Ecole des mines de Paris (promotion 1849). Ingénieur civil des mines.
Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Mai 1898
Le 9 mai dernier, tout le personnel des mines de la Grand' Combe, auquel s'étaient joints les ingénieurs de la région, un grand nombre d'amis et les représentants des administrations du Gouvernement, suivait le convoi funèbre de M. Graffin, directeur de la Grand'Combe depuis dix-huit ans.
Né à Paris en 1829, Graffin était de la promotion de 1849. A sa sortie de l'École des Mines de Paris, il entra en août 1852 aux Mines de la Grand'Combe, où il fit toute sa carrière pendant quarante-six années consécutives.
Les nombreuses et absorbantes occupations que lui imposait la direction de la Grand'Combe ne l'empêchaient point de trouver le temps nécessaire aux intérêts généraux du pays. Il fut en effet conseiller municipal quarante-deux ans, maire trente ans, et conseiller général pendant dix huit années.
La longue carrière de M. Graffin, attristée dans ces dernières années par des événements encore présents à l'esprit de tous, a été magistralement retracée dans de nombreux discours prononcés sur sa tombe par MM. Curières de Castelnau, ingénieur en chef des Mines, Chalmeton, administrateur-directeur de Bessèges; Silhol, sénateur, président du Conseil général du Gard; Darodes, sous-directeur de la Grand'Combe, et Cussac, ouvrier mineur.
Nous reproduisons ci-après, extraits du discours prononcé par M. de Castelnau, les éléments caractéristiques de la belle existence industrielle de M. Graffin.
Messieurs, la vie de celui que nous accompagnons à sa dernière demeure est de celles dont l'unité dispense de longs commentaires. Vous la connaissez tous. Venu tout jeune à la Grand'Gombe, c'est à la Grand'Combe qu'il a vécu et qu'il s'est rapidement élevé, par son travail et son talent, jusqu'au sommet de la hiérarchie; c'est à la Grand'Combe qu'il est mort après avoir consacré quarante-six années ininterrompues au service de la Compagnie, au développement de ses exploitations, au bien général des ouvriers et du pays.
L'histoire de la vie de M. Graffin est donc, peut-on dire, l'histoire même de la Grand'Combe pendant près d'un demi-siècle.
Sorti avec honneur de l'École supérieure des Mines, Graffin arrivait ici le 15 juillet 1852, il se faisait bientôt remarquer par ses brillantes qualités d'ingénieur et de chef et il était nommé, en 1856, à l'âge de vingt-sept ans, ingénieur principal. En 1863, a trente-quatre ans, il prenait le titre et les fonctions de directeur de l'Exploitation, sous la direction générale de M. François Beau.
En 1867, à la suite de l'Exposition universelle, la croix de chevalier de la Légion d'honneur lui était décernée.
Douze ans plus tard, en 1879, il était nommé directeur de la Compagnie et, en 1896, le titre de directeur général lui était conféré.
Conseiller municipal de la Grand'Combe le 8 août 1855, il était nommé maire le 18 avril 1868 et n'a pas cessé d'être depuis lors à la tête de la municipalité. Élu conseiller d'arrondissement le 4 octobre 1874, il était appelé au Conseil général le 14 décembre 1879, par le choix des électeurs du canton qui n'ont pas cessé de lui conserver leur confiance. Dirigé pendant vingt-sept ans par un chef éminent, M. Beau, dont le nom ne doit être prononcé à la Grand'Combe qu'avec reconnaissance et respect, et conseillé par Callon, d'illustre mémoire, Graffin a réalisé dans l'exploitation de nos mines de grands progrès. C'est sous son commandement que l'ancienne méthode par piliers et galeries a été remplacée par la taille chassante avec remblais complets, que le roulage circulaire déjà pratiqué pour les transports à la surface a été appliqué aux transports souterrains des remblais et du charbon et que la ventilation mécanique a, de très bonne heure, remplacé la ventilation naturelle et le foyer.
Il est l'auteur d'un lavoir à charbon qui porte son nom ; imaginé vers 1860 cet appareil a reçu, sous son inspiration, des perfectionnements successifs importants et il est encore employé dans nos ateliers avec avantage. Il a aussi, le premier en France, croyons-nous, fait l'application, en 1871, dans les ateliers de surface, des toiles de transport.
Graffin était donc un initiateur ingénieux et habile, il était surtout un chef intelligent et énergique, il avait à un haut degré le don du commandement. D'une très grande activité, il exerçait ses fonctions d'ingénieur principal ou de directeur de l'exploitation par une action de présence presque continuelle sur les travaux. D'un caractère très ferme et bienveillant, d'une humeur aimable, enjouée, toujours égale, il savait inspirer à ses subordonnés la confiance, l'affection et le respect. Il avait d'ailleurs pour sa Grand'Combe les sentiments d'un profond attachement; il aimait ce pays comme s'il y était né; il avait des regards complaisants pour ses cîmes rocheuses et ses pentes boisées. Pour son personnel, il avait les sentiments d'un père. Il en connaissait presque toutes les familles; il se réjouissait de leurs joies, il prenait part à leurs peines et savait leur témoigner l'intérêt bienveillant et discret que son excellent coeur lui inspirait. Il a participé à l'établissement des institutions de prévoyance patronale dont la Compagnie, bien avant les lois sociales actuelles, avait doté la Grand'Combe pour protéger ses ouvriers et leurs familles contre les conséquences de la maladie, de l'accident et de la vieillesse, mais c'est à lui que la population doit la fondation sur des bases nouvelles de la Société de Prévoyance qui, depuis 1890, assure aux ouvriers de la Grand'Combe des retraites supérieures à celles que les mineurs des entreprises similaires peuvent espérer.
Et maintenant parlerai-je de l'homme privé, de l'époux, du père de famille ?
Oh, Messieurs, ici ce ne sont point seulement de grandes peines, de vifs regrets que la mort vient susciter, ce sont des larmes abondantes et amères qu'elle fait couler, des blessures cruelles et saignantes qu'elle a brutalement ouvertes. C'est que l'époux et le père disparu ont prodigué, d'une manière surabondante, à cette épouse bien-aimée et à leurs chers enfants, les seules véritables joies que l'homme puisse goûter sur cette terre, celles de la famille.
Mais il reste des consolations; c'est d'abord le doux souvenir du passé, c'est l'exemple de la vie de travail de celui qui n'est plus, c'est la certitude qu'en luttant courageusement contre le malheur, on se conforme à ses conseils, à ses instructions, c'est enfin et surtout les sentiments chrétiens du cher disparu. Oui, Graffin était de ceux qui croient fermement aux récompenses éternelles, et que ce n'est point pour rentrer dans le néant que l'on vient sur cette terre, que l'on y travaille, que l'on y aime, que l'on y souffre, que l'on y pleure, que l'on y meurt. Oui, viendra un jour où, dans un monde meilleur, le revoir ne finira plus.
Ouvriers qui m'écoutez, vous dont l'attitude dans ces douloureuses circonstances a été si émue et si digne, gardez pieusement la mémoire de celui qui, pendant quarante-six ans, vous a dirigés, vous a aimés.
Restez fidèles aux vieilles traditions de la Grand'Combe, ne cessez pas d'être, comme par le passé, de bons et braves ouvriers, aimant le travail, la paix et le devoir; c'est à la fois, croyez-le bien, votre honneur et votre intérêt!