Fils de Claude Louis EBELMEN, géomètre de l'administration forestière, et de Jeanne Claude GRENIER. Né le 10/7/1814 à Baume-les-Dames, mort le 31/3/1852.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole des Mines de Paris. Membre du corps des mines.
Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III.
EBELMEN, ingénieur au Corps des Mines, eut une carrière très courte, mais très brillante. Il mourut, n'ayant pas encore 38 ans, mais ayant déjà conquis une des premières places dans le monde savant et laissant une série de travaux de premier ordre. Peu d'existences ont été aussi bien remplies pour la science.
Il naquit dans le Doubs, à Baume-les-Dames, le 10 juillet 1814. Son père était un simple géomètre, mais doué d'un esprit fin et d'une mémoire merveilleuse, qui se retrouvèrent en lui; il hérita aussi des traditions de travail, de droiture et d'honneur, qui entourèrent son enfance.
Il fit ses classes de grammaire et de lettres au Collège de Baume jusqu'en rhétorique, où il remporta tous les prix; puis, embrassant la voie des sciences, il suivit la classe de mathématiques élémentaires à Paris, au Collège Henri IV, et celle de mathématiques spéciales au Lycée de Besançon. Il n'avait que 17 ans, lorsqu'il entra à l'Ecole Polytechnique, en 1831.
Admis avec le rang de sixième, il en sortit quatrième, pour entrer comme élève-ingénieur à l'Ecole des Mines. [Ces informations sont légèrement différentes de celles du registre matricule de Polytechnique, qui le crédite du rang 57 à l'entrée et du rang 6 sur 121 élèves à la sortie].
S'il n'avait pas atteint le premier rang à l'Ecole Polytechnique, c'était en partie à cause de sa façon de dessiner, qui resta toujours incorrecte et égaya souvent ses malicieux camarades. Mais il avait, d'autre part, une grande avance sur ses émules au point de vue des connaissances en chimie et en minéralogie; car il avait montré de bonne heure un goût particulier pour les sciences physiques et naturelles. Aussi se trouva-t-il, dès le premier classement, en tête de sa promotion à l'Ecole des Mines, où il avait pour camarades : Sauvage, Declerck et Bertrand de Boucheporn, qui devinrent tous les trois, à des titres divers, des ingénieurs du plus haut mérite.
Sorti le premier de l'Ecole après de brillants examens, il fut envoyé, en 1836, à Vesoul, pour y remplir les fonctions d'Ingénieur des Mines. Il débuta aussitôt par des recherches analytiques sur différents minerais de la Franche-Comté et il entreprit, dès cette époque, la série des travaux de Chimie métallurgique, qui sont restés un de ses principaux titres de gloire.
Il passa à Vesoul quatre années très remplies par des recherches scientifiques, qui le firent remarquer et rappeler à Paris; il fut, en décembre 1840, adjoint au professeur de docimasie de l'Ecole des Mines, Berthier, qui l'avait connu et apprécié comme élève et qui le tenait en grande affection. Au commencement de 1841, il fut attaché à la commission des Annales des Mines, comme secrétaire-adjoint, et, vers la même époque, nommé répétiteur du cours de Chimie à l'Ecole Polytechnique. En décembre 1845 il devint professeur titulaire de docimasie à l'École des Mines et fut fait chevalier de la Légion d'honneur en avril 1847. Enfin, il fut nommé Ingénieur en Chef des Mines en mars 1852, quelques semaines seulement avant que la mort l'atteignit dans la force de l'âge.
La succession rapide des succès d'Ebelmen était si bien justifiée par ses services exceptionnels et sa réputation croissante, que tous ses camarades y applaudissaient de bon coeur. Ses beaux travaux lui valurent de chauds protecteurs, même en dehors des hommes qu'il avait personnellement connus; c'est ainsi qu'il fut appelé, en 1845, à la manufacture royale de Sèvres.
Alexandre Brongniart, qui avait, depuis plus de quarante ans, dirigé avec beaucoup d'éclat cet établissement à la fois scientifique et artistique, cherchant un savant capable de continuer son oeuvre, choisit Ebelmen, bien qu'il ne le connût encore que par ses travaux. Cette désignation fut ratifiée par le roi Louis-Philippe et le jeune savant fut d'abord adjoint à Brongniart et plus tard, à la mort de celui-ci, en 1847, nommé administrateur titulaire de la manufacture. Les soins dévoués et comme filiaux dont il entoura les dernières années de son protecteur, le zèle qu'il mit à conserver les traditions de Sèvres, tout en ajoutant à sa gloire, furent pour l'illustre vieillard la plus douce des récompenses.
Ebelmen s'attacha à améliorer le sort des ouvriers de la manufacture et celui de leurs familles ; il s'occupa de l'organisation du musée ; enfin, il se voua particulièrement à l'étude des questions qui intéressaient la fabrication de la porcelaine et apporta à cette industrie des perfectionnements fort importants, parmi lesquels il faut noter : la substitution de la houille au bois dans les fourneaux, le développement donné au procédé de coulage, qui permit d'obtenir des pièces de grandes dimensions, d'une légèreté et d'une pureté de forme irréprochables, la rénovation de la fabrication de la porcelaine tendre et de celle des émaux sur métal, qui avaient été délaissées avant lui.
Après la révolution de 1848, il accepta de faire gratuitement, au Conservatoire des Arts et Métiers, un cours public de Céramique, qui eut grand succès et par lequel il fit profiter l'industrie nationale des résultats précieux de ses recherches scientifiques.
Il continuait cependant d'apporter tous ses soins à son enseignement de l'École des Mines et il trouvait encore le temps de traiter des questions nombreuses et diverses devant la Société d'Encouragement pour l'Industrie nationale et pour des commissions officielles.
En 1849, il fut membre du jury central de l'Exposition nationale; en 1851, il représenta l'industrie céramique française à l'Exposition universelle de Londres, comme membre du jury international. A cette occasion, il fut, en Angleterre, l'objet des plus flatteuses marques d'estime de la part des savants les plus considérables, notamment de Michel Faraday, qui, alors dans toute sa gloire, l'invita à assister à côté de lui à la dernière leçon du cours qu'il professait devant l'Institution Royale de Londres et consacra cette leçon tout entière à exposer les travaux du jeune savant français sur la reproduction des minéraux cristallisés et des gemmes.
Quelques mois seulement après son retour en France et la rédaction de son rapport sur l'Exposition, Ebelmen fut atteint d'une fièvre cérébrale et, en quelques heures, enlevé à sa famille, à ses amis, aux admirateurs de cette intelligence si précoce, si originale et, en même temps, si bien pondérée. Il mourut le 31 mars 1852.
Chevreul, au nom de l'Académie des Sciences, qui l'avait plusieurs fois chargé de l'examen des travaux du jeune ingénieur, Dufrénoy comme directeur de l'École des Mines, Dumas comme président de la Société d'Encouragement, Bravais, au nom de la Société philomathique, vinrent exprimer sur cette tombe prématurément ouverte l'affliction et la consternation générales.
Chevreul publia plus tard une longue notice sur la vie et l'oeuvre d'Ebelmen ; l'abbé Besson prononça son éloge devant l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon; Sauvage écrivit une notice excellente sur l'ami, dans l'intimité duquel il n'avait cessé de vivre depuis l'Ecole Polytechnique. Il la terminait ainsi :
Un jugement sain et droit, une grande finesse d'esprit, une intelligence prompte et vive, une étonnante rapidité de conception, une lucidité et une profondeur de vues remarquable, une prodigieuse mémoire distinguaient cette nature privilégiée. Dans chacune de ses recherches, Ebelmen saisissait d'abord le grand côté de la question : il atteignait à une solution neuve, originale, féconde en résultats, sans hésitation et avec une simplicité de moyens, qu'égalait seul l'éclat de la découverte.
Aux dons de l'intelligence et de l'esprit, Ebelmen joignait les plus heureuses qualités du coeur. Il avait cette bonté, cette douceur, cette simplicité, qui sont le propre des âmes élevées, un caractère ferme et modéré, une modestie égale à son talent....
Sa mémoire sera précieusement gardée dans le corps des Ingénieurs des Mines, qu'il a illustré; le temps ne saurait l'effacer dans le souvenir de ceux qui admirent les plus belles facultés de l'intelligence unies aux plus nobles qualités du coeur.
Les travaux d'Ebelmen, bien que se rattachant à des objets variés, ont entre eux un lien commun : c'est l'analyse chimique qui toujours leur a servi de base. Ebelmen maniait l'analyse avec sûreté et toutes ses recherches se sont appuyées sur une connaissance exacte des matériaux qu'il mettait en oeuvre. Mais, en même temps, des connaissances très étendues lui permettaient de tirer de ces premières données des conséquences d'une portée considérable dans les champs d'étude les plus variés.
Quelques-uns de ses mémoires sont essentiellement des travaux de chimie minérale; telles, par exemple, les descriptions et les analyses de la pechblende, du wolfram, du cuivre gris, du kupfernickel, de minerais alcalifères de manganèse ou de minerais de fer arsénifères et chromifères de la Haute-Saône; on lui doit la connaissance de nouveaux composés du titane et de l'uranium; une fois, par hasard, entraîné par l'étude attentive d'un procédé d'analyse, il touche à la chimie organique et il y fait une brillante récolte en découvrant les éthers boriques, siliciques et sulfureux, en même temps que la silice hydratée absolument semblable à l'hydrophane naturelle.
Mais les travaux qui ont le mieux mérité d'attirer l'attention des savants et d'immortaliser son nom sont particulièrement ceux qui se rattachent aux réactions qui se passent dans les foyers métallurgiques, à l'altération lente des minéraux et des roches dans la nature et à la production artificielle des minéraux cristallisés.
Ses premières Recherches métallurgiques datent de 1838; une série de mémoires très remarquables se succédèrent jusqu'en 1844; d'autres parurent seulement en 1851. Pour déterminer la composition des gaz successivement dans les hauts-fourneaux, dans les fours à puddler, dans les fours à réchauffer, il lui fallut inventer des procédés spéciaux, permettant d'aller puiser le mélange gazeux dans les régions les plus chaudes et le plus difficilement accessibles; il appliqua les mêmes procédés à l'étude de la carbonisation du bois dans les meules, à celle de la carbonisation de la houille dans les fours à coke et à l'examen de la combustion dans les foyers des machines locomotives (en collaboration avec Sauvage).
Ces travaux et les déductions très nettes qu'il en tira apportèrent des clartés toutes nouvelles à la science métallurgique, qui marchait encore à tâtons, et permirent d'asseoir sur des bases certaines la théorie de la production de la fonte dans le haut-fourneau et celle de son affinage dans le bas-foyer et dans le four à puddler. Les expériences si complexes de ces différentes opérations sont analysées par le savant ingénieur avec une sagacité véritablement admirable.
Mettant à profit les expériences de Dulong sur les chaleurs de combustion et ses propres recherches, Ebelmen calcule le pouvoir calorifique des mélanges gazeux qui arrivent au gueulard des hauts-fourneaux et explique clairement les avantages que peut donner l'emploi de ces gaz, tenté pour la première fois, en 1810, par un maître de forges français, Aubertot.
Une autre conséquence très inattendue des expériences d'Ebelmen, c'est que des combustibles, qui sont impropres aux usages métallurgiques avec les procédés ordinaires de combustion, tels que des anthracites, des houilles sèches et terreuses, du fraisil de halles, du poussier de charbon, des tourbes, etc., peuvent au contraire développer la chaleur nécessaire au travail du fer, s'ils sont préalablement transformés en combustibles gazeux. Le moyen d'obtenir cette transformation, découvert par Ebelmen, consiste à les soumettre, dans un premier fourneau, appelé générateur, à une combustion partielle à l'aide d'une quantité d'air limitée ; on obtient ainsi un mélange de gaz, oxyde de carbone, hydrogène et hydrocarbures, susceptibles de brûler dans le véritable foyer métallurgique en développant une température extrêmement élevée. C'est donc à Ebelmen que revient l'honneur d'avoir inventé, et ce système nouveau de combustion, et cet appareil de transformation du combustible solide en combustible gazeux, le générateur, qui a reçu de nos jours de très nombreuses et importantes applications.
Grâce à de nouveaux perfectionnements, qui lui permettent, non seulement de fournir un chauffage souvent plus économique et plus intense que les autres fourneaux, mais aussi de donner une atmosphère plus égale, mieux réglée et mieux connue, le générateur est devenu aujourd'hui l'instrument de chauffage le plus apprécié dans les forges, les aciéries, les verreries, etc. Bien que le premier générateur imaginé par Ebelmen ne présentât pas toutes les qualités pratiques, qui donnent aujourd'hui à ce genre d'appareil sa grande supériorité, il n'est que juste de faire remonter au savant Ingénieur des mines la gloire de cette invention si féconde et de voir en lui, comme en son maître, Berthier, un des principaux initiateurs de la Métallurgie moderne.
La publication des Recherches sur la décomposition des minéraux et sur celle des roches silicatèes date de 1845 et 1848; un troisième Mémoire sur les Altérations des roches stratifiées fut le dernier travail présenté par Ebelmen à l'Académie des Sciences (22 décembre 1851).
Comparant, au moyen d'un très grand nombre d'analyses, la composition des minéraux inaltérés à celle des mêmes espèces minérales, lorsqu'elles ont été profondément altérées par les agents atmosphériques, l'auteur arrive à cette conclusion que les actions réunies de l'eau, de l'air et de l'acide carbonique ont déterminé l'entraînement par dissolution d'une partie de la silice et des bases autres que l'alumine et l'oxyde de fer. La composition du produit final se rapproche de plus en plus de celle d'un silicate hydraté d'alumine, c'est-à-dire d'une argile. Les argiles des terrains stratifiés n'ont pas d'autre origine que le remaniement par les eaux des produits de l'altération des roches silicatées.
Ces conclusions sont de la plus haute importance pour la géologie; car elles donnent la clef de la formation d'un très grand nombre de gîtes minéraux; elles ont, en outre, de fécondes applications pour l'agronomie, puisqu'elles établissent, au moins pour certains terrains, une relation directe entre la nature minéralogique du sous-sol et la composition du sol végétal.
Ebelmen aborda, par la même occasion, un autre problème géogénique fort intéressant. Il remarqua que l'acide carbonique, dégagé en abondance dans les phénomènes volcaniques et sans doute aussi dans la formation plus ou moins ancienne de toutes les roches ignées, se trouve plus tard précipité et fixé par la chaux, résultant de la décomposition des roches ignées elles-mêmes. De même, la décomposition continuelle de sulfates au sein des mers sous l'influence des matières organiques donne naissance à des pyrites de fer, comme celles qu'on trouve disséminées à l'état pulvérulent dans un grand nombre de calcaires bleuâtres; il y a, en même temps, restitution d'oxygène à l'atmosphère. Des phénomènes inverses se passent dans l'altération des roches ; car les pyrites qu'elles contiennent éprouvent une combustion lente et laissent un résidu d'oxyde de fer. Ces deux sortes de phénomènes, inverses les uns des autres, deviennent, par leur balancement, un double régulateur de la composition de notre atmosphère.
Par des considérations de ce genre, étayées sur des observations très exactes, Ebelmen laissait une empreinte ineffaçable dans le domaine de la Géologie et de la Physique du globe.
Cependant une autre série de recherches firent encore une sensation plus profonde sur le monde savant, de 1847 à 1851. Ebelmen parvint à produire, à l'état de cristaux parfaits, des composés identiques par leurs formes, leur densité, leur dureté, leur action sur la lumière polarisée, etc., aux gemmes ou pierres précieuses, que l'on trouve dans la nature et que l'on sait être caractérisées par leur insolubilité et leur résistance aux différents agents d'altération. Il créa une véritable méthode de synthèse des minéraux par la voie sèche.
Imitant ce qui se passe dans la voie humide, lorsque l'évaporation de dissolutions salines laisse des combinaisons cristallisées, Ebelmen imagina de dissoudre à haute température les éléments des corps à former ou au moins à faire cristalliser, en se servant d'une matière susceptible de se liquéfier d'abord, puis de s'évaporer lentement; l'évaporalion de la matière dissolvante laisse peu à peu les corps qu'elle contenait prendre une forme régulière.
Il se servit de l'acide phosphorique et des phosphates alcalins, puis du borate de soude et surtout de l'acide borique, enfin, plus tard, des carbonates de polasse et de soude. Il profita, pour ses expériences, des fours à porcelaine de Sèvres et, plus tard, des fours à feu continu de Bapterosses, fabricant de boutons en pâte céramique, qui lui permirent d'opérer à de très hautes températures et pendant un temps fort long.
Il obtint ainsi divers minéraux cristallisés de la famille des spinelles, formés par la combinaison d'un sesquioxyde avec un protoxyde, équivalent à équivalent : le spinelle blanc (aluminate de magnésie) ; des spinelles colorés en rouge, en rosé, en bleu, comme les gemmes recherchées pour la joaillerie; des aluminates à base de protoxyde de fer (pléonaste), de zinc (gahnite), de cobalt, de manganèse; des chromites des mêmes bases (tels que le fer chromé) ; des ferrites (tels que celui de zinc ou franklinite) ; l'aluminate de gluciné (cymophane), cristallisé dans une tout autre forme que les spinelles ; l'alumine pure (corindon), la glucine pure, qu'il trouva isomorphe avec l'alumine ; le silicate d'alumine et de glucine (émeraude) et différents autres silicates infusibles à la température de nos fourneaux, mais dont plusieurs existent dans la nature. Il produisit aussi des cristaux de borates d'alumine et de magnésie, de titanate de chaux (perowskite), des oxydes de nickel, de cobalt, de manganèse, de fer, de titane, de niobium, de tantale.
La voie qu'il ouvrait ainsi à la Science fut continuée après lui par de savants minéralogistes armés de méthodes nouvelles. Le nombre des minéraux obtenus artificiellement est aujourd'hui considérable et nous pouvons constater avec fierté que les savants français ont pris une part prépondérante dans l'édification de cette branche de la Minéralogie, créée par Ebelmen, aussi bien que dans les hautes conceptions de la Cristallographie fondée par les Romé de Lisle, les Haüy, les Delafosse, les Bravais, les Mallard.
Ebelmen voyait lui-même dans ses premiers succès de synthèse des minéraux « un point de départ pour de nouvelles expériences » et il signalait, dans une de ses dernières communications à l'Académie des Sciences (17 novembre 1851) les conséquences que l'on pouvait tirer de ses recherches au point de vue géologique; car l'action simultanée de la chaleur et des agents chimiques, dont il avait entrepris l'étude dans les fourneaux et les creusets, devait s'être produite sur des proportions remarquables dans les phénomènes de métamorphisme, qui ont eu lieu lors de l'arrivée des masses de roches ignées au contact des terrains préexistants.
Une intelligence aussi claire et aussi bien préparée à de semblables travaux aurait poussé bien loin les déductions de ses belles découvertes, si la mort brutale n'avait tranché de trop bonne heure une existence si pleine de promesses.
ADOLPHE CARNOT, de l'Institut.
Extrait de Annales des Mines, 1852, tome 2, 2eme partie, pages 77 et suiv. :
Il y a près d'un an qu'une mort prématurée enlevait au corps des mines un de ses jeunes ingénieurs les plus distingués; à la science, un savant éminent ; à ses condisciples et à ses camarades, le meilleur des amis; à une famille désolée, celui qui faisait son bonheur et sa gloire.
Le 31 mars 1852, Jacques-Joseph EBELMEN, ingénieur en chef des mines, chevalier de la Légion d'honneur, administrateur de la manufacture de porcelaine de Sèvres, professeur à l'Ecole des mines et au Conservatoire des arts et métiers, membre de la Société d'encouragement, mourait à Sèvres d'une maladie qui, en quelques heures et en dépit des soins les plus dévoués, détruisit une jeune et vigoureuse organisation. Et, comme s'il eût été l'âme de sa famille, en même temps qu'il en était l'amour et l'orgueil, à peine la tombe s'était-elle fermée sur lui qu'elle s'ouvrit et pour son vieux père, qu'avait distingué l'étude des sciences mathématiques, et pour son jeune frère, déjà honoré des hautes fonctions de la magistrature.
Ebelmen naquit à Beaume-les-Dames (Doubs) le 10 juillet 1814,commença ses humanités en 1822, et, après une suite non interrompue de succès, termina sa rhétorique à la fin de 1828, à peine âgé de quatorze ans. Il fit ses études de mathématiques élémentaires au collège Henri IV et celles de mathématiques spéciales au collège de Besançon. Admis à l'École polytechnique en 1831, il se trouva l'un des plus jeunes élèves dt sa promotion, et s'y fit remarquer par cette facilité de conception et cette solidité de jugement dont il donna tant de preuves par la suite. Il sortit de l'École l'un des premièrs et prit rang, en 1833, dans le corps des mines. A la suite de brillants examens, il quitta en 1836 l'École des mines, premier de sa promotion , et fut envoyé à Vesoul pour y remplir les fonctions d'ingénieur ordinaire. Il reçut le grade d'aspirant ingénieur le 2 juillet 1837, et celui d'ingénieur ordinaire de deuxième classe le 30 janvier 1839.
Ses remarquables travaux et ses études chimiques au laboratoire de Vesoul furent bientôt distingués et le firent nommer, le 18 décembre 1810, adjoint au professeur de docimasie de l'École des mines, M. Berthier. Cet excellent maître avait depuis longtemps apprécié Ebelmen, et lui portait la plus grande affection. Au commencement de 1841, Ebelmen fut attaché à la commission des Annales des mines comme secrétaire adjoint, et, vers la même époque, nommé répétiteur du cours de chimie à l'École polytechnique.
A la demande de M. Brongniart, bon juge du savoir et du talent, une décision du roi Louis-Philippe, du 5 avril 1845, appela Ebelmen à la manufacture de Sèvres avec le titre d'administrateur adjoint. Un arrêté ministériel du 16 décembre 1845 le nomma professeur titulaire de docimasie à l'École des mines. Il fut fait chevalier de la Légion d'honneur par ordonnance royale du 26 avril 1846, et élevé le 25 juin 1847 à la première classe de son grade d'ingénieur ordinaire. Quelques mois plus tard, le 14 octobre 1847, à la mort du savant illustre qui l'avait désigné pour son collaborateur à la manufacture de Sèvres, Ebelmen devint, par décision royale, administrateur de cet établissement à la fois scientifique et artistique. Un décret du 8 mars 1852 lui conféra le grade d'ingéniear en chef des mines.
Les commencements de la carrière d'Ebelmen furent marqués par des succès ; sa facilité à apprendre, sa mémoire extraordinaire le placèrent continuellement au premier rang. Plus jeune de trois ou quatre ans que tous ses condisciples , il fut constamment à leur tête. Son goût prononcé pour les sciences naturelles se manifesta dès son jeune âge ; déjà , avant d'entrer à l'École polytechnique, il avait, en minéralogie et en chimie, des connaissances étendues que les meilleurs élèves possèdent rarement d'aussi bonne heure. A peine installé dans sa résidence de Vesoul , il suivit avec ardeur sa vocation , et préluda par de remarquables travaux docimastiques et chimiques aux brillantes recherches qui plus tard l'ont conduit au premier rang dans la science. Ses premiers travaux portent ce cachet de netteté et d'originalité qui caractérise toutes ses telles découvertes dans le domaine de la minéralogie et de la métallurgie, et en lisant les premières notices, les premiers mémoires d'Ebelmen, il était facile de préjuger l'avenir scientifique qui lui était réservé et qui lui avait été prédit dès l'École polytechnique.
Pendant la période de 1837 à 1841, étant ingénieur de l'arrondissement de Vesoul, il publia successivement dans les Annales des mines un grand nombre d'analyses et de mémoires dont voici l'énumération :
Un Nouveau Procédé pour analyser les minerais de manganèse ;
Un Moyen de reconnaître la présence au sélénium dans le soufre ;
Une Note sur une nouvelle espèce de sous-sulfate de fer trouvé dans les mines de Ronchamps (Haute-Saône) ;
L'Analyse d'un péridot produit dans le haut-fourneau de Seveux ;
Une Notice sur des expériences relatives à l'emploi du bois nature dans les hauts-fourneaux. C'est là le premier travail par lequel Ebelmen entre résolument dans l'étude qu'il a laissée si loin de la chimie métallurgique. Il résout , par des expériences précises et de la plus grande clarté , la question, fort controversée à cette époque , des modifications qu'éprouvait, en descendant dans le fourneau , le bois en nature dont on se servait en remplacement d'une partie du charbon. Ses expériences ont appris que les matières volatiles que dégage le bois en se carbonisant ne pouvaient être utilisées dans les hauts-fourneaux, ni pour produire de la chaleur, ni pour opérer la réduction du minerai; elles ont permis d'expliquer les modifications observées dans l'allure des hauts-fourneam lors de l'emploi du bois en nature.
La Description d'un nouveau procédé d'analyse chimique. Ce procédé, aussi simple qu'élégant, permet d'évaluer exactement la quantité d'oxygène absorbée par un corps pendant que s'opère sa dissolution dans un acide. Il peut être appliqué dans un grand nombre de cas, et sert à résoudre des combinaisons qui jusqu'alors restaient obscures et incertaines; Ebelmen en a fait usage dans plusieurs recherches analytiques.
Un Examen des produits de l'altération spontanée du houilles pyriteuses de la mine de Corcelle ;
L'Analyse de l'hématite rouge arsénifère, de Bucey-les-Gy ;
1'Analyse élémentaire de quelques bitumes minéraux ;
Une Note sur la présence du chrome dans les minerais de fer de la Haute-Saône. Ebelmen découvrit que presque tous les minerais en grains de la Haute-Saône renferment du chrome, quelques-uns même en proportion appréciable à l'analyse. Il en découvrit également dans les minerais oolithiques du terrain néocomien du Jura. Il remarqua que les minerais hydroxydés qui se rencontrent à la base de l'oolithe inférieure n'en renferment aucune trace.
Un premier Travail sur la composition des gaz des hauts-fourneaux , et sur le parti qu'on peut en tirer comme combustible. Dans ces recherches, Ebelmen se contenta de faire l'analyse des gaz pris au gueulard des hauts-fourneaux dans différentes circonstances de roulement.
Un Essai sur la réduction des minerais de fer dans les hauts-fourneaux. Les différents minerais qu'il retira du fourneau à diverses hauteurs étaient analysés, et il appréciait ainsi les progrès qui s'effectuent dans leur réduction à mesure qu'ils descendent vers le creuset.
Une Note sur le parti qu'on peut tirer dans les arts des résidus de la préparation du chlore.
L'analyse des divers minerais en grains de la Haute-Saône. La composition des mines grises est comparée à celle des mines rouges , et l'auteur, s'appuyant sur d'ingénieuses considérations géologiques, a tiré de cette étude quelques conséquences relatives aux causes qui peuvent avoir modifié, dans le sol même, la composition de ces minerais.
L'Analyse des eaux d'un puits creusé dans les schistes du lias supérieur à Vesoul; celle du calcaire magnésien de Bucey-les-Gy, qui s'est trouvé être une dolomie bien caractérisée.
Des Recherches sur la présence de l'arsenic dans les minerais de fer de la Haute-Saône, d'où il conclut que tous ces minerais en renferment des quantités appréciables.
La Description d'un oxyde de manganèse natif alcalifère à Gy (Haute-Saône). Cette espèce, dont on doit la découverte à Ebelmen, remplit des cavités irrégulières dans les calcaires du deuxième étage jurassique. Son aspect fibreux, son peu de dureté, sa composition chimique caractérisée par la présence d'environ 4 % de potasse, la distingue nettement des autres minerais de manganèse connus.
Un Mémoire sur la chaleur de combustion du carbone et de l'oxyde de carbone. Ebelmen a donné dans cet intéressant travail une nouvelle preuve de la netteté et de la puissance de son esprit. Il a déduit, des recherches de Dulong sur les chaleurs de combustion, ce résultat qui présente un grand intérêt théorique et une grande importance par ses applications à la théorie des fourneaux, savoir : l'abaissement considérable de température et l'absorption de chaleur latente qui ont lieu dans la transformation de l'acide carbonique en oxyde de carbone. Les phénomènes de la combustion du charbon de bois, si différents de ceux du coke dans les foyers métallurgiques, furent expliqués par ce principe.
Cette série de belles recherches accomplies en province en quatre années, et dans les rares moments de loisir dérobés à ses devoirs administratifs, devaient conduire Ebelmen sur un plus vaste théâtre. C'est à Paris, au milieu des savants qui l'aimaient, avec les ressources des laboratoires de l'École des mines, de l'École polytechnique et de la manufacture de Sèvres, qu'Ebelmen conçut et exécuta depuis les grands travaux qui l'ont illustré.
Continuant ses expériences métallurgiques, Ebelmen fit alors de ses Recherches sur la composition et l'emploi des gaz des hauts-fourneaux, l'objet d'un deuxième mémoire (1841, Annales des mines). Ce mémoire comprend les résultats de deux séries d'expériences faites sur les hauts-fourneaux de Clairval et d'Audincourt (Doubs). Les gaz qui circulent dans le haut-fourneau de la tuyère au gueulard, pris en divers points de la hauteur de l'appareil, furent analysés. Ebelmen put ainsi déterminer, à l'aide de plus de quarante analyses, les changements successifs de la composition de la colonne gazeuse, et en déduire une théorie complète des phénomènes qui se passent dans le haut-fourneau, ainsi que l'évaluation de la valeur calorifique des gaz en plusieurs régions de la hauteur.
La première idée de l'établissement de constructions propres à être chauffées par la flamme perdue des hauts-fourneaux est due à un maître de forges français, M. Aubertot. Cette découverte, signalée par M. Berthier, était restée longtemps à peu près sans application ; Ebelmen a jeté la plus vive lumière sur la composition et la puissance calorifique des gaz extraits des hauts-fourneaux ; il les a étudiés avec sa sagacité ordinaire à l'aide d'appareils simples et ingénieux, et il est arrivé ainsi à la théorie la plus complète du haut-fourneau et à celle de l'emploi de ces gaz comme combustible. Il a tiré ces conclusions pratiques qui intéressent à un si haut degré la métallurgie, savoir : qu'il serait avantageux, dans beaucoup de cas, de brûler des combustibles à l'état gazeux plutôt qu'à l'état solide, et qu'il serait possible de développer la chaleur nécessaire au travail du fer en employant des anthracites, des houilles sèches et terreuses de mauvaise qualité, du fraisil des halles, du poussier de charbon, des tourbes, etc., qui ne peuvent l'être, du moins avantageusement, dans les procédés ordinaires de combustion. Ce grand travail a été l'objet d'un rapport à l'Académie des sciences, où il a reçu le plus bienveillant accueil. Le savant rapporteur, M. Chevreul, justifiait la longueur de son rapport par l'importance du sujet, les difficultés qu'il présentait, l'habileté avec laquelle elles avaient été surmontées et la précision des résultats obtenus. « Grâce à ces recherches, disait-il, nous avons maintenant une idée juste de ce qu'est un haut-fourneau, nous savons que la température élevée de la moitié inférieure de l'ouvrage n'est développée qu'à la condition d'un grand abaissement de température, résultant de la transformation de l'acide carbonique, premier produit de la combustion, en oxyde de carbone, et mous savons de plus que, par une sorte de compensation, cet oxyde est capable de réduire, dans la cuve, les 4/5 du mimerai; enfin nous savons qu'il y a moins que le tiers de la chaleur développée qui soit employée utilement, et dès lors nous sommes en mesure d'apprécier toutes les conséquences utiles de l'heureuse idée qu'a eue M. Aubertot de tirer parti de la flamme perdue de ses hauts-fourneaux. Des travaux comme ceux de M. Ebelmen, continue le rapporteur, ne peuvent être trop encouragés, non-seulement par l'administration qui y préside, mais encore par l'Académie ; car l'application des éléments théoriques anx grandes opérations des arts offre un excellent moyen de contrôler ces éléments, en même temps qu'elle peut conduire à des découvertes purement scientifiques, par l'occasion qu'elle fournit souvent d'apercevoir des phénomènes qui ne peuvent être prévus dans le cabinet ni se manifester à l'observation dans un laboratoire. » L'Académie donna une éclatante approbation aux travaux d'Ebelmen et l'engagea à continuer ses recherches.
La réputation d'Ebelmen comme savant métallurgiste avait pris naissance lors de la publication de son premier mémoire sur les gaz et sur le parti qu'on peut en tirer comme combustible; elle reçut un vif éclat de ce second travail et des recherches qui le suivirent sur le même sujet. Excité en effet par les encouragements de l'Académie, Ebelmen publia successivement, en 1843 et 1844, des Recherches sur la composition des gaz des foyers d'afflnerie, Sur la production et remploi des jas combustibles dans les arts métallurgiques, Sur la carbonisation du bois, Sur la composition des gaz des foyers métallurgiques, Sur une expérience relative à la carbonisation du bois en meule, Sur les générateurs à gaz des usines d'Audincourt. Il fit connaître en 1851 de Nouvelles études sur la composition des gaz des hauts-fourneaux et sur la théorie de ces appareils, et publia quelque temps après ses Recherches sur la composition des gaz qui se dégagent des fours à coke. Ces divers travaux furent l'objet de deux nouveaux rapports à l'Académie des sciences et, par suite, des éloges les plus flatteurs de ce corps savant. Le premier de ces rapports, à la date du 1er juillet 1844 (t. XIX des Comptes rendus), comprend l'examen des travaux de 1843 à 1844 ;le second (t. XXII des Comptes rendus) est relatif aux nouvelles recherches de 1851.
Dans ses recherches sur les feux d'affinerie, Ebelmen a entrepris d'expliquer toutes les circonstances de transformation de la fonte en fer et d'obtenir enfin la théorie de cette opération, simple en apparence, extrêmement compliquée en réalité. Ses efforts ont été couronnés de succès, et il est remarquable de voir avec quelle sagacité l'auteur a analysé des phénomènes si complexes. Il démontre que dans la première période de l'affinage, la fonte perd du carbone et du silicium par réaction sur l'oxygène de l'oxyde de fer qui y est mêlé ou ajouté. Il se produit alors de l'oxyde de carbone et de la silice, et du fer se trouve réduit. La chaleur développée par la combustion du carbone et du silicium est loin de compenser celle qui est nécessaire à la séparation de l'oxygène du fer ; il doit donc alors y avoir refroidissement. Dans la deuxième période, la combustion du carbone, du silicium et d'une petite quantité de fer devant les tuyères occasionne un grand développement de chaleur; mais comme la réaction continue encore dans la masse entre le reste du carbone combiné et l'oxyde de fer, une portion de la chaleur développée par cette combustion devient latente. Enfin, dans la première période, les gaz dégagés contenant un excès de matières combustibles et pas d'oxygène libre sont d'un emploi plus avantageux pour chauffer les fours annexés aux foyers comtois que ne le sont les gaz produits dans la deuxième période, ceux-ci renfermant de l'oxygène avec une moindre proportion d'éléments combustibles.
Dans ses recherches sur la composition du gaz des foyers métallurgiques, Ebelmen, étudiant les hauts-fourneaux au coke, justifie les conclusions théoriques de ses premiers travaux sur les fourneaux au charbon de bois, tout en montrant les causes de l'influence de la nature différente du combustible sur les circonstances du roulement. Il y a bien plus de chaleur développée dans un fourneau au coke que dans un haut-fourneau au charbon de bois, et la théorie est ici parfaitement d'accord avec la pratique, puisque l'on sait que, dans ces appareils, deux parties de coke équivalent à une partie seulement de charbon de bois. Ebelmen fait voir que ce résultat tient à ce que le charbon de bois se prête bien plus facilement que le coke, soit à produire de l'acide carbonique en s'unissant directement avec l'oxygène, soit à produire l'oxyde de carbone en s'unissant avec l'acide carbonique déjà formé. Cette différence de disposition explique encore pourquoi la région du haut-fourneau, comprise entre la tuyère et la limite où la colonne ascendante ne contient plus d'acide carbonique, est plus étendue quand on brûle du coke que lorsqu'on emploie du charbon de bois ; et si l'on considère que la réduction du minerai est achevée à une plus grande distance de la tuyère, on comprendra que la fonte obtenue avec le coke, une fois arrivée dans la région de la tuyère, sera bien plus exposée à s'affiner et même à s'oxyder par la double action de l'oxygène atmosphérique et de l'acide carbonique, que ne l'est la fonte obtenue avec le charbon de bois, à moins qu'on ne corrige cette tendance en employant, pour la fusion d'un même poids de minerai, plus de coke que de charbon de bois. Poursuivant ces conclusions si simples, Ebelmen explique un grand nombre de faits concernant ce qu'on appelle l'allure des hauts-fourneaux. Il montre qu'il y a plus de motifs encore pour employer les gaz des fourneaux à coke qu'il n'y en a pour utiliser ceux des fourneaux au charbon de bois. L'analyse des gaz des cubilots marchant au coke explique non moins simplement pourquoi, contrairement à ce qui se passa dans les hauts-fourneaux, le coke est dans les cubilots trois à quatre fois plus avantageux que le charbon, résultat qui semblait contradictoire sans la théorie d'Ebelmen.
Des analyses des gaz des cheminées de fours à puddler et à réchauffer et la description de nouvelles expériences sur la transformation complète des combustibles minéraux en gaz, dans les générateurs, terminent ses recherches sur les combustibles. Des conclusions dignes d'intérêt viennent pour ainsi dire au-devant du savant, et chaque pas qu'il fait porte la lumière dans les questions les plus obscures.
Les études sur la carbonisation des bois en meule complètent ce bel ensemble de recherches. Ebelmen trouve que le bois se partage en deux parties, que l'une est consumée pour fournir la chaleur nécessaire à la distillation de l'autre, et que la combustion de la première portion résulte uniquement de l'union du carbone avec l'oxygène atmosphérique, cet oxygène se portant sur le charbon solide plutôt que sur les gaz combustibles auxquels la distillation du bois donne lieu, par la raison que ces gaz sont mélangés de vapeur d'eau et d'azote, que leurs chaleurs spécifiques sont très-grandes, et que leur température est inférieure à celle qui leur permettrait de prendre feu. Ebelmen conclut de ces recherches que la seule économie à apporter dans la carbonisation en meule consisterait à opérer le développement de la chaleur par des charbons ou des débris de bois de peu de valeur. Il lui paraît enfin difficile d'appliquer avec succès ce mode de carbonisation en meule à la production du charbon roux; et il est bon de rappeler qu'à l'époque où cette opinion fut émise, la production du charbon roux en forêt avait de nombreux partisans.
Les recherches faites en 1851 sur la théories des fourneaux confirment nettement les conclusions des premiers mémoires. Il substitua dans ses analyses la méthode eudiométrique à l'oxyde de cuivre; les résultats furent identiques.
Le travail sur la composition des gaz des fours à coke complète l'histoire chimique de la carbonisation. Les conclusions, selon l'habitude d'Ebelmen, sont d'une grande précision : plus des deux tiers de l'hydrogène de la houille sont brûlés pendant la carbonisation; les produits gazeux des fours à coke renferment une grande quantité de chaleur utilisable ; mais il faut les brûler très-près des fours, parce qu'ils sont pauvres en principes combustibles et ne peuvent par conséquent être enflammés par un excès d'air que lorsqu'ils se trouvent encore à une très-haute température; on doit pouvoir arriver, sans trop de difficulté, à produire dans ces fours à peu près autant de coke que la houille en donne en vases clos, dernière conclusion digne de toute l'attention des exploitants et qui intéresse au plus haut degré une foule d'industries.
Telle est la série des travaux métallurgiques d'Ebelmen poursuivis pendant plusieurs années avec autant de persévérance que de talent. Ils seront toujours cités, selon les paroles de l'académicien rapporteur, comme un des premiers exemples où la science du physicien et du chimiste a concouru avec le savoir de l'ingénieur à éclairer et à approfondir un des sujets les plus importants de la métallurgie. Nous devons regretter que le temps n'ait pas été donné à Ebelmen de soumettre à une révision générale l'ensemble des travaux qu'il a successivement publiés, et de les coordonner dans un ouvrage spécial de manière à donner du développement à quelques explications théoriques ; c'eût été sans contredit l'un des plus beaux monuments de la science métallurgique.
Ebelmen avait enfin entrepris, avec notre collaboration , une série d'expériences ayant pour objet l'analyse des produits gazeux de la combustion dans les foyers des machines locomotives. Les résultats obtenus dans un nombre considérable d'analyses font entrevoir la possibilité d'établir une théorie définitive de ces foyers intéressants qui, jusqu'à ce jour, ont été construits d'après des idées souvent contradictoires. On peut déjà affirmer qu'ils sont bien plus parfaits qu'on n'est généralement porté à le croire, et que la combustion y est beaucoup plus complète que dans les foyers des machines fixes à vapeur.
L'expérimentation a été faite sur les trois types de machines locomotives du chemin de Lyon : machines à voyageurs à roues libres, machines mixtes à quatre roues accouplées, machines à marchandises à six roues accouplées.
La composition et la nature des gaz. varie nécessairement avec la quantité d'air qui traverse le combustible, et cette quantité dépend, comme on le sait, de la tension de la vapeur au sortir de l'orifice d'échappement. La proportion de l'acide carbonique que contiennent les gaz est, en général, plus grande que dans les foyers ordinaires des machines fixes, tandis que la proportion d'oxygène libre correspondant à l'excès d'air appelé y est moindre; résultat qui est évidemment en rapport avec un accroissement de l'effet utile du combustible. Dans les expériences sur les machines à voyageurs et sur les machines mixtes la proportion de l'acide carbonique s'est élevée en effet de 12,42 à 18,49 % du volume des gaz sans qu'il y ait eu aucune production d'oxyde de carbone : et ce résultat se rapproche d'une manière très-remarquable du nombre 20,80 qui représente la proportion d'acide carbonique dans une combustion théorique où tout l'oxygène de l'air serait transformé en acide carbonique.
La combustion se fait avec d'excellentes conditions dans les machines à voyageurs et dans les machines mixtes, pourvu que le feu y soit conduit selon certains principes, certaines règles bien définies aujourd'hui et que les meilleurs mécaniciens pratiquent. Ces foyers ne produisent presque point d'oxyde de carbone ; il est rare en effet que la proportion de ce gaz ait dépassé 2 %.
Les machines à marchandises dont le foyer plus profond est souvent chargé d'une grande épaisseur de coke, produisent une plus forte quantité d'oxyde de carbone ; la quantité s'est élevée souvent jusqu'à 7,58 % avec une charge de coke de 1,09 m. La composition des gaz varie d'ailleurs dans les différentes rangées de tubes. Il ne sera certainement pas impossible de trouver telle disposition qui permette de brûler utilement cet oxyde de carbone et d'améliorer ainsi la combustion dans ces machines.
Pendant le stationnement des locomotives ou après la fermneture du régulateur, les gaz présentent une proportion plus forte encore d'oxyde de carbone; elle peut aller jusqu'à 12 % de leur volume. Ces résultats sont parfaitement d'accord avec les différences de consommation qu'on observe dans la pratique de la conduite de ces diverses machines. Ils indiquent une limite de hauteur de coke sur la grille qu'il est nuisible de dépasser, et toute l'économie qu'on peut attendre de l'emploi intelligent de la détente et de l'échappement variable pour régler convenablement le tirage d'après la hauteur du combustible.
Tout en poursuivant sans relâche les expériences que nous tenons d'analyser et les admirables recherches sur la formation des cristaux dont nous allons bientôt parler, Ebelmen s'occupait de travaux nombreux et variés qui ont été pour la plupart insérés dans les Annales de physique et de chimie et dans les Comptes rendus de l'Académie. Ainsi il étudia quelques composés de l'urane (1842) ; il fit l'Exposé d'une méthode four extraire l'urane de la pechblende, - la Description du peroxyde d'urane anhydre et de deux hydrates de cet oxyde qui n'avaient pas encore été obtenus à l'état de pureté, - la préparation, l'examen cristallographique et l'analyse de plusieurs sels simples et doubles d'urane ; - des Expériences sur la détermination du poids atomique de ce métal ; - enfin l'exposé d'une Méthode analytique pour reconnaître qualitativement et doser exactement l'urane dans quelques cas où les méthodes connues jusqu'alors étaient insuffisantes. Il rédigea (1843) une Note sur la constitution chimique de la pechblende dans le but de fixer la composition de l'oxyde d'urane; - une Note sur le dosage du manganèse, - une autre Note sur la composition du wolfram. Il fit voir que, contrairement à une opinion reçue, ce minéral renferme de l'acide tungstique et non de l'oxyde de tungstène. Il y reconnut en outre de la magnésie et de la chaux qui n'y avaient pas encore été signalées. Il inséra encore dans les Annales de chimie un mémoire sur un nouveau chlorure de titane et sur quelques autres combinaisons de ce métal ; - une Note sur un nouveau mode d'emploi de l'hydrogène sulfuré dans l'analyse chimique ; - un Mémoire sur un nouveau procédé de séparation des alcalis et de la magnésie et d'analyse de minéraux alcalifères (1847); et dans les Annales des mines, une Description du cuivre gris de Mouzaïa, ainsi qu'une Analyse du kupfernickel d'Ayer (Haut-Valais).
A peine nommé répétiteur à l'École polytechnique, nous disait M. Dumas en prononçant de touchantes paroles sur la tombe d'Ebelmen, il cédait au charme qui attire tous les jeunes chimistes vers l'étude de la chimie organique. Il n'y a fait qu'une apparition, mais si brillante et si féconde que, tant que la chimie organique sera cultivée, les éthers silicique et borique, leurs propriétés extraordinaires, la découverte de l'hydrophane artificielle qui en dérive, demeureront liés au nom d'Ebelmen leur inventeur. C'est alors, en effet, qu'il entreprit ses recherches sur les combinaisons des acides borique et silicique avec les éthers, et qu'il décrivit des combinaisons qui ont fourni le premier exemple d'un acide produisant plusieurs éthers composés, lesquels présentent tous le même caractère de neutralité. Soumettant l'un des éthers siliciques liquides à l'action prolongée d'une atmosphère humide, il obtint de la silice hydratée en masses diaphanes qui deviennent, avec le temps, assez dures pour rayer le verre. Ce produit présente de l'analogie avec la variété de quartz nommée hyalite. Il obtint par le même procédé, à l'aide de l'éther silicique encore acide ou de l'alcool mêlé de chlorure de silicium, une matière en tout semblable à l'hydrophane naturelle. Avec la collaboration d'un jeune chimiste , M. Bouquet, il publia un mémoire sur de nouvelles combinaisons de l'acide borique avec les éthers et sur l'éther sulfureux, où il fait connaître un nouvel hydrate d'acide borique correspondant au borax fondu et l'éthier sulfureux qui n'avait pas encore été obtenu.
Jusqu'à présent nous avons vu Ebelmen résolvant les plus hauts problèmes de la métallurgie, traitant avec succès de grandes questions de chimie organique, produisant artificiellement par voie humide des minéraux siliceux; nous allons le suivre sur un nouveau terrain ; nous le verrons s'élever de l'analyse de quelques terres et de quelques roches aux considérations les plus neuves sur les grandes causes qui peuvent troubler la composition de l'air atmosphérique et appliquer d'une manière brillante et toujours avec la même simplicité la science chimique à l'histoire géologique du globe : nous voulons parler des mémoires qui ont pour titre :
Recherches sur les produits de la décomposition des espèces mnérales de la famille des silicates (1845) ;
Recherches sur la décomposition des roches (2e mémoire, 1848);
Et enfin, Recherches sur les altérations des roches stratifiées sous l'influence des agents atmosphériques et des eaux d'infiltration (22 décembre 1851 ). C'est le dernier travail qu'il fut donné à Ebelmen de présenter à l'Académie.
Ces recherches sur la décomposition des roches ont une très-toute portée géologique. L'analyse d'un très-grand nombre de roches l'a conduit aux conclusions suivantes : Dans la décomposition des silicates ne contenant pas d'alumine, on trouve constamment que la silice, la chaux et la magnésie sont éliminées; mais tantôt le fer reste dans le résidu de la décomposition à l'état de peroxyde, tantôt il disparaît avec les autres bases : dans ce dernier cas la décomposition du silicate ne laisse aucun résidu. - Dans la décomposition des silicates contenant de l'alumine et des alcalis avec ou sans les autres bases, l'alumine se concentre dans le résidu en retenant une portion de la silice et en fixant de l'eau, tandis que les autres bases sont entraînées avec le reste de la silice. Le produit final se rapproche de plus en plus d'un silicate d'alumine hydraté, d'une argile. Ces deux principes nettement posés sont d'une fécondité remarquable pour l'explication d'un grand nombre de faits dans la constitution des terrains du globe. Presque toutes les roches d'origine ignée renferment de l'alumine et donnent, par conséquent, un résidu argileux quand ils se décomposent sous l'influence de l'atmosphère. Ebelmen nous montre que l'on ne saurait attribuer à l'argile des terrains stratifiés une autre origine que l'entraînement mécanique des résidus provenant de l'altération et de la décomposition des roches ignées. Bientôt il pousse jusqu'aux dernières limites les résultats de son travail analytique, et les jugeant avec sa profondeur habituelle, il aborde et résout une question des plus importantes pour l'histoire naturelle du globe, à savoir : la rapports qui existent nécessairement entre les phénomènes de l'altération des roches et la composition de l!air atmosphérique. Les diverses bases qui se séparent de la silice par la décomposition des roches ignées déterminent en effet, en se peroxydant et en se carbonatant, la précipitation, la minéralisation de l'oxygène et de l'acide carbonique. Ce dernier élément surtout est absorbé en grande quantité, et un calcul bien simple montre qu'une faible épaisseur de roche plutonique décomposée suffirait pour la précipitation et l'absorption complète de l'acide carbonique contenu dans l'atmosphère. Or les couches argileuses des terrains stratifiés accusent la décomposition de masses immenses de roches plutoniques et, par conséquent, la précipitation de quantités d'acide carbonique hors de toute proportion avec celles qui existent actuellement dans l'air. Ce résultat s'explique sans qu'il soit nécessaire d'admettre que l'air ait eu, aux diverses époques géologiques , une composition très-différente de celle qu'il présente aujourd'hui. Ebelmen voit, en effet, dans les phénomènes volcaniques, la principale cause qui restitue à l'atmosphère l'acide carbonique que la décomposition des roches en précipite continuellement; il insiste sur ce fait intéressant, que la formation des roches ignées est accompagnée du dégagement d'un gaz que précipitera et que fixera ensuite la destruction des mêmes roches. Tous les faits qu'Ebelmen a consignés dam ses mémoires font, comme il le dit lui-même dans son style clair et concis, ressortir la liaison intime que tous les grands phénomènes de la nature ont les uns avec les autres. « La chaleur centrale, ajoute-t-il, cause première de toutes les actions volcaniques, paraît indispensable à l'entretien de la vie organique à la surface. Supprimez les phénomènes volcaniques et bientôt l'acide carbonique de l'air aura disparu. Cette vie intérieure du globe terrestre, rendue manifeste par les mouvements de sa croûte solide, par les déchirements du sol, par ces violentes éruptions de gaz et de matières en fusion, serait une des conditions essentielles du maintien de la vie à sa surface. Quand Saussure eut démontré , par ses belles expériences, cette loi de la nature en vertu de laquelle le carbone passe de l'atmosphère dans les végétaux pour être bientôt restitué à l'état d'acide carbonique, soit par leur décomposition, soit par les animaux qui s'en nourrissent, on crut que cette rotation du carbone assurait la permanence de la composition de l'air atmosphérique. On voit maintenant qu'il faut faire intervenir dans la question des phénomènes d'un tout autre ordre et que les éléments minéraux de la croûte terrestre concourent aussi, par des réactions inverses les unes des autres, à la production de cet équilibre.»
Dans son troisième mémoire, Ebelmen commence par faire voir que les calcaires bleuâtres si communs dans toutes les formations secondaires doivent, en grande partie, leur coloration à de la pyrite de fer pulvérulente disséminée dans toute leur masse et que ces calcaires se décolorent par la combustion lente de cette pyrite avec formation d'oxyde de fer, partout où ils se trouvent en contact avec l'atmosphère ou avec des eaux aérées. Se fondant alors sur la transformation bien connue des sulfates en sulfures par les matières organiques en décomposition spontanée, Ebelmen revient avec plus d'autorité sur une idée déjà développée par lui dans ses précédents mémoires. Cette formation permanente de pyrites par la décomposition continuelle de sulfates au sein des mers où se déposent les roches stratifiées lui est maintenant démontrée; elle doit être alors une cause puissante de restitution d'oxygène à l'atmosphère sous forme d'acide carbonique, tandis que l'altération des mêmes pyrites dans les roches stratifiées des continents est une cause non moins énergique de soustraction de l'oxygène et de la fixation dans les sulfates, ces deux réactions contraires devenant ainsi par leur balancement un double régulateur de la composition de notre atmosphère.
Comme l'a donc si bien dit M. Dumas, la chimie annonçait que la proportion des éléments de l'air se maintient invariable ; notre orgueil trouvait la raison de cet équilibre dans l'action des plantes qui lui rendent l'oxygène que l'homme et les animaux lui ont enlevé. Eh bien ! ce balancement imaginaire n'est plus qu'un phénomène de détail passant inaperçu à côté des sources d'altérations purement géologiques qu'Ebelmen a découvertes et dont il a calculé les effets. C'est par masses immenses que les roches qui se désagrègent sans cesse pour former les terrains de transport enlèvent, par leur fer, son oxygène à l'air, qu'elles en soutirent l'acide carbonique par leur chaux. La terre y rejette, au contraire, des masses non moins grandes d'acide carbonique par ses volcans; elle lui en rend des quantités non moins considérables par une foule de combustions lentes qui se passent à sa surface. L'air est donc un élément géologique changeant sans cesse et déterminant sans cesse les changements que la surface du globe subit. Ebelmen a laissé ainsi une trace profonde dans l'histoire de l'air et dans celle de la physique du globe.
Tous ces brillants travaux eussent suffi sans contredit à la gloire d'Ebelmen ; mais il lui était donné d'aller plus loin encore et de faire une de ces découvertes qui perpétuent un BOB dans la postérité. Le monde savant s'étonna tout à coup à la lecture faite le 8 novembre 1847, à l'Académie des sciences, d'un mémoire (Voir les Annales de physique et de,chimie, 3e série, t. XXII (1848)) sur une nouvelle méthode pour obtenir des combinaisons cristallisées par la voie sèche et sur ses applications à la reproduction des espèces minérales. C'est qu'en effet Ebelmen venait de faire une découverte du premier ordre en imaginant une méthode propre à obtenir par la voie sèche, à l'état de cristaux parfaits, des composés semblables à ces corps naturels que nous connaissons sous le nom de pierres siliceuses, de pierres gemmes et de pierres précieuses, corps remarquables comme on sait, par leur insolubilité dans l'eau et les autres liquides neutres, et par leur extrême résistance à tout ce qui tendrait à en altérer les propriétés.
Deux méthodes différentes, remarque Ebelmen, ont été seules employées jusqu'à présent pour obtenir, par la voie sèche, des combinaisons cristallisées et définies. L'une
consiste à soumettre à la fusion ignée les corps simples ou composés, seuls ou mélangés les uns avec les autres en certaines proportions propres à constituer des combinaisons définies. Il arrive souvent, dans ce cas, que des cristaux se forment et s'isolent au milieu de la masse fondue pendant le refroidissement. C'est ainsi qu'on a reconnu, soit dans les produits des ferreries, soit dans les scories provenant de foyers métallurgiques, diverses combinaisons qu'on a pu isoler et dont M. Mitscherlich a constaté la parfaite ressemblance avec des produits du règne minéral. C'est par cette même méthode que M. Berthier a su préparer un certain nombre de combinaisons cristallisées parmi les borates et les silicates. Elle n'est applicable évidemment qu'aux combinaisons fusibles à la temperature des foyers auxquels le mélange est exposé. La seconde méthode ne peut s'employer que pour des combinaisons distillables ou volatiles. Elle est connue depuis longtemps sous le nom de sublimation. La méthode imaginée par Ebelmen diffère essentiellement des deux précédentes ; son principe est d'une extrême simplicité. Quand on soumet à la température ordinaire ou à des températures peu élevées l'eau tenant en dissolution certains sels, l'évaporation de cette eau donne naissance, la plupart du temps, à des combinaisons cristallisées. Pourquoi n'en serait-il pas de même de substances qui se volatilisent à de très-hautes températures et qui ont la propriété, quand elles sont en fusion, de dissoudre la plupart des oxydes métalliques ? Ebelmen avait à sa disposition les fours à porcelaine de Sèvres qui produisent de très-hautes températures ; il ne douta pas un seul instant qu'en y plaçant des corps fusibles tels que l'acide borique, le borate de soude, l'acide phosphorique avec des proportions de certains oxydes calculées d'avance, il ne parvînt, par suite de l'évaporation lente du dissolvant, à produire des combinaisons cristallisées, exactement comme on obtient des cristaux d'alun en faisant évaporer l'eau qui tient ce sel en dissolution. Le succès dépassa toutes ses espérances , et l'on comprend aisément l'effet que produisit ce travail, si l'on considère la simplicité des moyens à l'aide desquels la synthèse chimique a été assez puissante
pour produire un grand nombre de cristaux naturels qui ne l'avaient jamais été auparavant dans les laboratoires. Ebelmen commença ses recherches par la reproduction d'une grande famille de minéraux isomorphes entre eux (à l'exception de la cymophane) cristallisant généralement en octaèdres réguliers et qui sont formés par la combinaison d'un sesquioxyde et d'un protoxyde équivalent à équivalent. Le spinelle blanc, le spinelle rosé, le spinelle noir, le fer chromé natif, qui tous cristallisent en octaèdres. furent reproduits, ainsi que la cymophane qui affecte la forme du prisme rhomboïdal droit . Il obtint l'émeraude en cristaux hexagones incolores ou verts; le péridot en longs prismes à six faces, biselés. En se servani du borax comme dissolvant, il réussit à obtenir le corindon hyalin en tables hexagonales. De plus, dans le cours de sa recherche, il prépara des corps isomorphes avec les précédents et qui n'ont pas encore été rencontrés dans la nature, l'aluminate de cobalt, celui de manganèse, des chromites de fer, de magnésie, de manganèse cristallisés tous en octaèdres, des aluminates de baryte et de chaux. Tous ces minéraux obtenus par la synthèse ont été soumis à l'analyse chimique, aux observations cristallographiques et physiques les plus minutieuses, et leur identité avec les minéraux naturels est sortie victorieusement de toutes ces épreuves ; ils ont même composition chimique ; même densité, même forme cristalline, même dureté, mêmes propriétés optiques. - « Ce sujet, dit Ebelmen à la fin de son premier mémoire, n'est encore qu'effleuré ; il comporte une longue série de recherches. J'ai l'espoir que cette méthode enrichira la chimie de la voie sèche d'un grand nombre de nouvelles combinaisons. Les expériences déjà exécutées permettent de classer définitivement au nombre des produits chimiques une grande quantité de minéraux dont plusieurs sont des pierres rares et précieuses. Elles établissent un lien de plus entre deux sciences, la chimie et la minéralogie, dont les points de contact sont déjà si nombreux. Elles ne seront pas inutiles, je l'espère du moins, pour éclairer le géologue dans l'appréciation des causes qui ont présidé à la formation de telle ou telle
espèce minérale. En montrant en effet que ces espèces, complétement infusibles à la température de nos fourneaux, ont pu cristalliser à la faveur d'un dissolvant, à des températures de beaucoup inférieures à celle de leur fusion, on peut rendre raison de leur présence dans beaucoup de roches où elles sont associées à des espèces d'une fusibilité bien différente.
Je ne prétends nullement que l'acide borique ou les borates aient été dans tous les cas le véhicule naturel qui a servi à opérer la cristallisation de ces espèces ; mais je ne puis pour-autant m'empêcher de faire remarquer qu'il existe des localités où l'acide borique se dégage du sein de la terre entraîné par des courants de gaz et de vapeur d'eau portés à de très-hautes températures. Chacun connaît les lagoni de la Toscane qui fournissait annuellement au commerce plus de 500.000 kilogrammes d'acide borique. Ces dégagements d'acide borique sont en liaison évidente avec les phénomènes volcaniques. L'intérieur du cratère de Vulcano a fourni même de l'acide borique cristallisé. Des lacs contenant du borax en dissolution existent sur la terre en un grand nombre de points, et tout porte à croire que l'acide borique y a été amené par des causes plus ou moins analogues à celles qui donnent naissance aux suffioni de la Toscane.
Il ne faut pas beaucoup de hardiesse d'esprit assurément pour comparer ces grands phénomènes naturels à ce qui se passe dans les expériences que j'ai décrites, et pour arriver à admettre que le dégagement continu de l'acide borique sous l'influence d'un courant de gaz et de vapeur d'eau est accompagné de la formation, dans l'intérieur de la terre, d'espèces minérales cristallisées, que des soulèvements du sol amèneront peut-être un jour près de la surface. Je n'insisterai pas davantage sur ce point de vue, qui était, du reste, une conséquence toute naturelle des résultats de mon travail.
Je terminerai ce mémoire en examinant s'il est permis d'espérer qu'on arrivera à reproduire les pierres fines dont je me suis occupé, comme le spinelle, le cymophane, le corindon, sous un volume assez notable pour qu'on puisse en tirer parti. Je ferai remarquer que toutes mes expériences
ont été faîtes dans le four à porcelaine ; appareil dont on élève lentement la température jusqu'au blanc naissant, en arrêtant le feu au moment précis où la température a atteint une certaine limite. L'évaporation de l'acide borique ne peut guère avoir lieu que pendant les cinq à six dernières heures de cuisson ; aussi n'ai-je pu opérer, dans toutes mes expériences, que sur quelques grammes de mélange. Il y a lieu de penser qu'en employant une masse plus considérable de matières, et en effectuant l'évaporation du dissolvant dans un appareil entretenu pendant longtemps à une haute température, comme les fours à réchauffer le fer, par exemple, on arriverait à produire des cristaux plus volumineux : cette prévision est conforme à toutes les analogies. L'expérience sera facile et fort peu dispendieuse ; mais l'occasion de l'exécuter ne s'est pas présentée jusqu'à présent pour moi, et les résultats, quels qu'ils soient, n'ajouteraient rien à l'intérêt théorique qui peut s'attacher à ce travail. »
Ebelmen poursuivit d'ailleurs son oeuvre avec cette persévérance qui toujours lui procura le succès ; et, trois ans environ après son premier mémoire, le 3 mars 1851, il lut à l'Académie des sciences un nouveau mémoire sur les combinaisons cristallisées.
Laissons-le exposer lui-même le but de son second travail : « J'ai eu l'honneur de présenter, il y a trois ans environ, à l'Académie, l'exposé d'une nouvelle méthode de cristallisation par la voie sèche, qui m'a permis de reproduire à l'état de cristaux parfaits un certain nombre de combinaisons chimiques infusibles à la température de nos fourneaux, qu'on rencontre dans le règne minéral, et dont plusieurs sont des pierres rares et précieuses. Les cristaux obtenus étaient petits à la vérité, mais très-nets, et présentaient tous les caractères de la forme, de la dureté, de la densité, de la composition chimique, de l'action sur la lumière polarisée qu'on observe dans les espèces minérales analogues. Les résultats que je soumets aujourd'hui viennent compléter et étendre ceux déduits de mon précédent travail : en modifiant les conditions de l'expérience, j'ai obtenu des cristaux, sinon plus nets, du
moins bien plus volumineux que les premiers. J'ai étendu et et varié les expériences sur l'emploi des divers dissolvants de la voie sèche , et j'ai pu préparer ainsi quelques nouvelles combinaisons cristallisées analogues à des espèces minérales connues, et qui me paraissaient fournir des types auxquels on doit rapporter la composition de ces espèces.
Dans mes premiers essais, je me suis principalement servi d'acide borique comme dissolvant. Les expériences ont été faites à la chaleur des fours à porcelaine de Sèvres. Les conditions étaient loin d'être favorables pour obtenir des cristaux un peu volumineux.
Je faisais remarquer à la fin de mon mémoire que l'emploi d'un four à feu continu et à température suffisamment élevée permettrait très-probablement d'obtenir les mêmes cristaux avec des dimensions bien plus considérables , et, par conséquent , de faire des applications industrielles de cette méthode de cristallisation.
Un de nos industriels les plus distingués , M. Bapterosses , fabricant de boutons en pâte céramique à Paris , a bien voulu mettre à ma disposition les fours à feu continu dont il se sert pour la cuisson de ses boutons. Les moufles dans lesquelles s'opère cette cuisson sont constamment chauffées à la chaleur du blanc naissant. Cette température est peut-être inférieure à celle à laquelle on arrive dans les fours à porcelaine , mais l'expérience a prouvé qu'elle était parfaitement suffisante pour le but que je me proposais.
Les résultats dont j'ai maintenant à rendre compte à l'Academie ont été obtenus , soit dans les fours à porcelaine de Sèvres, soit dans les fours de M. Bapterosses. »
Ebelmen reprend d'abord la reproduction des minéraux de la famille des spinelles. Il avait obtenu, en 1847, le spinelle en cristaux nets, mais très-petits. Il répète l'expérience dans les moufles des fours à boutons, en opérant sur de plus grandes quantités de matières allant jusqu'à 500 grammes de mélange et laissant la capsule qui le renferme exposée pendant huit jours consécutifs à une haute température. Il recueille des cristaux de spinelle parfaitement reconnaissables à l'oeil nu , ayant 4 à 5 millimètres de côté, en octaèdres tronqués sur les douze arêtes. Il en mesure les angles au goniomètre, il les trouve d'une parfaite exactitude. Le rubis spinelle peut donc être fabriqué industriellement.
Le spinelle zincifère ou gahnite n'avait pu se produire dans les fours de Sèvres ; dans les mouffles des fours à boutons, ce minéral cristallise sans difficulté en cristaux de 2 à 3 millimètres. Les cristaux de cymophane des premières expériences n'étaient visibles qu'au microscope ; la ténuité de ces cristaux tenait à ce que le borate d'alumine et de glucine n'avait qu'une liquidité fort imparfaite à la température à laquelle la cristallisation pouvait s'opérer. Ebelmen conçoit l'idée d'introduire dans les matières à fondre une certaine proportion d'une base qui ne se combine pas avec l'alumine, et qui forme, avec l'acide borique, un borate fusible et indécomposable à la chaleur blanche; il espère par là obtenir une cristallisation plus nette.
Au premier essai, ses prévisions sont réalisées ; il retire de la masse fondue de grands cristaux de cymophane de 5 à 6 millimètres de longueur, sur lesquels il peut vérifier toutes les propriétés minéralogiques de ce cristal. Les cristaux artificiels présentent, non-seulement les mêmes angles et la même forme primitive que les cristaux naturels, mais encore le facies ordinaire et les principaux accidents de la cristallisation de ceux-ci. Ils agissent très-énergiquement sur la lumière polarisée. Par l'addition de chrome, ces cristaux de cymophane prennent la couleur verte de ceux de l'Oural.
L'étude des chromites et des ferrites, reprise sur une plus grande échelle, produit des types qui doivent servir à la classification définitive de ces minéraux. Le ferrite de zinc présente, au point de vue scientifique, un grand intérêt ; il fournit, en effet, le type connu sous le nom de francklinite, dont la véritable nature était, jusqu'à un certain point, restée douteuse. Rien n'échappe à l'esprit observateur d'Ebelmen. En poursuivant la reproduction de ces beaux cristaux, il découvre de nouvelles combinaisons, les magnéso-borates, dont la constitution chimique est fort remarquable. Et d'abord, il établit l'existence d'un borate de magnésie tribasique BO3,3 MgO bien défini, en cristaux radiés ; c'est l'équivalent de l'espèce péridot, où l'acide borique remplacerait la silice ; il correspond aussi aux éthers boriques qu'Ebelmen avait précédemment obtenus par la réaction du chlorure de bore sur divers alcools. Puis, en préparant les chromites de magnésie, Ebelmen découvre , dans la masse refroidie , des cristaux verts , transparents , nettement définis, dont la composition chimique peut être représentée par plusieurs formules équivalentes , mais qui, en réalité , paraissent n'être autre chose qu'une combinaison du borate tri-basique précédent avec l'oxyde de chrome. Avec le peroxyde de fer, les choses se passent de la même manière. Il semble donc que les deux oxydes, en se séparant de ce dissolvant, en entraînent avec eux une certaine portion combinée exactement comme cela aurait lieu dans la cristallisation d'un sel. ou dans la précipitation d'un oxyde dans l'eau ou dans l'alcool, où il se forme des hydrates et des alcools avec lesquels ces combinaisons paraissent avoir une grande analogie. Ces travaux ont tous une grande portée. Ces combinaisons, en effet, ne resteront pas isolées ; on obtiendra des composés analogues avec d'autres borates et d'autres oxydes métalliques, et l'on parviendra ainsi à se rendre compte de la véritable constitution moléculaire d'un grand nombre de matières minérales. Ebelmen a donc tracé une voie nouvelle dans l'étude de la minéralogie et de la géologie.
En même temps qu'il reproduisait tous les minéraux de la famille des spinelles, Ebelmen avait, dès 1847, commencé des études semblables sur la cristallisation des silicates infusibles à la température de nos fourneaux ; il avait donné quelques exemples de ces cristallisations. Depuis lors, il étendit ses expériences à un grand nombre d'autres silicates, et il avait entrepris une grande série de recherches sur cette matière, quand la mort est venue le surprendre au milieu de ces intéressants travaux.
Parmi les silicates, il refait le péridot magnésien en cristaux de plusieurs millimètres de longueur, d'une admirable netteté, transparents, identiques pour la forme cristalline avec le péridot du Vésuve. Il réalise le bisilicate de magnésie, qui n'est pas encore connu à l'état de pureté, mais qui serait le type des pyroxènes, des bronzites, des diallages. Il essaye le bisilicate, et trouve impossible de le produire dans les mêmes conditions; il n'obtient qu'un mélange de péridot et de bisilicate de magnésie. Il expérimente les silicates de zinc et commence sur ce sujet un travail resté inachevé. M. Gaudin avait obtenu, à l'aide du chalumeau à gaz, l'alumine fondue et cristallisée ayant la dureté du corindon naturel, mais sans transparence. Ebelmen obtient, par la dissolution dans le borax, l'alumine cristallisée en rhomboèdres transparents et très-nets, et, en même temps, par la même opération, l'alumine boratée à trois équivalents d'alumine pour un équivalent d'acide borique. Par l'addition de la silice dans le mélange , il augmente la fixité du dissolvant et produit de larges cristaux d'alumine qui présentent exactement la même forme que le fer oligiste des volcans. Il arrive au même résultat par la substitution à la silice du carbonate de baryte, du carbonate de soude, de la chaux, de l'oxyde de manganèse, de l'oxyde de cérium. L'emploi du manganèse le conduit à observer ce fait, d'une haute importance minéralogique, que des corps, tout à fait étrangers à l'espèce chimique qui cristallise, peuvent cependant se mélanger en forte proportion avec elle sans en changer la forme, mais en modifiant seulement la couleur et l'aspect extérieur des cristaux.
L'alumine, en cristallisant au milieu du borate de manganèse, se laisse en effet imprégner par ce dernier corps, que les acides peuvent enlever, sans que la forme des cristaux soit altérée, et sans qu'ils se désagrègent. C'est donc un simple mélange comparable à ceux que Haüy a tant de fois cités comme exemple, et par là, Ebelmen nous enseigne avec quelle réserve on doit discuter le résultat des analyses des minéraux , même cristallisés , quand il s'agit de déterminer leur formule véritable; combien il est probable qu'un grand nombre d'entre eux contiennent en mélange des matières tout à fait étrangères à la substance même des cristaux, de sorte qu'on est exposé à faire entrer dans le calcul de leur formule chimique des éléments qui ne lui appartiennent pas, faute d'en connaître le véritable rôle. L'ensemble des faits qu'Ebelmen a reconnus dans la cristallisation des alumines et des aluminates se résume en trois grandes divisions. Si le borate métallique est volatil, l'alumine cristallisera soit à l'état d'alumine boratée, soit à l'état de pureté; s'il est fixe, et si l'affinité de l'alumine pour la base s'est pas assez puissante pour expulser l'acide borique, l'alumine cristallisera à l'état de pureté au milieu de la matière ; si le borate métallique est fixe et si l'alumine a pour la base une affinité suffisante, il se formera des aluminates cristallisés, comme cela a lieu avec la magnésie, le cobalt, le zinc, la glucine, reproduisant ainsi un grand nombre de minéraux naturels.
En recourant aux phosphates alcalins comme dissolvants, Ebelmen produit de magnifiques cristaux d'acide titanique ressemblant au titane aciculaire renfermé dans les cristaux de quartz. Il fait aussi cristalliser par le même procédé l'acide niobique et l'acide tantalique ; mais il effleure à peine l'étude de ces corps qui, dans sa pensée, doivent donner à de hautes températures des combinaisons douées d'une grande stabilité.
Ebelmen présente encore le 12 mai 1851, à l'Académie, une nouvelle série de recherches sur le même sujet. Cette fois ce n'est plus de fondants acides qu'il se sert, il emploie les fondants alcalins, les carbonates de potasse et de soude. Comme l'acide borique, ces corps présentent la triple propriété d'être liquides à des températures qu'on obtient aisément dans nos fourneaux, de dissoudre un grand nombre d'oxydes métalliques, et enfin de se volatiliser en entier dans des vases ouverts à des températures un peu supérieures à celle de leur fusion. On varie les résultats en se servant de silicates chargés d'un grand excès d'alcali. C'est ainsi qu'Ebelmen obtient en cristaux le péridot magnésien qu'il avait déjà recueilli autrement, le titanate de chaux, le titane rutile en prismes d'un beau rouge et sous la même forme que le rutile de la nature, puis la glucine en cristaux, dont il démontre l'isomorphisme avec l'alumine, et qui ont toute la dureté du corindon.
Dans une continuation des mêmes recherches, Ebelmen a recours à des réactions nouvelles. Une de ses dernières communications à l'Académie (17 novembre 1851) fait connaître un mode de précipitation par voie sèche tout à fait comparable à la précipitation par voie humide ; il pénètre plus encore qu'il ne l'avait fait jusque-là dans le domaine de la géologie, et ce travail, qui l'occupait au moment de sa mort, se rattache aux grands phénomènes de la constitution des roches. Ebelmen fait agir la chaux en gros fragments sur le borate de magnésie ; il précipite celle-ci et fait naître des cristaux cubo-octaèdres semblables à la périklase de la Somma. Il produit ainsi, et avec autant de facilité, des cristaux de protoxyde de nickel, de cobalt, de manganèse, de fer oxydulé. Il fait réagir la chaux sur une silicate d'oxyde de titane et d'alcali entièrement vitreux ; la matière prend un aspect cristallin ; il la soumet à l'action des acides, et isole de la masse un sable cristallin qui n'est autre que le minéral connu sous le nom de perowskite. Une réaction semblable lui donne des combinaisons pristallines analogues aux minéraux connus sous le nom de tantalite et de pyrochlore. « Je me contente, dit Ebelmen, d'indiquer ces premières applications par voie sèche ; elles doivent être considérées comme un point de départ pour de nouvelles expériences. » Quel parti eût tiré sa vaste intelligence de ces nouvelles applications, s'il lui eût été donné de les continuer ! En terminant cette communication, il signale l'intérêt que présentent les phénomènes de la précipitation par voie sèche au point de vue géologique. Les observations établissent, en effet, que les masses de matières éruptives qui ont traversé , à diverses époques, les terrains stratifiés, ont exercé sur eux une action des plus énergiques qui ne saurait être expliquée par l'action de la chaleur seule, et dont on a exprimé l'effet par le mot métamorphisme. On a remarqué en outre que la plupart des espèces minérales de formation ignée appartiennent à ces zones de contact entre les roches éruptives et les terrains où elles sont insinuées. Des gîtes métallifères importants et qui n'affectent pas la forme des filons ordinaires existent souvent le long de ces lignes de jonction. Tel est, par exemple, le mode de gisement du fer oxydulé. Si des roches calcaires se sont trouvées un long espace de temps en contact avec des roches silicatées à l'état de fusion, il a dû se produire, outre la fusion et la cristallisation du carbonate de chaux, des réactions entièrement comparables à celles qu'Ebelmen a découvertes. Les dégagements si abondants d'acide carbonique qui accompagnent partout l'activité volcanique ne semblent-ils pas indiquer la réaction réciproque des roches silicatées en fusion sur les matériaux calcaires, et par conséquent la continuation du phénomène métamorphique à l'époque actuelle ?
Au milieu de ces immenses travaux, Ebelmen trouvait encore le temps de traiter une foule de questions, soit à la Société d'encouragement, soit comme membre de diverses commissions officielles, du jury de l'Exposition de l'industrie en 1849, et de l'Exposition de Londres.
A l'École des mines il remplissait avec une grande distinction les fonctions de professeur, et fidèle aux traditions de M. Berthier, il donnait tous ses soins à son cours de docimasie.
Le cours sur les arts céramiques qu'il fit au Conservatoire des arts et métiers a excité un vif intérêt. La mort d'Ebelmen laisse au Conservatoire une lacune difficile à remplir. Sa parole nette et élégante faisait de ce cours tout pratique une instruction pleine d'attrait. La première partie surtout était entièrement neuve ; elle était comme le résumé des travaux d'Ebelmen sur les silicates, sur la décomposition des roches, sur la théorie de la cuisson et la conduite des fours.
Administrateur de la manufacture de porcelaine de Sèvres, Ebelmen, en continuant dignement l'illustre Brongniart, imprima aux travaux une direction intelligente et active. Il entra franchement dans la voie des progrès les plus récents, au double point de vue de l'industrie et de l'art. Le procédé de coulage, connu déjà, n'avait été ni suffisamment étudié ni sérieusement appliqué. Sous la direction d'Ebelmen, ce procédé est arrivé à un rare degré de perfection, et l'on a pu, après avoir vaincu toutes les difficultés, fabriquer des pièces d'une grande légèreté, d'une pureté de forme et d'une élégance irréprochables, dans des dimensions jusqu'alors réputées impossibles. C'est également sous la direction d'Ebelmen que, dans la cuisson de la porcelaine dure, on est arrivé à substituer completement la houille au bois; la solution de ce problème a créé pour la manufacture une économie de plus des deux tiers sur la valeur du combustible, C'est encore à lui qu'on devra la rénovation de la fabrication de la porcelaine tendre, cette poterie si estimée des artistes.
La fabrication des émaux sur métal lui est redevable d'une impulsion toute nouvelle. Il a enrichi cet art de l'application des émaux de grandes dimensions sur plaques de tôle.
Ses travaux sur les fourneaux métallurgiques ont jeté un nouveau jour sur la théorie de la cuisson dans les fours à porcelaine, et en ont fait comme une science exacte et un art de précision.
Enfin il avait entrepris, avec la collaboration de M. Salvetat, des recherches sur la composition des matières employées dans la fabrication et la décoration de la porcelaine en Chine. Une première partie avait été publiée; elle se rattachait, dans son esprit, à un travail d'ensemble sur toutes les matières employées dans les arts céramiques : tâche immense qui n'était pas au-dessus de ses forces et que sa mort si regrettable laisse à peine commencée.
Au point de vue de l'art, il avait su s'entourer d'hommes d'un talent éprouvé ; sans être exclusif, son goût était toujours pur, ses appréciations justes et délicates. Chacun peut se souvenir du succès obtenu par les produits de la manufacture de Sèvres à l'Exposition du Palais-Royal en 1850.
Administrateur éminemment consciencieux et juste, Ebelmen a emporté les regrets des nombreux employés et des agents de tout grade placés sous ses ordres.
Tel fut Ebelmen dans sa double carrière scientifique et administrative. Il a acquis dans la science une gloire impérissable; il a inscrit son nom parmi les plus utiles dans l'histoire des hautes industries métallurgiques ; il a jeté de vives lumières sur les relations de l'atmosphère avec les phénomènes géologiques; il a concouru enfin, par de brillantes recherches, aux progrès de la chimie organique, et s'est illustré par une de ces découvertes qui, à elle seule, suffirait à la gloire d'un savant ; la reproduction des pierres précieuses. On peut donc affirmer avec M. Dumas qu'Ebelmen n'a joui que d'une faible partie du renom que ses travaux lui mériteront aux yeux de la postérité. Un jugement sain et droit, une grande finesse d'esprit, une intelligence prompte et vive, une étonnante rapidité de conception, une lucidité et une profondeur de vue remarquables, une prodigieuse mémoire distinguaient cette nature privilégiée. Dans chacune de ses recherches, Ebelmen saisissait dès l'abord le grand côté de la question ; il atteignait à une solution neuve, originale, féconde en résultats, sans hésitation et avec une simplicité de moyens qu'égalait seul l'éclat de la découverte.
Aux dons de l'intelligence et de l'esprit, Ebelmen joignait les plus heureuses qualités du coeur. Il avait cette bonté, cette douceur, cette simplicité qui sont le propre des âmes élevées, un caractère ferme et modéré, une modestie égale à son talent. Il nous appartient plus qu'à tout autre de rendre cet hommage à la mémoire d'Ebelmen, nous qui avons vécu dans l'intimité de cet ami si bon. Témoin habituel du bonheur dont il jouissait près d'un enfant adoré, d'une épouse si digne de le posséder, et qui retrouvait en lui les glorieuses traditions de sa propre famille (Madame Ebelmen était fille de M. Hachette de l'Académie des sciences, l'un des fondateurs de l'Ecole polytechnique), nous avons pu apprécier ce que son coeur renfermait d'affection et de dévouement.
Ebelmen est mort avant d'avoir accompli sa trente-huitième année ! La mort l'a enlevé au milieu de ses travaux, au moment où, dans toute la puissance de son intelligence, dans toute la maturité de son talent, il touchait aux plus hautes, aux plus difficiles solutions. Sa mémoire sera précieusement gardée dans le corps des ingénieurs des mines qu'il a illustré ; le temps ne saurait l'effacer dans le souvenir de ceux qui admirent les plus belles facultés de l'intelligence unies aux plus nobles qualités du coeur.