A l'initiative d'un Comité créé pour rappeler la mémoire de Paul LÉVY, et comprenant, sous la présidence de M. Louis de BROGLIE, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences et du Général BRIQUET, directeur général de l'École Polytechnique, MM. DIEUDONNÉ, GUILLAUMAT, FERRANDON, FISCHESSER, LEPRINCE-RINGUET, LERAY, LICHNEROWICZ, LOEVE, MANDELBROJT, MONTEL, PIATIER et SCHWARTZ, une séance solennelle a eu lieu à l'École Polytechnique, le vendredi 23 mars 1973, à l'amphithéâtre Henri Poincaré, au cours de laquelle ont été évoqués tour à tour, par MM. DAUTRAY, DUGUÉ, B. MANDELBROJT, P.A. MEYER, NEVEU, SCHWARTZ et ULLMO, le polytechnicien, le mathématicien, le professeur et l'académicien.
La famille et les amis de P. LÉVY assistaient à cette cérémonie.
Les discours et les allocutions prononcés à cette occasion sont donnés ci-après.
P. LÉVY développe ensuite la méthode des fonctions caractéristiques (définies comme transformées de Fourier-Stieltjès des fonctions de répartition) en établissant deux résultats nouveaux importants : une formule d'inversion et un théorème de convergence. Cela lui permet de rendre beaucoup plus claire la démonstration de Liapounov (1901) du théorème de Laplace-Liapounov sur la convergence vers la loi de Gauss de la loi de la somme normalisée d'un grand nombre de variables aléatoires indépendantes et centrées. (En fait, P. LÉVY ne connaissait pas cette démonstration et il l'a donc retrouvée). Ces résultats paraissent en 1924, puis dans son livre de 1925, sur les probabilités. Sur ce sujet du théorème de Laplace, P. LÉVY obtiendra en 1935, en même temps que Feller (avant lui semble-t-il, mais le travail de Feller parut avant celui de LÉVY), le résultat définitif.
En 1934, P. LÉVY énonce un théorème affirmant que la loi de la somme de deux variables aléatoires indépendantes ne peut être gaussienne sans que les lois de chacune des deux variables le soient ; H. Cramer démontre ce théorème en 1936. Ce résultat a suscité de nombreux travaux ultérieurs de Raikov et de Linnik, notamment sur l'arithmétique des lois infiniment divisibles.
Dès le début de ses travaux sur les probabilités, P. LÉVY s'est intéressé aux lois stables dont il détermine la forme générale ; une loi de probabilité sur R est dite stable si la famille de ses homothétiques est stable par convolution. Ces études le conduisent à celle des f.a. à accroissements indépendants, qu'il appelle processus additifs. Dès 1934, il donne de ces f.a. une décomposition difficile et tout à fait remarquable par l'étude des discontinuités de ces fonctions : les résultats de P. LÉVY généralisent des travaux antérieurs de Kolmogorov et de Hincin (qu'il ignorait d'ailleurs) sur la forme analytique des lois INFINI-divisibles. Mais surtout le point de vue adopté par P. LÉVY d'étudier systématiquement des f.a., plutôt que de se restreindre à l'étude de leurs lois de probabilité, s'est avéré l'un des plus fructueux de la théorie moderne des probabilités.
Pendant longtemps, jusqu'en 1960 peut-on dire, la majorité des probabilistes n'abordaient l'étude des processus aléatoires que par celle des lois de probabilité des v.a. composant ces processus. De manière plus explicite, si l'on imagine qu'une fonction aléatoire représente l'état aléatoire d'un système à chaque instant d'un intervalle de temps, les probabilistes ont d'abord cherché à étudier les n v.a. représentant le système à n instants fixés. Dès les années 1930, P. LÉVY a l'originalité de proposer d'étudier les trajectoires des processus aléatoires pour elles-mêmes d'une part, et pour en déduire, d'autre part, les propriétés des lois des v.a. composant ces processus. Ce point de vue si fécond qu'il ne cessa de défendre est peut-être le plus original de toute son oeuvre ; il fut développé par Doob et a inspiré tout le développement de ces vingt dernières années des probabilités. Cela explique pourquoi P. LÉVY découvrit si tôt quelques-uns des concepts les plus importants des Probabilités modernes.
Mais revenons en 1937. Cette année-là, dans le livre intitulé L'Addition des variables aléatoires, P. LÉVY y reprend ses résultats sur les processus additifs et il démontre, d'autre part, les premiers théorèmes de martingales. Il découvre que de nombreux théorèmes (sommation de séries, théorème de la limite centrale, etc.) sur la sommation de variables aléatoires indépendantes se généralisent aux martingales qu'il introduit (le terme de martingale néanmoins ne fut introduit que plus tard par Ville). Depuis, la théorie des martingales, développée notamment par Doob, est devenue l'une des techniques de base de l'étude des fonctions aléatoires. Mais ce n'est pas seulement par cet aspect que ce livre de P. LÉVY a joué un rôle considérable dans l'histoire des probabilités ; la décomposition intégrale des processus à accroissements indépendants à l'aide des processus de Poisson est aussi à l'origine des études sur les intégrales stochastiques.
P. LÉVY introduisit plus tard un mouvement brownien dépendant d'un paramètre variant dans Rn, puis dans un espace hilbertien séparable. Il étudie la continuité de ces f.a. ainsi que leur " déterminisme ". Il s'intéresse ensuite à la possibilité de trouver des représentations intégrales des fonctions aléatoires gaussiennes en fonction d'un mouvement brownien sous la forme :
Xt = X0 + SOMME (de 0 à t) F (t, u) d Bu ,
et introduit à ce propos la notion de représentation canonique qui assure l'unicité de la représentation lorsqu'elle existe. Ces travaux ont inspiré de nombreuses recherches d'autres probabilistes, notamment le travail de Hida établissant le lien entre ce problème et le problème de Hellinger-Hahn, et aussi divers travaux de McKean.
A la suite de questions que Chung lui posa au Symposium de Berkeley en 1950, P. LÉVY revint à l'étude des chaînes de Markov à temps continu définies sur un espace dénombrable. En 1951, il rédigea un long mémoire sur ces chaînes de Markov. Il y introduisait la notion d'état instantané et d'état fictif et les liait à celle de temps local, qui sont autant de notions fondamentales dans la théorie actuelle des processus de Markov.
On sait que les probabilités ne jouissaient pas en France d'une grande notoriété dans les années 1950. Peu de mathématiciens appliqués de valeur s'étaient rendu compte de l'importance pratique grandissante des probabilités ; peu de mathématiciens purs s'intéressaient aux probabilités et les travaux de P. LÉVY, s'ils étaient connus, n'avaient pas eu en France un grand retentissement. Tout autre était la situation à l'étranger, aux Etats-Unis notamment ; l'école américaine de probabilités née après la guerre et dirigée par Doob et par Feller, puis l'école japonaise conduite par Ito avaient littéralement puisé leur inspiration dans les travaux de P. LÉVY.
Soulignons, cependant, que la réputation justifiée dont P. LÉVY jouissait de par le monde s'est étendue à la France. L'école moderne de probabilités est parfaitement consciente de l'apport considérable des travaux de P. LÉVY, qu'elle admire profondément.
par Paul-André MEYER,
L'originalité de P. LÉVY en mathématiques
Directeur de recherches au CNRS
Depuis le début de ce siècle, les mathématiques ont évolué vers une rigueur formelle de plus en plus inflexible. C'est aussi au début de ce siècle qu'est né le calcul des probabilités moderne, Emile Borel marquant sans doute, à cet égard, la charnière entre deux époques. Tous les grands noms de la nouvelle science : Wiener, Khintchine, Kolmogorov, Feller, Doob ..., sont ceux de mathématiciens qui l'ont fait évoluer, au travers de pénibles controverses sur les fondements philosophiques ou axiomatiques des probabilités, vers le statut de discipline " noble ", aussi rigoureuse que les grandes branches traditionnelles des mathématiques.
Au milieu de cette ascension vers la respectabilité, un peu à la naissance d'un peintre dans une famille de banquiers, Paul LÉVY constitue une exception unique et presque scandaleuse. Il appartenait à une école française formée, avant la guerre de 1914-1918, par des hommes qu'une certaine esthétique mathématique écartait de tous les " excès d'abstraction ", qui refusaient tous (Hadamard constituant une exception notable) les formes nouvelles de la théorie des ensembles ; école française, de plus, affaiblie par la guerre, et qui ne devait renaître de manière vigoureuse que beaucoup plus tard, sous une forme au contraire très portée à l'abstraction. Tout semblait donc disposer LÉVY à rejeter les mathématiques d'après-guerre, et à devenir un professeur de mathématiques conservateur comme on en a tant vu.
Or il est vrai qu'il ne s'est jamais intéressé à l'axiomatique : il semble avoir formé très tôt son propre " système des probabilités ", dans lequel il pouvait travailler commodément, et ne plus jamais s'être occupé des fondements des probabilités. Mais il avait une intuition probabiliste si extraordinaire qu'une partie de ses résultats sont en avance, non seulement sur les méthodes qui devaient permettre de les démontrer complètement, mais même sur le langage nécessaire pour les énoncer avec précision. Je pense en particulier à ses travaux sur les zéros du mouvement brownien et à son idée de l'indépendance des intervalles entre les zéros, qui n'a été précisée que l'an dernier par Ito. Pour prendre un autre exemple, il y a son livre de 1937 où il démontre la formule de Khintchine-Lévy en comptant les sauts des processus à accroissements indépendants, alors que tout le monde travaillait encore " en loi ", et il y en a encore bien d'autres. Toute une génération s'est employée à justifier rigoureusement les résultats vus par LÉVY, et il reste sans doute des découvertes à faire dans son oeuvre. C'est encore plus surprenant, si l'on pense qu'après tout l'intuition géométrique ou analytique avait eu des siècles pour se former, tandis que personne n'avait jamais rencontrer auparavant les êtres que LÉVY décrivait ainsi.
Il ne faudrait pourtant pas réduire LÉVY à une intuition sans contrôle : il y a chez lui beaucoup de démonstrations magnifiques, parfaitement rigoureuses. Même lorsqu'il ne parvenait pas à la rigueur absolue, il savait fort bien se faire comprendre. La meilleure preuve en est l'admiration unanime que lui ont témoignée tant de probabilistes : Chung, Doob, Feller, Ito, McKean...
Il y a, là aussi, quelque chose d'un peu paradoxal, la règle étant que les révolutionnaires soient incompris. Mais Paul LÉVY n'était pas seulement un révolutionnaire, il était aussi professeur à l'Ecole Polytechnique et, à ce titre, il s'est trouvé à l'abri de beaucoup de querelles et il a eu des facilités pour publier son oeuvre. Imaginons maintenant un mathématicien du genre de Paul LÉVY, qui écrirait comme les mathématiciens parlent entre eux lorsqu'il n'y a pas d'étudiants dans la pièce, et lancerait quantité d'idées nouvelles : je pense que ses travaux seraient refusés par la plupart des grands journaux mathématiques. C'est un peu inquiétant pour notre avenir.
Malgré son titre de professeur, malgré son élection à l'Institut (qu'il avait beaucoup désirée, ce qui est une preuve de sa touchante modestie), Paul LÉVY a été méconnu en France. Son oeuvre y était considérée avec condescendance, et on entendait fréquemment dire que " ce n'était pas un mathématicien". Il a eu très peu d'élèves: depuis 1942, je ne lui en vois qu'un : Michel Loève. Il était pourtant extraordinairement accueillant, d'un abord très facile. Je me rappelle qu'un de mes camarades étudiants avait fait un exposé de séminaire, auquel LÉVY était venu assister. Il eut la surprise de recevoir une lettre de LÉVY avec des compliments et quantité de commentaires et de suggestions d'ordre mathématique. C'est en grande partie par Loève que Paul LÉVY se trouve avoir, en France même, une postérité scientifique directe. L'hostilité des probabilistes français de l'époque poussa, en effet, Loève à s'installer aux Etats-Unis aussitôt après la guerre, et il y écrivit l'un des premiers grands traités de probabilités. Il revint en France pour persuader les mathématiciens français de l'importance de l'oeuvre scientifique de LÉVY, dans les dernières années de la vie de celui-ci. Loève accueillit aussi en Californie plusieurs étudiants probabilistes français, avec beaucoup de générosité. Il y a chez Loève une gentillesse, une patience à l'égard des débutants qui me paraissent être le reflet de ces mêmes qualités chez Paul LÉVY, chez qui il les avait trouvées lui-même.
Paul LÉVY était, malgré son génie, universellement aimé parmi les probabilistes. Je n'ai jamais entendu dire une méchanceté sur son compte, et cela ne signifie pas que les probabilistes soient moins féroces que les autres mathématiciens.
par Laurent SCHWARTZ,
La pensée mathématique de P. LÉVY
Professeur à l'Ecole Polytechnique
Paul LÉVY nous a lui-même livré beaucoup d'aspects de sa pensée mathématique et non mathématique depuis sa jeunesse (Il a eu relativement tôt une formation mathématique ; son grand-père était un scientifique, et son père, Lucien LEVY, était examinateur à l'Ecole Polytechnique ; ils étaient tous deux Polytechniciens ainsi que Paul LEVY, son fils, et un de ses gendres) jusqu'à la fin de sa vie dans son livre, Quelques aspects de la pensée d'un mathématicien, publié chez Blanchard en 1970. Il a écrit ce livre relativement vite ; on a l'impression qu'il sentait sa fin prochaine. Certaines des histoires qu'il raconte de sa jeunesse sur sa compréhension des mathématiques ou des sciences sont vraiment étonnantes. A sept ans, il donnait le bras à une petite fille un peu plus âgée que lui ; il remarqua qu'il devait lever son bras pour y réussir, il fut étonné en se disant : " Elle est plus grande mais mon bras est plus long, les choses vont se compenser ; or elles ne se compensent pas puisque je dois lever mon bras. " Il avait naïvement cru que la différence était constante alors que c'est un rapport qui reste constant. Il déclare dans son livre s'être dit, dès ce moment-là : " Non j'ai compris, tout est agrandi dans la même proportion " ; et il dit que, dès cet âge de sept ans, il eut pour toujours la notion et le concept des figures semblables. Je serais étonné qu'il ait véritablement prononcé le mot proportion, qui me paraît prématuré pour un enfant de sept ans, mais il est certain qu'il en eût dès cet âge l'idée et la compréhension. A onze ans, comme on lui posait le problème d'Achille et de la tortue, il trouva tout de suite l'erreur de raisonnement et dit simplement : " Le temps ne suspend pas sa marche pour permettre au philosophe d'énumérer tous les termes d'une série convergente. " Beaucoup d'autres histoires de ce genre sont racontées, et montrent que sa pensée de mathématicien s'est, comme il est très fréquent, formée, au moins sous forme embryonnaire, dans sa jeunesse et dans son enfance. Il dit aussi qu'il s'étonna un jour que les adultes parlent du mystère de la mort : " Ce n'est pas la mort qui est un mystère, dit-il, c'est la vie ", et il cessa désormais d'y penser.
La famille de Paul LÉVY et la mienne se connaissent depuis très longtemps. J'ai connu la fille de Paul LÉVY alors que nous étions au lycée ensemble ; nous nous sommes fiancés à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm, où elle était la seule jeune fille de la promotion (et elle est devenue elle aussi une mathématicienne). Alors que j'étais en hypotaupe et en taupe, il m'est arrivé une ou deux fois d'aller chez elle, et de faire la connaissance de Paul LÉVY. Il m'a, dès ce moment-là, particulièrement frappé par sa stature grande et maigre, et aussi par son intelligence extraordinaire. Au point de vue de l'intelligence mathématique, j'avais essentiellement des contacts avec mes professeurs de lycée et, d'autre part, avec mon grand-oncle, Jacques Hadamard. Il m'est évidemment très vite apparu que Jacques Hadamard et Paul LÉVY étaient d'un niveau mathématique considérablement au-dessus de tous les professeurs que je connaissais. Paul LÉVY a joué un très grand rôle dans ma formation de mathématicien, et particulièrement pendant ma deuxième année d'Ecole Normale Supérieure à une époque où les mathématiques françaises étaient relativement retardataires ; mon contact avec lui a été particulièrement fécond pour ma formation d'analyste et, dans une certaine mesure, de probabiliste. Il m'a alors initié aux méthodes les plus intuitives en analyse, transformant l'analyse, qui était alors pour moi une succession de théorèmes relativement difficiles à démontrer, en quelque chose d'intuitif où l'on pouvait tout seul réfléchir et prouver.
Il aimait particulièrement ce qu'il appelait les calculs asymptotiques : il entendait par là le calcul d'une intégrale ou de la somme d'une série, d'une expression combinatoire assez compliquée qui, lorsque les valeurs des nombres qui interviennent sont finies, apparaît comme inextricable, mais dont on peut, par des raisonnements astucieux, avoir une évaluation asymptotique lorsque les paramètres tendent vers 0 ou vers l'infini. C'est là que l'intuition mathématique pouvait particulièrement se faire sentir, tant en analyse qu'en probabilité, et ce fut pour moi une véritable révélation et un instrument que j'ai conservé tout ma vie. Son intuition dans ces domaines m'apparaît comme la plus fantastique que j'ai jamais connue. Quand on lui donnait une expression mathématique avec en même temps l'origine du problème physique ou probabiliste ou géométrique, il prouvait presque immédiatement ce qu'elle devenait quand les paramètres devenaient infinis ; on sentait qu'il nageait là comme un poisson dans l'eau.
Une bonne partie de son oeuvre probabiliste a suivi les fils de cette intuition que tous ceux qui l'ont connu ont immédiatement aperçue. Dès ce moment-là, j'ai remarqué qu'il lisait particulièrement peu, encore moins que moi si je puis dire : il retrouvait tout lui-même. Quant il avait besoin d'un théorème, il le redémontrait, souvent même il n'en prenait pas note, oubliait ensuite la démonstration et la retrouvait. Je me rappelle qu'une fois, je lui ai demandé s'il connaissait une démonstration simple du théorème de densité de Lebesgue, il m'a donné, au bout d'une demi-heure, une démonstration personnelle tout à fait astucieuse. Environ six mois après, c'est lui qui m'a demandé si j'avais une bonne démonstration du théorème de densité de Lebesgue ; je lui ai ressorti la sienne que j'avais précieusement notée, il m'a répondu : " Oh ! ça, c'est vraiment très astucieux, je ne l'aurais jamais trouvé tout seul ! " Toute sa vie, il est resté très peu lecteur, ignorant en grande partie les travaux des autres, retrouvant certains travaux déjà prouvés et en éprouvant parfois une certaine amertume.
Il prit d'ailleurs ainsi souvent l'habitude, quand il prouvait quelque chose de relativement facile à ses yeux, de considérer que c'était sûrement déjà fait et qu'il venait simplement de retrouver quelque chose de connu depuis longtemps ; il ne le publiait pas et parfois même l'oubliait. Il était stupéfait de voir qu'un autre mathématicien le publiait comme un résultat nouveau et que c'était véritablement important et inconnu. Certaines des déceptions qu'il ressentit ainsi durèrent jusqu'à la fin de sa vie. Un trait montre particulièrement bien cette difficulté énorme qu'il avait à lire et cette facilité énorme qu'il avait à trouver : s'il s'est lancé dans le calcul des probabilités pour tout le reste de son existence, c'est parce que le directeur des études de l'Ecole Polytechnique lui a demandé d'y faire trois conférences, sur la base de conférences autrefois faites par Poincaré, et qui avait été abandonnées ensuite. Il essaya de voir ce qu'était le calcul des probabilités, vis-à-vis duquel il était complètement ignorant ; il s'aperçut qu'il y avait un nombre restreint de choses à lire, mais tout de même trop à son goût pour les trois semaines dont il disposait ; et il a laissé dans une lettre adressée à un collègue cette phrase étonnante : "J'avais trois semaines pour connaître le calcul des probabilités, c'était trop pour l'apprendre, mais c'était suffisant pour le retrouver." Etant donné ce qu'il était, il me paraît exact que c'était tout à fait vrai.
C'est au cours de cette année 1935, où je l'ai vu pratiquement tout le temps, qu'il m'a initié aux merveilles du début des calculs des probabilités et aux merveilles de ces résultats que, presque tous, il avait prouvés lui-même. A la place des probabilités ayant une densité, il introduisit systématiquement la fonction de répartition, qui n'est plus considérée aujourd'hui et qui est remplacée par la notion de mesure. Il introduit la fonction caractéristique en mettant l'exponentiel eitx à la place du e-tx de Poincaré, qui nécessitait des conditions de convergences particulières. Il donna sa formule d'inversion, qui était à ce moment-là relativement très compliquée. Montrant ainsi la correspondance bijective entre convolution des lois de probabilités, qui servait à l'addition des variables aléatoires indépendantes, et produit des fonctions caractéristiques, entre convergence des lois de probabilités (que nous appelons aujourd'hui convergence étroite et qui était définie à cette époque de façon très "tarabiscotée") et convergence des fonctions caractéristiques uniformément sur tout compact, il fonda un outil essentiel et qui est aujourd'hui encore essentiel.
Il donna ainsi une nouvelle preuve du théorème central limite, qui le conduisit à étudier le rôle fondamental de la loi de Gauss. Il étudia les sommes de variables aléatoires indépendantes, et se demanda en particulier quand des séries étaient presque sûrement convergentes et quand des sommes de variables aléatoires indépendantes étaient approximativement gaussiennes. On retrouve là deux de ses thèmes favoris, qu'il a énormément développés. Dans l'étude des sommes d'un grand nombre de variables aléatoires indépendantes et dans l'étude du problème de la nature gaussienne de cette somme, il trouva un théorème dont l'énoncé est en fait relativement compliqué à préciser, difficile à prouver, mais qui résout complètement le problème. Quand on a une telle somme, la loi de probabilité qu'elle suit est approximativement gaussienne si, et seulement si (en des termes que je simplifie volontairement et qui sont donc partiellement erronés), les plus grandes de ces variables sont gaussiennes ou n'ont qu'un ordre de grandeur négligeable devant la somme totale. C'est ce qui permet d'exprimer le rôle si important de la loi de Gauss dans toutes les mesures physiques.
Si l'on admet que l'erreur d'une mesure physique suit la loi de la courbe de Gauss, cela tient à ce que cette erreur est la somme d'un grand nombre de toutes petites erreurs et que la plus grande d'entres elles est elle-même négligeable devant l'erreur totale. Comme cette circonstance se produit très fréquemment, on comprend pourquoi une grande partie des erreurs de mesure sont bien gaussiennes. La démonstration de ce théorème nécessitait la démonstration d'une conjecture qu'il émit à ce moment-là : "La somme de deux variables aléatoires indépendantes ne peut être gaussienne que si chacune d'elle est gaussienne." Il aurait été parfaitement capable de démontrer cette conjecture, mais il se trouve qu'elle ne fut démontrée que quelques temps après par Kramer, et Paul LÉVY regretta toute sa vie de ne pas l'avoir trouvée lui-même. Il étudia aussi, à ce moment-là, les lois indéfiniment divisibles, les lois stables, que l'on appelle encore les lois stables de Gauss-Lévy, et qui généralisent la loi de Gauss habituelle, et on peut dire que la forme générale du théorème central limite qui permet d'avoir l'allure de la somme d'un grand nombre de petites variables aléatoires indépendantes resta à ce moment pour lui un problème fondamental.
L'étude des séries à termes aléatoires indépendantes et de leur convergence presque sûre est aussi un feu d'artifice de merveilles ; il constata d'abord que ces séries sont : ou bien presque sûrement convergentes, ou bien presque sûrement divergentes. A force de ne trouver ainsi que des probabilités zéro ou un, il énonça finalement une loi qu'on appelle encore le théorème de la probabilité zéro ou un, qui est d'un usage constant, et dont il prouva les raisons profondes. Tout ceci ne constitua que le début de son oeuvre. Je l'ai moins suivi ensuite, m'étant tourné plus vers l'analyse que vers les probabilités, pour ne reprendre les probabilités que ces dernières années ; mais justement, ces dernières années, dans mon intérêt croissant pour les probabilités, j'ai retrouvé l'influence de Paul LÉVY sur la formation de ma jeunesse.
Il introduisit dans les martingales et les processus de Markov certaines des idées les plus profondes ; il étudia jusque dans les moindres détails la courbe du mouvement brownien, prouvant par exemple, avec Paley et Zigmund, que la trajectoire est presque sûrement non dérivable. Il conçut d'ailleurs l'addition des variables aléatoires indépendantes comme menant directement à l'étude des trajectoires de fonctions à accroissements aléatoires indépendants (processus additif). Son oeuvre en probabilité est donc immense ; on peut dire sans se tromper qu'il a été, sinon le fondateur, du moins un des principaux fondateurs du calcul des probabilités.
Il faut se rendre compte de la situation mathématique particulièrement difficile dans laquelle ces théories se développaient. A cette époque, la topologie générale, l'algèbre linéaire n'étaient pratiquement pas développées. Il employait lui-même timidement les espaces compacts en les introduisant avec précaution comme "la notion d'ensemble compact". Mais c'est surtout du côté des variables aléatoires qu'il n'existait encore aucune axiomatique précise. Je n'ai jamais vraiment compris à cette époque, du point de vue mathématique, ce qu'étaient des variables aléatoires et il n'a jamais pu me l'expliquer. Il me l'expliquait comme un physicien ; les variables aléatoires sont indépendantes si elles correspondent à des tirages au sort dont chacun ignore le résultat des autres, il s'agit là d'une définition physique ; assez rapidement on arrive à en tirer un certain nombre de déductions qui s'écrivent très bien sous forme mathématique, par exemple le fait que la probabilité de réalisation de deux événements simultanés indépendants est le produit des probabilités de ces événements ; on pouvait écrire aussi cela avec la notion de probabilités conditionnelles ; mais tout cela restait extrêmement flou et fort difficile à comprendre en profondeur sur le plan des mathématiques, telles que nous les envisageons aujourd'hui.
Je ne crois d'ailleurs pas que Paul LÉVY aurait pu s'arrêter à une axiomatique rigoureuse du calcul des probabilités. Tout était encore à faire dans ce domaine ; il aurait dû pratiquement y passer des années dans son existence, et ce n'était visiblement pas cela qui l'intéressait le plus. Il pensait que la notion physique d'indépendance ou de dépendance conditionnelle, ou de corrélation, lui suffisait ; il marchait à grands pas en avant et démontrait une foule de théorèmes dont la plupart ne pouvaient pas s'exprimer avec les idées de son temps. Dans ce sens, il a été considérablement en avance et c'est seulement dans la dernière ou les deux dernières décennies ou même souvent les dernières années que certains de ces théorèmes sont devenus compréhensibles dans le langage axiomatique moderne.
Paul LÉVY a été 39 ans professeur à l'Ecole Polytechnique, chargé du cours d'analyse. Comme me l'a dit souvent Mme Paul LÉVY, il n'avait pas autant à faire que moi aujourd'hui à l'Ecole Polytechnique ! Le professeur venait faire son cours, le rôle des petites classes et des maîtres de conférences est resté très longtemps inexistant ou faible et, par conséquent, il avait beaucoup de loisirs. Il les utilisait constamment pour sa recherche. Je l'ai vu travailler et chercher pendant plusieurs dizaines d'années et je connais maintenant bien sa méthode. A certaines époques, il ne se posait pas de problèmes. A d'autres, il était concentré sur un problème et travaillait des heures durant, tout seul dans son bureau, avec parfois une très faible correspondance avec des mathématiciens étrangers ; quand il avait des résultats dignes d'être publiés, il les écrivait à la main avec sa plume, de cette écriture calligraphiée que beaucoup de ses amis ont connue, presque encore plus lisible qu'un texte dactylographié actuel.
Comme les probabilités ne jouaient pas un grand rôle à l'Ecole Polytechnique et qu'il était coupé de l'Université, il n'a eu que très peu d'élèves en France. Il a formé le jeune mathématicien allemand Doeblin, mais celui-ci est mort à la guerre. Son véritable élève a été Michel Loève. Celui-ci, de nationalité égyptienne, a travaillé pendant plusieurs années avant-guerre avec Paul LÉVY, a été formé par lui, plus encore que moi-même puisqu'il est resté probabiliste, suivant de très près son oeuvre et sa pensée. Mais les lois françaises sur la naturalisation et la pagaille administrative sont, comme on le sait, considérables ; Loève n'a pas pu obtenir la naturalisation qu'il demandait (ce qui peut-être est finalement heureux puisqu'il était juif égyptien et que la guerre est venue peu après...) ; Loève s'est donc exilé aux Etats-Unis, à l'université de Californie, à Berkeley.
C'est Loève qui, à son tour, a été, avec Jerzey Neyman, à l'origine de la formation de cette magnifique école californienne de probabilités, de ce département de statistiques de l'université de Californie, qui ensuite a fait rayonner dans le monde les probabilités et la pensée scientifique de Paul LÉVY. C'est aussi par elle que d'autres probabilistes américains, comme par exemple Doob, ont eu connaissance de l'oeuvre de Paul LÉVY. Ainsi s'est produit ce paradoxe que l'oeuvre de Paul LÉVY était sous-estimée, ou mésestimée, ou inconnue en France, alors qu'elle était un sujet essentiel du travail mathématique des Américains.
Quand Paul LÉVY a été invité au premier colloque international de probabilités et statistiques de l'université de Californie, ce qui fut d'ailleurs un de ses premiers et seuls grands voyages à l'étranger, il a été là-bas avec une très grande modestie, en se demandant un peu ce qu'il allait y faire, et fut tout à fait stupéfait d'être accueilli par Jerzey Neyman qui lui dit : "Ce colloque va être celui des oeuvres de Paul LÉVY."
Loève a été invité, il y a un certain nombre d'années comme professeur associé à l'université de Paris, il y a donné un cours et a formé le jeune normalien Paul-André Meyer qui, à ce moment-là, cherchait sa voie et qui devint très rapidement probabiliste. C'est par cet intermédiaire que les probabilités de Paul LÉVY sont rentrées en France. Les probabilités, qui étaient à peine acceptées comme une science mathématique à l'époque de Paul LÉVY, et tenues un peu à l'écart, sont aujourd'hui en France une des branches de pointe parmi les mathématiques.
Pour terminer, je ne pourrais que signaler le caractère exceptionnellement doux et modeste de Paul LÉVY ; je ne l'ai jamais vu se fâcher contre personne, il a toujours eu les meilleures relations avec tout le monde. Quand il avait donné son avis, si on émettait devant lui l'opinion contraire, il ne poursuivait pas la conversation, gardant éventuellement son opinion pour lui, et sans y attacher trop d'importance. Il est resté le même en tant qu'homme et mathématicien jusqu'à la fin de sa vie. Dans sa production mathématique il a trouvé, après 75 ans, certains très importants théorèmes. Au point de vue de son caractère, il est resté pratiquement le même jusqu'au bout, jusqu'à ce que la maladie l'emporte en quelques mois.
Il a été soigné par sa femme ; ils ont eu le bonheur de vivre heureux ensemble pendant 59 ans durant lesquels Mme Paul LÉVY a toujours oeuvré pour lui donner dans sa famille une atmosphère de sérénité parfaitement favorable à sa recherche.
Paul LÉVY restera sûrement une des très grandes figures mathématiques du XXe siècle.
par Daniel DUGUÉ,
Souvenirs sur P. LEVY
Professeur à l'Université de Paris VI
J'aurais désiré pouvoir vous apporter aujourd'hui autre chose que des paroles et pouvoir vous présenter le premier tome de l'Edition des Oeuvres complètes de Paul LÉVY - édition que m'a confiée l'Association des Anciens Elèves de l'École Polytechnique. Il faudra encore, hélas ! attendre quelque temps. Je vais donc essayer de faire revivre pendant quelques instants certains aspects de celui qui, pendant près de quarante ans, a, dans cet amphithéâtre même, accompli sa mission de professeur avec une conscience à laquelle j'ai entendu plusieurs fois le Directeur des Études rendre hommage : " Le devoir fait homme " ; j'ai le souvenir de cette phrase prononcée à cette place le jour où Paul LÉVY a cessé son enseignement.
Pour ma part, je ne peux en réentendant ces mots m'empêcher de penser avec émotion à ce jour de mai 1968, ce devait être le lundi 20 mai selon mon agenda, jour où Paul LÉVY devait à six heures parler au séminaire de Statistique de divers problèmes posés par le mouvement brownien. A trois heures, de mon bureau qui donnait directement sur le quai Saint-Bernard, et d'où Paul LÉVY aimait beaucoup venir admirer un des plus beaux paysages de Paris, j'entendais les détonations des grenades lacrymogènes dont les effluves commençaient à monter jusqu'à moi. J'ai donc téléphoné à M. Paul LÉVY et je me suis permis de lui demander de bien vouloir remettre à des temps moins agités son intervention au séminaire. J'ai eu énormément de mal à le convaincre de ne risquer sa vie dans cette aventure (je ne crois pas exagérer) et il a fallu toute l'autorité de Mme Paul LÉVY pour le détourner de son dangereux projet.
Un autre aspect très attachant de la personnalité de Paul LÉVY était sa modestie. Certes, il avait conscience de sa valeur scientifique et il aurait manqué de jugement en ne l'ayant pas ; il tenait en particulier aux différentes priorités qu'il s'était acquises mais cette attitude était prise absolument sans orgueil, sans agressivité, sans prétention. Le jugement des autres lui importait beaucoup et je me rappelle à ce sujet, et à l'appui de ce que je viens d'énoncer, une de ses phrases vraiment très inattendue le jour, au début de 1967, où je lui ai demandé s'il accepterait de présider le jury de thèse d'un de mes élèves Roger Cuppens, un jeune - particulièrement brillant et qui est certainement en France un des meilleurs continuateurs de son oeuvre dans le domaine des fonctions caractéristiques : "Ce sera un grand honneur pour moi : jamais encore on ne m'a demandé de faire partie d'un jury de doctorat." Rappelons que Paul LÉVY n'appartenait pas à l'Université officielle.
Comme beaucoup d'entre vous j'ai lu le livre, Quelques aspects de la pensée d'un mathématicien, où l'image de Paul LÉVY devient transparente. Une chose m'y a profondément surpris : sa position théologique qui débute par une déclaration d'athéisme.
S'il est un mathématicien qui m'a toujours donné l'impression de croire à une réalité extérieure à l'homme, c'est bien lui.
Pour lui, il m'a écrit et dit plusieurs fois : " Les mathématiques existent en dehors du mathématicien qui n'est qu'un explorateur ou un peintre, à peine un créateur. "
Notons que tout ceci est conforme à l'attitude modeste dont je viens de faire état.
Devant le fameux axiome du choix, l'axiome de Zermelo, Paul LÉVY a également la même attitude. Un ensemble a droit à l'existence même si deux mathématiciens ne peuvent être d'accord sur le fait qu'ils parlent ou non du même être mathématique. Cela l'a amené à des discussions assez vives avec Emile Borel dont la position sur ce point était beaucoup plus rationaliste. Sur cette question d'ailleurs, Paul LÉVY a évolué. Dans une correspondance que nous avons échangée en 1952, il accordait tout de même aux antizermeliens (les adversaires de l'axiome du choix) le mérite d'avoir séparé les mathématiques en deux doctrines distinctes : les mathématiques avec l'axiome et les mathématiques sans l'axiome ; c'était ce qu'il appelait le côté positif des antizermeliens. Plus tard, il est allé plus loin et a même contesté qu'il y ait là une convention supplémentaire. Pour lui, la notion d'existence était la plus large possible.
On retrouve encore cette croyance (c'est le mot qu'il faut employer ici) à un monde mathématique extérieur dans tous ses beaux articles sur "l'indémontrabilité" publiés aux alentours de 1920 dans la Revue de Métaphysique et Morale. Bien avant Gödel, Paul LÉVY a eu la notion de ces énoncés vrais mais pouvant échapper au rationnel. Il a, à cette occasion, donné une analyse très fine des possibilités de l'esprit humain devant le théorème de Fermat qui pourrait être la réunion d'une infinité dénombrable de théorèmes, chacun ayant une démonstration différente de celle des autres. En remarquant que ce théorème ne peut être faux s'il est démontrable, il a montré qu'on ne peut établir cette indémontrabilité. Il s'agirait donc là d'une indémontrabilité au second degré, si l'on ose dire !
Dans d'autres cas, au contraire, on pourrait établir l'indémontrabilité d'un théorème qui serait malgré tout vrai ou faux.
Ce seraient des faits mathématiques moins rationnellement mystérieux que l'indémontrabilité " éventuelle " du théorème de Fermat.
Tout ce comportement devant ce qu'on pourrait appeler le " mystère rationnel " m'avait amené dans un article à comparer la position de Paul LÉVY en face de l'infini à celle de Pascal de préférence à celle de Descartes. Je sais qu'il en avait été heureux et avait eu sur Descartes ce jugement très dur : "Si j'osais, je dirais que c'est un bavard qui a eu la chance de se faire prendre au sérieux."
Passons maintenant à l'intervention du hasard dans la vie scientifique de Paul LÉVY : ce hasard a été personnifié par le Conseil de Perfectionnement et la Direction des Études de l'École Polytechnique qui lui ont demandé, en 1920, d'inclure quelques leçons de calcul des probabilités dans le cours d'analyse (de futurs artilleurs devaient avoir sur ce sujet des connaissances plus précises que la "courbe en cloche"). Cela devait le conduire, en perfectionnant les connaissances alors rudimentaires sur cette courbe en cloche, à tous les résultats universellement cités sur les différentes familles de lois de probabilité, les processus, l'arithmétique des lois de probabilités. Tout d'abord, il y a cet outil d'une puissance gigantesque : la fonction caractéristique. Poincaré y avait pensé sous la forme de la transformée de Laplace. Elle avait l'inconvénient de n'exister que pour une classe restreinte de lois. Remplaçant la transformée de Laplace par la transformée de Fourier, Paul LÉVY lui donne une ampleur qui recouvre tout le calcul des probabilités. Il établit plusieurs théorèmes reliant la topologie des espaces de lois et celle des espaces de fonction caractéristiques. Il introduit la fonction de concentration, précieuse clé qui lui permettra d'ouvrir la serrure des séries de variables aléatoires. Et c'est alors, abordant l'étude de ces séries, qu'il est en face de la grande hypothèse qui va devenir pour l'éternité mathématique le théorème de LÉVY-CRAMER.
Le théorème de LÉVY-CRAMER ! On n'est pas près d'oublier son histoire et je voudrais en profiter pour analyser l'apport de chacun des mathématiciens dont les travaux ont contribué à cette découverte : " Si une variable aléatoire de Laplace-Gauss (une variable normale selon le vocabulaire international) est la somme de deux variables indépendantes chacune d'entre elles est une variable normale. " Paul LÉVY a dit que ses connaissances en théorie des fonctions étaient insuffisantes pour établir la démonstration de cet énoncé dont il est difficile de ne pas souligner la simplicité de forme aujourd'hui démodée. Passons la revue des connaissances nécessaires et nous allons assister au défilé des plus grands mathématiciens de la fin du XIXe siècle.
Il y a tout d'abord le fait qu'une fonction entière ayant zéro pour valeur exceptionnelle est de la forme :
EH (Z)
H (Z) étant entière et voilà Cauchy et Emile Picard. Ensuite, vient la notion d'ordre d'une fonction entière - saluons Weierstrass, la liaison entre cet ordre et les coefficients de la série de Taylor représentant la fonction : Jacques Hadamard apparaît maintenant. On peut éviter le passage par ces coefficients et tenter de se passer du secours de Jacques Hadamard : il faut alors faire intervenir la propriété de crête, selon la terminologie soviétique, de la fonction caractéristique, recourir à des propriétés de convexité du maximum du module d'une fonction entière et nous retrouvons qui donc : Jacques Hadamard. Enfin, prolongeant les théorèmes de Liouville, apparaît le fait que si la partie réelle d'une fonction entière croit moins vite qu'une puissance finie du module de la variable, cette fonction est un polynôme et c'est le tour d'Emile Borel et de Carathéodory.
Tous ces résultats dataient déjà d'au moins quarante ans quand s'est constituée cette magnifique mosaïque au-dessus de laquelle plane le génie de Paul LÉVY. Il a eu la révélation intuitive que tout cet ensemble s'organisait dans un dessin dont il ne devinait pas les lignes ; un autre génie celui d'Harald Cramer allait le préciser. J'ai demandé plusieurs fois à Paul LÉVY de m'expliquer pourquoi " il y avait cru ".
D'après sa réponse, j'ai compris que son sens de l'esthétique mathématique l'avait guidé : dans un monde aussi organisé que les mathématiques, ce théorème était conforme à la régularité générale qui est la loi. Ensuite, il y a eu la recherche d'un contre-exemple (sans le trouver naturellement) et puis la rédaction de mémoires qu'il a signés à cette époque contenant plusieurs résultats qui seraient vrais si le "théorème" l'était. Paul LÉVY ne rencontre aucune contradiction. Son siège est fait. Son intuition est ici conduite par sa sensibilité mathématique. Tout en pouvant lui être comparée elle me paraît différente de l'intuition de Poincaré à propos des fonctions fuchsiennes dans laquelle la certitude arrive par à-coups.
Paul LÉVY a plusieurs fois regretté son " manque de culture mathématique " (ce sont ses propres termes que j'emploie). Les résultats qu'il a conquis constituent à eux seuls un ensemble tel que ceux qui les possèdent ont, je crois, le droit d'être considérés comme des mathématiciens cultivés. Sans doute aurait-il pu " aller plus loin " s'il avait utilisé certains outils de fabrication récente. Mais je suis sûr qu'il était heureux de penser que certains de ses élèves pourraient de cette façon prolonger ses travaux.
J'ai parlé en commençant de la publication de ses oeuvres. Elle comprendra ses mémoires, évidemment pas ses livres dont nous souhaitons d'ailleurs la réédition. Toutefois, nous y insérerons la préface à la Théorie des variables aléatoires qui date de 1937. Voulez-vous me permettre de citer une phrase de cette préface ? (Je ne modifie pas l'intention de l'auteur en faisant une citation tronquée). Après avoir parlé du langage mathématique et de la rigueur à propos de certaines querelles qu'on lui cherchait alors il écrivait ceci :
" Je m'étonne d'ailleurs qu'on puisse penser qu'un raisonnement pour être rigoureux ait besoin d'être traduit d'un langage dans un autre ; cela me fait le même effet que si j'entendais dire que mon texte français a besoin d'être traduit en allemand pour que mes raisonnements deviennent rigoureux. "
Je voudrais maintenant évoquer une de mes dernières visites à Paul LÉVY : cet après-midi où M. CHAN et moi étions venus lui parler de la publication de ses oeuvres. La conversation avait abordé des domaines frontières et M. CHAN avait fait allusion au livre de Jacques Monod qui venait de paraître : Le hasard et la nécessité. Paul LÉVY s'étonnait, comme le grand biologiste, de ce phénomène si peu probable qu'est la vie. J'avais ajouté : " Il y a d'ailleurs quelque chose de plus extraordinaire que la vie, c'est la pensée, et son apparition à une date certainement différente est sans aucun doute plus importante dans l'histoire du monde que l'apparition de la vie. " J'avais été heureux de voir que dans la circonstance nous étions entièrement d'accord.
J'espère que Paul LÉVY ne m'en aurait pas voulu d'employer pour le résumer d'un mot un terme magnifique qui appartient au vocabulaire de la religion dans laquelle il était né, dans laquelle il avait été élevé mais dont il avait perdu la foi : aussi bien dans son existence quotidienne que dans sa vie scientifique, c'était un juste.
On m'a demandé de parler de Paul LÉVY comme professeur, tel que je l'ai vu et entendu pour la première fois dans ce même amphithéâtre, et aussi de l'influence que son oeuvre de probabiliste a eu en dehors des mathématiques pures. Non seulement j'admire LÉVY profondément, mais je me considère comme son disciple. Plus précisément, puisque LÉVY n'a eu aucun disciple au sens habituel, je me compte parmi ceux qu'il a influencés de façon particulièrement directe. Je voudrais donc dire comment le même homme a pu avoir une telle influence, non seulement sur plusieurs mathématiciens - qui se sont déjà eux-mêmes qualifiés de " probabilistes embourgeoisés " - mais aussi dans d'autres milieux.
Commençons par le cours parlé à l'X. Le hasard m'ayant fixé une place tout au fond de l'amphithéâtre, et la voix de LÉVY étant plutôt faible et non amplifiée, ce cours parlé m'a laissé une image simplement floue. Le souvenir le plus vivace est celui d'une ressemblance que nous étions quelques-uns à voir entre sa silhouette longue, soignée et grise, et la manière un peu spéciale qu'il avait de tracer au tableau le symbole de l'intégration !
Mais le cours écrit, c'était chose peu ordinaire. LÉVY, dans son autobiographie, dit avoir " la sensation très nette d'être un mathématicien pas comme les autres ", et ceci se voyait déjà dans les feuilles qu'il nous faisait distribuer. D'abord, elles étaient d'une concision extrême. Surtout, elles ne m'ont pas laissé le souvenir du défilé traditionnel, bien rangé, commençant par un régiment de définitions et lemmes, suivi de théorèmes dont toutes les hypothèses sont clairement répétées, interrompu de quelques résultats non démontrés mais clairement soulignés comme tels. J'ai plutôt gardé le souvenir d'un flot tumultueux de remarques et d'observations. Dans son autobiographie, que je vais continuer de citer, LÉVY se décrit de façon répétée comme un explorateur qui - parvenu au sommet d'une montagne - décrit les traits les plus saillants d'un paysage nouveau, en ne s'attardant ni à l'évident ni à l'inintéressant. (C'est bien ainsi que je l'ai vu procéder, oralement, dans quelques séries de conférences, à l'auditoire dérisoire, qu'il persistait vers 1950 à offrir à une Faculté des Sciences récalcitrante.)
Ailleurs, LÉVY suggère que : " Pour intéresser les enfants à la géométrie, il faudrait arriver aussi vite que possible aux théorèmes qu'ils ne sont pas tentés de considérer comme évidents. " Dans son cours de l'X, intermédiaire entre le petit lycée et la recherche, la méthode de LÉVY n'était pas tellement différente. Il escamotait en somme la description de l'escalade de la montagne, processus que d'autres plus désireux de rigueur tiennent, au contraire, à décrire en suivant la variante la plus "directe" qui soit, laquelle, hélas ! est rarement la plus facile : ils font savoir exactement à tout instant au lecteur où il se trouve, mais sans lui dire, ni où il va, ni pourquoi il lui faut se donner tant de peine. Qu'importe si les amateurs de beaux paysages ne sont pas tous mordus d'alpinisme, et que beaucoup d'alpinistes soient trop fatigués à l'arrivée pour avoir conservé le désir de regarder le paysage !
Inutile de dire que les feuilles de LÉVY n'étaient pas universellement populaires. Pour maint excellent taupin, elles étaient - dans l'attente de l'examen général - source d'inquiétude. Dans l'ultime refonte, que j'ai connue en 1957, étant son Maître de conférence, tous ces traits s'étaient encore accentués ; par exemple l'exposé de la théorie de l'intégration était franchement approximatif. " On ne fait pas de bon travail en cherchant à forcer son talent ", a-t-il écrit. Il semblait que dans son dernier cours son talent avait été forcé ; mais du cours fait à la promotion 1944, j'ai gardé un souvenir extraordinairement positif. Si l'intuition ne peut s'enseigner, il n'est que trop facile de la contrarier. Je crois que c'est cela surtout que LÉVY cherchait à éviter, et je pense qu'il y parvenait.
Encore à l'École, j'avais entendu beaucoup d'allusions à l'oeuvre créatrice de LÉVY. Elle était, dirait-on, très importante, mais on ajoutait que le plus urgent était de la rendre rigoureuse. Ceci a été fait, et les petits-enfants intellectuels de LÉVY se réjouissent d'être désormais acceptés comme des mathématiciens à part entière. Je crains que cette acceptation n'ait été payée " trop cher ". Il me semble y avoir, dans toute branche de savoir, des niveaux de précision et généralité insuffisantes, inaptes à attaquer autre chose que des problèmes très simples. Dans presque toute branche du savoir, il y a aussi, de plus en plus, des niveaux de précision et généralité excessives. Par exemple, on peut avoir besoin de cent pages de préliminaires supplémentaires pour pouvoir démontrer un seul théorème connu sous une forme dont le seul mérite est d'être un peu plus générale. Enfin, dans quelques branches de savoir, il y a des niveaux de précision et généralités, disons, "classiques". La grandeur presque unique de Paul LÉVY, c'est que dans son domaine il a été tout à la fois le précurseur et le classique.
Coup après coup, j'ai trouvé dans les applications dont je me suis occupé - dont je me permettrai seulement de dire qu'elles ont une certaine variété - que ce qu'il m'a fallu c'est soit du LÉVY appellation d'origine, soit une généralisation dans son esprit. Donc, de deux choses l'une. Peut-être tout simplement mon éducation s'est-elle arrêtée après que je l'ai connu, et ai-je simplement su accomoder le peu que je savais à des sauces particulièrement variées. Mais je crois plutôt que le monde intérieur, dont LÉVY s'est fait le géographe, avait avec le monde qui nous entoure ce degré d'accord précis qui tout simplement est la marque du génie.
Paul LÉVY, qui vient de disparaître le 15 décembre 1971 à 85 ans, fut une illustration du Corps des Mines, comme Henri Poincaré avant lui, par le rayonnement de ses travaux mathématiques. Il rendit en outre à son Corps des services éminents comme enseignant, d'abord à l'École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Étienne dès 1910, puis à l'École Nationale Supérieure des Mines de Paris où il fut Professeur de 1914 à 1951.
Sorti premier de l'École Polytechnique en 1906, il y revint comme Répétiteur d'analyse en 1913 ; il y fut nommé Professeur d'analyse en 1920, succédant à M. Humbert. Son cours devait y durer jusqu'en 1959 ; il fut nommé ensuite Professeur honoraire.
Il termina sa carrière dans le Corps des Mines comme Ingénieur général.
Il était Commandeur de la Légion d'Honneur et membre de l'Académie des Sciences depuis 1964.
Paul LÉVY a été un des plus grands mathématiciens de son temps et c'est un honneur pour le Corps des Mines de lui avoir facilité la pleine réalisation de ses dons exceptionnels. En tant que savant, il a été sans doute l'un des derniers exemples d'individualisme absolu : c'était un chercheur solitaire qui ne se préoccupait que de se poser des problèmes qui l'intéressaient et d'en poursuivre la solution par le seul travail de réflexion intérieure. Il lisait très peu de travaux d'autrui, il ne participait pas aux congrès internationaux, sauf exceptionnellement à la fin de sa vie. Ses méthodes de travail, artisanales pourrait-on dire, avaient leurs inconvénients : il a souvent retrouvé, sans le savoir, des résultats déjà connus ; plus souvent encore, il a découvert des résultats importants sans leur donner la publicité nécessaire, parfois parce qu'il les croyait déjà connus. On ne peut nier qu'il y ait eu des gaspillages d'efforts, mais la contrepartie a été souvent admirable : c'est l'originalité profonde d'une pensée indifférente aux modes et aux écoles qui n'hésitait pas à se lancer sur des voies absolument nouvelles parce qu'elle ne craignait nullement la solitude. C'est ainsi qu'après avoir été l'un des principaux précurseurs de l'analyse fonctionnelle, Paul LÉVY a été le grand créateur de la théorie des probabilités. On peut dire que la plupart des concepts essentiels de cette théorie dérivent de lui.
Son enseignement à l'École Polytechnique, qui a été d'une durée exceptionnelle, a laissé une trace profonde chez, ses innombrables élèves : ils y ont vu un modèle de concision, une exigence vis-à-vis du lecteur qui doit reconnaître toutes les difficultés cachées dans un texte laconique ; en somme, une admirable gymnastique intellectuelle. Ajoutons pour la petite histoire que ce cours très classique et peu modifié jusqu'en 1957 ne signifiait pas que Paul LÉVY se désintéressât des développements modernes des mathématiques puisqu'il a eu le courage et l'élégance d'entreprendre, dans les deux dernières années de son enseignement, une refonte de son cours pour y introduire le langage et les méthodes les plus récents.
Nous voudrions pour terminer évoquer un souvenir personnel : Paul LÉVY nous parlait un jour des conditions dans lesquelles il choisissait les questions sur lesquelles il voulait faire porter ses recherches : " Je me pose un problème pas trop difficile, me disait-il, pour ne pas me casser les dents devant un excès de difficultés, mais pour avoir tout de même un gros effort à faire qui m'occupe et me donne la satisfaction de trouver quelque chose. " On admirera cette modestie mêlée d'orgueil légitime. Ces " problèmes pas trop difficiles ", c'étaient en général des voies nouvelles ouvertes à l'esprit humain.
Je dois vous parler de l'activité de Paul LÉVY, en tant que Professeur à l'École Polytechnique, et plus précisément, comment cette activité était ressentie par les élèves de ma promotion.
L'enseignement comprenait bien entendu les aspects suivants:
- le cours oral,
- l'étude du cours écrit pour les élèves dans leurs salles,
- les interrogations et les examens généraux,
- et, après l'école, l'utilisation du cours comme ouvrage de référence.
Paul LÉVY commençait par préciser et commenter le plan de son exposé. Ceci, qui paraît peu de chose, et de plus évident, est important pour les élèves. J'avais le privilège d'approcher fréquemment Paul Lévy pour traiter des liaisons entre lui et mes camarades. Il me disait : " Le cours oral condense en une heure ce que l'élève met dix fois plus de temps à comprendre et assimiler. " De plus, malgré les recommandations, les élèves n'avaient jamais regardé le cours qui allait être exposé. Conséquence, à tout moment, si les élèves suivaient ce que disait le Professeur et le reliaient à ce qui venait d'être dit peu avant dans l'exposé, ils ne se situaient pas du tout par rapport à l'ensemble de l'exposé. D'où la nécessité d'un plan de l'exposé, et d'écrire au tableau, sans l'effacer et d'une manière très claire, les grandes étapes de l'exposé et de se situer très fréquemment. C'est ce que faisait Paul LÉVY.
Son exposé était très net, très clair. Il avait soin de citer les exemples nécessaires à la compréhension et de ne pas dire un mot de trop.
Quand il avait terminé, il avait réussi à rendre intelligibles à la promotion, dans un temps faible, 1 heure 1/4, de nombreuses pages, ce qui donnait à chacun un guide pour se lancer ensuite dans le travail personnel. C'est là qu'intervenait le deuxième aspect de l'enseignement de Paul LÉVY : son cours écrit.
Le cours écrit était concis, précis et clair. Son étude, pour les élèves, en était donc grandement facilitée. Mais le niveau était élevé. Il fallait reprendre le texte de nombreuses fois pour s'apercevoir du rôle capital que l'auteur avait donné à un mot particulier, et que l'élève n'avait pas remarqué à première lecture. Et ainsi, à mesure de la progression de l'étude du même texte, tels points fondamentaux apparaissaient les uns après les autres pour finalement donner tous les éléments nécessaires.
Cela demandait donc un travail important à l'élève, et rendait inutile toute étude superficielle.
Une alternative pour le Professeur était un texte long, qui expliquerait les points délicats et donnerait des exemples pour les mettre en valeur. Paul LÉVY avait choisi l'autre solution : celle qui demande un grand effort personnel à l'élève pour que celui-ci cherche et traite seul les points délicats par un travail personnel, base de l'enseignement.
Une fois assimilé, ce cours se révélait très maniable et permettait aux élèves d'aborder les applications que leur proposait le texte du cours lui-même.
Une fois compris, le cours écrit, contenu dans deux minces volumes, était l'un des bagages mathématiques essentiels de nos camarades et moi : nous nous y reportions souvent. Nous découvrions alors que comme livre de référence, à consulter pour tel ou tel problème de notre vie professionnelle, ce cours était excellent. Il nous arrivait de rencontrer dans nos travaux des outils mathématiques nouveaux pour nous. Dans une grande partie des cas, la base donnée par le cours de Paul LÉVY était suffisante pour aborder, étudier et assimiler, dans les ouvrages de l'époque, les nouveaux outils mathématiques qui nous étaient nécessaires.
Ce cours comprenait en effet les domaines suivants :
- calcul différentiel,
- calcul intégral intégrales simples,
- intégrales multiples,
- fonctions définies par des séries ou des intégrales. Espace de Hilbert,
- applications géométriques du calcul des intégrales,
- théorie élémentaire des équations différentielles,
- calcul des variations,
- potentiels newtoniens,
- fonction d'une variable complexe,
- équations différentielles,
- équations aux dérivées partielles du 1er ordre,
- équations aux dérivées partielles linéaires du 1" et 2e ordre,
- calcul des probabilités,
- équations intégrales.
Cet ensemble, écrit d'une manière parfaite, restait donc un outil précieux. Je terminerai en disant que, chargé des relations entre Paul LÉVY et ma promotion pour les questions d'enseignement, je trouvais toujours en lui un homme exemplaire, courtois, ouvert, modeste et sûr de lui, et bienveillant pour les élèves.