Né le 7/7/1827 à Biella (Sardaigne). Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (entré le 27/8/1847, sorti le 4/6/1851). Il y suit le programme de formation des ingénieurs civils des mines à titre d'élève étranger.
Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Mars-avril 1884
Notre association vient de perdre un de ses membres les plus illustres, M. Sella, enlevé prématurément à son pays, à la science et à ses amis. Nous ne pouvons mieux rendre hommage à sa mémoire qu'en reproduisant la notice que M. Daubrée, l'éminent directeur de l'Ecole supérieure des mines, a lue à l'Institut, et qu'il veut bien nous communiquer.
« L'Académie vient d'être frappée d'une perte bien inattendue dans la personne de l'un de ses plus éminents correspondants. M. Sella, qui nous appartenait par la section de minéralogie, a succombé, à Biella, le 14 de ce mois, à une courte maladie.
« Quintino Sella était né en 1827, à Mosso, bourg de l'arrondissement de Biella (Piémont), dans une riche famille manufacturière qui avait contribué aux progrès de l'industrie des draps. Après ses études secondaires à Biella, il devint un élève des plus distingués de l'Université de Turin et, après avoir été reçu ingénieur, il fut envoyé, en 1849, à l'Ecole des mines de Paris, pour y compléter son instruction. Il y fut bientôt remarqué, non seulement par ses condisciples, mais aussi par ses maîtres, et particulièrement honoré des conseils et de l'amitié de l'un des plus illustres, de Sénarmont, bon appréciateur du mérite, s'il en fut. De retour en Piémont, il fut nommé membre du conseil supérieur des mines.
« Tout en s'acquittant de son service, il ne tarda pas à publier des recherches extrêmement remarquables de cristallographie. A l'occasion de sa belle monographie des formes cristallines de trois minéraux rhomboédriques, de l'argent rouge, du quartz et de la calcite, il parvient à exprimer les relations entre les diverses formes d'une même espèce, à l'aide des diamètres conjugués d'ellipsoïdes inscrits dans la forme fondamentale de chaque type cristallin.
« Dans ses études sur les mâcles des cristaux de calcite, de dolomie et de quartz de Traverselle, il s'attache à rechercher les lois de groupement et la direction des axes d'assemblage des individus composants, question qui l'a sans cesse préoccupé comme étant de première importance pour éclairer la constitution moléculaire des corps.
« Le bore adamantin, obtenu par notre regretté confrère Henri Sainte-Claire Deville, est reconnu par Sella comme appartenant au système quadratique et étant isomorphe avec l'étain.
« L'examen des formes cristallines et des caractères optiques de quelques sels dérivés de l'ammoniaque, et notamment les phosphines, ont conduit M. Sella à rechercher les relations qui peuvent exister entre la constitution chimique et quelques-unes des propriétés physiques des corps, les composés organiques lui paraissant particulièrement propres à mettre ces relations en évidence. Il montre, par exemple dans les iodures, la substitution de molécules d'une constitution très complexe à une molécule d'un corps simple comme l'argent.
« D'autres mémoires sur les caractères géométriques des cristaux, sur la position de leurs axes de symétrie, sur les changements d'axes dans un système cristallin, sur les formes cristallines des sels de platine, de la pyrite de l'île d'Elbe, de l'anglésite de Sardaigne, de la savite, sont bien connus aussi des minéralogistes. Il en est de même de son étude du tripsomètre, instrument destiné à mesurer la dureté des corps.
« Nommé professeur de minéralogie et de géologie dans la nouvelle Ecole des ingénieurs de Turin, il dota cette Ecole d'une collection de minéraux qui en est un des plus précieux ornements.
« Lorsque le Piémont, séparé de la France par la haute chaîne des Alpes, entreprit de couper cette barrière, le gouvernement sarde ne se mit à l'oeuvre qu'après de longues et sérieuses études, dans lesquelles il s'entoura de toutes les lumières que pouvaient lui fournir la science et la pratique la plus consommée. Des explorations faites à partir du Simplon avaient appris que la communication la plus directe se trouve placée entre Bardonèche et Modane. De plus, Elie de Beaumont et Angelo Sismonda, après une étude attentive de la constitution des roches que le percement devait rencontrer, avaient reconnu qu'elles ne présentent pas d'obstacles sérieux à la perforation. Mais le grand et difficile problème était encore loin d'une solution pratique : il fallait trouver des procédés d'exécution.
« Aidé par les ingénieuses idées de notre savant correspondant, M. Colladon, trois ingénieurs dont la mémoire sera conservée, Sommeiller, Grattone et Grandis, combinèrent un système complet, propre à pouvoir simultanément ventiler, perforer et déblayer. Le programme à réaliser s'appuyait sur une nouvelle machine désignée sous le nom de « compresseur hydraulique ». Il importait de s'assurer, par une série d'expériences préalables, que des moyens si nouveaux assureraient le succès ; car la possibilité de transmettre à distance le travail de l'air comprimé avait été mise en doute par beaucoup de savants. M. Sella fît partie de la commission qui fut instituée à cet effet et dont un savant éminent, M. le général Menabrea, fit, en 1858, connaître à notre Compagnie les résultats dans un rapport encourageant et plein d'intérêt. « Le percement des Alpes, est-il dit dans ce remarquable écrit, en corrélation avec la coupure de Suez, se fera malgré les grands obstacles qui s'y opposent : par ces deux grandes opérations, un nouvel avenir s'ouvre à l'Europe. »
« M. Sella s'annonçait ainsi avec éclat dans la science, lorsqu'il en fut distrait par son entrée dans la vie politique. En 1860, il fut élu député, et il n'a cessé depuis lors d'appartenir à la Chambre. Dans cette nouvelle carrière, il continua à montrer, en même temps qu'un dévouement complet à la chose publique, la netteté d'esprit, l'exactitude et la perspicacité dont il avait antérieurement donné des preuves. Comme ministre des finances, dont il tint trois fois le portefeuille de 1861 à 1873, dans des circonstances très difficiles, il fit preuve, non seulement de grandes connaissances économiques et d'une aptitude spéciale, mais aussi d'un véritable courage civil, en proposant et en faisant accepter, malgré l'impopularité qui s'y rattachait, des impôts fort lourds, mais nécessaires pour rétablir l'ordre dans les finances. Grâce à l'introduction d'un mécanisme mesureur, il parvint à rendre acceptable aux populations l'impôt sur la mouture, qui, antérieurement confié à des commis, provoquait des abus et des vexations. On lui doit aussi l'établissement en Italie de caisses d'épargne postaies, bien avant qu'il y en eût en France.
« Dans la haute situation où son mérite l'avait porté, M. Sella ne cessa jamais de rendre à la science des services de toutes sortes et même de la cultiver dans ses instants de loisir. Témoin le bel ouvrage sur les conditions de l'industrie des mines dans l'île de Sardaigne, qu'il publia en 1871, pour répondre à une mission qu'il avait reçue du Parlement. Après avoir exposé les conditions géologiques dans lesquelles se trouvent les grandes richesses métalliques de cette île, exploitées déjà par les Carthaginois et les Romains et sans doute, plus anciennement encore, par les Phéniciens, l'auteur en examine les conditions économiques et propose des mesures pour en développer l'activité : voies de transport, concessions de terrains, école de mineurs, carte géologique du pays et dispositions législatives.
« Le Comité chargé de l'exécution de la carte géologique de l'Italie et la Société géologique lui sont en grande partie redevables de leur fondation. A Turin, il concourut à la création de l'Ecole d'application des ingénieurs qui fut installée dans un splendide palais, le Valentin, de même qu'il le fit pour les musées d'Histoire naturelle de cette ancienne capitale.
« La réorganisation de l'Académie royale des Lincei, fondée à Rome en 1603, la plus ancienne des Sociétés savantes de l'Europe et dont l'histoire a de belles pages, est, pour ainsi dire, son oeuvre. Depuis qu'il en accepta la présidence, en mars 1874, il la transforma, et en fit le foyer intellectuel de l'Italie. Sur son initiative, les dotations en furent considérablement augmentées : des prix furent fondés, tant sur le budget de l'Etat que sur la cassette royale; les publications annuelles, naguère très restreintes, acquirent une importance considérable et reconnue de tous. Si l'Académie vient tout récemment de changer sa modeste installation du Campidoglio contre le magnifique palais Corsini, elle le doit non moins à la libéralité de la municipalité romaine qu'à la puissante influence de celui qui fut son président pendant dix ans et jusqu'au jour de sa mort.
« Sa haute intelligence et son infatigable activité se sont manifestées encore dans des directions très diverses. A part ses connaissances variées dans l'industrie, qui se sont hautement manifestées, lors de l'Exposition de Milan, en 1881, outre ses goûts littéraires, il était amateur fervent des courses de montagnes, et il laissera un souvenir parmi les alpinistes, non seulement par son intrépidité et son adresse dans les ascensions les plus ardues, mais aussi pour son rôle dans la fondation du Club alpin d'Italie dont il était président à vie. On devait espérer que la robuste constitution qui, il y a peu de temps encore, bravait tant de fatigues, ne serait pas si prématurément brisée. D'ailleurs il savait rattacher à ces agréables utiles exercices des travaux d'un ordre scientifique, comme le montre son récit de l'ascension du mont Viso et ses remarques sur la constitution géologique de la majestueuse pyramide du Cervin qu'il avait voulu gravir, dès 1865, avec son ami Giordano et qu'il escalada, en 1877, accompagné de trois de ses fils.
« Sa conversation était pleine d'esprit ; sa parole était facile ; son éloquence, logique, persuasive, sans emphase, avait un caractère humoristique. Homme d'une aménité rare, d'une sûreté de relations à toute épreuve, d'une grande dignité et pourtant d'une simplicité de moeurs à laquelle il a voulu que ses funérailles se conformassent, M. Sella laisse un vide immense, dans la science, dans son pays, qui attendait encore beaucoup de lui, et dans le coeur de ses nombreux amis, sans distinction de nationalité. »