N° 11 - Septembre 2020 - Internet, frontières et territoires
De FaceBook aux ronds-points, les Gilets jaunes du territoire virtuel aux territoires réels : retour sur l’ancrage territorial d’un mouvement né du numérique
Florence DURAND-TORNARE
Alors que le « numérique » est un secteur fer de lance de l’économie mondialisée, la question politique de sa régulation par les États ne peut que passer par les pouvoirs locaux, par le pouvoir de la démocratie, par nature locale. Ce nouvel espace public est intimement lié au « premier kilomètre » de son cycle de vie : celui qui le consomme est aussi celui qui le produit, ou du moins, celui qui en produit l’essence : l’information. Il se réalise en « phygital », comme disent les universitaires : au point géographique, physique, où des millions d’émetteurs vont créer un miracle de l’instantanéité de la connaissance, ou un enfer d’échanges ubiquitaires infobèses. Ce pharmakon vire au bien ou au mal, non plus selon des règles morales, mais selon le volume et le poids qu’il prendra dans la vie réelle d’un quartier ou d’un village. Concrétisé en objet livré à la porte, ou métabolisé en vote à distance pour telle ou telle délégation de pouvoir local, il nous enferme dans le contrôle ou libère notre créativité collective. Entre le 17 novembre 2018 et le 8 avril 2019, la France a vu un phénomène démocratique à la conjonction du virtuel et du réel. Le jaillissement du mouvement des Gilets jaunes dans les réseaux sociaux et sur les ronds-points routiers, rapidement suivi d’un Grand débat national, catalyseur d’expressions individuelles rendues collectives sur des plateformes numériques. Une volonté de démocratie traduite grâce la capacité (numérique) locale de transmission de millions de données sémantiques calculées ensuite par des ordinateurs capables de les restituer rapidement et de les rendre lisibles par tous. Une année qui aurait pu voir le formidable impact de milliers de transformations sociales coordonnées dans les territoires. Pourtant cette libération momentanée de la parole citoyenne écrite et enregistrée a projeté dans une fuite en avant un pouvoir national étourdi par ce temps démocratique, tout en frustrant les pouvoirs locaux, privés de réponse face à des citoyens particulièrement actifs et productifs.
Télécharger gratuitement l'article
Retour au sommaire
N° 11 - September - Internet, Borders and Territories
From FaceBook to traffic circles: The “yellow vests” from virtual to real ‒ The territorial roots of a movement born on line
Florence DURAND-TORNARE
Digital technology is the spearhead of a globalized economy. The political question of its regulation by nation-states necessarily involves local authorities and the power of democracy (by nature, local). This new public space is closely linked to the “first kilometer” of its life cycle: whoever consumes it produces it or, at least, its essence: information. It is realized “phygitally”: at the physical, geographical point where millions of emitters create a miracle: either instantaneous knowledge or else an inferno of ubiquitous, “infobese” exchanges. This pharmakon becomes good or bad not following moral rules but depending on its volume and weight in the real life of a neighborhood or town. Made concrete via home-delivered products or metabolized into proxy voting for a delegation of local power, it either confines us within a space of control or else frees our collective creativity. Between 17 November 2018 and 8 April 2019, a democratic phenomenon at the juncture of the real and virtual realms broke out in France: the “yellow vest movement” present on social networks and at traffic circles, and soon followed by the Great Debate, a catalyst for individual voices made collective via online platforms. The desire for democracy was expressed thanks to the local (digital) capacity for transmitting millions of semantic data calculated by computers that quickly made them viewable by everyone ‒ a year that could have experienced the awesome impact of thousands of coordinated social transformations in localities. This momentaneous freedom of speech, the written and recorded words of citizens, set off a headlong rush of national power-holders dizzy with this moment of democracy, while frustrating local authorities who were deprived of the responses to be given to active, productive citizens.
Download full article
Retour au sommaire
|