Jules DOURY (1866-1915)


Jules Doury, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1887). Ingénieur civil des mines.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, mars-avril 1916 :

Jules Doury naquit le 2 janvier 1866.

Après avoir fait ses études au collège Chaptal, il entra à l'Ecole des Mines avec le n° 1, et en sortait en 1890 avec la Médaille d'Or de l'Association. Pendant sa troisième année, il avait été le représentant des élèves à notre groupement. Il fut un des premiers dont le zèle a contribué à renforcer le petit noyau d'alors.

Il débuta comme ingénieur stagiaire à Marles, puis resta pendant cinq ans aux houillères de Belmez (Chemins de fer andalous) de janvier 1892 à janvier 1897 comme ingénieur ordinaire, puis ingénieur divisionnaire.

De retour en France, il remplit les fonctions de Directeur dans différentes Sociétés d'Éclairage et de Force Électriques, d'abord à Caen, ensuite à Limoges, puis à l'usine de Levallois-Perret; enfin il fut pendant plusieurs années Directeur du service commercial de l'Ouest-Lumière.

Le 15 avril 1905, il entra à la Société de la Viscose, d'abord comme Directeur de l'usine d'Arques-la-Bataille qu'il organisait complètement pour y créer l'industrie alors nouvelle de la soie artificielle de Viscose. Peu à peu, ses hautes qualités lui donnaient une place prépondérante dans cette Société. Successivement, tout en conservant la direction d'Arqués, il réorganisait sur les mêmes données l'usine de Vals, puis celle de Venaria Reale.

En 1912, il fut nommé Directeur général des Sociétés Françaises Ardéchoise et Italienne de la Viscose, avec résidence à Paris. En dernier lieu, au moment de la mobilisation, il venait de mettre en route avec les procédés « Viscose » les anciennes usines de Chardonnet à Besançon.

Heureux époux, heureux père d'une nombreuse famille, Directeur écouté d'une société florissante, arrivé dans la vie à une situation stable et prospère, il ne prenait conseil que de sa conscience lui dictant ce qu'il regardait comme son devoir. Officier de réserve démissionnaire depuis plusieurs années, libéré par son âge de toute obligation militaire, avec la précision et la ponctualité qui ont toujours caractérisé Doury, il mettait en ordre les affaires de sa Société et les siennes, et il s'engageait au début de novembre 1914 pour la durée de la guerre.

La Société de la Viscose adressait à ses usines, il y a quelques mois, une sorte d'ordre du jour où elle dit : « Bien que Doury eût pu facilement se faire désigner pour un emploi d'ordre technique, ou à l'arrière, il a, scrupuleusement, et avec le même zèle que nous avions si souvent admiré dans l'exercice de ses fonctions industrielles, rempli son devoir d'officier de troupe, acceptant joyeusement les rigueurs et les risques de la vie de soldat. »

On le nommait Capitaine au 129e d'infanterie et il était envoyé au Havre comme capitaine adjudant major. Là encore, il trouvait l'utilisation de ses remarquables qualités d'organisateur, et les lettres de ses chefs rendent un hommage ému à sa précieuse collaboration. Le 7 juin 1915, il partait pour le front et était mis en première ligne en Artois; il se trouvait là presque à l'endroit de ses débuts dans la carrière d'ingénieur, et il nous précisait sa situation par des souvnirs de jeunesse.

Ses lettres me dépeignent sa rage impuissante devant les obus tuant ses hommes autour de lui sans riposte possible, et son ardent désir de l'action. Aussi, avec quelle ardeur s'élançait-il, le 25 septembre et entraînait sa compagnie à l'assaut d'une « position puissamment défendue, » (texte de sa citation à l'ordre du jour de l'Armée) à l'est de Neuville-Saint-Waast. Blessé au ventre au début même de l'attaque il était transporté bientôt à l'ambulance de Haut-Avesnes. La nature de la blessure ne laissait pas d'espoir. Pendant trois jours d'agonie, sa lucidité ne l'a pas abandonné. Toujours avec la même précision, il a donné jusqu'au bout toutes ses instructions, réglé l'emploi des sommes qu'il avait sur lui, n'oubliant pas ses chers soldats, et, sachant quelle triste consolation il y a pour ceux qui restent à retrouver le lieu de repos des disparus, il a donné des ordres et de l'argent pour l'entretien de sa tombe.

Jusqu'au bout, il a montré le même courage. Les hommes de sa compagnie ont tenu à se relayer auprès de lui jusqu'au dernier moment. « Vous écrirez à ma femme, à mes enfants, disait il à son infirmier, vous leur direz que je meurs sans crainte en pensant à eux. Je leur dis adieu, je garde leur pensée, je les aime. » Et, comme le prêtre-infirmier lui parlait de Dieu, l'exhortant au courage, il répondait : « Je suis prêt. » Après avoir reçu les derniers sacrements en vrai chrétien, il prit la main du prêtre en disant : « J'attends la mort sans crainte, je mourrai avec courage. »

Certes, il était prêt, et sans crainte, notre cher ami, prêt comme il l'avait toujours été dans la vie, sans crainte comme toujours devant le grisou, devant un accident auquel il avait échappé miraculeusement à Levallois-Perret, devant les difficultés industrielles, sans crainte devant le passage à la résurrection glorieuse.

Je cite encore l'ordre du jour de sa Société : « Sa mort nous atteint douloureusement et elle est une grande perte pour nos Sociétés. Elle sera tristement ressentie par ses collaborateurs et subordonnés de tout rang, qui appréciaient les hautes qualités de savoir, d'expérience et d'infatiguable activité de Doury, la sûreté de ses relations, sa droiture et son esprit de justice jamais en défaut. »

Nous tous qui l'avons connu, nous savons combien cet éloge est mérité. Nous ajouterons que c'était un ami sûr et un camarade parfait. Les nombreux élèves de l'École qu'il a pris avec lui ou qu'il a placés en savent quelque chose.

Doury laisse une veuve, deux fils et deux filles. Que tous reçoivent l'expression de notre sympathie profonde.

F. Tixier.


Concernant Jules Doury, voir aussi : Biographie de Ernest Carnot

Soie artificielle : son lancement
avec Jules Doury (P 1887) et Ernest Carnot (P 1888)

par Elie Doury (P 23), Secrétaire général de l'Association.

Le texte qui suit a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :

Dès le 17e siècle, on cherche à imiter le ver à soie qui à lui seul constitue une industrie miniature : il se nourrit de la feuille de mûrier, c'est-à-dire de cellulose, que son organisme transforme en un produit visqueux, lequel passant à travers une « bouche », devient un fil qui durcit à l'air, le fil de soie.

Vers le milieu du 19me siècle, des chimistes, notamment suisses et anglais, trouvent en laboratoire les principes de base pour imiter artificiellement la soie : dissoudre la cellulose, faire passer le produit obtenu à travers une filière, le solidifier à la sortie, à l'exemple du ver à soie. Quatre procédés sont inventés :

ces procédés ne diffèrent que dans la façon de solubiliser la cellulose et de la régénérer.

Ce n'est qu'à la fin du 19me siècle que les inventions sortent du stade expérimental.

On considère que le véritable « père » de la soie artificielle est un français, le comte Hilaire de Chardonnet (polytechnicien promo 1859) qui, après une vingtaine d'années de recherche basées sur la nitro-cellulose dissoute dans l'éther (collodion), apporte les brevets qu'il avait pris à une société fondée en 1890: la Société Anonyme pour la Fabrication de la Soie de Chardonnet, dont l'usine est à Besançon. C'est donc en France que fut créée la première usine produisant industriellement de la soie artificielle.

A partir de 1892, des firmes utilisant ce procédé à la nitro-cellulose se montent en Angleterre, puis en Suisse et en Allemagne, et dans ce dernier pays, en 1899, une firme exploite le procédé cupro-ammoniacal.

En France une deuxième usine est créée en 1902 à Givet, par la Société « La Soie Artificielle » pour fabriquer la soie au cuivre.

Puis une 3me usine est créée le 11 avril 1903 à Arques-la-Bataille, par la Société Française de la Viscose, après achat des brevets français à la « Viscose Spinning Syndicate » anglaise, brevets basés sur le procédé Viscose, (la Viscose est un xanthate de cellulose, produit visqueux, obtenu par l'action du sulfure de carbone sur la combinaison de cellulose et de soude dite alcali-cellulose).

L'ingénieur civil des mines Ernest Carnot, de la promotion 1888, est le Président de cette Société et le restera jusqu'à sa mort en 1955. Détail amusant: son père le Président de la République, Sadi Carnot, était camarade d'école du Comte de Chardonnet.

Les débuts à Arques sont décevants, car si les procédés utilisés en petit au laboratoire anglais par les inventeurs donnent un fil convenable, ils ne peuvent être transposés dans une grande usine sans modifications profondes. Ernest Carnot fait alors appel, le 15 avril 1905, à son camarade Jules Doury (P 1887), d'un an son ancien, qui réorganise l'usine, redonne confiance à tous et obtient rapidement des résultats remarquables tant dans l'amélioration de la qualité que dans la réduction des prix de revient.

En cette même année 1905, d'une part le groupe « Carnot » apporte son concours à un ingénieur lyonnais, qui avait acquis les brevets « Viscose » pour l'Italie, pour fonder la Société italienne de la Viscose avec usine à Venaria-Reale près de Turin, d'autre part la Sté Française de la Viscose accorde une licence à un moulinier de Vals-les-Bains (Ardèche) et fonde avec lui une nouvelle firme, la Société Ardéchoise de Soie de Viscose.

A Arques, l'année 1906 s'achève favorablement, mais le bilan est encore déficitaire, en raison des séquelles des années précédentes; dès 1907 il devenait bénéficiaire. Ce rapide succès est dû à la collaboration intime de trois personnalités : Carnot le Président qui avait conservé une foi profonde dans l'avenir de la nouvelle industrie et avec sa famille, la soutenait financièrement, Doury, le Directeur de haute Qualité, tous deux Mineurs, et l'Administrateur Délégué (Pierre Defaucamberge) qui savait prendre ses responsabilités et ne ménageait pas son appui bienveillant à son Directeur.

Etant donné les liens qui unissaient la Société Française avec les Sociétés Ardéchoise et Italienne, Jules Doury, tout en conservant la direction d'Arques réorganise sur les mêmes bases l'usine de Vals, puis celle de Venaria-Réale. En 1908, la Société Belge dont l'usine se trouve à Alost demande le concours de la Société Française, c'est encore Doury qui participe à sa réorganisation.

L'année 1909 se termine sous d'heureux auspices l'usine d'Arques est en pleine production avec 1 200 kgs de soie artificielle par jour, ainsi que celle de Vals-les-Bains, la qualité du fil est appréciée et les bénéfices vont en croissant.

En 1910, la situation de l'industrie de la soie artificielle est la suivante :

Pour éviter une concurrence désastreuse, les 2 groupes « Viscose » et « Cuivre » passent un accord en 1910 et créent en 1911 le « Comptoir des Textiles Artificiels » (C.T.A.) chargé exclusivement à l'époque d'écouler la production des usines de ces 2 groupes.

C'est indirectement cet accord qui permet vers 1912 aux deux sociétés de Givet et d'Izieux d'abandonner le procédé au « cuivre » pour adopter le procédé « Viscose ».

Jules Doury est nommé en 1912 Directeur Général des Sociétés Française Ardéchoise et Italienne de la Viscore. Fin 1913 et jusqu'au moment de la mobilisation, il remet en route avec le procédé « Viscose » l'usine de Chardonnet à Besançon qui s'était arrêtée. Engagé volontaire en 1914, il est mortellement blessé à la tête de sa Compagnie le 25 septembre 1915.

A sa mort il n'existait donc plus que des sociétés exploitant le procédé « Viscose », sociétés qui resteront prospères.

Ce n'est qu'en 1922, à la suite d'un accord entre le C.T.A. et la Société Chimique des usines Rhône-Poulenc qu'est créée la Société Rhodiacéta pour l'exploitation du procédé à l'acétate de cellulose, qui connaît peu après un succès analogue à celui du procédé Viscose, la soie à l'acétate ayant certaines qualités qui lui sont propres.

En 1934 une ioi interdit l'appellation «soie artificielle » : le fil « Viscose » s'appellera « rayonne » (fibranne lorsqu'il s'agit de fibres courtes) tandis que celui du second procédé conservera son nom d"« acétate ».