Polytechnique (promotion 1856), corps des ponts et chaussées.
Génie Civil, 1910.
La perte irréparable que vient de faire le monde scientifique tout entier en la personne de M. Maurice Lévy, Inspecteur général des Ponts et Chaussées en retraite, Membre de l'Institut, atteint particulièrement le Génie Civil, car il était l'un des membres les plus éminents et les plus vénérés de son Comité supérieur de rédaction. Dès la fondation de notre revue, il y a juste trente ans, il lui avait apporté une collaboration à laquelle la grande autorité dont il jouissait déjà donnait un prix tout particulier. Depuis, il n'avait cessé de s'intéresser à sa marche, de prodiguer ses lumières à sa rédaction et de se réjouir des résultats obtenus.
C'est donc pour nous, non seulement un devoir, mais aussi une pieuse tâche, que de retracer sommairement ici la carrière d'un savant universellement connu et apprécié et d'un homme affable et bienveillant, qui avait su faire naître chez ses élèves et chez ses collaborateurs une affection non moins grande que leur admiration.
Né à Ribeauvillé (Haut-Rhin), le 28 février 1838, M. Maurice Lévy était destiné par ses parents à faire un industriel et, dans ce but, il avait été envoyé à l'École de Chimie de Mulhouse. Les dispositions extraordinaires qu'il y montra pour les mathématiques, décidèrent ses parents à l'envoyer, en 1854, faire d'autres études au collège Sainte-Barbe et, deux ans après, il entrait à l'Ecole Polytechnique pour en sortir en 1858, dans le corps des Ponts et Chaussées. Sa carrière scientifique remonte, pour ainsi dire, à son séjour dans cette école, car, dès celle époque, il indiquait une solution très élégante du problème de la résistance des poutres droites continues.
Tout en exerçant sa profession d'Ingénieur des Ponts et Chaussées, M. Maurice Lévy continue à se livrer à l'étude des mathématiques et, en 1867, il obtient brillamment le grade de docteur sciences, avec une thèse sur les coordonnées curvilignes orthogonales et une autre sur le mouvement des liquides. Innombrables sont depuis les questions scientifiques abordées et résolues par lui, mais c'est sur la théorie mathématique de l'élasticité et sur les applications de la statique graphique qu'ont surtout porté ses recherches.
Il fut le premier théoricien français qui comprit et chercha à vulgariser les avantages que présentent les méthodes graphiques pour les calculs de résistance des matériaux et, en introduisant chez nous ces méthodes, il y ajouta ses découvertes et ses réflexions personnelles qui en augmentèrent singulièrement la valeur. Aussi son Traité de statique graphique, qui est d'ailleurs son oeuvre la plus considérable, paru en 1874, eut-il un retentissement peu ordinaire pour un ouvrage de ce genre. Une seconde édition considérablement augmentée eut également un grand succès, et la mort est venue interrompre le parachèvement de la troisième édition par son auteur qui y a, pour ainsi dire, travaillé jusqu'à son dernier jour.
Dès 1874 il avait été choisi par Joseph Bertrand pour le suppléer au Collège de France dans la chaire de physique générale et mathématique et, en 1883, il avait été nommé titulaire de la chaire de mécanique analytique et de mécanique céleste de cet établissement.
En 1875, il avait été nommé professeur de mécanique à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures, en remplacement de Philipps, et depuis il n'a pas cessé de professer à cette Ecole où il a successivement occupé les chaires des première, deuxième et troisième années et où son enseignement a laissé une trace ineffaçable.
Ajoutons, enfin, pour clore la série des titres purement scientifiques de M. Maurice Lévy, qu'il avait été élu membre de l'Académie des Sciences en 1883, en remplacement de Bresse.
Si la carrière de l'ingénieur a été peut-être moins brillante elle n'a pas été moins bien remplie et moins utile que celle du savant. Ses travaux les plus remarquables ont été la construction du siphon au-dessus du canal Saint-Martin pour le passage de l'égout collecteur de Bercy (1879-1880) et ses expériences sur la traction des bateaux par câbles télodynamiques. Mais c'est surtout par de nombreux mémoires ou rapports que M. Maurice Lévy a illustré sa carrière d'ingénieur : nous citerons seulement parmi les mémoires qu'il a publiés dans les Annales des Ponts et Chaussées, ceux qui concernent la résistance des matériaux, les calculs de résistance des barrages-réservoirs, et en particulier l'amélioration de leur construction par l'emploi de masques.
Parmi les rapports les plus importants faits par M. Maurice Lévy, il convient de citer celui qu'il fut chargé de faire comme rapporteur de la Commission nommée en 1880 pour apprécier les retentissantes expériences de transport de force par l'électricité exécutées par M. Marcel Deprez, entre Creil et Paris, et celui qui a résumé les travaux de Commission qui a élaboré la circulaire ministérielle du 20 octobre 1906 sur les conditions à remplir par les constructions en ciment armé.
Enfin il est juste de rappeler le rôle important que M. Maurice Lévy, encore jeune ingénieur, fut appelé à jouer en 1870 pendant la guerre franco-allemande. En raison de sa grande faculté d'assimilation et de ses multiples connaissances, il avait été chargé de la direction de la fabrication du nouveau matériel d'artillerie. En quelques semaines, sous sa vigoureuse impulsion, l'industrie privée put livrer à l'Administration treize cents pièces de canon et leurs accessoires.
La grande autorité dont jouissait M. Maurice Lévy, non seulement dans le monde savant, mais dans les milieux d'ingénieurs, l'avait fait désigner comme membre ou président d'un grand nombre de Commissions importantes. En 1908 il avait été nommé Président du Congrès international d'Electricité qui s'est tenu à Marseille.
Nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1875, il avait été promu Commandeur en 1907 peu avant sa mise à la retraite comme Inspecteur général des Ponts et Chaussées de 1re classe.
Il a succombé le 30 septembre, à la maladie qui le minait depuis deux ans, et il a été inhumé le 3 octobre, au cimetière Montparnasse, où des discours ont été prononcés sur sa tombe par MM. :
M. Maurice Lévy n'a pas laissé de fils, mais avant de mourir, il a eu la consolation de voir ses deux petits-fils, MM. Raymond et Maxime Berr, sortir de l'École Polytechnique, dont l'un dans le Corps des Mines.