Henry SAGLIO (1834-1885)

Né le 7/11/1834 à Le Havre.

Ancien élève de l'Ecole des Mines de Paris (admis en cours préparatoire le 12/9/1853, classé 9 ; admis comme élève externe le 10/8/1854, classé 7 ; breveté le 2/6/1857, classé 4). Ingénieur civil des mines. Frère de Camille SAGLIO, lui aussi ingénieur civil des mines. Voir le bulletin de notes de Saglio.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Octobre Novembre 1885

Il appartenait à un de ses camarades, à celui surtout qui avait vécu avec lui dans la plus grande intimité pendant les années d'Ecole et qui, comme lui, s'était voué à la carrière métallurgique, de résumer les travaux d'une existence si courte et si bien remplie.

Ce camarade espérait pouvoir se rendre cet été à Fourchambault et noter sur place les diverses étapes parcourues par son ami dans la voie des remaniements incessants, imposés par le progrès aux ingénieurs et directeurs de forges qui ne veulent pas rester en arrière; ce projet n'a pu se réaliser en temps utile, et il doit y renoncer pour ne pas retarder plus longtemps l'hommage qu'il tient à rendre du plus profond de son coeur, à l'ami fidèle, à l'ingénieur aussi habile que modeste, au directeur tellement attaché à ses devoirs envers les autres qu'il en vint à s'oublier lui-même et qui, toujours sur la brèche, fut brusquement frappé à mort, jeune encore, dans l'exercice de ses fonctions, comme un chef vaillant qui tombe glorieusement sur le champ de bataille ; c'est un exemple qui n'est pas rare dans notre Association, mais il doit être chaque fois signalé et justement honoré.

Henry Saglio est mort à l'âge de 50 ans, le 20 février 1885, directeur des forges de Fourchambault, où il avait débuté, comme ingénieur, dès sa sortie de l'Ecole des Mines en 1857 ; c'est donc une durée de plus de vingt-sept ans de services consécutifs qu'il avait déjà à son actif quand la mort vint l'enlever à sa famille, à ses amis et à son usine, dans toute la force de l'âge et de l'expérience.

Il était entré à 18 ans à l'Ecole des Mines avec la perspective de bons appuis dans sa famille qui compte des noms éminents dans la haute administration et la direction de plusieurs grandes et anciennes forges.

Depuis sa sortie de l'Ecole et jusqu'à sa mort il s'occupa, sans trêve ni relâche, d'abord de la partie technique, puis des affaires administratives et commerciales. Il fit plusieurs voyages en Belgique et en Angleterre pour se tenir au courant des modification introduites dans la production du fer et de l'acier.

Au moment de ses débuts, on employait beaucoup de fontes au bois soit dans les feux d'affinerie au charbon de bois, soit au puddlage concurremment avec de la fonte au coke ayant subi l'épuration du mazéage.

Peu à peu, la fonte au bois fut remplacée par la fonte au coke améliorée par un roulement plus rationnel au haut-fourneau ; le mazéage fut supprimé, et, dans une visite faite à notre camarade, je pus constater l'obtention de fer supérieur par un puddlage spécial de fontes grises avec garnissage de bull dog (produit du grillage des scories de fours à puddler).

Sans insister sur différents essais qui le conduisirent à des résultats plus ou moins décisifs, je signalerai encore que Henry Saglio introduisit à Fourchambault les gazogènes et récupérateurs Siemens et le laminoir universel.

La mort l'a surpris dans la préparation d'une usine neuve, en vue de la suppression du puddlage et de son remplacement par les fours à fer fondu sur sole, ou fer homogène, dont il avait compris l'avenir.

Il ne s'était pas lancé dans cette dernière transformation importante sans essais préalables, qui en ont démontré le succès en grand ; mais il ne lui a pas été donné d'en jouir et de voir cette sorte de couronnement de ses travaux qui lui avaient imposé, avec beaucoup de fatigue physique, une longue contention d'esprit.

Henry Saglio ne fut pas seulement l'esclave trop consciencieux de ses devoirs techniques, il sut aimer ses ouvriers et se faire aimer d'eux.

Voici dans quels termes le Moniteur de la Nièvre appréciait, au lendemain de sa mort, la perte éprouvée par les siens, ses nombreux amis, son personnel et ses ouvriers, dont il avait su se concilier rattachement et la respectueuse affection.

Aux obsèques de cet homme de bien on remarquait un concours immense de personnes appartenant à toutes les classes de la société.

Nous devons mentionner spécialement plusieurs milliers d'ouvriers qui se faisaient remarquer par leur maintien recueilli et le profond chagrin qui se lisait sur leur visage.

Tous comprenaient l'étendue de la perte qu'ils avaient faite et joignaient par la dignité de leur attitude combien ils s'associaient à la douleur de la famille Saglio.

L'émotion communicative de certains ouvriers était même la meilleure protestation contre les doctrines aussi imprudentes que coupables que l'on répand de nos jours dans les centres industriels, et démontrait ostensiblement que de tels maîtres deviennent des amis respectés pour ceux qu'ils dirigent avec une si affectueuse sollicitude.

Henry Saglio, malgré son excessive bonté, dut subir cependant un jour une suspension momentanée de travail, c'était le résultat obtenu par quelques meneurs étrangers au pays qui étaient venus souffler la discorde dans l'usine.

Je me rendis à Fourchambault lors de cette grève, pour observer et m'instruire. Je constatai que les ouvriers n'avaient aucun objectif déterminé et restaient chez eux pour faire comme les autres.

Henry Saglio sut traverser cette épreuve sans voir altérer la confiance réciproque qui le liait à ses ouvriers dont il avait su se faire aimer en les aimant lui-même sincèrement, et au cimetière ce fut un ouvrier, interprète de ses camarades, qui sut, en quelques phrases émues, rendre justice au chef, enlevé brusquement à tous par une fatalité cruelle qui allait porter le deuil dans chaque famille ouvrière où il était considéré comme un père.

Henry Saglio a donc traversé la vie en remplissant tous ses devoirs et en laissant un noble exemple.

Sa veuve et ses enfants peuvent porter fièrement son nom, et notre Association peut l'inscrire, avec reconnaissance, sur son livre d'or.

H. RÉMAURY.
Paris, le 2 novembre 1885.