Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1861). Ingénieur civil des mines.
Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Septembre-octobre 1916 :
Cette exécrable guerre ... a amené la mort anticipée de beaucoup d'anciens par les chagrins qu'elle leur a causés. C'est ainsi que vient de succomber Octave-Paul Durand, de la promotion de 1861, mon ancien collègue au Creusot, demeuré mon meilleur ami. L'excellent Président de notre Association amicale a pensé que j'étais qualifié, par là, pour donner, à notre Bulletin, quelques souvenirs sur sa vie. Les voici :
Octave-Paul Durand naquit le 9 avril 1840, à Ouroux, dans la Nièvre, de parents qui y faisaient valoir leurs biens. Il grandit dans ce milieu agreste et y acquit de solides qualités physiques. Il avait, de plus, l'intelligence très ouverte, de la finesse d'esprit et une grande ardeur au travail. On le mit au collège de Nevers. Il y fit, rapidement, ses humanités et conquit, sans peine, les diplômes qui les sanctionnent. Muni de ce viatique, il fut envoyé à l'école préparatoire de Sainte-Barbe à Paris, à la rentrée des classes de 1857.
En 1860, Octave Durand fut admis aux cours préparatoires de l'Ecole des Mines, puis, l'année suivante, en 1861, à l'Ecole elle-même. Il s'y fit apprécier de ses professeurs et, en particulier, de notre vénéré maître Jules Callon qui discerna ses aptitudes pour l'exploitation des mines. Aussi, comme il était ingénieur-conseil des houillères de Ronchamp, l'y fit-il admettre dès sa sortie de l'Ecole, en 1864.
Ronchamp était dirigé, alors, par François Mathet, notre ancien doyen si aimable. On ne pouvait débuter dans la pratique sous un meilleur guide. Mathet fut, pendant toute sa carrière d'ingénieur, un exploitant incomparable de houillères à grisou. On sait l'emploi si judicieux qu'il y fit de l'air comprimé.
Durand apprit beaucoup sous sa direction et lui serait certainement demeuré attaché, s'il n'avait eu la nostalgie de son cher Morvan. Elle lui fit rechercher son entrée chez MM. Schneider et Cie, qui l'admirent, dans leur personnel, comme ingénieur des houillères du Creusot, le 13 octobre 1869.
Là, encore, il se trouva placé sous la direction d'un ingénieur des mines de premier ordre, Gustave Petitjean, le père de notre distingué camarade René Petitjean.
D'octobre 1869 à mai 1871 s'écoulèrent au Creusot de longs mois attristés par une grève impie, par la guerre de 1870-1871 et par une répercussion de la Commune de Paris. Puis, enfin, revinrent des jours meilleurs, avec une reprise ardente du travail.
Ce fut pour nous, Durand et moi, un temps très agréable de vie journalière en commun, où nous étions les confidents réciproques de nos travaux.
Il me parlait de l'aménagement de ses chantiers, de ses essais de la dynamite, que l'on commençait alors à expérimenter. Il me montrait l'un de ses puits qui avait rencontré la houille après avoir traversé le granite.
De mon côté, je lui communiquais un projet de laboratoire industriel que j'avais établi pour satisfaire aux vues de M. Schneider. Je l'entretenais de mes essais sur les différentes houilles alimentant les usines du Creusot, de mes recherches particulièrement fécondes sur les aciers extra-doux.
Ces conversations donnent une idée du labeur par lequel nous nous efforcions d'émerger au milieu du personnel d'élite du Creusot.
Durand parvint très vite à se classer en bon rang dans celui des mines. Aussi put-il songer à se marier. Il fut agréé dans une très bonne famille de son pays, et il épousa, en octobre 1872, une jeune femme infiniment distinguée, qui fut toujours pour lui la meilleure des compagnes.
Cet événement dans l'existence de Durand affermit encore sa situation au Creusot. Puis la grande activité, qui y régna, pendant les années suivantes, lui permit de montrer toutes ses capacités. Il se révéla apte à tenir une direction. Celle des mines de fer de Saint-Georges, en Savoie, lui fut confiée, le 24 mai 1879.
Il eut à peine le temps d'aménager cette mine, car il n'y resta qu'un an et demi.
En janvier 1881, il fut appelé à prendre la direction des houillères de Montchanin, dont la production était, alors, très importante.
Il devait tenir ce poste pendant vingt-deux ans. Il se trouvait, à Montchanin, en présence d'un gîte très ingrat et très difficile. Sa vive intelligence, ses grandes connaissances techniques, toutes ses qualités de praticien consommé, de travailleur infatigable lui permirent d'en extraire toutes les richesses qu'on y avait déjà reconnues ; et nul doute qu'il eût découvert celles qu'il pouvait receler encore s'il eût été autorisé à exécuter les travaux qu'il jugeait nécessaires pour atteindre ce but.
Mais, pour obtenir cette autorisation, il lui eût fallu une science manœuvrière qui lui manquait absolument. Car, ainsi que le dit si bien sur sa tombe M. Valin, directeur actuel des houillères de Decize, qui avait fait ses débuts d'exploitant, sous sa direction, à Montchanin : « Il ne connaissait ni l'intrigue, ni l'ambition, c'était l'honnêteté et la droiture même. Sa modestie trop grande allait jusqu'à la timidité ; il n'avait qu'un désir, celui de satisfaire ses chefs par l'accomplissement intégral de son devoir. » En un mot, Durand était, surtout, soucieux des intérêts dont il avait la garde et du sort des ouvriers qu'il employait pour les servir.
Aussi était-il adoré de ses hommes ; et ils lui montrèrent bien toute leur affection lors d'un incendie survenu dans la mine. Pour lutter contre le fléau, ils demeurèrent avec lui, dans les chantiers, nuit et jour, sans interruption, quinze jours durant, prenant, au fond, leurs repas et le repos indispensable.
La récompense fut de maîtriser l'incendie, de sauver la richesse minérale d'une destruction totale ; mais l'effort avait été trop grand pour Durand arrivé déjà à la soixantaine.
Il dut, peu de temps après cet événement, demander sa mise à la retraite. Sa belle carrière d'ingénieur était terminée.
Durand entra en retraite le 1er juin 1903. Il se retira dans sa propriété des Grandes-Sauves, près de Moulins-Engilbert, dans la Nièvre.
Il y mena une vie patriarcale jusqu'à cette horrible guerre si cruelle pour tous. Elle lui causa, pour les siens, des angoisses d'autant plus pénibles à supporter, qu'avec son caractère discret, il les renfermait toutes en lui-même.
On le vit, dès lors, décliner, et c'est à bout de forces qu'il s'endormit dans la paix du Seigneur, le 23 mai 1916, à 11 heures du soir, venant d'achever, à peine, sa 76e année.
Moulins-Engilbert lui a fait les obsèques réservées à ceux qui ont honoré la cité.
Après cet exposé de la vie de notre cher camarade Octave Durand, j'achèverai l'esquisse de sa physionomie, en indiquant comment il fut toujours apprécié.
Notre profession d'ingénieur des mines est l'une des plus belles. Elle exige un courage calme, beaucoup de savoir et d'ingéniosité, de hautes qualités morales, une grande ardeur au travail.
Eh bien ! tous ceux qui ont connu Octave Durand se sont accordés pour le qualifier de parfait mineur : courageux, instruit, laborieux, consciencieux.
Mais, hélas ! il était trop timide, comme beaucoup de ceux dont la haute conscience n'est jamais satisfaite ; et à trop douter ainsi de lui, il donna à d'autres le droit d'en douter à leur tour : ce qui l'empêcha d'arriver aux situations les plus hautes, qu'il eût cependant admirablement bien remplies.
Homme de devoir avant tout, Octave Durand était, naturellement, un très bon chrétien. Aussi est-ce avec une pleine confiance que nous espérons pour lui, de la miséricorde de Dieu, la vie éternelle qu'il nous paraît avoir si bien méritée par sa belle et noble existence sur cette terre.
Le Tamaris, Villiers-le-Bel (Seine-et-Oise), 12 octobre 1916.