Nous donnons ci-dessous quelques liens vers des hommages rendus à l'occasion du décès de Maurice Allais, survenu le 9 octobre 2010.
Hommage à Maurice Allais (CM33)
par Jacques Lesourne.
C'est la lecture, peu de mois avant ma sortie de l'École Polytechnique, du livre de Maurice Allais À la recherche d'une discipline économique qui a provoqué, chez moi, la décision de devenir économiste, un choix auquel je suis resté fidèle toute ma vie.
Ensuite, à l'École des Mines, j'ai suivi avec assiduité ses cours, son séminaire de recherche et les réunions qu'il tenait avec des conférenciers extérieurs, au premier étage d'un café de la place Saint-Sulpice, sur les problèmes économiques du moment. Puis, à sa demande, j'ai travaillé avec lui sur la monnaie et les fluctuations économiques. Il a accepté de rédiger une longue préface à mon premier livre Technique économique et gestion industrielle. Plus tard, j'ai eu l'honneur d'assister, sur son invitation, aux cérémonies de la remise de son prix Nobel, un prix que sans nul doute, il aurait reçu beaucoup plus tôt s'il n'avait écrit en français et n'avait adopté une politique de publications peu conforme aux canons internationaux.
Maurice Allais alliait en lui rigueur, curiosité, persévérance et conviction. Son premier ouvrage, rebaptisé Traité d'économie pure dans la version finale fut écrit dans la solitude pendant les années sombres de l'Occupation et constitue une synthèse originale et magistrale de la microéconomie. Suivit Economie et intérêt, un livre lumineux sur l'investissement, l'épargne et la monnaie. Mais toute sa vie, dès qu'il s'est attaqué à un domaine de la science économique, qu'il s'agisse des concepts macroéconomiques, de la croissance, des fluctuations conjoncturelles, de l'inflation, et naturellement du comportement face au risque, ses contributions ont été remarquables, à la fois par leur profondeur théorique et par l'effort de mesure des phénomènes qui les accompagnait.
Cette œuvre titanesque n'eût pas été possible sans la foi qu'avait Maurice Allais dans sa pensée et son travail (ne m'a-t-il pas dit un jour, «ce n'est pas moi qui suis en désaccord, mais vous»). Cela explique les amitiés ou l'hostilité qui l'ont entouré.
Son enseignement a profondément influencé une partie de ses élèves (et c'est en grande partie grâce à lui que l'on a pu parler dans les années 50 des "ingénieurs-économistes" français), mais a repoussé en revanche les tièdes et les sceptiques.
La même dichotomie a pu être observée parmi les professeurs d'économie et l'Académie des Sciences Morales et Politiques l'a rejeté jusqu'au jour (noblesse oblige) où il a reçu le prix Nobel.
Certains mouvements de pensée, s'en tenant à une lecture superficielle de ses œuvres, ont tenté de l'annexer, mais se sont vite rendu compte que l'on n'annexait pas Maurice Allais. En revanche, il a été entouré, au-delà de ses élèves par un cercle d'amis fidèles provenant de milieux très divers.
Il n'hésitait pas à déduire de ses analyses des recommandations politiques, souvent radicales et, de ce fait, mal comprises et mal acceptées, mais si des critiques pouvaient leur être faites, elles incitaient toujours le lecteur à une profonde réflexion.
Comme chacun sait, il a, dans la deuxième moitié de sa vie, consacré beaucoup de temps à la physique et il se désespérait de voir rejetées ses propositions. La physique n'étant pas mon domaine, j'ai toujours refusé de prendre partie à ce sujet, laissant l'avenir juger. Mais en science économique, il ne fait aucun doute qu'il a été à l'échelle mondiale, l'un des grands personnages du siècle.
Un mot enfin : je souhaiterais que l'on associe à sa mémoire celle de sa femme, excellente économiste elle-même, qui n'a eu de cesse, jusqu'à sa mort, il y a quelques années, de contribuer à ses recherches tout en lui procurant la chaleur d'un foyer.
Jacques Lesourne (CM50)