailler.

D'autre part, l'ensemble du personnel d'une mine de fer, du directeur au plus modeste des balayeurs, partage des objectifs communs:

Cela ne supprime évidemment pas les litiges internes qui tiennent à la nature des hommes, mais cela les relativise et facilite leur règlement.

Le travail à la mine rapproche et réunit les hommes. Tous aiment leur métier et sont fiers. Dans ce domaine aussi des relations humaines, Edouard Tincelin était en première ligne. Il était apprécié de tous. Son parler franc et direct, sa compétence, son respect des autres en faisant un interlocuteur privilégié et pour beaucoup un ami.

En ce qui me concerne personnellement, imaginons quelque chose de peu vraisemblable. La vie nous a séparé lui et moi et nous restons des mois et des années sans nous rencontrer. Je suis personnellement convaincu que si je me trouvais alors dans une situation grave, il suffirait que je décroche mon téléphone pour dire "Edouard, venez à mon aide, j'ai besoin de vous" pour que vous accourriez.

N'est-ce-pas une marque de vraie amitié?

Mes chers amis, vous m'avez donné l'occasion et j'en suis profondément heureux de rendre hommage aujourd'hui publiquement à cet ingénieur, ce professeur, ce chercheur, ce découvreur exceptionnel que je connais depuis quarante années: "Mon Ami Edouard Tincelin"

Jean-Arthur Varoquaux, Président de la Chambre syndicale des mines de fer en France




LA DÉLOCALISATION DES INSTITUTIONS SCIENTIFIQUES
par
Pierre Laffitte

Il m'a été demandé de parler de la délocalisation des activités scientifiques, non seulement dans cette enceinte, mais également au Sénat. Nous débattons en effet aujourd'hui de la loi sur l'aménagement du territoire, et précisément sur ce thème dont je dois vous entretenir, j'ai fait un peu modifier le contenu de la loi. Vous me permettrez cependant de commencer par un autre sujet.

Je voudrais revenir quelques trente et une années en arrière, au moment où j'ai postulé pour être sous-directeur de l'École des mines auprès de Raymond Fischesser. Nous avons formé un trio avec Lucien Vielledent, qui était chargé de l'enseignement et de la direction des études. J'avais en charge les activités concernant la recherche, la gestion des ingénieurs élèves et les sciences sociales.

Edouard Tincelin a été pour moi d'un grand secours. Il est venu me trouver en disant "Ne pourriez-vous pas nous débarrasser de ces "corpsards" ?". Effectivement, l'enseignement du corps des mines demandait une amélioration. Les ingénieurs élèves ou "corpsards" suivaient à l'époque un hybride de première et deuxième année et étaient peu assidus au cours, bien que leurs places fussent parfois réservées au premier rang. Leur manque d'assiduité due à leur différence d'âge, à leur différence de préoccupation, à leur différence de destinée, (les uns devenant des fonctionnaires, les autres ingénieurs dans les industries) posait quelques problèmes. Alors nous avons élaboré ensemble, mon cher Edouard, un certain nombre de stratégies pour faire en sorte que l'on puisse déconnecter quelque peu ces deux populations de nature différente et je crois que finalement nous avons monté de bonnes opérations, surtout grâce au fait que le principe des stages d'initiation qui plongeaient dans le bain industriel ou dans un bain scientifique particulier comme le stage de géologie, permettait de montrer à ces polytechniciens, brillants certes, parce qu'ils sortaient parmi les premiers, qu'ils ne savaient pas tout et qu'ils ignoraient même tout de la réalité industrielle telle qu'elle se présentait au fond d'une mine ou de la réalité scientifique telle qu'elle se présentait quand on était sur le terrain devant un paysage géologique.

Mais il fallait, pour imaginer ceci, une certaine capacité d'innovation. Je trouve, pour ma part, que c'est une des facettes les plus intéressantes de la personnalité d'Edouard Tincelin. Il est au fond, un rebelle à l'état des choses telles qu'elles sont, lorsque, à son avis, elles ne doivent pas être comme elles sont. C'est je crois la grande différence entre les hommes de progrès et les hommes, je dirais, de continuité. Pour ma part, cet état d'esprit que je comprends très bien en tant qu'ancien géologue (qui par nature est un anarchiste), me paraissait inné chez lui. J'ai trouvé à mon arrivée des personnes qui m'ont aidé, avec l'appui de Raymond Fischesser, à promouvoir une idée tout à fait nouvelle, voire révolutionnaire, à savoir que de la recherche pouvait être faite dans une grande École.

Ce n'était certes pas tout à fait nouveau pour l'École des mines puisqu'elle disposait déjà de centres de recherche établis c'est-à-dire possédant des locaux en propre. Mais il y avait aussi beaucoup de mètres carrés occupés, notamment par toutes les collections géologiques, la bibliothèque et par conséquent la contrainte en disponibilité spatiale était très forte. D'autant plus forte que les moyens financiers pour faire de la recherche existaient. Par exemple, j'avais, grâce à un géologue qui était à la DGRST, obtenu la possibilité de disposer de crédits du quatrième plan. Nous avons touché deux millions et demi de francs. Heureusement qu'il y avait Edouard Tincelin et Hubert Pélissonnier. Nous avons dépensé une partie de cet argent pour acheter une microsonde électronique et l'autre partie pour créer un centre de Mécanique des Roches.

À ce Centre de Mécanique des Roches, il fallait, bien sûr, des moyens de calcul. À l'époque, "la guerre civile" existait entre l'Université et les grandes Écoles. Un mouvement, le MNDS : Mouvement National pour le Développement Scientifique, avait investi le domaine de la recherche, il y était clairement dit que les grandes Écoles n'avaient pas à disposer de moyens informatiques. J'ai donc invité Monsieur Lelong, responsable du MNDS, à visiter notre IBM 360-40 du centre de Calcul dans les sous-sols de l'Ecole des mines. Il était pétrifié : " Comment se fait-il qu'une machine aussi puissante soit dans cette école? Comment avez-vous pu avoir cette machine? ". Je lui expliquai que c'était un outil indispensable pour les mécaniciens des roches, pour les géologues. Je lui proposai d'être le Président du comité Scientifique et du développement mathématique auprès de l'École des mines de Paris. Monsieur Lelong a accepté.

Ceci n'a pu se faire que, parce que Edouard Tincelin et certains de ses "sbires" dont Claude Riveline et d'autres étaient conscients qu'une bonne recherche nécessitait de gros moyens. C'est également à Edouard Tincelin que revient l'idée d'un centre de gestion scientifique. Il pensait que la gestion prévisionnelle existait déjà, pourquoi ne pas s'occuper aussi de gestion scientifique. Il est indiscutable qu'un appui important est venu étayer le développement initial de la recherche. D'une part, il fallait lutter contre une opposition due au centralisme historique français pour lequel tout l'enseignement supérieur devait être unique. D'autre part, les industriels eux mêmes n'étaient pas convaincus. Pourquoi l'École des mines de Paris souhaite un corps d'enseignants permanents? Pourquoi, comme l'École des ponts, n'utilise-t-elle pas uniquement des vacataires? Un corps enseignant permanent vieillit, il s'encroûte, il perd la faculté d'inventer. Donc l'industrie ne poussait pas, pas plus d'ailleurs que l'administration, elle par tradition.

Néanmoins, nous avons eu un certain nombre d'appuis. Les choses avancèrent du coté financier, mais elles ne s'arrangeaient pas du coté des mètres carrés. On a équipé des caves, on a même fait des trous du coté de la physique pour mettre sous terre un appareil à hélium liquide. Les limites furent vite atteintes.

Il y avait bien un vieux projet de s'étendre sur place, dans le quartier latin, c'est à-dire de récupérer le terrain dit "des sourds muets" qui est tout à coté de l'Ecole, mais nous avons convenu avec Edouard Tincelin et Raymond Fischesser d'abandonner ce projet et d'aller chercher ailleurs sur cette route N7 de Paris à Antibes en passant par Fontainebleau. Et, nous sommes allés jusqu'à Fontainebleau, nous sommes allés visiter l'établissement "Pic", que nous n'avons finalement pas retenu parce que le maire a proposé un ancien internat de jeunes filles qui était libre.

Nous avons donc déménagé, nous avons construit et c'est comme cela que nous avons pu devenir la première école à avoir une ligne budgétaire sur la recherche et à développer des centres hors de Paris.

Il fallait une sacrée capacité de conviction à un professeur chargé d'une option, chargé de cours à des élèves de première, deuxième et troisième année à Paris, pour convaincre à la fois le Directeur des Etudes que cela ne perturberait pas l'enseignement et les collègues que cela impliquait un lieu de travail à l'extérieur du sacro-saint Quartier latin, et pour résoudre tous les problèmes pratiques que posent le transport des élèves de Paris à Fontainebleau, etc. Cela a été fait et a ainsi montré que c'était possible et depuis des centres se sont également développés près de Corbeil et près d'Antibes.

La délocalisation sur le territoire des Écoles des Mines s'amplifie. Nos Ecoles sœurs ou filles sont maintenant au nombre de cinq : Alès, Albi, Douai, Nantes et Saint-Étienne, et couvrent le territoire. Il suffit que l'on dise "qui veut une École des mines ?" pour que toutes les régions et les villes de France répondent : « nous voulons une Ecole des mines ».

Cela a un sens. Cela signifie que la localisation d'activité scientifique hors Paris existe et avec succès. Mais au départ rien n'était évident. Il n'était pas évident qu'un établissement d'enseignement, certes de grand prestige, mais d'aussi petite taille, au point de vue du nombre d'étudiants puisse effectivement fonctionner avec plusieurs localisations. J'y vois pour ma part, un certain nombre d'avantages, y compris même pour le fonctionnement de l'ensemble du personnel de recherche et administratif et pour l'ensemble des élèves, la mobilité industrielle évidemment une nécessité, ce n'est pas aux mineurs, ici présents, que je vais faire de longs discours sur ce point, mais pour que les élèves considèrent, au moment où ils rentreront dans leur vie professionnelle que la mobilité est nécessaire, encore faut-il que le corps enseignant, l'ensemble des recherches, etc. n'aient pas les yeux fixés sur son mètre carré, que ce soit boulevard Saint-Michel, ou que ce soit rue des Saints-Pères, ou en quelque autre lieu où se trouve une formation professionnelle.

Or, je constate, qu'aujourd'hui encore, l'École des mines de Paris, sur ce point, est très en avance sur les autres Écoles, puisque les localisations prévues en province sont encore, dans beaucoup de cas, des localisations un petit peu fictives.

Je crois pour ma part que cette dispersion géographique, malgré quelques inconvénients de gestion, oblige les gens à réfléchir à leur façon de fonctionner dans différents lieux, et a un certain nombre d'avantages dans la psychologie et dans la micro-culture à l'intérieur de l'entreprise, et c'est probablement une des raisons qui font que le Directeur actuel Jacques Lévy, a une position aussi avancée dans les systèmes de mise en réseaux des Écoles, non seulement des Écoles de Paris, mais sur l'ensemble des Écoles et des Grandes Écoles ou des Universités Techniques Européennes, avec bien entendu l'appui que peuvent lui apporter les programmes spécifiques gérés par la Commission européenne.

Il y a là une philosophie qui place l'ensemble des personnels et l'ensemble des élèves par voie de conséquence et de nos anciens élèves, dans une position dynamique, ouverte sur l'international et très cohérente avec la notion d'industrie minière.

C'est sur ce point que je voulais finir, en disant que cette délocalisation de l'activité scientifique est quelque chose qui prédispose, vraisemblablement, à aller encore plus loin sur le plan international, avec l'accueil d'équipes complètes venant d'autres pays et l'envoi d'équipes complètes vers d'autres pays.




Edouard Tincelin, le chercheur
par Philippe Weber

L'enseignant, le chercheur, l'industriel, voici donc, mon cher Edouard, le prisme à travers lequel on prétend, tel un rayon lumineux, te décomposer ; mais tu sais, mieux que quiconque, que le bonhomme ne se laisse pas facilement décomposer, cataloguer, ni couper en rondelles : " une tranche pour l'enseignant, une tranche pour le chercheur ", l'homme est entier, debout, pas sécable, pas " coupable " et pour tout dire, coupable de rien !

Tes tranches de vie à toi, ce ne sont pas celles-là : la ligne de plus grande pente de ton action, et bien au-delà de la mine, a toujours été celle de la progression, qu'elle soit politique ou sociale, scientifique, technologique.

Combien de fois ne nous as-tu pas rappelé cette devise, " inscrite au frontispice de l'humanité " -te plaisais-tu à dire- :

" Tu enfanteras dans la douleur ! "

L'allégorie est claire, le message est fort : il faut enfanter, il faut procréer, il faut progresser, mais l'accouchement, l'émergence de nouvelles idées, puis leur concrétisation, nécessitent sueur et effort ; l'innovation est à ce prix et son prolongement dans la vie des hommes et de la cité fait parfois mal.

Tu as ainsi accouché (heureusement pas toujours dans la douleur) de nombreux travaux de recherche qui coulent dans cette veine qui va de l'art des mines à la science des travaux souterrains.

Cet autre extrait, aussi, tiré du livre de la Genèse :

" Allez, multipliez-vous, et soumettez la terre " ;

Voici le mineur qui apparaît déjà sous l'homme !

D'autres, à cette table, parleront, mieux que moi, du chercheur que tu as Sébastiano Pelizza, Charles Fairhurst, témoins, venus de l'étranger, de ta stature internationale.

Tu as su, cher Edouard, mettre au service de ta démarche, énergie et talent quelques instants, sur cette facette de ton talent sans laquelle la recherche demeure stérile : je veux dire ton art de savoir "faire passer le message", de dire les choses avec des images, de transmettre ton expérience. Mon ami Michel Duchêne t'a déjà sacré" grand communicateur" ; et j'ajoute: expert en images, métaphores et autres formules fortes.

La recherche, sans les mots pour la dire, perd sa raison d'être et devient stérile.

Pour moi, tu as ouvert le livre des belles images, en 1963, lorsque, alors jeune professeur à l'Ecole des mines de Paris, tu présentais à tes étudiants les résultats de recherches alors entreprises à la Chambre Syndicale des Mines de Fer, sur l'abattage des roches à l'explosif : il y était joliment question d'ondes de choc en forme de " pommes " ou de " poires " (selon les valeurs respectives des célérités de la détonation et de l'onde de choc dans la roche). Puis, selon la géométrie des surfaces de réflexion, par conjonction des ondes, voilà la roche qui s'ouvre en deux " comme une noix ", ou " comme un drap qu'on déchire ". Ailleurs, plus prosaïquement, mettre de la dynamite dans tel type de roche, c'était " donner de la confiture aux cochons ".

Confiture aux pommes ou aux poires ! Des métaphores alimentaires, il y en eut d'autres ; une bonne partie de la cuisine y passe :

"Sandwichs jambon-beurre " (avec sa variante plus sucrée de la " tartine à la confiture "),
" Mille-feuilles " dont, invariablement, la crème pâtissière s'extrude quand on le mord, images du comportement mécanique de terrains stratifiés. Et aussi, " morceaux de sucre, plus ou moins frettés par le carton d'emballage ", comme allégorie des roches fracturées et renforcées.
" Café sous vide ", pour illustrer de façon simple et lumineuse le rôle d'un (léger) confinement latéral : " Le vide, ça fait 1 bar et encore, s'il est parfait ".
Un bar suffit, 10 tonnes/m2, 1 boulon/m2 (certains t'ont surnommé " Monsieur 1 bar " !) ; en raccourci saisissant, voilà justifiée la pratique du boulonnage,
Huile pour lubrifier les joints rocheux, qui, alors, se détendent brusquement " comme un ressort " : voilà pour le principe des effondrements spontanés.
Plus loin, on quitte la cuisine et son arsenal alimentaire et l'image est celle, plus bucolique, de la botte de foin, du fagot de paille, ligotés, - toujours la pression latérale de confinement ! -

Pour les chambres et piliers, il est question de " fakir sur la planche à clous " : les terrains reposent sur la forêt des petits piliers et l'on comprend le mécanisme plausible du poinçonnement du toit par les piliers. Et quand le fakir se transforme en rouleau compresseur (le rouleau compresseur de la culée de pression latérale, bien sûr), là c'est la catastrophe conduisant à l'effondrement spontané.

Pour éviter la catastrophe, il faut faire passer le rouleau compresseur sur un stot de protection, ou sur des piliers affaissables : et c'est " le coup de l'oreiller ".

Effets sismiques induits par l'effondrement de Roncourt et -disais-tu-, " on a vu les cuisinières en fonte se mettre à tanguer dans les cuisines " : là, le trait est grossi, l'image confine à la caricature, mais la leçon gagne en efficacité.

Certes, l'image ne vaut ni science, ni raisonnement, mais elle les précède, les éclaire, les conforte.

1967, action concertée financée par la DGRST sur la résistance in situ des piliers de mine et l'effet d'échelle : lors d'un essai de mise en charge d'un pilier par vérins plats, devant tout un aréopage d'experts de la Mécanique des Roches française, un pilier s'écaille partiellement ; discussions pour définir l'état du pilier : rompu ? pas rompu ? pré-rupture ? post-rupture ? ; et toi, d'ironiser avec l'humour qui te caractérise, sur les experts qui discutent pour savoir si c'est "cassé ou pas cassé !".

Il n'empêche, tu as ainsi fait œuvre de pionnier dans la connaissance du comportement post-rupture des roches. Tes études sont nombreuses, également, sur la géométrie des travaux miniers, où tu as introduit la notion de " largeur critique ", le fameux :

L = k H

Et voici le facteur k traqué, de Roncourt (Lorraine) à Gafsa (Tunisie) et de Spring Hill (États-Unis) à Metlaoui (Tunisie) et à Champagnolle (Jura). Tu décris avec précision et dans ton langage fleuri ce qui se passe en cas de dépassement de la fameuse largeur critique : surcharge sur les bords, rupture en cisaillement, chute des terrains, pistonnage et surpression dans les travaux du fond, les cages éjectées du puits " comme un bouchon de champagne ! " ; drame et humour.

Je me souviens de mon ami Gérard Vouille, effectuant de multiples simulations par la méthode des éléments finis, à la quête - théorique - de la fameuse surcharge critique : "Il y a bien un petit quelque chose, mais rien de critique là-dedans " disait-il, le calcul n'allant pas dans le sens indiqué par ton intuition.

Et là, un de tes traits caractéristiques : ta distance par rapport aux calculs par ordinateur :

" Une mine calculée par éléments finis,
J'y mets pas mon lit !

Au delà de la formule lapidaire, primauté de l'expérience, respect devant les faits, démarche pragmatique, éclairée par les modèles conceptuels, s'ils collent à la réalité. Toute ton approche des effondrements spontanés est une lumineuse mise en perspective de faits d'observation, liés entre eux et mâtinée de sagesse populaire :

" Prends garde qu'à la Chandeleur,
Le mineur ne meure

car à la Chandeleur, il pleut souvent, surtout en Lorraine ! Et la pluie infiltrée dans le sol, joue le rôle de lubrifiant dans les strates des terrains. Et d'aligner les sept faits d'observation dont la coïncidence provoque l'effondrement : largeur critique, présence d'un banc raide au toit, taux d'exploitation élevé, pluviométrie, etc.

Une démarche originale, sachant marier l'observation, l'analogie, la science, la phénoménologie, dans un cocktail " détonant ". Tiens, à propos de " détonant ", laisse-moi conclure par cet éloge du boutefeu, personnage emblématique de la mine, et dont tu as toi-même si souvent fait l'éloge : le boutefeu était celui des mineurs qui, par ses plus grandes capacités, était choisi par ses pairs pour être responsable des explosifs et mettre à feu la volée d'abattage ; le boutefeu, littéralement, c'est celui qui " boute " le feu, qui " pousse " le feu : c'est l'homme qui pousse " le feu de la connaissance et l'apporte au front de taille sans cesse renouvelé du progrès. Quel sacré boutefeu tu es, mon cher Edouard !

Philippe Weber
Professeur à l'Ecole des mines d'Alès




L'INDUSTRIE MINIERE ET PARA-MINIERE FRANÇAISE
par Claude Mandil

Edouard Tincelin, je suis particulièrement heureux de participer à la clôture de votre jubilé pour un nombre important de raisons. La première, et non la moindre, c'est que cela me permet de m'associer à l'hommage qui vous est rendu et cela, à triple titre.

Tout d'abord en tant que patron de l'administration des mines. Bien que je sois obligé de consacrer aux questions énergétiques une bonne partie de mon temps, je n'oublie pas que j'occupe le bureau des anciens directeurs des mines (avec une vitrine de minéraux ... ) et je me rends toujours disponible quand on me sollicite sur des affaires minières.

Edouard Tincelin, je voudrais vous dire que l'administration des mines vous est très reconnaissante des services que vous avez rendus au pays. D'une part, par vos travaux dans les domaines de la mécanique des roches, des méthodes d'exoitation et du boulonnage, vous avez fait progresser la productivité des mines françaises. Et d'autre part, vous avez été, je n'oserais pas dire de tous temps, l'expert reconnu et écouté de l'administration. On se souvient encore, au ministère, de s interventions au moment des catastrophes de Clamart, de Champagnole et de Malpasset. Et, plus récemment (1985) votre expertise sur les glissements de la colline de la Darboussière, surplombant la bauxite des exploitations de Péchiney et de SABAP, glissements qui menaçaient l'abbaye du Thoronet, fut très précieuse pour l'administration.

Autre titre auquel m'associer à cet hommage : en tant que membre du corps des mines. Je fais partie de ces générations d'ingénieurs des mines auxquelles vous avez fait découvrir la mine, auxquelles vous avez fait percevoir la noblesse du métier d'exploitant minier. Et, bien qu'ils ne m'aient pas fait de confidences sur ce point, je ne serais pas surpris que la vocation de certains de mes camarades, qui ont consacré leur vie professionnelle à la mine, ait été initiée par vous.

Et enfin, c'est aussi à titre personnel.

La seconde raison pour laquelle je suis heureux de participer à cette manifestation, c'est qu'elle me donne l'occasion de souligner que, être un mineur français, c'est maintenant aussi être un mineur à l'étranger.

Cela est évident pour des sociétés minières publiques ou privées, telles COGEMA au Canada et au Niger, EMC (Entreprise Minière et Chimique) au Canada, COMILOG au Gabon, IMETAL qui se développe en Afrique du Sud et bien d'autres. Et cela est vrai pour l'ingénierie minière française, qui a su trouver des lieux, à l'étranger, où valoriser ses compétences. Je pense en particulier à Charbonnages de France. Et il ne faut pas oublier notre industrie para-minière, qui, un peu forcée par la conjoncture, me direz-vous, a fait passer la part de son chiffre d'affaires à l'exportation de 55% en 1980 à 70% en 1993. Enfin, "last but not least", il faut bien sûr mentionner les centres de recherche des Ecoles des Mines, et en particulier ceux de l'École des mines de Paris, qui se sont beaucoup ouverts sur l'étranger ces dernières années. Les Ecoles des Mines savent, Edouard Tincelin, ce qu'elles vous doivent sur ce point.

Pour terminer, la troisième raison pour laquelle je me réjouis d'être ici, c'est pour dire, et on n'en a pas si souvent l'occasion, que, malgré la décroissance de l'activité minière en France, l'administration des mines travaille ! Elle travaille même beaucoup ! Je cite, pêle-mêle, les principaux chantiers du moment :

  • la modernisation de notre vieux code minier, pour tenir compte des exigences bruxelloises de transparence et de la montée des préoccupations en matière de protection de l'environnement,
  • la gestion des conflits en matière d'utilisation du sous-sol : de plus en plus, l'utilisation du sous-sol se pose en termes conflictuels. Nous avons à mettre sur pied une méthode pour gérer ces conflits et les arbitrer dans la sérénité,
  • la gestion de notre passé minier : dans certaines régions, les abandons de travaux miniers posent des problèmes complexes, notamment en matière d'hydrogéologie ; il nous faut les résoudre, avec l'aide des experts, bien sûr,
  • l'expression minière dans les DOM/TOM :
    • Sait-on que nous assistons, en ce moment, une petite "ruée vers l'or" en Guyane ?
    • Sait-on que, après un passage en bas de cycle, la production de minerai de nickel repart en Nouvelle-Calédonie ?
    • Sait-on que, dans quelques années, sera peut-être, opérationnel en Nouvelle-Calédonie, un procédé de traitement du minerai de nickel pour lixiviation acide sous pression, susceptible de révolutionner l'industrie du nickel ?
  • la sécurité d'approvisionnement du pays en métaux stratégiques,
  • la protection de notre industrie des métaux non-ferreux contre les importations à prix de dumping (GATT, Système de Préférence Généralisée).
Vous le voyez, Edouard Tincelin, l'administration des mines continue.

Elle s'est adaptée et continuera probablement de s'adapter.

Elle se souviendra longtemps du "petit oiseau" (c'est l'étymologie de votre nom, je m'en souviens bien), j'en suis sûr.

Et en tous cas, je voudrais vous redire toute la gratitude qu'elle a pour vous.

Claude Mandil
Directeur Général de la Direction Générale de l'Energie et des Matières Premières, ministère de l'industrie, Paris




EDOUARD TINCELIN L'INDUSTRIEL
Gérard Vouille

Le titre de cet exposé "Edouard Tincelin l'industriel" ne reflète qu'imparfaitement mon propos, car je ne pense pas qu'on puisse présenter Edouard Tincelin comme un industriel au sens strict mais plutôt comme un homme de science qui a toujours considéré que son activité devait concourir au progrès industriel.

Il n'est pas exagéré de dire qu'il a toujours voulu se situer à la limite entre la Science et l'Industrie, s'efforçant de rendre chacun de ces mondes perméable aux méthodes et aux préoccupations de l'autre; ainsi, il s'est toujours voulu industriel exploitant de mines chez les scientifiques et homme de science chez les mineurs.

Les clefs de cette dualité se trouvent évidemment dans son histoire personnelle, lorsque les événements le propulsent dans la mine à l'âge où sa formation le destinait à l'intégration des équations différentielles dans le cadre sans surprise d'une classe de "taupe".

Ce contact précoce qui lui est imposé avec la réalité de la profession de mineur ne le détourne pas de sa vocation scientifique, mais va l'éloigner définitivement des spéculations abstraites.

L'après-guerre le retrouvera ingénieur d'exploitation, mais très vite il sera rattaché au service technique de la Chambre Syndicale des Mines de Fer de France où il suscitera une approche scientifique des problèmes posés par l'exploitation des mines, approche fondée sur l'observation et la mesure et mettant en œuvre les méthodes expérimentales les plus récentes, souvent héritées des travaux publics.

Il suffit de se reporter à un exposé qu'il fait en 1951 à la Conférence Internationale sur les Pressions de Terrain qui se tient à Liège pour comprendre que dès cette époque les buts qu'il assigne à la recherche répondent aux préoccupations d'un industriel: "Nous espérons fermement que, de nos études ( ... ) il résultera des améliorations notables de nos méthodes d'exploitation, capables non seulement d'entraîner des répercussions heureuses sur le prix de revient, mais encore d'améliorer la sécurité et même le confort ou les conditions de travail du mineur", En même temps, et dans le même exposé, pour résoudre les problèmes techniques auxquels il est confronté (quelle est la forme de galerie idéale, quel est l'entr'axe optimal entre galeries parallèles, comment dimensionner les stots de protection etc.), il récuse l'empirisme pour conclure à la nécessité "d'entreprendre quelques études d'intérêt plus spéculatif portant notamment sur les contraintes en place dans les mines et les lois de comportement des roches minières lorsqu'elles subissent des contraintes. On voit donc que "l'industriel" n'occulte pas, loin de là, l'homme de science.

Il faut s'arrêter un instant sur sa position vis-à-vis de l'empirisme car elle n'est en rien circonstancielle mais, bien au contraire, elle demeurera la ligne directrice de son action dans un milieu où l'on évoque alors plus "l'art" que la science.

Cette position, il l'explicite avec force dans sa thèse datant de 1955 et c'est une condamnation sans appel au nom du progrès et de la rentabilité : "Il est indiscutable que la seule connaissance empirique d'un phénomène, industriel ou non, paralyse tous les progrès et freine considérablement les changements de méthode qui pourraient s'imposer".

Il va donc sans relâche mesurer pressions et déformations dans les mines de fer de Lorraine, utilisant des techniques récemment mises au point telles que vérin plat, cordes vibrantes etc., ou faisant construire par le service technique de la Chambre syndicale des dispositifs de mesure adaptés à l'environnement minier (mesure d'expansion des terrains, de convergence des galeries etc.). La synthèse de cet énorme travail fera l'objet de sa thèse; les considérations théoriques n'en seront pas absentes mais le chapitre le plus important sera consacré aux règles d'exploitation déduites de cette recherche et concernant les exploitations par dépi-lage, le dimensionnement des stots de protection, les exploitations en couches superposées etc., toutes ces règles demeureront en vigueur jusqu'à la fermeture des mes de fer du bassin lorrain.

En évoquant cette période lorraine de l'activité d'Edouard Tincelin, on ne peut évidemment pas passer sous silence sa croisade pour le "soutènement suspendu" comme on l'appelait alors et qui est plus communément désigné actuellement sous le terme de boulonnage: l'accroissement de la sécurité est évidemment l'un de ses objectifs, mais surtout, il a compris d'emblée que la mise en place de ce type de soutènement était susceptible d'être rapidement mécanisée et que son adoption dans les mines de fer de Lorraine entraînerait à coup sûr des gains de productivité substantiels.

Lorsqu'il ralliera l'École des mines de Paris, son objectif concernant la recherche ne variera pas : il faut impérativement qu'elle soit un facteur de progrès industriel ce qui n'est possible que si l'analyse des phénomènes est fondée sur des bases objectives (mesures en laboratoire et in situ) permettant d'identifier des lois physiques (déformabilité, critères de rupture, lois de comportement.) lois que l'on peut appliquer au-delà du cadre strict où elles ont été mises en évidence (simulations physiques et numériques). Sa position clef au sein du monde minier où ses conseils et ses diagnostics sont fréquemment sollicités lui permettra d'identifier les pistes de recherche correspondant aux besoins réels de cette industrie ; sa fonction de directeur du Centre de mécanique de roches (qui deviendra ultérieurement Mines-Infrastructures et aujourd'hui Géotechnique et Exploitation du Sous-Sol) lui donnera la possibilité de promouvoir ces recherches au sein du Centre.

C'est ainsi qu'il va stimuler les recherches sur la rhéologie des roches afin de mieux comprendre l'origine des ruptures différées souvent si meurtrières dans les mines, de manière à concevoir et à mettre en œuvre les moyens d'auscultation permettant de prévoir l'occurrence de ces phénomènes brutaux ..

C'est ainsi qu'il va encourager le développement des méthodes de calcul par éléments finis pour enfin connaître la répartition des contraintes autour des galeries de mine, de manière à déterminer de façon précise les taux de défruitement admissibles.

C'est ainsi qu'il va personnellement encadrer des travaux de recherche sur le soutènement afin d'aboutir à un dimensionnement raisonné des boulons et des cintres.

C'est ainsi que, sous son impulsion, le Centre va se lancer dans l'étude de l'abattage mécanique des roches dans la perspective d'une généralisation de cette méthode dans les mines, avec l'objectif d'une amélioration de la productivité.

Cette enumeration n'est pas exhaustive, mais elle me permettra pour finir de montrer que la plupart de ces thèmes de recherches, considérés initialement dans la perspective d'une amélioration des méthodes d'exploitation des mines, ont connu des développements allant bien au-delà des objectifs qu'Edouard Tincelin leur avait initialement assignés : la poursuite des recherches sur la rhéologie des roches a débouché sur les comportements post-rupture, la viscoplasticité, les couplages thermo-hydro-mécaniques et concrètement sur toute l'industrie du stockage souterrain d'hydrocarbures et de déchets.

Le développement des méthodes de calcul numérique est allé de pair avec le développement des ordinateurs, c'est dire le chemin parcouru depuis vingt-cinq ans: un logiciel comme VIPLEF 3D permet maintenant de résoudre des problèmes à la solution desquels Edouard Tincelin n'aurait même pas oser rêver à son congrès de Liège en 1951.

Le soutènement par boulonnage est désormais d'un usage courant dans les chantiers de travaux publics et j'ai encore en mémoire les interventions d'Edouard Tincelin pour défendre ce mode de soutènement au cours du percement du tunnel routier du Fréjus.

Enfin, les recherches sur l'abattage mécanique se sont poursuivies sans relâche et connaissent actuellement des développements importants dans le domaine des forages pétroliers.

On voit donc sur ces exemples que l'ancrage extrêmement solide d'Edouard Tincelin dans l'Industrie Minière n'a en aucune façon limité à ce domaine précis la arche qu'il suscitait, mais que, tout au contraire, il lui a permis d'identifier les vrais problèmes qui se posent dans toutes les industries qui comportent une excavation du sous-sol, et surtout de contribuer à les résoudre : finalement, c'est en cela que l'on peut sans doute le considérer comme un industriel.

GÉRARD VOUILLE, Président du Comité français de mécanique des roches




DE LA SÉCURITÉ MINIÈRE À LA SÉCURITÉ INDUSTRIELLE
par Jean-François Raffoux

Je vais ici retracer la transition d'un institut que beaucoup d'entre vous ont connu sous le nom de CERCHAR (Centre d'Etudes et de Recherches des Charbonnages) et que maintenant tous connaissent sous le nom d'INERIS.

Transition d'une activité, orientée primitivement vers la sécurité minière, à e activité tournée maintenant en grande partie vers la sécurité industrielle, hors mine. Et si j'ai choisi ce thème de la sécurité pour ce jubilé, c'est que nous savons combien ce thème de la sécurité a été primordial pour Edouard Tincelin, et beaucoup avant moi l'ont déjà dit ce soir.

Je dirai combien nous avons appris dans ce domaine, non seulement d'un point de vue technique, mais aussi et surtout sur l'homme et sa place dans le système de sécurité.

Créé en 1947 pour contribuer à l'amélioration de la sécurité et au progrès technique dans les Charbonnages de France, le Centre d'études et de recherches de Charbonnages de France (CERCHAR) a été confronté dans les années 60-70 aux problèmes liés à la baisse de production des Charbonnages de France.

Les compétences acquises lui ont permis d'opérer des transferts d'activité vers des domaines différents de l'activité économique nationale. En 1990, ces transferts concernaient un volume d'activité qui dépassait la moitié de l'activité du Centre. Comme ils concernaient essentiellement la sécurité et l'environnement industriel, et qu'il n'existait pas en France d'Institut National dédié aux problèmes posés par les impacts de l'activité industrielle sur l'homme et l'environnement, Charbonnages de France et les pouvoirs publics décidèrent de créer l'INERIS (Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques) à partir des équipes du CERCHAR et de la partie des équipes de l'IRCHA (Institut national de recherche chimique appliquée) s'occupant de l'environnement.

Ce passage du CERCHAR à l'INERIS permet, après quelques années de recul, de dire, dans le domaine de la sécurité, comment s'est effectué ce transfert, et quelles ont été les conditions de son succès.

Ce transfert des compétences en matière de sécurité s'est effectué dans deux directions :

  • vers d'autres branches industrielles qui, par certains aspects, présentaient des dangers voisins de ceux que l'on rencontre dans les mines de charbon,
  • vers d'autres mines et carrières françaises ou étrangères où les procédés ou produits développés dans les mines de charbon ont pu être adaptés aux conditions locales.
• Dans le domaine de la géotechnique, de la géomécanique, on est passé des problèmes d'éboulement minier dans les mines aux problèmes d'effondrements sur les anciennes exploitations de carrières.
Je tiens à dire, à cette occasion, qu'en matière de mécanique des roches, les contacts avec Edouard Tincelin et son équipe ont été extrêmement fructueux pour nous et je me souviens des premiers travaux avec Michel Bezon, travaillant avec Jacques Fine sur les éléments finis, et là je crois, on leur doit aussi beaucoup pour le progrès qui a été fait à ce moment-là.
• On est passé des calculs spécifiques miniers de ventilation et d'aérage à l'application de l'aérage dans les tunnels (nous avons été amenés à faire les calculs de ventilation, pendant la période de creusement du tunnel sous la Manche) ou aux problèmes de ventilation dans les halles industrielles. Dans le domaine de la ventilation, il y a eu une large collaboration avec l'équipe d'Edouard Tincelin et Éric Déliac pour adapter les logiciels.
• Dans le domaine de la mesure des empoussiérages, nous sommes passés de la mesure de la poussière dans les exploitations minières et la connaissance de son impact sur l'appareil respiratoire, à la mesure des empoussiérages dans les Industries de surface et à l'adaptation des matériels et méthodes à ce qui peut se passer dans les cabines industrielles, dans les cabines d'engins.
• Dans le domaine des incendies, passage de l'incendie de mine, en particulier de l'incendie de convoyeur à bandes, aux incendies de produits et d'objets divers, comme les incendies de véhicules avec leur impact thermique et aussi la toxicité des fumées qui peuvent être issues de tels incendies.
• Dans le domaine des explosifs, la sécurité d'emploi des explosifs, passage des techniques classiques ou des techniques de fabrication des explosifs sur site dans les mines, à d'autres types d'explosifs qui sont les artifices de divertissement, les fumigènes ... Passage des explosions liées au grisou, aux poussières, aux problèmes d'explosions sur les sites industriels.

Voilà un certain nombre de transferts d'activités que nous avons dû opérer.

A côté des problèmes techniques, ce transfert d'activité a été facilité par la transposition à l'industrie d'une approche systémique qui consiste à prendre en considération l'homme comme élément central d'un système technologie/milieu ambiant/environnement économique et social.

C'est ainsi que je voudrais revenir à Edouard Tincelin, car précisément, dans les rencontres, les discussions, les confrontations techniques que nous avons pu avoir, quand nous n'étions pas forcément d'accord sur le rôle du boulon ou l'interprétation de valeur de résistance mécanique des roches, j'ai toujours su apprécier, chez lui, la prise en compte de ces trois éléments du tripode avec au centre l'homme.

L'homme qui était le mineur, je le retrouve aujourd'hui aussi dans l'opérateur d'un réacteur chimique, ou dans le conducteur d'un transport de matière dangereuse ; homme qui nous apporte l'expérience du terrain, homme qui doit être intégré à tous les stades de la recherche et développement sous peine d'inadéquation entre les solutions techniques et le contexte local, homme qui doit être formé, avant de mettre en œuvre les progrès techniques et homme qui doit être, et je sais que tu y tiens beaucoup, respecté dans la course parfois effrénée que nous connaissons, à la fois à la productivité et à la compétitivité.

Dans les rapports avec Edouard Tincelin, j'ai, comme certainement beaucoup ici, appris tout cela et aujourd'hui je voudrais (et beaucoup à l'INERIS, et certainement ailleurs, se joignent à moi pour tout cela) lui dire un grand merci.




EDOUARD TINCELIN

La mine vingt ans après

Discours prononcé le 14 décembre 1994

Préambule

Avant d'aborder le sujet que l'on m'a imparti "La mine 20 ans après", je voudrais faire quelques remarques préliminaires. Je vais en effet évoquer les sensationnels progrès enregistrés dans les mines à la fin de ce deuxième millénaire et je vais un peu jouer au prophète pour les 20 années à venir. Malgré le déclin actuel sur le sol français et aussi sur le sol européen de toutes nos activités minières, je vais essayer d'analyser les raisons de tels succès ou de tels progrès, raisons qui peuvent être transposées à toute activité industrielle, certes, mais raisons qui ont aujourd'hui toute leur valeur dans les nouvelles activités minières françaises à l'étranger.

Ma première remarque est une lapalissade, qu'il est bon toutefois de rappeler. Dans tout homme, dans toute structure vivante, il y a le souci permanent de parfaire la connaissance et la création. Dans la Genèse, ce magnifique poème qui n'a aucune visée scientifique, on voit le Créateur s'adressant à Adam et Eve donner des consignes ou des conseils : "Croissez et multipliez", puis "remplissez la terre et dominez-la". Ces conseils sont restés imprimés depuis des millénaires dans la conscience humaine. Ils existaient même bien avant que la Genèse ne fut écrite. Tout accouchement qu'il s'agisse d'un être humain ou d'une nouveauté matérielle, industrielle, scientifique ou artistique, se fait toujours lentement, progressivement après beaucoup de peine et souvent de souffrance. Donc la poursuite de la création est innée dans l'âme humaine ; et sa réalisation est toujours lente, pesante mais elle demeure, envers et contre tout, attirante et enthousiasmante. Il n'est donc pas étonnant de constater qu'en cinquante ans toutes les industries ont subi des transformations et améliorations parfois radicales.

Il suffit d'observer ce qui s'est passé à la SNCF, dans l'industrie de l'automobile ou de l'aviation, dans le bâtiment, dans la santé, etc.

C'est le cas de l'industrie minière qui a revêtu un nouvel aspect quittant définitivement le milieu décrit dans "Germinal" pour entrer dans l'ère de la mécanisation intégrale, de l'automatisme, de la disparition des efforts pénibles, de la suppression de la quasi totalité des accidents. Ceci est vérifié dans les Houillères, dans les mines métalliques, dans la potasse, dans les phosphates etc.

Je vais rapidement illustrer cette rénovation, cette création au sein des mines de fer de Lorraine, où je suis rentré en 1943 par la "grâce" du STO.

J'ai donc connu de très près le marteau perforateur, le tir à la mèche lente, la pelle pour charger les wagonnets, la chandelle de bois pour soutenir, les meurtrières chutes de bloc malgré les très pénibles opérations du sondage et du purgeage. Tout ceci dans une atmosphère parcimonieusement renouvelée et en compagnie de prisonniers russes n'ayant aucune pratique minière.

Six mois après, on me demandait de créer et d'animer une école d'apprentissage pour former les futurs ouvriers mineurs. C'était le début de l'une de mes fonctions, celle d'enseignant. Là je me suis rendu compte que l'un des secrets d'une bonne pédagogie consiste à s'appuyer sur le concret de ce que l'on a vécu intimement. Plus tard, j'apprendrais ici même, à l'Ecole des Mines de Paris, que ce "secret" est toujours vrai, même lorsque la question est abordée sur le plan le plus théorique.

Revenons aux mines de fer, qui à mes yeux sont restées jusqu'à leur fermeture à la pointe du progrès, engendrant des techniques ou des équipements qui ont envahi le monde entier non seulement dans la mine mais aussi dans les travaux publics. Nous essayerons d'analyser les raisons d'une telle réussite et les conditions pour qu'elle puisse éclore.

Les mines de fer de Lorraine

Le tableau 1 met en évidence l'augmentation spectaculaire de la productivité s'exprimant en tonnes de minerai abattues et chargées, par poste d'ouvrier présent au lieu d'abattage d'une part, par poste d'ouvrier présent, c'est-à-dire incluant les postes d'ouvriers affectés non seulement à l'abattage, mais aussi à toutes les autres fonctions qui s'exercent au fond de la mine et enfin par poste d'ouvrier au fond et au jour.

On passe ainsi pour les ouvriers au fond de 5 tonnes en 1945 à 65 tonnes en 1990, c'est-à-dire 13 fois plus.

Si maintenant je considère le taux de fréquence des accidents avec arrêt de travail, on passe pour les mêmes années de 33 à 5, c'est-à-dire 6 à 7 fois moins. On voit également la diminution spectaculaire des accidents mortels survenant chaque année.

Quelles sont les raisons d'une telle amélioration de la productivité et de la sécurité ?

Monsieur Varoquaux vous a décrit l'ensemble des innovations techniques réalisées. Je rappelle ici quelques exemples où j'ai été impliqué avec d'autres personnes.

On est passé du tir artisanal au "jumbo" et j'ai peut-être construit le premier jumbo de foration dans le monde ou tout au moins en Europe avec l'aide de toute une équipe de la mine Sainte Barbe.

Actuellement on utilise des jumbos de plus en plus perfectionnés desservis par un seul homme capable de forer 5 à 6 schémas de 35 coups de mine par poste (soit près de 750 mètres de trous forés par poste).

On est passé du sondage purgeage à la barre à mine avec tous les risques que cela comporte au purgeage systématique et mécanisé, grâce à des machines à purger.

On est passé de la pose plus ou moins aléatoire d'un soutènement bois au boulonnage systématique et mécanisé.

Je termine ici cet énoncé des améliorations et modifications réalisées dans la mine.

Je voudrais plutôt analyser les causes ou plutôt les motivations qui ont engendré cette recherche perpétuelle de l'amélioration des conditions de travail, de la productivité et de la sécurité.

On peut penser qu'il s'agissait tout d'abord d'une recherche permanente pour améliorer le prix de revient de la tonne abattue. Cette préoccupation, sans être absente, n'était pas la motivation essentielle car toutes ces mines liées à une usine sidérurgique étaient assurées d'évacuer leur production qui par ailleurs intervenait relativement peu dans le prix de revient de la tonne de fonte produite.

A notre avis la première motivation est le désir inné de chacun d'engendrer l'innovation et de participer ainsi pour sa part à la création.

Mais il est des circonstances de la vie industrielle où ce désir devient un appel contraignant, obsédant, ne permettant aucun retard. Ce sont les catastrophes minières, les accidents mortels, et les ravages engendrés par certaines maladies professionnelles.

C'est devant le nombre effrayant de tués par chutes de blocs que l'on a introduit le boulonnage, qui a permis non seulement de supprimer la quasi-totalité des accidents par chute de blocs, mais a permis de plus l'introduction de la mécanisation, les machines n'étant plus gênées par les encombrantes "chandelles" (Tableau 2).

Moi-même, j'ai largement participé à la généralisation de ce type de soutènement, en équipe avec d'autres ingénieurs, et j'ai été violemment motivé à la suite d'un accident survenu dans la mine où j'étais tout jeune ingénieur.

Un accident, ou plutôt une catastrophe, due au manque d'aérage, a été à l'origine de l'introduction des ventilateurs et des études entreprises sur F aérage pour améliorer l'ambiance atmosphérique. Toutes ces études et toutes ces réalisations ont permis l'introduction des engins à moteur diesel au fond, un des éléments essentiels de l'amélioration de la productivité.

Sept effondrements spontanés ont marqué les mines de fer depuis 1910. Tous les piliers découpés au sein d'une zone exploitée par piliers abandonnés explosent et s'effondrent en même temps occasionnant un souffle d'air très puissant et très meurtrier même dans les régions éloignées du lieu de l'effondrement. Au septième effondrement, celui de la mine de Roncourt ayant causé cinq morts, toute la profession n'a plus supporté l'idée que l'on puisse encore s'exposer à de tels incidents.

On a alors étudié et relevé toutes les circonstances communes à ces effondrements spontanés. On a ainsi mis en évidence les lois de la géométrie des surfaces exploitées, on a perfectionné et mis au point des méthodes de calcul et de surveillance des zones exploitées par piliers abandonnés.

Ces accidents ont maintenant disparu. Mais à la suite de ces calculs, on a pu raisonner avec beaucoup plus d'efficacité sur la stabilité des édifices souterrains.

On a ainsi été conduit à préconiser l'emploi des îlots réduits pour l'exploitation des zones à tenue délicate, en détournant les pressions sur des zones massives abandonnées, et même en réussissant à éliminer les venues d'eau.

Dans le journal "Le Monde" du 16 novembre dernier, on a pu lire un article intitulé : "L'accident qui sauve" et en sous-titre l'énoncé suivant :

"Tirer les leçons des catastrophes pour apprendre à analyser et à gérer les risques : tel est le but d'une nouvelle discipline scientifique: la cindynique (du grec Kindunos = danger)"

Voilà plus de cinquante ans que les mines et le service des mines pratiquent la cindynique (sans le savoir) en analysant dans le détail tous les accidents individuels ou collectifs, en énonçant des règles ou des conseils à suivre pour pallier les risques mis en évidence, pour former, pour informer toute la maîtrise et tout le personnel.

Dans les mines de fer, nous sommes arrivés à des taux de fréquence des accidents équivalents à ceux de toute industrie ; par contre, le taux de gravité reste encore nettement supérieur.

Cette recherche permanente de la sécurité, non seulement n'a pas été un frein pour la productivité, mais a engendré une atmosphère et des conditions favorables à la mécanisation. Cette évolution s'est faite sans apparemment créer de problèmes de rentabilité.

Bien d'autres exemples tout aussi éclairants pourraient être cités.

La deuxième motivation aussi puissante qu'une épée dans le dos, est liée à l'environnement.

L'industrie minière en a pris conscience il y a une vingtaine d'années avec ses conséquences, son cortège de licenciements et de fermeture des mines. Jusqu'alors toute l'industrie minière s'estimait intouchable et les mines de fer encore mieux que les autres puisque faisant partie d'une sidérurgie. Jusqu'alors on se préoccupait essentiellement des rendements en tonnes par homme et par poste et beaucoup moins des prix de revient ; "On comptait les berlines". Tout d'un coup dans les années 70, surgissait le début de la chute des ventes donc de production, la notion de licenciement, ou plutôt de reclassement du personnel, et l'impératif de la recherche du prix de revient minimal. Alors on s'est préoccupé activement de gestion, de politique raisonnée d'investissement. C'est l'époque où Monsieur Vielledent, Monsieur Duchêne et moi-même avons introduit l'informatique à l'Ecole des mines pour développer certaines techniques de gestion, en particulier grâce à l'emploi des méthodes de simulation (Monte-Carlo).

Ces études, trop lourdes et trop générales, ont toutefois marqué la profession qui a pris conscience du poids de certaines notions telles que les opérations situées sur le chemin critique, les files d'attente, les temps d'activité et d'inactivité des engins, l'influence de l'entretien préventif, l'importance des stocks, la politique d'entretien etc.

L'expérience a montré que l'on obtenait les mêmes conclusions en se contentant des relevés des chronométrages pour connaître les temps de parcours, les temps de chargement et de déchargement, etc. On peut alors à la main bâtir le cycle de fonctionnement d'un quartier de mine en se contentant de la moyenne de tous ces temps sans passer par le marteau pilon de la simulation. On s'est alors lancé dans la recherche des économies de toute nature en fournitures et en personnel. Il fallait par tous les moyens améliorer les performances pour éloigner l'hydre des licenciements et de la fermeture. On a introduit de nouveaux équipements en remplaçant la chargeuse Joy à pinces, desservie par deux camions navettes et nécessitant trois personnes, par une seule chargeuse-transporteuse conduite par un seul homme.

On a remplacé le tir à l'oxygène liquide, pourtant très bon marché et très efficace, mais nécessitant toute une infrastructure en personnel et en matériel, par l'emploi du nitrate fioul, explosif fabriqué par la profession et très simple d'emploi.

Une troisième raison qui a favorisé et même engendré le développement fulgurant de toutes ces innovations, a été l'organisation de la profession, déjà évoquée par Monsieur Varoquaux, président de la Chambre syndicale des mines de fer. Plus qu'une cause, il s'agit d'une condition qu'il fallait remplir pour aboutir rapidement aux innovations.

Toutes ces mines appartenant à des sociétés sidérurgiques concurrentes ont mis en commun leur savoir-faire, leurs performances, leurs trouvailles, leurs nouveautés et cela au sein de commissions techniques se réunissant chaque mois.

Dans ces conditions, l'information circulait très vite et une saine émulation marquait tout un chacun. La fameuse cindynique a fonctionné à plein pendant ces cinquante dernières années. On avait organisé des Coupes de Sécurité pour motiver tout le personnel. Les lauréats étaient fêtés sans que les derniers se sentent coupables.

Enfin cette structure communautaire qu'était la Chambre Syndicale des Mines de Fer était largement ouverte aux suggestions provenant de l'extérieur en particulier celles provenant du Centre de Géotechnique et d'Exploitation du Sous Sol de l'Ecole des Mines de Paris. En effet, les mines de fer nous ont confié de nombreuses études et recherches dans les domaines de la mécanique des roches, du soutènement, du tir, de l'abattage mécanique, de la gestion etc.

Cette symbiose entre exploitants et chercheurs a été particulièrement bénéfique pour tous.

Cette structure communautaire non hiérarchique, cette alliance exploitants-chercheurs a grandement favorisé et accéléré cette perpétuelle création d'innovations, d'améliorations, fruit de travaux toujours effectués en équipe.

Cette analyse du passé récent de l'industrie minière en prenant pour cadre les mines de fer de Lorraine va nous servir pour expliquer maintenant les conditions d'un avenir efficace de la mine en France.

La mine vingt ans après

On peut comprendre de multiples façons ce titre qui m'a été imparti par les organisateurs de cette réunion sans doute comme un petit traquenard ou plutôt comme un malicieux défi. Je vais le comprendre comme ma vision de la mine de demain non seulement à l'Ecole des Mines ici, mais aussi sur le terrain, c'est-à-dire dans l'industrie.

Tout d'abord, je vais rappeler une vérité première et fondamentale qu'il est bon de formuler à une époque où l'on constate que l'on s'oriente vers la fermeture des mines au moins en France et dans toute une partie de l'Europe. Je vais reprendre une image de Monsieur Riveline qui a travaillé avec moi dans les années 60. Toute l'activité économique ressemble à une table de joueurs de poker ; on y joue des sommes d'argent considérables, mais pour ce faire, il faut un jeu de cartes dont le prix de revient est tout à fait marginal en regard des sommes mises en jeu. Mais, sans ces cartes, le poker est impossible. Sans la mine l'activité économique est très rapidement arrêtée.

Presque tous les pays européens ont cependant adopté la même politique en considérant les mines situées sur leur territoire comme non rentables, soit que la teneur du minerai soit trop faible, soit que les conditions techniques d'exploitation soient trop coûteuses, car très difficiles.

Cependant, des sociétés industrielles de presque tous les pays européens, ouvrent des mines ou achètent des mines en Amérique du Nord, en Australie, en Afrique etc.

C'est certes avec grande nostalgie que je vois la disparition de tant de mines en France où nous avons laissé tant de traces, nous Ecole des Mines, d'autant plus que parfois nous ne sommes pas entièrement convaincus du bien-fondé de telle ou telle décision de fermeture ou de vente.

Mais foin des regrets inutiles.

Nous devons revoir notre copie.

C'est vers l'étranger que nous devons nous tourner. Administrer des mines en Amérique, en Australie, en Afrique impose compétence dans l'art des mines de la part du ou des décideurs.

Si nous n'y veillons pas, dans peu d'années nous n'aurons plus cette compétence. Nous serons alors complètement dépendants de l'étranger.

On ne s'improvise pas gérant ou administrateur d'une société minière. On peut être très bon gestionnaire et très bon financier, mais cela n'implique pas la clairvoyance en matière de mine. Les calculs de rentabilité ne suffisent pas car si on connaît bien les capacités ou la rentabilité de tel équipement industriel, on connaît moins bien les capacités et la rentabilité d'une mine car ces notions dépendent de bien des facteurs. Les risques sont bien moins mesurables, en particulier ceux qui dépendent de la tenue des terrains, des variations aléatoires des cours et de la teneur in situ, sans oublier les incidents plus ou moins traumatisants (eau, gaz, feu). La seule façon d'opérer à l'étranger ne peut se trouver qu'au sein d'une société assez importante pour partager ses risques dans plusieurs paniers, c'est-à-dire dans plusieurs sites miniers avec un état-major ou un bureau d'étude très bien versé dans les procédés miniers et avec un ou deux centres de recherches qui ne soient pas en-dessous du covolume.

Nous pouvons, et nous devons, contribuer à la formation des quelques ingénieurs de haut niveau appelés à animer les centres de décision de nos mines à l'étranger.

L'administration, quant à elle, doit favoriser la création de ce (ou de ces) holdings miniers possédant des mines sur tous les continents. Ces différentes mines aux techniques variées et aux substances extraites différentes seraient dirigées obligatoirement par des autochtones, mais accueilleraient pour assurer leur formation les ingénieurs que nous aurions initiés et destinés ultérieurement à l'ingénierie de l'état-major.

Autrefois la société Pefiaroya assurait cette mission de présence sur les marchés internationaux des matières premières minérales sur presque tous les continents. Nous pensons qu'il faut faire revivre une telle structure, en lui conférant peut-être une dimension européenne.

La COGEMA aurait sans doute l'assise, la compétence et l'envergure pour créer ce holding minier.

C'est indispensable si nous voulons quelque peu maîtriser les marchés sans subir le sort des simples consommateurs exposés aux diktats des monopoles étrangers.

En dehors de cette voie notre dépendance économique va se poser. Nous n'aurons même pas de cartes pour jouer au poker.

Nous à l'École des mines, au sein du CGES, nous avons de quoi assurer cette fonction de formation des quelques mineurs nécessaires à notre économie et notre centre, que dirige maintenant Monsieur Cheimanoff avec grande compétence, reste à la pointe du progrès dans les domaines essentiels de l'industrie minière, il s'agit :

  • du tir et de l'abattage mécanique,
  • du soutènement,
  • de l'aérage,
  • du choix des méthodes d'exploitation,
  • de la sélectivité, de l'économie minière, etc.
Enfin n'oublions pas les conditions de l'efficacité d'une structure minière, que nous avons évoquées dans la première partie en analysant les raisons de la formidable progression des mines de fer en cinquante ans.

Nous avons souligné l'apport des liaisons unissant les activités industrielles et les activités de recherche sur la genèse des innovations.

Or je pense qu'en matière d'innovation, des voies royales s'offrent à nous, École des mines de Paris au sein du Centre de Géotechnique et d'Exploitation du Sous-Sol.

En matière de machines d'abattage nous devons à mes yeux abandonner les seules machines à pics et nous tourner vers les machines de dimensions restreintes qui associent des disques et les pics, les disques broyant la roche et les pics déchaussant les produits broyés. Alors les mineurs continus seront économiquement et techniquement opérationnels dans l'exploitation minière dont les roches sont souvent dures voire très dures.

En matière de tir, l'apparition des nouveaux produits et des nouvelles possibilités en micro-retard "vraiment micro", ouvrent de nouvelles perspectives.

En matière de soutènement, nous avons fait ces derniers mois d'énormes progrès. Tout d'abord, Monsieur Fine a publié un document remarquable sur cette question rassemblant de façon cohérente tout ce que nous avions établi ensemble et avec Monsieur Sinou. Ensuite, nous venons de mettre au point avec les Boulonneries d'Ars-sur-Moselle et les responsables de la mine de Mairy le boulonnage long bien plus longs, que l'ouverture des galeries à soutenir. On a ainsi révolutionné la mine de Mairy. Ce boulonnage long va être introduit à la mine de Texas Gulf Soda ASH dans le Wyoming (USA).

Avec nos collègues américains, nous avons ces temps-ci appris à utiliser le temps en matière de soutènement en dépassant le stade de la simple recherche de la plasticité.

Les MDPA avaient montré que dans le sel à grande profondeur on obtenait une très bonne tenue des galeries en creusant simultanément deux galeries parallèles séparées par un pilier assez mince pour que ce pilier entre en plasticité. Alors il ne poinçonne plus ni le toit ni le mur.

Quand on procède de même dans le Trôna, qui est une substance aux caractéristiques voisines du sel, on n'obtient aucun résultat positif, aucune amélioration. En effet ce Trôna est bien moins rapidement plastifiable que les marnes qui le surmontent ou bien qui se trouvent au pied.

Mais en sacrifiant deux galeries séparées par un gros pilier, on obtient avec le temps la plastification des parements de ces galeries sacrifiées.

On perce alors la galerie centrale creusée au milieu du gros pilier médian.

Les piliers qui la bordent étant déjà plastifiés auparavant, ils ne poinçonnent plus ni le toit ni le mur et la tenue de cette galerie centrale est parfaite. Comme elle devient une infrastructure vitale, on la boulonne avec des boulons très longs scellés sur toute leur longueur.

Nous travaillons actuellement à résoudre le boulonnage du mur avec des boulons faits de cordage en matière plastique, afin de ne pas endommager les pneumatiques des engins circulant dans les galeries.

Voilà les nouveautés en matière de soutènement, technique aussi vieille que les mines mais qui peut encore subir des innovations spectaculaires à condition d'associer étroitement exploitant et chercheur.

Enfin, il faut toujours promouvoir des innovations même dans les méthodes d'exploitation.

Nous avons déjà parlé de l'introduction des îlots réduits. Dans un autre domaine, nous avons lancé dans la mine du Bourneix et avec l'aide de la CEE des recherches et des essais pour introduire à nouveau le foudroyage descendant dans les filons verticaux difficiles.

Enfin, il n'y a pas que la mine métallique qui peut profiter de nos services. Avec les Ardoisières d'Angers à Misengrain, nous avons mis au point le boulon-nage de très grandes chambres souterraines. Il y a plus de 50 chambres réalisées. Elles ont des dimensions considérables : 30 m de largeur, 40 m de hauteur, 60 m de longueur. Ces chambres que les mineurs savent faire et que nous savons soutenir ne pourraient-elles pas abriter nos centrales atomiques ? Certes il y a de nombreux problèmes à régler mais ils ne sont pas insolubles. Ces centrales atomiques souterraines ne constitueraient plus un danger potentiel pour l'environnement atmosphérique.

Non, l'activité de la mine dans cette Ecole n'est pas morte, elle est au contraire bien vivante et bien nécessaire ne serait-ce que pour conserver un savoir-faire qui n'existe nulle part ailleurs. En effet, les conditions difficiles qui ont souvent marqué nos exploitations minières ont imposé la mise au point de techniques et d'équipements spécifiques qui s'imposent un jour ou l'autre à l'étranger ou dans d'autres branches de l'activité industrielle.

Non, nous ne sommes pas moribonds, mais bien vivants, capables d'innovations importantes et n'oublions pas que nous avons pu créer tout un réseau d'échanges et d'amitiés avec de nombreux pays où la mine est bien présente. Je veux évoquer, par exemple, le Maroc où nous avons de nombreux anciens élèves, puis le Niger, le Gabon, la Grèce, le Portugal, l'Amérique du Nord et du Sud, etc.

Il faudra certainement revoir très vite la conception de l'enseignement et de la recherche en ce qui concerne la mine dans une structure européenne, c'est bien là un nouveau défi pour nous. C'est à nous de le promouvoir avec Nancy et Aies, car nous avons tous les atouts pour le faire et pour réussir.

Edouard Tincelin