Avertissement : la biographie qui suit est extraite du livre intitulé "Savant par vocation : l'abbé Jérôme TONNELIER (1751-1819)", de Lydie Touret et Elodie Kohler, publié par l'Ecole des Mines de Paris. Cet ouvrage comporte un grand nombre de très belles photos, de facsimilés de documents d'archives, et des commentaires très interessants qui ne sont par reproduits sur le web. Nous donnons ici la préface de l'ouvrage (par B. Legait) et la biographie simplifiée de Jérôme TONNELIER.
AU SIECLE DES LUMIERES LA MINÉRALOGIE DEVIENT UNE SCIENCE : L'EXEMPLE DE L'ÉCOLE DES MINES DE PARISAu XVIIe siècle, les limites des différents règnes naturels ne sont pas très nettes. Par exemple, on considère que les lichens, certains produits d'origine organique ou sécrétions, tels que perles ou « bézoards », étranges concrétions observées dans le corps de certains animaux, font partie du règne minéral. Mais un grand courant de curiosité scientifique, d'abord axé vers la chimie ou surtout la physique, va s'étendre à la « Minéralogia », jusqu'alors limitée à l'étude des sels minéraux utilisés en pharmacie. Au Siècle des lumières, dès le début du XVIIIe siècle, l'intérêt pour les minéraux prend un développement considérable. Il est habituel pour les grands seigneurs ou les riches bourgeois de posséder des « cabinets de curiosité », ainsi que de suivre les cours particuliers d'Histoire naturelle dispensés par Daubenton, Valmont de Bomare ou Sage en marge des académies ou universités. Ces collections, qui vont connaître un développement très rapide, requièrent classement, étiquetage, et inventaire. Elles deviendront rapidement de véritables archives de la nature, autour desquelles curieux et hommes de sciences jetteront les bases d'une véritable minéralogie scientifique. Un des hommes qui personnalise le mieux cette véritable révolution scientifique est Jean-Baptiste Louis de Rome de l'Isle qui, en s'inspirant des principes de Linné, systématise les connaissances de son époque. En 1783, il découvre la loi de la constance des angles dièdres dans les cristaux d'une même espèce, introduit la notion de troncature, et crée le terme de Cristallographie. A peu près à la même époque, René-Just Haüy s'intéresse aux formes des cristaux, définit et étudie les relations entre les différentes espèces minérales et, en 1801, publie un monumental traité qui, pour des générations de minéralogistes, restera une référence indispensable. La naissance de la Cristallographie et Minéralogie moderne s'est en partie produite dans les locaux de l'École des Mines. En effet, une chaire de minéralogie et de métallurgie docimastique est créée en 1778 dans une salle de l'Hôtel de la Monnaie. En 1783 elle sera à l'origine de la première Ecole Royale es Mines. Sous une forme différente, cette école survivra à la Révolution, et accueillera dans ses murs Romé de l'Isle et Haüy, donnant un cadre officiel à des travaux qui, autrement, restaient l'apanage d'amateurs éclairés. Les « pères de la Minéralogie et de la Cristallographie » deviendront rapidement des personnages célèbres, à l'égal des plus grands savants de l'époque. Moins connu est le fait qu'ils furent entourés de collaborateurs modestes, dont le travail leur fut pourtant indispensable : Arnould Carangeot, inventeur du goniomètre d'application, pour Rome de l'isle et, pour Haüy, l'Abbé Jérôme Tonnelier (1751-1819), « garde des collections » qui pendant plus de quarante années se dévoua totalement à l'Ecole des Mines et assura à lui seul une bonne partie de l'éducation des futurs ingénieurs. Au moment où l'Ecole entre dans un nouveau millénaire, il était juste de rendre hommage à celui qui a joué un rôle essentiel aux débuts de sa longue histoire. Directeur de l'Ecole des Mines de Paris |
Jérôme Tonnellier naît le 22 septembre 1751, sans doute dans le village de Vénisy, proche de Châtillon sur Loing, dans l'Yonne. Il est prénommé Jérôme, comme tous les aînés en lignage direct de cette famille (tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours). La famille Tonnellier était originaire de Paris, où son existence est attestée à la fin du XVIe siècle. Elle a fourni à l'Université des professeurs et faisait partie d'une certaine bourgeoisie de l'époque. On trouve ainsi mention, dans les archives de la Sorbonne, du fait que Pierre Tonnellier, marchand de son état, lui a prêté cent écus d'or en 1518, afin de subvenir aux frais d'un procès qu'elle soutenait en Cour de Parlement au sujet de l'arrestation de quelques uns de ses membres. Parmi les fils de Pierre, deux noms nous sont connus (Hiérome et Zacharie), dont l'un viendra s'établir à Vénizy. Le grand-père Hiérome verra son prénom progressivement transformé en Jérôme au hasard des fantaisies orthographiques de l'état civil. On retrouve du reste la même flexibilité pour le nom patronymique, écrit indifféremment le Tonnelier, Tonnelier, Tonnelier, Thonnelier, Tonnellier, parfois avec deux ou trois variantes écrites de la même main dans le même acte. L'ordre républicain mettra un terme à ces fantaisies et c'est la dernière forme (Tonnellier) que portent aujourd'hui les descendants de la famille, maintenant établis dans la ville voisine de Châtillon-Coligny (anciennement Châtillon sur Loing}.
Le grand-père, Hiérome Tonnellier (1697-1762), chirurgien, épouse Jeanne Madeleine Hugot (1697-1766). Un de leurs fils, Robert-Louis-Marie Tonnellier, bourgeois terrien réussit à s'élever dans la petite noblesse provinciale. « Notre » Jérôme est le fils de Maître Robert-Louis-Marie Tonnellier. Son père, en plus d'être chirurgien comme on l'est de père en fils dans la famille, exerce la charge de procureur fiscal au bailliage et baronnie de Vénisy; il appartient ainsi au corps des magistrats de la cour des comptes d'une des petites juridictions royales et donc à la noblesse de « petite robe ». Cette noblesse est celle des avocats, notaires, greffiers et, bien sûr, procureurs. Ces charges sous mandat royal sont héréditaires et l'on verra comment Jérôme en héritera. Sa mère, née Anne-Marie Pichard, est fille de boulanger. Le couple a 7 enfants. Jérôme était l'aîné. Les autres devinrent magistrat, prêtre, épouse de magistrat, épouse de fonctionnaire, médecin.
La vie au séminaire est déterminante pour l'avenir de Jérôme. Cinq ans après son entrée, à l'âge de 17 ans, il reçoit sa première tonsure, dont le diplôme sur papier huilé est signé et cacheté par Christophe de Beaumont. Ce grand prélat fut archevêque de Paris de 1746 à 1754 et lutta contre les Jansénistes et les Philosophes. Jérôme reçoit donc dès sa prime jeunesse le soutien d'un homme d'église influent qui continuera plus tard de lui apporter son appui. Fut-il remarqué pour sa vivacité d'esprit ou bien bénéficia-t-il des relations entretenues par sa famille auprès de la hiérarchie parisienne? Toujours est-il que ses études au séminaires sont brillantes. Devenu clerc diocésain de Sens, il reçoit, le 25 mai 1771, les Ordres mineurs (aujourd'hui appelés ministères), rite sacramentel au cours duquel il devient acolyte du prêtre du diocèse de Sens, ce qui correspond à des fonctions de lecteur et de servant d'autel.
Avant de prononcer ses voeux définitifs et d'embrasser la carrière ecclésiastique, Jérôme Tonnellier doit perfectionner sa maîtrise du latin. Continuant une tradition familiale établie par son père et son oncle, il part à Paris s'instruire à la Faculté des Arts, dont le prestige dépasse alors les frontières de la France. Il y étudie bien sûr la langue de Virgile, mais aussi la philosophie et les sciences de la nature. Après un premier cycle de deux ans consacré à la philosophie, il est reçu le 7 novembre 1769, ce qui lui permet d'enseigner le latin, la philosophie et les sciences de la nature. Puis il suit les cours de théologie qui durent trois ans et forment le deuxième cycle couronné par une licence. Le 25 janvier 1773, il est reçu en Sorbonne au grade de bachelier. Quelques mois plus tard, le 19 mars 1773, il est licencié en théologie par la congrégation générale du collège Louis-le-Grand. Il achève là des études qui font de lui un savant, au sein de l'élite intellectuelle de l'époque.
Manifestement, le séjour parisien de Jérôme Tonnellier l'incite plus à se tourner vers la philosophie ou l'étude des sciences que vers la pratique de la prêtrise, qui était à l'époque l'un des plus sûrs moyens de progresser dans l'échelle sociale. Ses parents s'en inquiètent, trouvant que l'érudition ne garantit ni métier ni salaire. Afin de l'engager à entrer dans le sacerdoce, ils lui promettent une rente viagère et une pension de 50 livres par an « dont le payement commencera du jour qu'il aura reçu le sous-diaconat [...] et continuer d'années à autres jusqu'à ce que le dit Jérôme Tonnellier ait atteint ou soit pourvu d'un bénéfice suffisant pour remplir son dit titre clérical ». Ses parents hypothèquent alors des terrains qu'ils ont autour de Vénisy.
Le 5 mai de la même année. Jérôme, alors âgé de 21 ans, recevait les Ordres sacrés, c'est-à-dire le sous-diaconat. Il entre ainsi véritablement dans la hiérarchie de l'Eglise.
Toutefois, comme l'avaient bien décelé ses parents, il est plus attiré par la philosophie et l'étude des sciences. En 1777, il figure ainsi parmi le corps enseignant du Collège de Navarre, en tant que professeur de philosophie.
Le Collège de Navarre qui appartient à l'université de Paris fut un établissement bien particulier sous l'Ancien Régime. Son rôle n'est pas sans rappeler ce que le Collège de Brienne fut pour les militaires. Fondé par générosité royale au début du XIVe siècle, il est destiné à recevoir gratuitement des étudiants pauvres mais méritants, futures élites de la nation. Les meilleurs savants y enseignent, souvent comme simples répétiteurs, recevant un maigre salaire qui leur permet de poursuivre leurs propres recherches. C'est, en particulier, le cas de René-Just Haüy qui y enseigna la botanique et bénéficia du statut privilégié d'émérite appointé, le 28 avril 1764, avec une pension de 300 livres par an.
Jérôme Tonnellier enseignera la philosophie et les sciences au Collège pendant plus de dix ans. Sa nomination officielle comme titulaire de la chaire de philosophie (« cathedra philosophia ») date du 24 novembre 1777. Ses élèves sont nombreux et, apparemment, satisfaits. En 1786, des honneurs lui sont remis pour le dévouement dont il fait preuve dans l'exercice de sa charge. Un acte officiel lui donne le titre de professeur septénaire. On peut estimer qu'il gagne alors environ, 3 000 livres par an.
Le Collège de Navarre était si directement lié à l'Ancien Régime, gardant toujours ses lettres de noblesse et portant en filigrane un lys couronné sur ses diplômes, qu'il ne survivra pas à la Révolution. Il sera supprimé en septembre 1793 par décret de la Convention, quelque temps après la Faculté des Arts, elle-même dissoute le 1er octobre 1792. Les bâtiments du Collège, toujours visibles sur la colline du Panthéon, sont affectés à partir de 1805 à la nouvelle Ecole Polytechnique.
La disparition du Collège de Navarre va entraîner des temps difficiles pour Jérôme Tonnellier, physiquement menacé dans sa personne par son statut ecclésiastique. Il retournera à Sens pendant quelque temps, mais, bientôt, reviendra à Paris. A côté de ses fonctions auprès de l'Agence des Mines qui, rapidement, deviendront son activité principale, il participera aux activités du « Lycée des Arts » qui dans une certaine mesure, avait repris le rôle du Collège de Navarre après sa disparition.
Le Lycée Républicain va devenir le refuge de tous les savants fuyant les anciens établissements royalistes et, souvent, menacés dans leur vie. On retrouve du reste souvent les mêmes noms : Vauquelin, Gillet de Laumont, Brongniart, Ampère. Tous ces savants devaient acquérir une grande notoriété pendant la période révolutionnaire et, par là même, purent jouer un certain rôle protecteur auprès de leurs collègues. Jérôme Tonnellier est introduit au Lycée Républicain par Gillet de Laumont, qu'il avait connu à l'ancienne Ecole Royale des Mines de Sage dès 1783. Il est professeur de minéralogie au Lycée Républicain à partir de 1793, spécialement chargé de «déterminer les collections au domicile des particuliers ». Toutefois, son rôle reste mineur. Il est de plus en plus pris par ses activités touchant à l'exploitation des mines. Elles vont rapidement prendre une place prépondérante dans son existence.
Parallèlement à ses activités au Collège de Navarre, Jérôme Tonnellier avait été nommé « Garde des Collections » de l'Ecole Royale des Mines.
On peut s'étonner qu'un modeste professeur de philosophie ait été choisi pour le poste important de garde des collections d'une école d'ingénieurs, à une époque où la découverte de nouvelles mines ne pouvait se faire que par l'étude d'échantillons de référence. Toute académie des mines accordait une grande importance à ses collections de roches et de minéraux. Celles-ci, plus tard, ont été à la source de tous les grands musées de Minéralogie du monde : Freiberg, Saint-Pétersbourg, Ouro Preto, Madrid... et, bien sûr, en premier lieu, du musée de l'Ecole des Mines de Paris. En fait, il est plus que probable que, là encore, la protection de l'Archevêque de Sens a pu jouer. Dans la correspondance de Sage, conservée aujourd'hui à l'Hôtel de la Monnaie, on trouve en effet deux lettres adressées à Albert de Luynes en 1788 : l'une ne faisant mention que d'un contact banal, mais l'autre faisant état de la réalisation d'un buste de l'archevêque pour être placé dans les collections. Bien entendu, d'autres arguments ont pu jouer. Il est certain que Jérôme Tonnellier a côtoyé René-Just Haüy, prêtre comme lui au Collège de Navarre et que se sont alors noués des liens qui ne devaient jamais se démentir.
Comme le Collège de Navarre, l'Ecole Royale des Mines va disparaître dans la tourmente révolutionnaire. Sage se fâche avec GILLET de LAUMONT, Lelièvre et Lefèbvre, qui compteront effectivement parmi les fondateurs de la nouvelle « Agence des Mines ». En revanche, Sage adresse tous ses éloges à Jérôme Tonnellier, qui semble bien s'être tenu à l'écart de toutes ces manoeuvres. Visant ces trois « traîtres », il indique dans ses Mémoires : «[...] que ne puis-je leur adresser autant de gratitude qu'à l'estimable Abbé Tonnelier, qui n'a pas voulu se prêter à l'ordre du Comité de Salut Public qui lui enjoignait de s'emparer de mon cabinet et de le faire transporter dans Le repaire de l'Agence des Mines; ordre qui avait été sollicité par le triumvirat qui la composait, lequel me doit l'état opulent dont il jouit ».
La fermeture de l'École Royale des Mines avait mis fin aux fonctions de Jérôme Tonnellier, qui éprouve le besoin de prendre quelque distance et retourne à Sens. Bien que n'ayant pas pris immédiatement parti pour le «triumvirat putschiste », il n'est pas insensible à certaines idées révolutionnaires et, dans sa région d'origine, va participer activement au remaniement des institutions. Dès le 8 janvier 1792, il est élu questeur de « la Nation dite de France autour de la tribu de Sens» pour en établir les comptes des années 1792 et 1793. Cet établissement est l'une des quatre compagnies formant la Faculté des Arts ressuscitée, ce qui permet à Jérôme de conserver ses contacts parisiens. D'après les documents manuscrits que nous possédons, il en effet que la Faculté des Arts est composée de cinq tribus : Paris, Reims, Tours, Bourges et surtout, Sens, la région de Jérôme. Un bilan comptable fait d'abord l'inventaire des recettes puis celui des dépenses. Dans la première partie, on saisit immédiatement la richesse en immeubles (terrains affermés et maisons baillées) de la Nation de France, mais aussi les impacts des décisions de l'Assemblée nationale puis de la Convention : c'est elle qui perçoit les rentes de l'ancien clergé, une partie des anciens impôts comme les tailles, aides et gabelles, en plus d'une perception sur le trésor royal « trois nouvelles parties de rente sur le ci-devant Roy». Les dépenses sont composées des salaires payés aux procureurs, censeurs, doyens, et autres officiers, des distributions faites aux messes et lors des fêtes religieuses, enfin des sportules données lors des assemblées.
Si, avec conscience et diligence, Jérôme Tonnellier s'acquitte de ce travail, il est en retour extrêmement bien payé : pour ces deux années, il reçoit 285 livres et 2 sols, alors que procureur et censeur ne sont payés, par an, que 75 livres.
Tonnelier revient ensuite à Paris, en novembre 1793, comme employé de la Trésorerie Nationale.
Probablement est-ce grâce à Gillet de Laumont, qu'il avait bien connu à l'Ecole Royale de Sage, que Jérôme Tonnellier retrouva ses fonctions de garde des collections dans la nouvelle école des Mines, et réorganisa un cabinet de minéralogie, sur le modèle de la nouvelle minéralogie de René-Just Haüy. Ce dernier était devenu un savant respecté du nouveau régime, membre de l'Académie, chargé de diverses fonctions officielles. L'abbé Haüy était entourré de quelques prêtres à l'Ecole des Mines : Tonnelier, Clouet, l'Italien Tondi. Ceux-ci étaient entièrement dévoués à Haüy.
Dès 1795, le programme de l'enseignement de l'Ecole des Mines s'alourdit, avec des cours commençant dès 7 heures, même à 5 heures pour les « courses minéralogiques hors Paris ou dans les cabinets publics et particuliers ». C'est Jérôme Tonnellier qui assure cet enseignement, en même temps que les cours de mathématiques, mécanique et surtout, minéralogie, que lui a laissé Haüy. Celui-ci ne figure que pour un cours de Physique, Crystallographie & Perspective des Crystaux, avec Tonnellier comme suppléant. Au total, Jérôme Tonnellier figure pour au moins 10 heures d'enseignement magistral et une journée entière sur le terrain par décade, assurant à lui seul près de la moitié de tout l'enseignement. Nous avons du reste retrouvé dans les archives le manuscrit de l'emploi du temps pour l'an III de la République (1795) rédigé de la main de Jérôme Tonnellier, ayant certainement servi de modèle pour l'emploi du temps imprimé. Il assurait donc une sorte de secrétariat de l'école, facilité par le fait qu'il résidait dans les locaux de l'école (les cours étaient donnés au numéro 293 de la rue de l'Université, et il habitait au 291).
Bien que cela ne figure pas sur un document officiel, René-Just Haüy apparaît comme une sorte de supérieur hiérarchique - ce que l'on appellerait aujourd'hui un directeur des études - qui laissait toutefois la plus grande liberté à ses collègues. A cette époque, il était entièrement pris par la rédaction de son Traité, qui paraîtra en 1801, et il est plus que probable que Jérôme Tonnellier ait dû souvent assurer la suppléance de son cours de cristallographie.
Jérôme Tonnelier réceptionne à partir de 1793 à l'Ecole des Mines les objets minéralogiques confisqués aux émigrés et aux anciens nobles disparus. Il y a parfois des collections de grande valeur : la collection de Guettard, une partie des échantillons et de la bibliothèque de Lavoisier (qui seront restitués à Madame Lavoisier par la suite), les échantillons du Cabinet du Séminaire de Saint-Sulpice, les échantillons, modèles et bibliothèque de Dietrich, etc. En outre, de nombreux échantillons sont achetés ou, surtout, envoyés par les ingénieurs des mines en fonction des indications précises qui avaient été données par l'Agence : Un Cabinet de Minéralogie « contenant toutes les productions du globe et toutes les productions de la République, rangées suivant l'ordre des localités », devait y être installé et, pour cela, les ingénieurs des mines devaient « rassembler toutes les substances fossiles [...] et en envoyer la collection bien étiquetée à l'Agence pour qu'elle soit placée dans ce Cabinet. » Travail énorme, dont l'essentiel incomba au garde du cabinet, mais qui porta ses fruits, puisqu'en 1814 le nombre total d'objets rassemblés par le Conseil des Mines avoisinait les 100 000 - fonds énorme mais quelque peu hétéroclite.
Jérôme Tonnellier ne se borne pas à être un simple récipiendaire et ses connaissances, développées lors de ses multiples visites effectuées dans le cadre de son enseignement pratique, sont mises à profit par les autorités. C'est ainsi que, le ministre de l'Intérieur en personne, François de Neufchâteau, le choisit le 15 pluviôse an VII (3 février 1799) pour être membre du conseil de conservation mandé à Versailles pour inventorier « les objets d'arts et de sciences » que forment les collections minéralogiques et zoologiques du Cabinet d'histoire naturelle. Cette commission va bien réaliser l'inventaire mais ses conclusions ne seront jamais officielles. La seule trace de ce travail est un Catalogue de la Minéralogie, rédigé par J. Tonnellier et conservé aux Archives départementales des Yvelines. Ce catalogue semble avoir été signé conjointement par Tonnellier et Valenciennes, fidèle adjoint de Cuvier, puis envoyé à l'administration du Domaine impérial de Versailles. Après le passage de ladite commission, des scellés sont apposés, les collections du cabinet, qui appartenaient auparavant à un certain M. Fayolle, ayant été vendues au comte d'Artois (futur Charles X). En 1806, on retrouve ces collections dans le Lycée de Versailles (actuel Lycée Hoche).
Nouveau bouleversement : Chaptal, ministre de l'Intérieur, prend l'arrêté du 13 pluviôse an IX (12 février 1802) supprimant l'Ecole de Paris et créant les deux écoles pratiques de Geislautern (Sarre) et de Pesey (Mont-Blanc).
Dès l'arrêté ministériel, élèves et professeurs partent avec armes et bagages vers la Savoie, où ils resteront jusqu'en 1814. Mais les professeurs de l'ancienne école de l'Hôtel de Mouchy avaient pu échapper au déplacement en Savoie. En novembre 1801, la mort brutale de Dolomieu, nommé professeur au Muséum à son retour de captivité en Sicile, laisse vacante la plus prestigieuse chaire française de minéralogie qui est attribuée à René-Just Haüy. Grâce l'influence de Haüy, qui était apprécié personnellement par l'Empereur, les religieux qui entourent Haüy peuvent rester avec lui à Paris. L'abbé napolitain Matteo Tondi suit Haüy au Muséum, ne rejoignant sa patrie d'origine que vers 1811 pour y devenir l'une des personnalités scientifiques les plus marquantes et, surtout, le créateur du magnifique Musée de Minéralogie de Naples. Les deux autres prêtres qui assuraient l'essentiel de l'enseignement à la Maison d'Instruction de l'Agence des Mines, le bibliothécaire Clouet et surtout le garde des collections, Jérôme Tonnellier, sont aussi restés à Paris. Ils ont continué à vaquer à leurs occupations, discrètement mais efficacement puisque, pour Jérôme, cette période coïncidera avec la parution de ses publications les plus importantes. Mais, au travers de sa correspondance, on sent qu'il a perdu l'enthousiasme de ses débuts. Peut-être être pour des raisons personnelles (problèmes de santé ?), ou parce que l'apogée napoléonienne ne satisfait pas exactement aux idéaux de sa jeunesse.
Jérôme Tonnellier est tellement dévoué à son enseignement que la vie doit lui paraître bien triste lorsqu'il se retrouve seul au sein de ses collections. Certes, il assure quelques cours au Lycée Républicain, mais ceci est loin de remplacer le bouillonnement des élèves mineurs, qui avaient coutume de passer de longues heures à observer des échantillons en dehors des heures de cours magistraux. Il seconde volontiers Clouet, le bibliothécaire, rédigeant de sa main des fiches de prêt de livres, veille à l'envoi périodique du Journal des Mines aux abonnés, fait ses propres recherches, poursuit de rares visites dans des cabinets particuliers. Il donne aussi des cours particuliers à domicile. Il utilise pour cela le cabinet de minéralogie de Rome de L'Isle qui avait été acquis en 1793 par le directeur de l'Agence, Gillet de Laumont, et qui passait pour le plus riche de son temps. Gillet lui-même, qui avait toujours été très proche de Tonnellier et lui avait désigné de multiples missions, est alors très pris par ses tâches officielles. Il administre, nomme et révoque les différents ingénieurs des mines, attribue les concessions, met en place les premières mesures qui conduiront à la rédaction du futur Code minier de Napoléon.
Bien que ne figurant pas sur le devant de la scène, Jérôme Tonnellier n'en continue pas moins à déployer une activité non négligeable,
Depuis longtemps, il a été nommé membre de nombreuses Sociétés savantes où se rencontraient savants et amateurs. Leur nombre témoigne d'une singulière vivacité de la vie scientifique française à l'aube du XIXe siècle, à Paris aussi bien qu'en province. Dans sa séance du 13 thermidor an III (31 juillet 1795), la Société Philomatique de Paris, présidée par Coquebert, a reçu parmi ses membres « le citoyen Jérôme Tonnellier, Professeur de Minéralogie au Lycée Républicain, Attaché à la Maison d'Instruction des Mines, Membre de la Société d'histoire naturelle et du Directoire du Lycée des Arts, Professeur au Collège de Navarre ». Il fut également correspondant de la Société des Sciences Physiques d'Orléans, membre des Sociétés libres d'Agriculture, Science et Arts du Département de Seine et Oise (en 1800), du Département de la Haute-Marne (en 1801), de Provins (en 1805) et enfin de Lille (en 1806). L'Académie de Troyes lui ouvrira ses portes en 1806 en tant que membre étranger. Enfin, la consécration internationale est atteinte en 1816, par sa nomination de Membre étranger de la Geological Society de Londres, où il côtoie les savants les plus illustres de l'époque : ses maîtres Haüy et Gillet de Laumont, Brongniart ou Faujas de Saint-Fond, mais aussi le grand Werner de Freiberg, Esmark de Kristiania, Swedenstierna de Stockholm, Necker de Genève. Au total, une liste très exclusive d'une douzaine de noms, où se retrouvent les plus grands savants de l'époque. La lettre de nomination, rédigée par le Secrétaire pour la correspondance étrangère, Auguste B. Granville, est particulièrement élogieuse.
Les compétences de Jérôme Tonnellier sont donc bien reconnues, même au delà du cercle fermé des savants. C'est ainsi que le Marquis de Louvois requiert son concours pour trouver sur ses vastes terrains de Bourgogne (15000 arpents, soit entre 6500 et 7 500 hectares) des filons de minerai exploitables. Il est en effet contraint de trouver une nouvelle façon de valoriser ses domaines, l'exploitation des forêts n'étant plus rentable : « les revenus de ce genre de propriété vont baisser terriblement puisque le gouvernement se décide à faire des coupes extraordinaires, je me vois donc forcé de consommer dans le pays et de brûler mes bois de toute façon». Ayant déjà construit une verrerie à bouteilles et une autre de verre blanc, il pense désormais se tourner vers les fontes, industrie elle aussi grande consommatrice de bois. En fait, Jérôme Tonnellier ne répondra pas directement, mais il contactera « Mr de Champeaux, Ingénieur en chef des Mines du Xe Arrondissement, en résidence à Dijon ».
Il s'intéresse toujours à sa région d'origine, ne ménageant pas à ses concitoyens l'appui de ses relations parisiennes. C'est ainsi que son nom figure sur un document demandant la création d'un arrondissement communal dont Châtillon sur Loing serait le chef-lieu. « Considérant que les citoyens Babille, homme de loi et Tonnellier, Professeur de Minéralogie, tous deux demeurant à Paris, peuvent défendre les droits qua (sic) Châtillon à l'établissement d'un arrondissement communal, d'autant plus facilement que les localités leur sont parfaitement connues ».
En dépit de toutes ces activités et honneurs, l'humeur de Jérôme reste morose. En 1805, il rédige un premier testament, léguant l'ensemble de ses biens à son frère Augustin-Robert et à sa soeur, au moment même où son frère testait en sa faveur. Signe d'une famille très unie, mais témoignage en même temps d'un certain pessimisme et désillusion : «Je me suis retiré dans une des chambres que j'occupe dans l'hôtel du Conseil des Mines, rue de l'Université n° 293, laquelle chambre à feu a deux croisées sur le jardin. »
L'archevêque de Bourges s'inquiète de son sort. Il ne nous reste aucune trace des activités de Jérôme pendant toute cette période, en dehors de ses publications scientifiques. Il apparaît donc comme complètement replié sur ses travaux de recherche, ce qui pourrait peut-être résulter des temps difficiles que traverse l'Agence des Mines. Nonobstant ces difficultés, en 1814, alors que l'Europe coalisée est entrée dans Paris et que des Prussiens ont installé leurs quartiers dans l'Hôtel de Vendôme, Jérôme est toujours à son poste de conservateur de la rue de l'Université, aux appointements annuels de 4 000 francs.
La fin de l'ère napoléonienne entraîne une période agitée pour l'Ecole des Mines, revenue à Paris après son départ de Pesey. Il est désormais acquis que l'Ecole, avec ses collections qui constituent le germe du futur musée de Minéralogie, aura son siège à Paris. Mais la date du retour coïncide avec le règne de Louis XVIII, qui, fait rendre leurs biens aux Emigrés, et fait restituer l'Hôtel de Mouchy à son propriétaire. Il n'y aura que très peu d'intérêt pour recouvrir les échantillons qui avaient été confisqués par le régime révolutionnaire, en dehors des collections de Lavoisier qui seront reprises par sa veuve, si bien que le garde des collections se trouve soudainement chargé de deux collections, celle de l'Agence des Mines et celle de l'Ecole de Pesey.
Au total, plus de 100 000 objets, qu'il faut déménager, transporter et reclasser. On affecte d'abord à l'Ecole des Mines le Palais du Petit Luxembourg, partageant les locaux attribués à la Chambre des Pairs (actuel Sénat). Jérôme Tonnellier, avec l'ingénieur Clère, entreprend le déménagement de l'Hôtel de Mouchy le 1er Juillet 1814, mais il faut rapidement redéménager, car les collections se trouvent précisément dans des appartements que le président de la Chambre des Pairs veut se réserver. Jérôme Tonnellier entreprend ainsi le nouveau déménagement des collections du Petit Luxembourg à l'Hôtel de Vendôme le 14 août 1815, dans des conditions particulièrement difficiles puisque, à l'époque, l'Hôtel était occupé pour moitié par les soldats prussiens et les cosaques russes. Avec l'aide de Clouet pour la bibliothèque, il effectue toutefois cette lourde tâche avec abnégation et diligence, vérifiant dans le détail le chargement des charrettes, les salaires versés aux ouvriers, la disposition des rayonnages ou la disposition des échelles. Dès 1816, Brochant de Villiers, qui avait pris la succession de René-Just Haüy à l'Ecole des Mines, pouvait établir une « collection systématique dans le système français » (c'est-à-dire d'après la classification de Haüy, et non plus celle de Werner). C'est à partir de cette date que l'Ecole des Mines de Paris s'est attachée à privilégier le caractère systématique de ses collections, occupant aujourd'hui l'une des premières places mondiales.
Tout ce travail a dû épuiser Jérôme Tonnellier, qui, surtout pour l'époque, était d'un âge déjà avancé (65 ans). L'installation de l'École des Mines à l'Hôtel de Vendôme marque un nouveau départ, et surtout un développement très rapide de l'École qui, en cette période de révolution industrielle, va devenir l'une des premières au monde, attirant des savants du monde entier (en particulier américains) et envoyant ses élèves prospecter les régions les plus reculées. Jérôme Tonnellier n'aura toutefois pas la chance de voir le résultat de ses efforts. En effet, il meurt chez lui, au 34 rue d'Enfer, le 5 mars 1819, à sept heures du matin. Il a alors soixante-neuf ans. De 1815 à 1818, l'année précédant sa mort, on n'a de lui que quelques lettres que lui firent parvenir ses amis. Haüy bien sûr, mais aussi Antoine César Becquerel qui le remercie d'avoir prêté des livres à son neveu, comme Alexis de Noailles qui s'excuse de la destitution d'un de ses protégés.
Jusqu'au bout, il recevra des témoignages d'admiration et d'amitié. Ainsi, quelques mois avant qu'il ne disparaisse, il reçoit du cardinal archevêque Albert de Luynes, son protecteur dès sa prime adolescence, une lettre de remerciements pour la nouvelle année. Tonnellier lui avait auparavant dit avoir la santé altérée.
La déclaration de décès est faite par Charles Joseph Lefroy, Ingénieur en chef au Corps Royal des Mines et Inspecteur des études de l'Ecole Royale des Mines, « demeurant mème maison que le défunt ami » et par Achille Désiré Lelièvre. La cérémonie funèbre a lieu en l'église Saint Sulpice, en présence de ses amis et confrères du Conseil des Mines comme Lelièvre ou Lefroy. C'est aussi le Conseil des Mines qui s'occupe de l'organisation des obsèques, et qui le fait avec une certaine pompe. L'église est recouverte de tentures, et le convoi qui emmène le corps au cimetière comporte plusieurs "fiacres cabriolets » ; à lui seul il coûte presque 100 livres, soit environ 4 000 francs actuels.
Sa soeur Marguerite Madeleine étant morte le 22 février 1806, Jérôme avait rédigé un second testament en date du 10 février 1819, moins d'un mois avant sa mort, qui instituait son frère Augustin-Robert comme légataire universel. Ce dernier s'occupe de régler les droits de succession, qui montrent que Jérôme gardait une épargne confortable de 3 768,30 livres, soit à peu près égal à un an de revenus. Il reçoit aussi les indemnités que l'administration des Ponts et Chaussées et des Mines (qui viennent de fusionner) devaient encore à feu Jérôme Tonnellier et donne à l'Ecole des Mines un aréomètre, instrument permettant de mesurer la densité des liquides. L'inventaire des biens après décès ressortent surtout la collection minéralogique personnelle de Jérôme ainsi que sa bibliothèque.
Le cabinet de minéraux, en totalité, fut vendu pour 2 750 livres, somme relativement conséquente, à un acheteur inconnu, ami de Lelièvre.
Tous les livres (dont 208 livres scientifiques) furent vendus en lots, et acquis par diverses personnes, dont son neveu Léger. Augustin-Robert se préoccupera de partager équitablement l'héritage de son frère entre la fratrie familiale. Cet héritage représentait au total un capital non négligeable puisque la part qu'il a reçue lui a permis de meubler son château de Launay.
A la différence de René-Just Haûy, dont il fut toujours le disciple zélé, Jérôme Tonnellier n'a jamais cherché à mettre en valeur ses propres travaux, qui sont pourtant loin d'être négligeables. Quand il était à son contact direct à l'Ecole de l'Hôtel de Mouchy, il ne disposait du reste que de peu de latitude pour travailler de façon indépendante. Haüy était jaloux de ses prérogatives scientifiques et, à l'évidence, peu disposé à laisser beaucoup de latitudes à ses collaborateurs directs dans ce domaine. C'est ainsi que la première publication dans laquelle on trouve le nom de Jérôme est un article bien connu « du Citoyen Haüy » (Sur une espèce de loi particulière à laquelle est soumise la structure de certains cristaux, appliquée à une nouvelle variété de carbonate calcaire, journal des Mines, brumaire an IV (1797)). Cet article est important, car il apporte des éléments essentiels sur la morphologie des cristaux de calcite, repris extensivement dans son traité de 1801. Or c'est Tonnellier qui a découvert les dits cristaux, et qui en est remercié. Rappelons qu'à cette époque, c'était Tonnellier qui assurait tout l'enseignement de minéralogie à la « maison d'instruction », et qui suppléait au cours de Haüy pour la description des cristaux.
On retrouve du reste cette même utilisation des compétences du modeste Jérôme dans les publications du directeur de l'Agence des Mines, Gillet de Laumont lui-même. Avec le soutien de Dolomieu, il rédige une note sur la fabrication des pierres à fusil dans plusieurs départements dont l'Indre et le Loir-et-Cher. Donnée économique et stratégique de première importance à une époque où le pays devait faire face à de multiples conflits, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. La contribution de Jérôme Tonnellier est dûment mentionnée, de façon significativement plus correcte que pour la publication de Hauy.
Les publications suivantes qui portent le nom de Jérôme sont des traductions ou des adaptations de publications étrangères, qui témoignent de très bonnes connaissances linguistiques probablement développées au sein du petit groupe de prêtres gravitant autour de Haüy : le Napolitain Tondi, qui avait été chez Werner et donc maîtrisait l'Allemand, le bibliothécaire Clouet, qui enseignait l'allemand et le néerlandais à la maison d'Instruction. Langues importantes pour tous les Commissaires de la République ou administrateurs de l'Empire, envoyés en mission dans les nouveaux départements. La première publication, traduite de l'italien, concerne la description « d'une machine propre à découper proprement les lames de cristaux artificiels », par Targioni Tozzetti, de Florence. Travail important pour le mode de fabrication des modèles cristallographiques en bois, qui étaient alors l'une des préoccupations majeures de Haüy. La seconde , traduite de l'anglais, témoigne de contacts directs avec les savants britanniques. Ce qui explique sa nomination ultérieure comme membre étranger de la Société Géologique de Londres. Une troisième note (Sur l'identité spécifique du corindon et de la télésie, extrait d'un mémoire de M. De Bournon, membre de la Société Royale de Londres, Journal des Mines, germinal An II (1794)) est particulièrement intéressante. En effet, le Comte de Bournon, émigré notoire, était passé au service du Comte de Gréville, en Angleterre, après avoir été l'un des personnages essentiels de l'Ecole Royale de Sage. Grand ami de Rome de L'Isle, il était alors en opposition marquée avec Haüy (qui fut traité de « cristalloclaste » par Rome de l'Isle). Les difficultés politiques semblent avoir aplani ces différends et Jérôme Tonnellier, avec beaucoup de diplomatie, rend à la fois un hommage appuyé à son maître Haüy et à son ancien ami de l'Ecole Royale. On découvre aussi à l'occasion que des contacts étroits continuaient d'exister entre De Bournon et Gillet de Laumont, notamment par l'envoi d'échantillons et l'échange d'informations.
D'autres traductions anglaises ont plutôt trait à des problèmes de métallurgie, qui étaient aussi une préoccupation importante de l'Agence des Mines : une note sur le palladium, par Richard Chenevix (1805), et une étude sur la fabrication du charbon et de l'acier, d'après les procédés de William Reynolds. On peut rattacher à ces travaux une présentation du gisement d'anthracite nouvellement découvert par Omallius d'Halloy (1807), ainsi que la traduction (de l'allemand) d'articles de Klaproth concernant l'analyse de diverses analyses minérales (zircon et pyrite) (1808). Tous ces travaux ne sont pas à probablement parler des contributions originales. Pour Jérôme Tonnellier, il s'agit plutôt de porter à la connaissance des ses collègues, en particulier de son maître René-Just Haüy, les travaux des savants européens. On peut noter que les travaux de traduction ne concernent pas seulement de courtes notes, mais aussi des ouvrages importants, pour lesquels il est rétribué en tant que traducteur ou correcteur d'épreuves. C'est en particulier le cas du monumental Voyage entrepris dans les gouvernements de l'Empire de Russie dans les années 1793 et 1794 par Simon Pallas, de Berlin. Il est donc certain que sa connaissance des langues était approfondie.
Dés que Haüy passe au Muséum, il dispose d'un nouveau garde des collections, Jean-André Lucas, fils de Jean-François Lucas, homme de confiance de Buffon et de Daubenton. Jean-André Lucas voue à l'Abbé Haüy une admiration sans bornes, attestée par le fait que, pendant dix-huit ans, il fut le premier élève inscrit au cours magistral du maître. Bien que n'ayant apparemment aucun contact avec ce dernier, Jérôme ne semble pas toutefois se formaliser outre mesure de cette situation. Un certain nombre de ses propres publications, toutes dans le Journal des Mines, ne seront effet, pas autre chose que des présentations ou commentaires sur les ouvrages du maître ou de son nouveau collaborateur, sans jamais émettre la moindre critique.
Il serait toutefois erroné de penser que Jérôme Tonnellier n'a fait aucune étude originale. Celles-ci interviendront surtout après le départ de l'Ecole des Mines en Savoie, à une époque où il est beaucoup plus libre. À la suite de ses contacts avec de Bournon, peut-être aussi en raison d'un intérêt suscité par la traduction des « Voyages » de Pallas, il publie dès 1802, une série de notes sur les météorites, qui étaient alors l'un des grands sujets débattus par les scientifiques. À la suite de Lavoisier, l'opinion prévalait alors en France que « ces substances que l'on dit tombées de l'atmosphère» étaient en fait produites par la foudre. Au contraire Jérôme prend délibérément partie pour l'origine extra-terrestre, par des arguments pleins de bon sens basés sur la composition chimique des météorites. L'anglais Howard, ainsi que Vauquelin, ont en effet montré que beaucoup de météorites (celles que l'on appelle maintenant les sidérites) sont constituées par un alliage de fer et de nickel, que l'on ne retrouve dans aucun autre minéral, en particulier la pyrite avec laquelle les météorites étaient souvent confondues. Comment la foudre, se demande Jérôme, en frappant une pyrite, aurait-elle réduit à l'état métallique une partie du fer qui y était renfermé, tandis qu'elle aurait laissé intactes les autres parties de la même pyrite, qu'on retrouve mêlées au fer métallique que recèlent ces substances? D'où viendrait le nickel, qui n'a encore été observé dans aucune pyrite, et qu'on trouve constamment dans les pierres dont il s'agit? La foudre aurait-elle respecté partout ces pyrites ordinaires, pour n'atteindre que celles qui renferment ce métal?
Voir aussi : L'abbé Jérôme Tonnellier (1751-1819) : quarante ans au service des mines, par Lydie Touret (2001)