Georges Charles PERRINEAU (1912-1994)

Né à Loudun (Vienne), décédé à Paris. Fils de Louis Perrineau, industriel, et de son épouse née Marguerite Lesage
Epousa Jacqueline Granger, fille de Paul Théodore Auguste Granger (1878-1936 ; X 1898, officier de marine) ; remarié à Paule Nyström. Enfants : Catherine (mère de Sébastien Stein, avocat), Brigitte, Jean-Marie.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (sorti 2ème de la promotion 1930) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.

1936-1946 : arrondissement minéralogique de Paris, puis Grenoble.
1946-1949 : directeur des mines, puis des mines et de la sidérurgie au ministère de l'industrie.
Après 1949 : gère différentes sociétés minières.
1952-1978 : président de la fédération syndicale des minerais et métaux bruts (son successeur est Jean-Yves Eichenberger).
1963-1970 : président de la Compagnie de Mokta.
1976 : mis à la retraite du corps des mines, dont il était en disponibilité depuis 1952.

Officier de la L.H.


L'article qui suit a été publié dans Revue des Ingénieurs MINES, janvier 1995.

Georges PERRINEAU

L'AVENTURE DE L'INDUSTRIE MINIÈRE
EN FRANCE ET À L'ÉTRANGER

par
Jacques PECCIA-GALLETTO
et Paul GADILHE.

La Rédaction de la Revue attire l'attention des lecteurs sur cette chronique nécrologique qui constitue une partie notable de l'histoire de l'industrie minière française durant la période des « Trentes Glorieuses ».

Georges PERRINEAU, né le 7 mars 1912 à Loudun, nous a quittés le 16 mai 1994.

Il a passé son adolescence à Tours, dans une chaude et heureuse atmosphère familiale. Il fréquenta le lycée Descartes, dont il fut un des plus brillants élèves et c'est tout naturellement qu'à l'âge de 18 ans, il fut reçu dans un rang excellent à la fois à l'Ecole Normale et à l'Ecole Polytechnique ; il choisit cette dernière, d'où il sortit en 1932, deuxième de sa promotion, dans le Corps des Mines. Marqué par la Touraine de sa jeunesse, il ne manquera jamais de revenir dans sa douce province, source de sa vaste culture, scientifique, littéraire, philosophique, artistique.

A sa sortie de l'Ecole des Mines, il est affecté à l'arrondissement minéralogique de Paris et en 1937, il est chargé du poste d'ingénieur ordinaire à Grenoble, poste qu'il conservera jusqu'en 1944 - avec l'interruption de la guerre qu'il fera comme Lieutenant d'artillerie de montagne sur le front italien et au Liban.

En décembre 1944, promu ingénieur en chef, il est rappelé à Paris au poste d'adjoint au Directeur des mines ; il est notamment chargé de la direction de la Caisse de compensation des prix des combustibles. Ces nouvelles fonctions lui permettant d'aborder à l'échelle nationale les problèmes que pose la reconstruction du pays, il va ainsi former sa culture économique ; sans abuser de trop savantes théories macro-économiques, il analyse chaque problème concret, avec l'aide de l'outil mathématique si c'est nécessaire, pour parvenir à l'énoncé d'une solution claire. Il en sera ainsi tout au long de sa carrière, aussi bien dans ses activités professionnelles directes que dans tous les cercles d'études, groupes de réflexion auxquels il participera.

En mai 1946, il est nommé Directeur des Mines et le restera jusqu'en octobre 1949 ; deux faits saillants sont à retenir de cette période :

Dans ces deux circonstances Georges PERRINEAU manifestera ses qualités d'indépendance d'esprit et de sens politique.

Il prend également une part active dans les questions sociales notamment à propos du « statut du mineur ».

En octobre 1949 Henri LAFOND, un mineur, président de la Banque de l'Union Parisienne et de plusieurs entreprises minières, éminente personnalité du monde financier et industriel, qui connaissait les qualités de Georges PERRINEAU fait appel à lui. Dès lors ce dernier va participer au développement de l'industrie minière en France et à l'étranger - au cours de cette période des « Trente Glorieuses » - spécialement dans deux secteurs :

Lorsqu'il transmet son poste de Directeur des mines et de la sidérurgie à Jacques DESROUSSEAUX, Georges PERRINEAU est appelé à exercer la présidence de la Compagnie Minière de Rhénanie, qui exploite les charbonnages de Carolus Magnus dans le bassin d'Aix-la-Chapelle, propriété de l'Etat français. Il en dirigera les opérations jusqu'à la fermeture de la mine en 1963.

En 1954, il est nommé président de l'Association Minière : il s'agit d'un holding, primitivement contrôlé par la banque Mirabeau et qui dispose d'un portefeuille de diverses sociétés industrielles et minières - parmi lesquelles une société d'étude d'extraction de la magnésie marine, une société de fabrication du calcium métal et surtout une part dans la Compagnie Générale de Géophysique et dans la Compagnie des Mines de Huaron, qui exploite avec profit des gisements de plomb et de zinc au Pérou.

A la même époque Henri LAFOND qui est le premier président de Comilog constituée en 1953 pour exploiter le grand gisement de manganèse de Moanda au Gabon, le charge de la direction du projet qui comprend l'équipement de la mine, la construction d'un téléphérique et d'un chemin de fer et les installations du port d'embarquement de Pointe-Noire au Congo ; participent à ces travaux les équipes de l'US Steel, le partenaire américain qui possède 49 % des actions de la société (les 51 % restant se répartissant entre le BRGM, la Banque de Paris et Mokta).

Mines de Grand-Lahon : chargement du minerai sur péniche (Côte-d'Ivoire).

En 1957, Georges PERRINEAU est nommé administrateur de la compagnie de Mokta ; il fait partie du comité de direction. En 1962, il en devient vice-président et à la fin de la même année, il succède à Henri LAFOND à la présidence de la SACEM, une filiale qui exploite les gisements de manganèse de l'Imini au Maroc.

Le 6 mars 1963 survient le décès tragique d'Henri LAFOND. Comme ce dernier en avait exprimé le souhait, Georges PERRINEAU lui succède ainsi qu'à la présidence de la Compagnie des Mines de Huaron, dont Mokta avait augmenté sa participation depuis sa fusion avec l'Association minière.

Lorsqu'il prend ses fonctions, la situation générale est difficile. L'indépendance de l'Algérie est récente (elle date du 1er juillet 1962), elle a entraîné la fermeture anticipée de la mine de fer de Béni-Saf, presque centenaire ; la situation de la petite mine de Khanguet, ouverte en 1958 apparaît précaire et la filiale tunisienne de Djerissa, florissante depuis 1910 voit son avenir bien assombri. Sur le plan mondial les cours des matières premières sont déprimés et les résultats des mines d'Espagne et de la Côte-d'Ivoire, qui donnent satisfaction sur le plan technique, ne compensent pas les déconvenues sur les autres secteurs. Enfin les petites filiales industrielles françaises héritées de l'Association minière n'offrent pas de perspectives de développement.

Georges PERRINEAU va s'efforcer de développer la stratégie fixée par Henri LAFOND quelques années plus tôt, et qui se trouve justifiée dans les faits : maintenir, autant qu'il est possible, les activités nord-africaines et en même temps procéder à une vaste diversification à deux niveaux ; géographique, Afrique Noire, France, Canada - et opérationnel ; toutes les activités minières et les industries connexes.

Cette politique était déjà en oeuvre dans deux opérations : d'une part, la mine de Comilog dont le démarrage en fin 1962 était donc très récent et d'autre part, la mine gabonaise de la COMUF, société créée par le CEA en 1958 avec comme coactionnaire Mokta qui en assurait la direction depuis 1961. L'uranium devient un des principaux axes de développement de la compagnie.

De nouveaux chantiers sont alors mis en oeuvre :

Mine d'uranium de Cluff Lake Saskatchewan (Canada).

Au cours des années suivantes la situation du marché s'améliore et les anciennes filiales de la CAM en Espagne et de la SACEM au Maroc se développent, ainsi que la mine de Huaron.

En 1965, Georges PERRINEAU préside en Côte-d'Ivoire les cérémonies du centenaire de Mokta en présence du président Houphouët-Boigny. Une prise de participation minoritaire est effectuée dans la compagnie qui va exploiter le minerai de chrome de Madagascar, sous la direction d'Ugine.

En 1967 Mokta accroît ses intérêts dans l'uranium par son entrée dans le capital de la Somaïr, qui va mettre en exploitation un important gisement au Niger. Le marché mondial de l'uranium ne s'est pas encore ouvert mais la politique dynamique du CEA garantit des débouchés aux entreprises françaises à l'étranger.

La même année les opérations de rapprochement entre Suez et la Banque de l'Union parisienne ont pour conséquence l'entrée directe de Suez dans l'actionnariat de Mokta ; en outre Suez lui apporte ses participations dans Huaron et la Comuf.

En 1968, devant l'importance des capitaux à mettre en oeuvre pour tout nouvel investissement minier, Georges PERRINEAU se rend compte que la stratégie fixée par Henri LAFOND ne peut pas être poursuivie avec les seules capacités financières de Mokta, et, pour préparer l'avenir, il crée, avec Péchiney la société minière Péchiney Mokta qui va gérer à parité, un ensemble de participations dans l'uranium et financer les dépenses de recherches spécialement en Saskatchewan, où des indices positifs sont en voie d'apparaître.

L'intégration verticale que Georges PERRINEAU avait envisagée n'allait pas aboutir et ce fut au contraire une intégration horizontale, qui allait permettre à Mokta de poursuivre son destin. En octobre 1970, la société le Nickel qui allait devenir peu de temps après, le holding « Imetal » faisait aux actionnaires de Mokta une offre publique d'échange. Cette opération qui fut un succès complet, regroupait dans un groupe unique la quasi-totalité des activités minières françaises ; Georges PERRINEAU restant administrateur et conseiller.

Peu de temps après survenait la très belle découverte du gisement d'uranium qui allait devenir la mine de Cluff Lake et qui était en définitive le résultat de la décision qu'il avait prise « d'aller au Canada », au moment où il succédait à Henri LAFOND.

Georges PERRINEAU est élu président de la Fédération des minerais et métaux non ferreux en janvier 1952 et jusqu'en 1978 il va occuper ces fonctions, jouant ainsi pour l'industrie minière et métallurgique française, un rôle essentiel.

Sur le plan national, l'époque en est encore au passage de l'économie de pénurie à l'économie libérale et il va faire aboutir progressivement des sujets tels que :

  • le retour à la liberté des prix des matières premières basés sur les cours mondiaux (avec les problèmes du taux de change);
  • la création de la Provision pour Reconstitution des Gisements (PRG), outil fiscal indispensable à la recherche minière, en France et à l'étranger ;
  • la participation à la politique sociale (statut du mineur -caisses de retraite) ;
  • la création d'un nouveau code minier ;
  • la mise en oeuvre du « Plan Cuivre » étendu ultérieurement à l'ensemble des métaux ;
  • la participation à l'élaboration de la politique de l'uranium au sein du Comité des mines du CEA.

    Sur le plan international, l'organisation de l'économie mondiale est en cours ; l'OECE a été créé en 1948 (elle deviendra l'OCDE en 1961), le GATT est créé à la même époque et le traité de Rome est de 1957. Dans toutes ces instances, il s'agit de défendre les intérêts de la profession et Georges PERRINEAU s'y emploiera avec patience et ténacité.

    C'est au moment où il prend ses fonctions que commence la série d'événements qui va aboutir progressivement à l'indépendance des pays d'Outre-Mer. La tâche de la Fédération est considérable, compte tenu du poids de l'industrie minière dans l'économie de ces pays.

    Ses interventions vont prendre des formes très diverses comme :

  • la participation au « plan de Constantine » en 1958 avant l'indépendance de l'Algérie ;
  • la négociation de conventions d'établissements avec les nouveaux pays indépendants, comprenant des clauses de stabilité fiscale et de liberté des transferts financiers ;
  • la défense des actionnaires des entreprises nationalisées par certains nouveaux gouvernements ;
  • la participation aux aides internationales aux pays en voie de développement (accords de Yaoundé, de Lomé) ;
  • la mise au point des accords de garantie des investissements internationaux sous les auspices de la Chambre de commerce internationale et de la BIRD.

    Ses fonctions à la Fédération l'amènent à siéger au conseil du BRGM de 1959 à 1980 ; grâce à sa compétence et à la finesse de son analyse, ses avis seront toujours accueillis avec le plus vif intérêt.

    Enfin, Georges PERRINEAU fit partie de différents comités ou conseils dans les trois écoles des mines, participant ainsi à la formation des ingénieurs.

    Jusqu'ici il a été question des activités professionnelles de Georges PERRINEAU. Mais son esprit était trop vaste pour qu'il ne prit pas part aux mouvements d'idées qui surgissaient dans cette nouvelle société. Très tôt il choisit d'adhérer à l'ACADI. Cette « Association de cadres dirigeants de l'industrie pour le progrès social et économique » avait des origines remontant à l'occupation, et notamment lorsque des hommes comme Maurice Lacoin, Louis de Mijolla et René Perrin mettaient en commun leurs projets pour l'avenir du pays après sa libération : gagner la bataille de la production puis réaliser un développement économique capable de faire surgir une nouvelle vie sociale.

    Une telle entreprise, animée par des hommes avec lesquels Georges PERRINEAU partageait la philosophie et l'éthique, le séduisit et après son inscription, dès 1948, il prendra une part de plus en plus active, aux différents colloques et réunions. Il utilise bien souvent le bulletin pour faire connaître des idées toujours originales dans un style d'une haute qualité. Citons certains sujets (dont on pourrait facilement retrouver les références précises) parus entre les années 1955 et 1984.

  • « Au-delà des chiffres » ;
  • « L'égalité des chances » ;
  • « Le crépuscule du 5e jour » ;
  • « Instruction publique ou éducation nationale » ;
  • « Les limites du capitalisme américain » (notes de lecture) ;
  • « Croissance zéro »;
  • « L'inflation française ; Inflation et Industrie » ;
  • « L'avenir de l'économie mondiale » ;
  • « La main-d'oeuvre marchandise » ;
  • « Des chômeurs par légions » ;
  • « L'Europe économique : deux poids, deux mesures ».

    En outre ce fut lui qui présenta en 1971 le rapport introductif au congrès du XXVe anniversaire de cette association.

    Cet hommage ne serait pas complet si l'on ne soulignait pas certains autres aspects de la vie de notre ami.

    Très attaché à la communauté de Saint-Séverin, il fut membre du conseil d'administration de son centre culturel.

    Musicien éclairé, jouant du piano, il fut président de 1966 à 1988 du Festival Estival de Paris.

    Très amateur d'arts plastiques, il aimait dessiner et sa famille conserve fidèlement de très jolies aquarelles.

    Enfin il avait des talents pédagogiques qu'il sut exercer avec bonheur auprès de ses petits-enfants.

    Est ainsi décrite, la vie d'un homme de haute culture, esprit distingué et universel, épris de beauté et de vérité.

    Sa disparition laisse de profonds regrets dans le coeur de ses amis.

    Jacques PECCIA-GALLETTO (P 35)
    Paul GADILHE (P 44)


    D'après tous les témoignages, Georges Perrineau avait un rayonnement personnel intense, une aura et un charisme importants. S'il a trop voyagé pour s'occuper au jour le jour de l'éducation de ses enfants, il a trouvé le temps pour ses petits-enfants, auxquels il donnait des cours particuliers de mathématiques, de latin, ... et auxquels il faisait faire des exercices de réflexion. Après sa retraite, il jouait toujours au tennis et se passionnait pour le bridge. Citons son petit-fils, Me Sébastien Stein : "Loin d'être seulement brillant scientifique, il paraissait doué en toute chose, la musique, la peinture qu'il a pratiqué dès que ses activités professionnelles lui en ont laissé le temps, mais aussi la photo, le tennis, le bridge, les langues vivantes ou mortes. Il a laissé, en chacun de nous, un souvenir très vif, et pour ma part, sans marcher sur ses pas dont l'empreinte est trop large, je m'efforce d'adapter ma conduite à celle qui fût la sienne."



    Perrineau, élève de l'Ecole des Mines de Paris
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