Charles Camille Emmanuel RIVET (1869-1956)

Fils de Marie Louis Théodore RIVET, agent de change, et de Marie Delphine Auguste BRAVAIS. Beau-père de Marc Hippolyte FOLLÉA (1901-1974 ; X 1920 N).

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1888 ; entré classé 2, sorti classé 3 sur 181 élèves) et de l'Ecole des Mines de Paris (entré et sorti classé 3 sur 3 élèves fonctionnaires). Corps des mines.


Le document qui suit a été publié dans Annales des Mines, mai 1956.

EMMANUEL RIVET, Ingénieur général des Mines (1869-1956)

Nous avions fait part, dans notre numéro de février 1956, du décés le 1er janvier, de notre camarade RIVET, Ingénieur général des Mines en retraite. Retiré du service depuis plus de 20 ans il a vu ses forces diminuer progressivement et s'est éteint à l'âge de 86 ans, entouré de l'affection de sa famille.

Peu nombreux sont encore les camarades qui l'ont connu pendant sa carrière: il nous paraît utile de rappeler les serservices importants qu'il a rendus. Nous y joignons un témoignage personnel qu'a tenu à lui apporter son ancien collaborateur l'Ingénieur général ROY.

I. NOTICE BIOGRAPHIQUE

Né à Lyon en 1869, Emmanuel RIVET est entré second, en en 1888 à l'École Polytechnique et fut admis à sa sortie dans le corps des Mines.

Après une mission et un voyage d'instruction à l'étranger, il fut succesivement affecté à Pau, à Nantes et, en 1900, à Lyon, chargé également du contrôle de l'Exploitation technique des chemins de fer P.L.M. A ce poste très lourd, il se fit remarquer par de difficiles enquêtes sur d'importantes explosions de chaudières; son activité fut très appréciée, notmment pour les questions de contrôle du travail.

En 1909 il est promu Ingénieur en chef en résidence à Paris et, en 1910, nommé Chef du contrôle du travail des agents de chemins de fer.

Ses travaux dans son nouveau service sont remarqués, d'autant qu'il traite de questions particulièrement délicates avec une sureté et une habileté consommées : rapport au Comité consultatif des chemins de fer sur l'application de la loi des retraites de 1909, rapport à une commission inter-ministérielle chargée d'étudier un projet de loi concernant les collectifs du travail.

Aprés avoir été mobilisé pendant la guerre de 1914-1918 comme Lieutenant-Colonel Directeur à l'atelier de construction de Lyon, il est nommé, en 1918, Directeur du contrôle du travail des agents de chemin de fer et, en 1919, Directeur du contrôle du matériel et de la traction, poste qu'il occupe jusqu'en 1930.

Il eut à étudier d'importantes questions, notamment la reprise de l'activité des chemins de fer après les hostilités, l'application du frein continu aux trains de marchandises, du chauffage électrique des trains, de la banalisation des locomotives.

Il participa à l'étude du projet d'électrification des chemins de fer de Madagascar et est nommé, en 1925, membre de la Commission centrale des machines à vapeur.

Inspecteur général de 2e classe en 1922, il est promu officier de la Légion d'honneur en 1923.

En 1929, renversé par une automobile en se rendant au ministère, il doit interrompre son service pendant quelques mois.

En 1930, il quitte le service du Contrôle comme Inspecteur général des Mines de 1ère classe et est admis à la retraite en 1934.

Dans une lettre très élogieuse, le Ministre des Travaux publics tint à remercier alors M. l'Inspecteur général RIVET de ses éminents services aux postes les plus en vue de l'Administration des Travaux publics, dans lesquels il justifia tontes les espérances qu'avait fait concevoir la valeur de ses services depuis le début de sa carrière.

II. TEMOIGNAGE DE M. MAURICE ROY

PLUTÔT que de préciser à son égard divers points d'une biographie professionnelle, je me permettrai ici d'évoquer quelques souvenirs pour essayer de faire mieux revivre l'homme en rendant à sa mémoire l'hommage que je lui dois.

C'est à l'automne 1923 que, sur sa demande, je fus rappelé de la Ruhr pour prendre, sous son autorité et dans son service, les fonctions d'Ingénieur en chef du contrôle du matériel des chemins de fer que venait de rendre vacantes le soudain décès de l'Ingénieur en chef des Mines GOURGUECHON.

D'un abord plutôt froid, d'une nature réservée et en apparence peu expansive dans la vie professionnelle, Emmanuel RIVET ne cherchait en aucune occasion à s'imposer, encore moins à briller. Son impassibilité apparente, si naturelle pour les Lyonnais de ce quartier d'Ainay où se situait sa maison paternelle, dissimulait une grande bienveillance et une profonde bonté, qui laissaient elles-mêmes deviner son profond attachement à son foyer et aux siens.

De 1923 à 1930, je le connus donc dans ses fonctions de Directeur du contrôle du matériel et de la traction, où il eut à connaître de nombreux problèmes posés à la fois par la rénovation du parc de matériel moteur et roulant des grands réseaux - tant en création de nouveaux types de locomotives, voitures et wagons qu'en modernisation des types existants - et par la reconstitution et le développement des ateliers et des dépôts. Époque d'études et de discussions conduisant fréquemment à des oppositions prenant allure de « conflits de doctrine », pour ou contre la généralisation des voitures métalliques, pour ou contre la banalisation des locomotives à vapeur, pour ou contre le monopole de la réparation du matériel par les réseaux ou par l'industrie, pour ou contre l'extension de l'électrification, pour ou contre l'attelage automatique, conflits derrière lesquels transparaissait parfois celui du renforcement ou de la suppression du « Contrôle des chemins de fer » lui-même.

Les Directeurs de ces Services de Contrôle, sous l'autorité du Directeur général des Chemins de fer, du ministère des Travaux publics, étaient alors en prise directe, et parfois en lutte, avec les majestueux et puissants états-majors privés que contituaient les présidents, directeurs généraux et directeurs des grands réseaux d'alors. En général ligués contre les interventions des pouvoirs publics, ceux-ci ne laissaient pas, d'ailleurs, de s'opposer parfois entre eux sur des sujets d'intérêt commun où ils eussent certainement mieux fait de s'entendre et de s'unir.

Dans les controverses, parfois vives, que demandes, rapports et conférences alimentaient sur de tels sujets, j'ai toujours vu Emmanuel RIVET, sur le terrain de ses attributions auquel il se cantonnait strictement, dominer sans effort le débat, par sa compétence en même temps que par la sérénité et la droiture de son attitude. En de telles circonstances, ses adversaires ne lui témoignaient qu'estime et déférence, en dépit de la fermeté de sa résistance lorsque sa conviction était faite.

En sept années d'étroite collaboration, je ne le vis jamais céder à une pression quelconque ni se laisser impressionner par quelque influence.

Sans doute pouvais-je n'être pas alors complètement fondé à apprécier sa compétence : cependant, elle me fit en toute occasion une très forte impression parce qu'elle ne se révélait qu'au moment où elle devait intervenir et, alors, devenait prépondérante parce qu'étant armée par une minutieuse analyse préalable et une étude approfondie du sujet.

Précision, profondeur, minutie et sincérité de l'examen de tout sujet soumis à son avis ou proposé à son action m'apparaissaient comme les qualités intellectuelles les plus remarquables, encore que dépourvues de toute ostentation de mon Directeur d'alors.

Sa « manière » me fut d'un profitable exemple, et j'eus plaisir ultérieurement à lui dire ce que je croyais devoir à cet exemple. Dirai-je notamment qu'il appartenait à cette phalange d'hommes capables de hautes responsabilités et qui ne se contentent jamais d'un langage approximatif, encore moins négligé ? Ses rapports et ses avis, qu'il me laissait connaître, étaient toujours d'une qualité de rédaction qui ne le cédait en rien au sérieux de la pensée. Et je me plus, auprès de lui, à préparer de très nombreux projets de décision que des ministres successifs signèrent sans les modifier, ou à peine, dont la rédaction même était toujours soignée pour faire honneur à la réputation que donnaient au style d'alors de cette vieille « Administration des Travaux publics » de très distingués Inspecteurs généraux, selon le titre de cette époque, des Mines et des Ponts et Chaussées.

De tous ceux que je connus alors, Emmanuel RIVET était l'un des plus remarquables, encore qu'il recherchât presque l'effacement alors que le goût de la publicité personnelle commençait à se manifester dans un milieu jusque-là assuré préservé.

Le flegme, très lyonnais, d'Emmanuel RIVET, n'était pas exclusif de cette sorte d'humour à froid qui l'accompagne si souvent entre Rhône et Saône, et j'éprouvais parfois quelque malin plaisir à le provoquer. Réserve et froideur sont deux attitudes bien différentes, et c'était la première qui pouvait, en réalité, faire croire à la seconde chez l'Inspecteur général des Mines auquel je rends ici hommage : tous ses collaborateurs le respectaient et, en même temps l'aimaient sincèrement, comme il en eut la preuve lorsqu'un grave accident, survenu pour lui sur la chaussée du boulevard Saint-Germain, et à quelques pas de son bureau, le mit au seuil de la mort, accident dont il se rétablit heureusement mais qui l'incita probablement à résigner des fonctions actives.

Je voudrais encore citer un trait assez marquant du caractère d'Emmanuel RIVET, la courtoisie qui accompagnait son action de Directeur. A un jeune ingénieur placé sons ses ordres, il n'hésitait pas à exprimer ses directives par une note intitulée « Mon cher Camarade » et signée « Votre bien dévoué ». Ce n'était pas là prêter à une familiarité déplacée. Encore plus était-ce fort loin de toute concession à quelque tendance démagogique. Bien plutôt était-ce, avec tout profit pour son autorité et pour le dévouement qu'en retour il provoquait, manière de gentilhomme conservée au sein d'une Administration publique qui s'honorait de telle traditions.

Emmanuel RIVET n'était pas seulement un modèle de "haut fonctionnaire" : il fut, et certainement à tout moment de sa vie, un « Grand Monsieur ».

Maurice ROY, Ingénieur général des Mines, Membre de l'Académie des Sciences.



Rivet élève de Polytechnique
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