Antoine Jean Marie Michel Saturnin Édouard ESTAUNIÉ (1830-1862)

Né le 26 juin 1830 à Toulouse. Décédé le 4 janvir 1862. Epoux de Jeannne Elisabeth MONTHIEU.
Polytechnique (promotion 1830, sorti classé 6ème), Ecole des Mines (classé 4ème à la fin de la première année, 4ème à la fin de la 2ème année, sorti classé 2ème juste derrière Haton de la Goupillière). Titularisé au corps des mines le 4/7/1855.

Un fils de Edouard ESTAUNIÉ fit également Polytechnique : Louis Marie Édouard ESTAUNIÉ (1862-1942 ; X 1882) fut romancier, ingénieur des postes et télégraphes, directeur du matériel et de la construction, inspecteur général des télégraphes. Il rédigea deux ouvrages importants sur des questions techniques : "Les sources d'énergie électrique" (1895), un "Traité pratique de télécommunication électrique" (1904). Il fut aussi directeur de l'École d'application des postes et télégraphes. Il mena conjointement une carrière de savant et d'écrivain. Romancier influencé par Balzac, il s'intéressa au spiritisme, et décrivit des expériences de télékinésie, psychokinésie, ectoplasmie auxquelles il se livra entre 1908 et 1912. Membre de l'Académie française (1923), il présida la Société des gens de lettres.


NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. ESTAUNIÉ, INGÉNIEUR DES MINES.
Par M. LESEURE, ingénieur des mines.

Publié dans Annales des Mines, 6eme série tome I, 1862.

Estaunié (Edouard) est né à Toulouse, le 26 juin 1830. Après de brillantes études littéraires et scientifiques, il entra à l'École polytechnique en 1850. Classé le vingt-deuxième sur la liste d'admssion, il gagna seize rangs dans les deux années d'études, et arriva sixième au classement définitif de 1852.

Il choisit la carrière des mines.

Il suivit avec distinction les cours de l'École des mines. De ses voyages dans la Belgique et dans le Hartz, il rapporta des mémoires qui lui valurent un témoignage officiel de haute satisfaction, et les besoins du service ayant fait abréger son temps d'élève-ingénieur, il fut nommé ingénieur ordinaire le 4 juillet 1855 et chargé en cette qualité du service du sous-arrondissement minéralogique de Chalon-sur-Saône.

Le contrôle administratif, avec ses limites incertaines et variables, est délicat à exercer; peut-être l'était-il plus à Châlon que partout ailleurs.

D'un abord modeste et ouvert, modéré, conciliant, Estaunié avait toutes les qualités nécessaires. Comment les préventions auraient-elles pu naître ou se maintenir vis-à-vis d'un ingénieur d'une droiture si parfaite et si visiblement animé dans tous ses actes par le seul sentiment du devoir ? Il sut discerner avec un tact parfait qu'on pouvait céder et quelle était la juste limite des droits essentiels de la surveillance administrative. Cette conduite mesurée et digne lui gagna la confiance et la sympathie de tout le monde ; l'Administration supérieure reconnut ses bons services, et elle lui adressa, en 1858, une lettre de félicitations sur l'heureuse activité qu'il déployait dans l'accomplissement de sa mission.

Préoccupé surtout du soin de sauvegarder l'intérêt public et la sécurité des ouvriers dans l'exploitation des mines, il prit une large part à la solution d'une question, importante, l'emploi de 1a méthode des remblais, soit en rédigeant sur cette question un rapport complet et décisif, soit en profitant de toutes les occasions opportunes pour agir par voie de persuaison.

Les fonctions administratives qu'il remplissait avec tant de zèle et de dévouement lui laissaient des loisirs qui furent consacrés à diverses études techniques. Nous rappellerons les plus intéressantes.

Le résultat de ses travaux au laboratoire de chimie fut en partie publié en 1860 dans le tome XVII des Annales des mines. Il comprend cent dix-huit analyses d'échantillons de houilles. Il ne s'agit que de l'analyse immédiate, parce que le but était seulement de classer les diverses variétés de combustibles au point de vue de leurs propriétés industrielles. La densité et la puissance calorifique ont été également mesurées et indiquées. La méthode suivie pour cette dernière détermination diffère un peu de celle de M. Berthier.

L'introduction de cette notice contient une description sommaire, la plus exacte qui existe, des bassins houillers de Saône-et-Loire. Estaunié admet la continuité primitive des dépôts, sans se prononcer sur l'assimilation des couches d'un dépôt à l'autre, assimilation très-difficile à établir. En revanche, il a distingué les accidents contemporains qui ont pu modifier la qualité de la houille, et les accidents postérieurs qui ont produit seulement des failles.

Les conclusions déduites des analyses offrent un grand intérêt pour l'industrie et pour la géologie. Indépendamment de la classification rationnelle des houilles, elles établissent que la nature du charbon dépend avant tout des circonstances locales qui en ont accompagné la production. M. Gruner avait constaté un fait semblable dans le bassin de la Loire. On voit également qu'il y a une relation étroite entre les variations de qualité , et les variations de composition des assises sous-jacentes. Accessoirement, signalons ce fait curieux que, dans l'altération de certains charbons à l'air ou dans la mine, la proportion des matières volatiles augmente.

En somme, cette étude est un complément nouveau et indispensable de la description géologique du département de Saône-et-Loire par M. Manès, et forme un monument durable qui conservera le souvenir de son auteur.

Concurremment avec des analyses de houille, Estaunié poursuivait l'essai hydrotimétrique des eaux du territoire de la ville de Châlon. C'était l'un des points de départ nécessaires du projet dont on s'occupe actuellement pour fournir et distribuer à la ville des eaux abondantes et salubres.

C'est également pendant son séjour à Châlon qu'il présenta à l'Académie de Lyon deux mémoires relatifs aux appareils à vapeur. Dans le premier, il établit des formules très-simples, à l'aide desquelles on calcule les dimensions de la chaudière pour une machine d'une espèce et d'une force déterminées. Dans le second, il donne une expression nouvelle du travail de la vapeur dans les machines à vapeur, expression théoriquement plus exacte et plus simple dans l'application que l'ancienne formule.

Estaunié avait à peine trente ans en quittant le poste de Châlon , et tous ses travaux étaient publiés ou terminés. Il avait dignement rempli sa tâche, et laissait à son successeur une place honorée. Ses nombreux amis le voyaient à regret s'éloigner. Tous faisais des voeux pour son bonheur ; tous présageaient pour lui une brillante destinée.

Son union avec une personne qu'il aimait sembla à ce moment un premier accomplissement de ces voeux et de ces présages, et tout souriait à notre camarade en prenant possession de ce service de Saint-Étienne dont il était chargé sur sa demande.

Estaunié était digne de son bonheur, non-seulement par son activité au travail et sa belle intelligence, mais aussi par ses qualité morales. Quel amour et quel dévouement pour les siens! Quelle amitié sûre et tendre! Quelle élévation de sentiments!

Il avait conservé intactes les traditions pieuses de sa famille, et rien n'avait atteint la pureté de coeur et la fraîcheur de sentiments de ses jeunes années. La sérénité de sa croyance et sa générosité native éclataient dans la délicate tolérance qu'il pratiquait autour de lui, au point d'avoir des amis de croyances bien diverses et de les aimer également.

Par tous les traits de sa vie, on reconnaît une nature d'élite, et il en a laissé la vive et durable impression à tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître dans l'intimité.

Dans le court séjour qu'il a fait à Saint-Étienne, il a déployé les mêmes talents que dans son précédent service; mais c'est à peine si on eut le temps de l'apprécier.

Le 15 novembre, Estaunié alla visiter les travaux souterrains du puits Saint-Joseph de la Béraudière, après avoir déjà fait de nombreuses et pénibles visites les jours précédents. Il eut à descendre et à remonter une fendue étroite, tortueuse, humide, de 160 à 170 mètres de développement. Dans l'après-midi, il éprouva une grande lassitude qui n'avait d'abord rien d'inquiétant, mais qui, sous l'influence de l'épidémie alors régnante, dégénéra au bout de cinq jours en une fièvre muqueuse. Il succomba à cette maladie le 4 janvier 1862, âgé de trente et un ans. Ce fut dans toute la ville une pénible surprise quand se répandit cette triste nouvelle.

Le lendemain, à la cérémonie funèbre assistaient les autorités supérieures, les principaux fonctionnaires, tous les directeurs et ingénieurs des industries houillères et métallurgiques. Cette unanimité exprimait bien l'estime et la sympathie déjà acquises à notre regretté camarade, le sentiment profond d'un si grand malheur et le deuil universel des coeurs.

La fin d'Estaunié a été le digne couronnement d'une vie consacrée au travail et à l'accomplissement du devoir. A ce titre, sa mémoire doit être conservée dans nos annales après les noms plus illustres qui y sont inscrits. Il a cherché à suivre leurs exemples pendant le peu de jours qu'il a vécu.