Fils du comte Casimir Charles Victor du VERDIER de GENOUILLAC et de son épouse morte le 7/10/1926.
Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1905). Ingénieur civil des mines.
Publié dans Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Mars-Avril 1918 :
Héritier des nobles et glorieuses traditions d'une vieille famille, Jean de Genouillac était né pour la lutte. Le plus émouvant patriotisme, une énergie peu commune, un ardent désir d'activité ont guidé toute sa vie.
Son ancêtre Galiot de Genouillac commandait l'artillerie de François Ier à Marignan, bataille de deux jours où donnèrent 72 grosses pièces et 300 petites. A la dure journée de Pavie, il tenait la victoire de l'aveu même du prince qui le nomma Grand Ecuyer. Le noble chevalier fut une haute et fière figure de cette époque de glorieuses équipées. Son fils, qui était hardi et vaillant, fut mortellement blessé à Cerisolles ; le roi tint à mander lui-même celle triste nouvelle à son vieux sénéchal. Galliot demeura quelques instants silencieux, puis se tournant vers François Ier, il lui dit : » Réjouissez-vous, Sire, qu'il mait été donné un fils digne de tomber avec vaillance en combattant pour son roi et pour sa patrie. »
De tels héritages pétrissent une race, et si peut-être les occupations de son père, ingénieur en chef des Mines, contribuèrent à déterminer sa vocation d'ingénieur, Jean de Genouillac était dominé par le sens des hautes traditions dont il était le gardien : mineur de profession, passionné pour son métier parce qu'il le trouvait fait de lutte et d'action, il fut un soldat toute sa vie.
Entré comme ingénieur aux mines de Noeux dès sa sortie de l'Ecole en 1908, il fut bientôt chargé de l'aménagement de la fosse no 9. C'était une lourde tâche pour un jeune ingénieur ; il fallait connaître de Genouillac pour la lui confier.
Il s'agissait de mettre rapidement sur pied une exploitation nouvelle, dans un gisement mal connu en bordure du bassin houiller où le voisinage de terrains bouleversés ménage parfois bien des surprises. Difficiles par eux-mêmes, les débuts sont particulièrement ingrats dans une région où l'habitude des grosses productions porte à perdre de vue la valeur des efforts qui n'aboutissent pas à un rendement immédiatement tangible.
Perdue dans un bois tout au sud de la concession, la nouvelle fosse manquait de main-d'œuvre. On fit appel à des équipes de Polonais et de Genouillac eut à faire une dure école de la conduite des hommes. Il n'eut pas trop de toute son énergie et de toute son adresse pour mener à bien la mission délicate qui lui incombait.
Dans sa petite maison de jeune ingénieur, il aimait à recevoir la visite de ses camarades d'école. Je le vois encore, un dimanche de février 1912, me montrant sa fosse qui lui donnait tant de travail, expliquant les points difficiles de son programme. On gagnait les bois qui garnissent la côte du Verdrel, et la conversation s'animait. L'horizon se dégageait peu à. peu et bientôt la vue s'étendait sur l'immense plaine des Flandres dominée par la falaise de Lorette. On apercevait de là tout le bassin houiller du Pas-de-Calais jusqu'aux portes de Douai, tout ce vaste champ de travail où tant d'énergies remuaient alors les entrailles du sol pour en faire sortir les ressources indispensables à la vie économique du pays, maintenant transformé en un vaste champ de carnage où se livre sans répit la lutte gigantesque contre l'envahisseur.
Récemment marié, bientôt père de famille, Jean contait ses projets d'avenir, son ardent désir de prendre une part de plus en plus active dans la mise en valeur des richesses cachées sous le mystérieux et monotone manteau d'argile de la plaine.
Enhardi par les résultats d'un travail obstiné à sa fosse no 9, de Genouillac n'était pas sans avoir de plus hautes visées. Son désir se réalisa bientôt et dès 1912 il prenait la fosse n° 11 de Lens, un des plus gros sièges d'extraction de la puissante Compagnie. Il y succédait à notre camarade DE CHAMBURE qui, lui aussi, devait tomber devant l'ennemi. Est-ce un hasard malheureux, n'est-ce pas plutôt une conséquence des traditions reçues que nos camarades d'école du Pas-de-Calais fournissent une liste si longue, mais combien glorieuse, au Livre d'Or de la patrie.
C'est là que la mobilisation le trouva. Elle ne le surprit pas : il avait fait au mois de décembre précédent sa dernière période d'instruction qui lui tenait lieu de congé pour cette année, car la discipline est dure dans l'industrie minière, qui ne connaît pas de repos.
Laissant à d'autres moins préparés pour l'armée le soin d'entretenir la marche de la mine, de Genouillac rejoignît son régiment dès le premier jour. Parti comme lieutenant, adjoint au commandant du 4e groupe du 41e d'artillerie, il connut les heures tragiques de la retraite de Belgique et fut mêlé, fin août, à de violentes actions d'infanterie sur les bords de la Meuse. En septembre, il se proposa pour suivre, comme agent de liaison, une attaque préparée dans le secteur de Reims : là, pendant plusieurs jours, il vient en première ligne au contact des troupes d'assaut, dans les conditions les plus difficiles et les plus dangereuses, faisant preuve d'une bravoure admirable.
Bientôt la guerre de tranchées succédait aux opérations de campagne : c'étaient, pour le lieutenant de Genouillac, les dures corvées quotidiennes, la nuit, sur les routes boueuses et dans les champs détrempés, pour le ravitaillement d'une artillerie si souvent en action dans des régions où la campagne d'hiver fut particulièrement pénible. Il retrouvait alors ses qualités d'officier de troupe, habitué par sa carrière d'ingénieur à la conduite des hommes. Il prenait, du premier coup, un ascendant remarquable : il le devait à son sang-froid sous le feu, à sa bravoure si franche, à sa bonne humeur jamais démentie, à la connaissance qu'il avait de l'homme, surtout de l'homme du Nord. Ses soldats, presque tous mineurs, retrouvaient en lui leur ingénieur d'autrefois, du temps où leur pays était bien à eux, libre de toute invasion.
Après l'attaque de Woëvre, le Ier corps revenait dans un secteur plus calme pour réparer des forces qu'il avait si magnifiquement dépensées. De Genouillac trouvait bientôt ce calme pénible pour son activité et désirait prendre part encore davantage aux dangers de la campagne. Apprenant qu'on allait former dans la division une batterie de canons de tranchées, il se proposa pour le commandement, il l'obtint et ce fut alors une vie héroïque, menée avec la plus grande simplicité. Possédant toute la confiance de ses hommes, ne quittant pas ses pièces, il ranimait les courages par son exemple généreux qui lui faisait ne compter sa vie qu'autant qu'elle pouvait être utile a son pays.
Le soir même de son retour de permission, de la première qu'il ait eue, de Genouillac voulut visiter ses hommes et ses canons qu'il avait quittés pour quelques jours. Et il arrivait dans les tranchées de première ligne à une de ces heures tragiques et imprévues que connaissent les soldats du front: un camouflet allemand venait de bouleverser nos travaux avancés de sape ; le lieutenant de chasseurs qui commandait la compagnie de garde, craignant une incursion ennemie, pénétrait dans la galerie avec plusieurs hommes pour tenter d'enrayer l'attaque : pris par les gaz toxiques, ils tombent. Le lieutenant du génie arrivé sur les lieux veut secourir ces hommes et les siens et tombe de même. Le lieutenant-colonel, accouru lui aussi, ne doit sa vie qu'au sang-froid de de Genouillac, survenu à temps, et ne subit qu'un commencement d'intoxication. Le lieutenant de Genouillac tente alors, par deux fois, le sauvetage des autres et ne peut y parvenir ; par deux fois on le retire légèrement intoxiqué, car il a eu la prudence de se faire attacher.
Le général, averti, vient à son tour sur les lieux de l'incident, et, trouvant les victimes déjà trop nombreuses, interdit de nouvelles tentatives de sauvetage. Mais de Genouillac, l'âme tourmentée par son esprit généreux et inquiété du sort de ces soldats peut-être encore vivants, touché du désespoir des chasseurs contraints d'abandonner leurs camarades, essaye de fléchir le général. N'y parvenant pas, il le quitte, répondant au revoir affectueux de son chef par un adieu dont devaient se souvenir, quelques heures après, tous les témoins de cette scène.
Il a fait le sacrifice de sa vie : son honneur de soldat et de mineur y est engagé, car il se sent le seul qui puisse conduire à bien ces travaux de sauvetage, sauver peut-être ces hommes. Et il retourne dans la tranchée reprendre son travail de dévouement sublime. Justement on apporte un appareil respiratoire : il s'en munit, pénètre dans la galerie et fait une première tentative. Mais ses forces, déjà atteintes par les premières intoxications, le trahissent ; l'appareil fonctionne mal et il s'évanouit. Les hommes arrivent à le retirer malgré le long chemin parcouru : il est vivant encore, mais expire sans reprendre l'usage de la parole, entre les bras de l'aumônier du régiment, qu'on est allé prévenir.
Dans un secteur calme, jamais mort de soldat ne fit impression plus réconfortante que celle de cet artilleur tombé à la recherche de camarades inconnus. La petite église de Courcelles-Saint-Brice a entendu des paroles profondément émues, rappelant à tous les qualités merveilleuses de ce gentilhomme digne, comme ses ancêtres, de tomber avec vaillance pour sa patrie.
Mais quelles paroles peuvent être plus éloquentes que la sobre et simple citation à l'ordre de l'armée du 8 septembre 1915 :
« Lieutenant Jean-Marie-André de Genouillac, du 41e régiment d'artillerie. Officier d'une rare bravoure, s'est courageusement porté au secours de soldats du génie, en danger d'asphyxie dans un rameau de mine à la suite de l'explosion d'une contre-mine, et y est resté asphyxié, victime de son dévouement. »
Jean de Genouillac, pouvais-tu rêver plus bel héritage pour tes deux fils ! Ils peuvent entrer dans la vie la tète haute, et sois bien sûr que leur admirable mère, cette courageuse compagne qui te comprenait si bien, fera d'eux, à ton exemple, des Français dignes de porter le nom glorieux des Genouillac.