Fils de Richard HIRSCH, banquier, et de son épouse Marianne SCHWENK. Epoux de Thérèse BERNHEIM. Père de Bernard HIRSCH (1927-1988 ; X 1945 corps des ponts, qui dirigea l'Ecole des ponts et chaussées de 1983 à 1988). Grand-père de Martin HIRSCH, ancien haut commissaire aux solidarités actives.
Ingénieur civil des mines (Paris, promotion 1919).
Il commence sa carrière dans l'industrie chimique, à Kuhlmann ; il se fait connaître dans la mise au point d'un procédé de fabrication du méthane. Il milite au Parti socialiste. Après la défaite de 1940, il rejoint la "France libre" à Londres. En 1943, il travaille avec Jean Monnet à Alger. Il s'occupe ensuite d'affaires européennes, dans le sillage de Jean Monnet. Il est nommé en 1959 à la Commission de l'EURATOM, dont il prend la présidence à la suite du départ de Louis Armand, jusqu'en 1962. Il poursuit ensuite des actions politiques proches de la gauche socialiste, avec notamment la création du Club Jean Moulin.
MINES Revue des Ingénieurs, novembre 1994 :
Nous avons appris le décès d'Etienne HIRSCH (Mines de Paris, promotion 1919).
Après une carrière de 15 années dans l'industrie chimique (aux Etablissements Kuhlmann, devenu Péchiney-Ugine-Kuhlmann, puis aujourd'hui Péchiney), Etienne HIRSCH entend le 18 juin 1940 l'appel du Général de Gaulle et rejoint Londres le 19 juin. Il aura en charge l'armement de la France Libre puis, dès avant le débarquement, l'approvisionnement de la France libérée. C'est à Alger, en 1943, qu'il rencontrera Jean MONNET.
« A cette époque vint se joindre à nous Etienne HIRSCH, qui sous le nom de Commandant BERNARD avait déjà la réputation de dominer et de simplifier les problèmes les plus complexes. Sa formation d'ingénieur l'y prédisposait. Mais je crois que c'est surtout sa force morale, son calme légendaire, qui parvenait à dissoudre, en quelque sorte, ces problèmes qu'on dit à tort techniques et qui sont en réalité gouvernés par le bon sens ». (Jean MONNET, Mémoires, Fayard 1976).
La paix revenue, Jean MONNET lui demandera de faire partie de l'équipe de création du Plan de Modernisation et d'Equipement. Commissaire au Plan (1952), puis Président (1959) de la Commission européenne pour l'énergie atomique (Euratom), Etienne HIRSCH n'a jamais cessé de militer et d'agir pour la construction de l'Europe, comme Président de l'Union des fédéralistes européens, et comme Président de l'association Jean MONNET.
Il nous a semblé intéressant de présenter aux lecteurs de cette revue un texte écrit de la main de celui qui fut le collaborateur de Jean MONNET au moment où s'ébauchait l'idée même de l'Europe... Rappelons-nous que c'est par le charbon et l'acier que tout a commencé.
LA NAISSANCE DE L'EUROPEDe toutes les aventures auxquelles le sort m'a donné de participer, la plus enthousiasmante a été, et continue d'être, celle de la construction de l'Europe. A l'âge de dix-huit ans, j'avais inscris sur mes tablettes cette phrase d'Anatole France : « Lentement mais toujours l'humanité réalise les rêves des sages. » Il s'agit bien, en effet, de réaliser un rêve séculaire, le plus beau rêve qui puisse être proposé à l'humanité : réconcilier des peuples qui s'étaient affrontés tout au long de l'Histoire, déchirés par des conflits sanglants qui avaient fini par englober le monde entier, les réunir en une nation, tout en préservant leurs diversités qui constituent un inappréciable trésor ; réaliser cette union non plus par la force ou la contrainte, mais par un mutuel consentement ; proposer un modèle à tous les peuples et les acheminer vers un ordre mondial instituant une humanité fraternelle et seul susceptible de surmonter les dangers mortels qui nous menacent. Pour avoir l'audace de tenter de transformer un tel rêve en réalité, il faut posséder non seulement une foi ardente dans l'homme et sa destinée, mais aussi l'innocence du coeur et, disons-le, une tranquille naïveté. Il faut pouvoir affronter quotidiennement les insultes et les fureurs des adeptes du nationalisme de la force, du pouvoir, de la tradition. Il faut surtout ne pas se laisser décourager par les sceptiques et les cyniques, qui tuent le rêve par leur dérision. Il faut aussi, pour obtenir des résultats concrets, savoir déceler les vents favorables pour se faire porter par eux, profiter de toutes les circonstances, utiliser les intérêts et les ambitions des uns et des autres, sans jamais perdre de vue l'idéal et l'objectif lointain ; affronter des crises et même les provoquer quand cela est nécessaire, et enfin ne jamais se laisser gagner par le découragement ni se laisser aller à une patience excessive [...] Il était parfaitement évident que, pour édifier une oeuvre durable, la France devait, sans oublier pour autant ses souffrances et ses martyrs, tendre la main à l'Allemagne et accepter d'en faire un partenaire sur un pied d'égalité [...] Il fallait l'inviter à participer à une entreprise commune, suffisamment réaliste et limitée pour être rapidement menée à bien, mais susceptible de s'étendre et qui, en assurant une transformation radicale des relations entre les Etats, serait prometteuse d'avenir. C'est avec ces idées en tête que MONNET se mit au travail avec Pierre URI et moi. Pour la toilette finale, il fut fait appel aux conseils de Paul REUTER, expert en droit international. Les idées fondamentales suivantes furent retenues :
Finalement, deux documents furent établis : un mémorandum explicatif et un projet de déclaration. Le mémorandum exposait la situation générale, ses dangers, la nécessité d'apporter une solution constructive au problème allemand, et les perspectives d'avenir que nos propositions ouvraient. La déclaration était brève et rédigée dans des termes propres à frapper l'opinion publique. Sa mise au point comporta neuf versions successives et exigea bien des nuits de discussion. Mais avant de passer à l'action, qui devait provoquer dans l'immédiat un bouleversement radical des conditions de la concurrence et du marché pour nos charbonnages et notre sidérurgie, j'éprouverai le besoin de me faire confirmer, par des avis d'hommes parfaitement au fait des problèmes de ces industries, dans ma conviction qu'il n'y avait pas de dangers véritables pour la France à s'engager dans la voie que nous voulions ouvrir. J'expliquai à MONNET mes scrupules, d'autant plus profonds que j'étais le seul du trio à avoir une connaissance concrète des conditions de travail de l'industrie française. Avec son accord, je consultai deux hommes qui, à mes yeux, étaient les mieux qualifiés pour répondre à mes préoccupations, tant par leur compétence et leur honnêteté intellectuelle que par leur discrétion. Je reçus successivement BASEILHAC, président des Charbonnages de France, et pour la sidérurgie Alexis ARON, qui était unanimement reconnu et respecté comme l'expert le plus avisé. A chacun je remis sans commentaire les deux documents. Le président des Charbonnages me dit qu'il aurait des problèmes pour les petits bassins du Centre-Midi, mais que la concurrence européenne ne ferait qu'accélérer un processus inéluctable, et qu'il faudrait seulement procéder plus rapidement aux réorganisations de toute façon indispensables. Quant à Alexis ARON, sa réaction fut émouvante dans son laconisme : « C'est cela ou la mort. » Il fallait maintenant mettre en mouvement la machine politique. Les documents furent remis au président du Conseil, Georges BIDAULT, par l'entremise de son directeur de cabinet. La communication resta sans réponse. MONNET se retourna alors vers le ministre des Affaires étrangères, Robert SCHUMAN. Son directeur de cabinet, Bernard CLAPPIER, homme habile, clairvoyant, à l'esprit vif et désireux d'agir, sut convaincre son patron de l'importance de l'enjeu, et la réponse positive vint sans délai. [...] André PHILIP est venu me dire que, parmi les institutions prévues dans la Déclaration SCHUMAN, il manquait un élément de structure démocratique. Partageant cet avis, j'en fis part à MONNET qui me renvoya brusquement en disant que cela n'avait rien à voir. Mais, quelques jours plus tard, il me rappela pour lui en reparler. C'est là l'origine du projet d'assemblée parlementaire européenne. MONNET s'y est tellement intéressé qu'il a demandé à BLAMONT, secrétaire général de la Chambre des députés, de réunir ses collègues des six pays pour mettre au point le statut de cette assemblée. (...] Des délégations de sidérurgistes de chacun des six pays ne devraient pas tarder à venir me trouver. Lourds dossiers à l'appui, ils voulaient me démontrer que le traité entraînerait leur ruine. Leur unanimité me démontrait combien peu fondées étaient leurs craintes. J'ai consacré toute une soirée aux Français. Alexis ARON, qui participait à l'élaboration du traité, a commencé par faire un exposé favorable. AUBRUN, président de la Chambre syndicale, l'a brusquement interrompu et a déclaré qu'il ne fallait pas de traité mais une bonne entente entre professionnels, comme c'était le cas avant la guerre, « et puis ne parlez pas de concurrence, contentez-vous d'une "saine émulation" ». Les sidérurgistes français ont alerté le président du Conseil, René PLEVEN, qui m'a convoqué. Lui, ancien collaborateur de MONNET, quoique bon Européen, m'a dit : « Je comprends qu'on mette en commun le charbon, puisque nous en manquons. Mais pourquoi le faire pour le minerai de fer que nous possédons ? » Le Luxembourg était inquiet. La sidérurgie était sa seule activité industrielle et on la lançait dans l'inconnu. Il m'a fallu beaucoup de patience et de palabres pour parvenir, avec WEHRER, à trouver une formule susceptible d'apaiser toutes les appréhensions. Avec les charbonniers belges, la partie a été plus difficile. Mes interlocuteurs ressemblaient fort à ceux qui, avant la guerre, avaient obtenu dans le Cartel de l'azote des subventions pour arrêter leurs usines. Les prétentions étaient peu justifiées mais, eu égard à l'enjeu politique, des dispositions transitoires ont prévu une compensation pour les charbonniers belges. Cet enjeu politique, c'était l'institution de la Haute Autorité dont les décisions s'imposeraient aux gouvernements membres. Dans la philosophie de MONNET, les hommes passent, mais ce qu'ils laissent à leurs successeurs, ce sont les institutions qu'ils ont créées. C'est cela qui était au coeur du débat qui impliquait naturellement un accord librement consenti entre la France et l'Allemagne. [...] Il a fallu régler des questions de terminologie. J'ai suggéré le terme de Communauté européenne, et j'ai aussi demandé de remplacer le mot organes, désignant la Haute Autorité, le Parlement, la Cour, le Conseil par celui d'institutions, car je voulais éviter les plaisanteries faciles. Les syndicats ont été invités à participer à l'élaboration du traité, comme cela avait été le cas pour le Plan. Il était d'une importance primordiale qu'ils comprennent que ce qui était fait dans l'intérêt de la paix ne sacrifiait en rien leurs intérêts, bien au contraire. Comme, à l'époque, le chef du Parti socialiste allemand était presque hystériquement hostile, il était essentiel d'être en mesure de lui opposer le contrepoids des très puissants syndicats allemands. MONNET a réussi à merveille à en faire ses alliés. Dans le domaine social, le traité, pour la première fois dans le monde, prévoit d'une façon concrète les mesures propres à assurer la réadaptation des travailleurs qui seraient privés de leur emploi comme conséquence soit de l'établissement du marché commun, soit du progrès technique. Il s'agit :
La signature eut lieu dans le salon de l'Horloge le 18 avril 1951 ; moins d'un an après la Déclaration de Robert SCHUMAN. [...] Après la signature, il fallait obtenir la ratification du traité. Alors que l'initiative était française, paradoxalement c'est en France que l'on rencontrait le plus de difficultés. Le lobby de l'acier s'était déchaîné et faisant jouer toutes les cordes défavorables à la réconciliation avec l'Allemagne. Les communistes étaient contre tout ce qui pouvait paraître renforcer un accord à l'Ouest, objet de l'hostilité virulente de l'Union soviétique. De GAULLE se déchaînait contre ce qu'il qualifiait de « méli mélo de charbon et d'acier ». MONNET s'employait à répandre les explications et les bonnes paroles auprès de la presse, où bien des réactions ont été excellentes et notamment celles de Roger MASSIP du Figaro, de Jean LECERF, de Pierre DROUIN, qui ont été probablement dans la presse les meilleurs champions de la cause européenne. La ratification a été finalement votée à une large majorité le 1er avril 1952 et, le 10, MONNET s'installait à Luxembourg, emmenant avec lui Pierre URI, Paul DELOUVRIER et bien d'autres excellents artisans du premier Plan. Etienne HIRSCH
Ainsi va la vie
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Conférence Plan Schuman, 20/6/1950.
De gauche à droite, assis : E. Hirsch, J. Monnet, R. Schuman