Polytechnique (promotion 1845 ; sorti classé 7ème sur 131 élèves). Ecole des Mines de Paris (entré classé 4ème sur 7 élèves). Corps des mines.
Fils de Hugues Henri Anachardis CUMENGE, négociant, et de Irma CORBIÈRE. Famille protestante. Mariage avec Louise GUIBAL, fille d'un industriel de La Rode (près de Castres) mort en 1835, et de Marianne Teissier.
Voir aussi : la biographie de CUMENGE sur le site EUROMIN
Publié dans Annales des Mines, 10e série tome 4, 1903.
Edouard Cumenge, Ingénieur en chef des Mines, décédé Paris le 20 juillet 1902, avait quitté le Corps des Mines depuis 1852, et sa carrière administrative a été courte ; mais les travaux d'une vie très active et très laborieuse ont été, pour la plupart, consacrés à l'examen ou à la mise en valeur des gisements miniers, c'est-à-dire à des questions intéressant directement l'art des mines ; il l'a fait sans jamais négliger le côté scientifique et théorique des recherches, auxquelles il apportait, d'autre part, une grande compétence pratique, et, dans les dernières années de sa vie, il avait tenu à resserrer encore les liens, qui l'avaient toujours attaché à l'École des Mines, en offrant aux élèves les plus méritants des bourses de voyages, destinées à leur permettre un voyage en Amérique, complément, selon lui, particulièrement utile de leurs études. Bien qu'il fût à peu près insaisissable à Paris, étant, malgré son âge avancé, toujours occupé de quelque expédition lointaine, prêt à passer l'Atlantique ou rentrant d'une traversée, sa physionomie originale, aux yeux vifs, à la fois pleins de finesse et rêveurs, sa grande barbe blanche en éventail, qui lui prêtait un air d'exotisme, étaient familières aux jeunes ingénieurs, toujours accueillis par lui avec la plus aimable sympathie. Ceux, et ils sont nombreux, qui lui gardent un souvenir reconnaissant, auront plaisir à trouver ici, rapidement retracés, les traits principaux de sa vie.
Edouard Cumenge était né à Castres (Tarn) le 16 avril 1828. Passionné dès son enfance pour les voyages, il songea d'abord au moyen le plus naturel de satisfaire ce goût dominant, auquel sa carrière d'ingénieur explorateur devait donner plus tard des facilités de réalisation si complètes. Il se prépara à l'École Navale et y fut reçu dans un bon rang, avec une dispense d'âge, à quatorze ans. Ses parents ayant obtenu de lui qu'il donnât sa démission, il passa du lycée de Castres à Paris et entra à l'École Polytechnique, le 1er novembre 1845. Il en sortit dans les premiers et choisit le Corps des Mines, toujours particulièrement désiré par ceux des polytechniciens, que séduisent, en dehors de toute autre considération, l'initiative précoce, les explorations de pays lointains et les libres recherches scientifiques. Le temps qu'il passa à l'École des Mines correspond à une époque troublée de notre histoire. Il venait d'y entrer, quand éclata la Révolution de 1848. Cumenge prit part comme sergent à la défense de l'Hôtel de Ville. Sorti de l'Ecole le premier, avant son ami Parran dont la mort devait suivre de si près la sienne, il fut, comme ingénieur ordinaire, attaché au Bureau d'Essais de l'École des Mines, le 28 janvier 1851. Dès l'année suivante, le 11 mars 1852, il se faisait mettre en congé illimité, et c'est dans cette situation qu'il a continué toute sa carrière.
Son mariage avec la fille d'un grand industriel de Paris, M. Guibal, un des promoteurs de l'industrie du caoutchouc, avait amené son entrée dans l'industrie de son beau-père ; il y resta jusqu'en 1873, et c'est à ce moment seulement, c'est-à-dire à quarante-cinq ans, que, s'étant trouvé libre par suite de nouveaux arrangements de famille, il reprit activement les études minières, auxquelles il n'avait jamais cessé de s'intéresser de loin.
En qualité d'ingénieur-conseil, il fit alors une série de voyages dans les pays les plus divers : en Espagne, en Italie, en Grèce, au Venezuela, en Colombie, aux États-Unis, au Mexique, etc. beaucoup de ces voyages furent faits avec Ed. Fuchs, en collaboration duquel il avait entrepris un grand ouvrage sur l'or.
Son activité physique était restée telle jusque dans la vieillesse qu'on le vit encore, en 1897, aller au Transvaal avec l'intention d'y entreprendre une étude de mines, arriver au moment où le trop fameux raid Jameson, qui amena l'incarcération momentanée des principaux directeurs de Mines, rendait tout examen sérieux impossible, le reconnaître aussitôt avec un sens pratique et une décision qu'appréciaient en lui les Américains et revenir en Europe par le bateau suivant.
Parmi les publications scientifiques de cette période de sa vie, que l'on trouvera énumérées plus loin, quelques-unes sont relatives à de nouvelles espèces minérales qu'il avait rencontrées dans les gisements visités : un sulfo-antimoniure de cuivre, la Guejarite, trouvé dans le district de Guejar de la Sierra Nevada; la Boléite et la Cumengite du Boleo, étudiées sur ses échantillons par Mallard; un minerai d'urane, la Carnotite, venant de Montrose (Colorado), dont l'examen fut fait par Friedel.
Des mémoires plus importants furent consacrés à trois gisements qu'il avait spécialement étudiés : l'amas cuivreux de Rio-Tinto, les bitumes de la Trinidad et les gîtes cuivreux du Boleo en Basse-Californie.
Son mémoire sur la Trinidad forme une monographie de cette île curieuse et de son industrie ; il y décrivait spécialement, en dehors du gisement classique de la Braie, le bitume assez particulier de Guaracaro qu'il assimilait au bitume de Judée.
L'entreprise du Boleo fut une de celles qui absorbèrent le plus longtemps son attention et auxquelles il porta le plus d'intérêt. A la suite d'un voyage exécuté avec Ed. Fuchs, il avait été un de ses fondateurs et, après quelques difficultés au début, il eut la joie de voir son brillant succès; il y retournait souvent et, même dans ses dernières années, atteint de la cataracte, il fit encore la traversée de l'Atlantique plusieurs fois pour s'y rendre.
Également, dans la métallurgie du cuivre, il avait réalisé un progrès industriel en introduisant à l'usine de produits chimiques de l'Estaque, près Marseille, dont il était administrateur, le traitement par lixiviation des minerais de Rio-Tinto.
Mais, parmi les questions de géologie théorique, celles qui l'intéressaient le plus étaient assurément celles qui concernaient l'or. Il avait conçu le plan d'un ouvrage monumental consacré à ce métal : aidé par de fidèles collaborateurs, il put en faire paraître quelques fascicules sans voir son achèvement complet. Celui sur la minéralogie de l'or montre le luxe de détails, dans lequel il désirait entrer.
Il avait, pour étudier ces questions, installé, dans sa propriété du Vésinet, un petit laboratoire, où il expérimentait souvent dans ses heures de loisir. Ses recherches sur les verres à base d'or, celles sur les aurosilicates, qu'il considérait comme formant le ciment des poudingues du Witwatersrand, ont fait l'objet de communications à l'Académie des Sciences.
Ayant vu et suivi un grand nombre d'exploitations aurifères, il était à même de traiter la géogénie de l'or avec une compétence spéciale et entassait, à ce sujet, les documents dans ses voyages. La dernière affaire qu'il ait créée, celle des placera hydrauliques de Junction City, qui lui donna de grandes préoccupations et beaucoup de déboires, était une affaire de mines d'or. [Concernant Cumenge et la mine d'or de Junction City, voir aussi : Biographie de Edouard Emile SALADIN]
Ed. Cumenge n'était pas seulement un ingénieur de premier ordre et un savant, et ce serait en tracer un portrait fort infidèle et bien banalisé que d'arrêter là cette étude. Tous ceux qui l'ont connu se rappellent sa vivacité méridionale, le langage coloré, parfois touchant au lyrisme, dans lequel il aimait à conter les aventures de ses voyages lointains, à en retracer les images, la verve souriante et gauloise, qui survivait chez lui aux tristesses, aux douleurs de la vie, qui se mêlait, sans les altérer, avec le sérieux des pensées, avec la fermeté des croyances austères, avec l'espoir fréquemment exprimé d'une réunion dans l'au-delà aux êtres chers qu'il avait perdus.
Il offrait là un contraste, qui n'est pas exceptionnel dans le protestantisme du Midi et que les péripéties diverses de son existence auront encore accentué.
Le goût des voyages lointains, celui de cette libre vie, parfois aventureuse, souvent pénible, entraîne l'explorateur de gisements miniers, suivant le hasard des circonstances, d'un bout du monde à l'autre, comportant assez naturellement l'amour de la nature, le sentiment du pittoresque, la tendance à l'observation des moeurs, parfois même quelque penchant à la réflexion solitaire ou à la rêverie. Pendant les longues heures des traversées, pendant les chevauchées à travers la montagne ou le désert, l'esprit travaille sur lui-même et cherche à donner une forme plastique à ses pensées. Comme son ami et compagnon Ed. Fuchs, avec lequel il présentait tant de points communs, Cumenge se plaisait à mettre en vers les bonnes plaisanteries narquoises, les malices aimables, ou parfois les pensées voilées de mélancolie, que lui suggérait la fortune du voyage. Il écrivait, tantôt en français, tantôt dans la langue paysanne du Tarn, qu'il parlait et s'attachait à fixer au moment où elle va disparaître. Il me semble que ses poésies patoises, les "Répapiatés d'un Biel d'al païs de Lengo d'Oc ", celle sur le vieux Castres ; " lou biel Castros ", par exemple, ont une verdeur et une saveur toutes particulières. Ces vieilles langues locales et populaires, qui sont, en réalité, les ancêtres de la notre qui ont formé les transitions spontanées entre le latin et le français, conviennent particulièrement bien à la traduction de sentiments simples, sans apprêt, sans affectation de technique savante et de métier littéraire.
J'ai fait allusion plus haut aux profondes douleurs qui affligèrent cet homme de bien. La perte de sa femme et de ses deux enfants l'avait cruellement éprouvé. Puis la cécité vint paralyser son activité, jusque-là infatigable. Mais il n'était pas de ceux, dont la recherche inquiète et douloureuse s'épuise à chercher le sens de la vie et finit par mettre en doute la vertu même de la conscience morale ou du travail ; il possédait une foi tranquille dans quelques principes simples et consacrés par le temps, qui lui servaient de soutien. C'est ainsi qu'il a pu arriver au but sans avoir faibli, ayant essayé d'apprendre et de progresser jusqu'au dernier jour. Suivant le précepte, qui, s'il ne fait pas le bonheur, assure au moins l'oubli de la souffrance, il a passé en travaillant : pertransiit laborando