Charles Jules Emile CHARBAUT (né en 1880)

Né le 15 décembre 1880 à Fère Champenois (Marne).

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1903, sorti classé 11e sur 36 élèves externes). Ingénieur civil des mines. Voir le relevé de notes de l'élève Charbaut


Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1934 :

Extrait du discours de M. Chavane, président de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, présentant le conférencier M. Charbaut au banquet du 15/12/1934 :

C'est un condamné à mort que votre association a choisi cette année ... Il partage avec plusieurs de nos camarades l'honneur redoutable d'avoir connu les prisons soviétiques ou allemandes et d'avoir été condamné à mort, Leharle et Pélissier s'en sont tirés, mais Havard Duclos en est mort.

J'ai anticipé sur la biographie de Charbaut, excusez-moi. Il est sorti en 1906 de l'Ecole des Mines. Après ses débuts à Marles, il a désiré voir l'espace plus dégagé devant lui, sortir des filières trop hiérarchisées et trop encombrées déjà de notre grande industrie et il est parti pour la Russie. Il est entré aux Mines de Goloubowka comme ingénieur attaché à la direction; cinq ans lui ont suffi pour franchir tous les échelons et il était directeur de cette mine lorsque la catastrophe de 1914 l'a rappelé en France comme lieutenant d'infanterie.

Très grièvement blessé en Argonne, il était au début de 1916 rappelé pour reprendre son poste en Russie. Lors de la révolution, il était en outre agent consulaire de France; il fut emprisonné par les Soviets, condamné à mort et, heureusement pour lui et aujourd'hui pour nous, échangé le 1er mars 1919 contre des prisonniers russes.

Rentré en France, il reprenait immédiatement encore une tâche difficile : la direction de la Compagnie Minière des Terres Rouges qui, comme toutes les mines et usines liquidées dans les pays recouvrés, était à tous les points de vue en très mauvais point et, en 1923, à la mort de M. Mossot, se voyait confier la direction générale de la Société Métallurgique de Knutange. Doté des qualités de commandement, d'ordre et de bon sens qui font les grands ingénieurs, il a cherché une carrière moins banale que nos carrières métropolitaines, il a été servi au delà de ses vœux par les événements, il a su surmonter toutes les traverses et il est arrivé à un des postes les plus en vue de la métallurgie française, à la Direction de Knutange et à la présidence de l'Association des Maîtres de Forges de Lorraine.

Je lui passe la parole.

M. Charbaut prononce ensuite le discours suivant :

Mon cher Président,

Quand, il y a quelques semaines, tu m'as fait le très grand honneur de me demander de prendre la présidence de ce banquet, j'ai d'abord hésité, puis j'ai compris que tu voulais faire place à cette sidérurgie lorraine qui, sauf erreur, n'a pas depuis longtemps assumé cette présidence. Depuis l'époque déjà lointaine où, sur les bancs de notre vieille Ecole nous suivions les cours de maîtres éminents, nos voies se sont séparées pour venir enfin nous retrouver dans ces marches de l'Est où nous avons eu la lourde tâche de reprendre des industries anémiées par une longue guerre et surmenées par un effort intensif. Aussitôt après la guerre, tu reprenais cette carrière de mineur de houille où tu t'étais engagé à ta sortie de l'Ecole, et ceci au moment où je l'abandonnais moi-même pour devenir, un peu sur le tard, métallurgiste. Tu as fait, de ces mines de Sarre-et-Moselle, une splendide exploitation dont les rendements et les résultats étonnent tous ceux, à commencer par ses anciens exploitants, qui savent quelles difficultés il y avait à surmonter.

Mes chers Camarades,

J'ai finalement considéré que je devais, comme une réparation un peu tardive, ma présence aujourd'hui à ce banquet que — j'en fais mon acte de contrition — j'ai si peu fréquenté dans le passé, et j'ai pensé qu'il y avait peut-être un certain intéret à venir vous dire très simplement quelques mots de cette industrie métallurgique lorraine, dont l'intégration dans l'industrie française ne s'est pas faite sans à-coups et sans qu'elle ait passé par des heures douloureuses.

Que ce soit dans le domaine juridique, où la fusion entre la législation locale et la législation métropolitaine soulevait de multiples problèmes: dans le domaine social, où la question des langues et du statut religieux provoquait mille discussions; dans le domaine économique, enfin, où l'adaptation d'industries très diverses à des conditions de production et de consommation nouvelles nécessitait une complète et profonde réorganisation; les problèmes étaient vastes et variés, et tellement nouveaux qu'il ne faut pas s'étonner s'ils ont dépassé parfois les forces humaines.

A la suite de la rupture des liens politiques et économiques unissant le bassin sidérurgique de Thionville au bassin houiller de la Ruhr, un déséquilibre complet se produisait dans ces usines, tant au point de vue de leur approvisionnement en combustibles que de celui de la recherche de débouches commerciaux. Je voudrais essayer de vous signaler quelques aspects de la poursuite d'un modus vivendi acceptable, les solutions acquises aujourd'hui étant encore, sur bien des points, assez éloignées de la perfection.

Je me permettrai, tout d'abord, de vous rappeler brièvement les origines historiques de l'industrie du fer en Lorraine. On retrouve dans une charte de l'Abbaye de Gorze une allusion à Modover. C'est le Moyeuvre d'aujourd'hui qui doit son nom à une forge forestière; la terminaison Over est la corruption du mot latin opéra, qui se retrouve en allemand dans l'expression Werk (Usine). La même forme se retrouve dans le nom Vendœuvre qui est celui de localités établies sur des gisements de fer en Meurthe-et-Moselle, dans le Calvados et la Nièvre. Les débuts de la sidérurgie se retrouvent dans un document de 1260, où Thierry, seigneur de Hayange, concédait à Thiébault, comte de Bar, le minerai de fer du ban de Hayange, ainsi que le privilège de le faire exploiter gratuitement. La première forge hydraulique sur l'Orne, à Moyeuvre, date de 1323. Ces forges changèrent continuellement de propriétaire jusqu'au début du XVIIIe siècle, et le 26 mars 1704, passèrent entre les mains de la famille de Wendel qui les a conservées jusqu'à nos jours. En 1870, à la veille de la guerre, l'industrie lorraine du fer se présente comme une industrie essentiellement française, par ses propriétaires, ses capitaux et ses débouchés. Elle est incorporée brutalement en 1871 dans l'entité économique allemande, qui commençait à prendre à cette époque son essor industriel.

On s'accorde à reconnaître que les conditions naturelles du développement d'une sidérurgie sont : le minerai, le combustible et l'eau. L'idéal serait donc de réunir ces trois matières premières; et pourtant, elles ne sont réunies que très exceptionnellement en Angleterre. Aux Etats-Unis, l'industrie du fer établie sur la houille de Pittsburg est à 1.000 kilomètres des mines de fer du Lac Supérieur; la métallurgie de la Ruhr s'alimente en minerai soit dans le bassin de Briey, à 300 kilomètres d'Essen, soit dans des gisements plus éloignés encore. Il en est de même en Belgique. En France même, la sidérurgie du Nord est alimentée par les minerais de Meurthe-et-Moselle, de Normandie, d'Afrique du Nord ou d'Espagne, et celle du Centre, — les gisements locaux étant depuis longtemps épuisés par des minerais des Pyrénées, de Briey, d'Espagne et d'Algérie.

La métallurgie lorraine, elle, semble disposer de ces trois éléments : Examinons-les rapidement. Le minerai de fer tout d'abord. Minerai pas très riche, réparti par la nature en minerais calcareux et siliceux permettant d'établir des lits de fusion convenables, mais phosphoreux et, jusqu'à la découverte du procédé Thomas, impropres à la fabrication de l'acier. Et pourtant, ce ne fut ni en France ni en Allemagne que fut faite l'invention décisive qui allait déclencher le développement de l'industrie moderne. C'est au XIXe siècle, en Angleterre, pays classique des inventions, qui jouissait d'un monopole pour la fabrication de l'acier à partir de ses hématites et avait le plus vif intérêt à ne pas susciter de concurrence. On a assisté là à une manifestation de l'intelligence humaine procédant contre ses intérêts matériels les plus évidents. Je n'insisterai pas sur le développement du procédé Thomas en France et en Allemagne. C'est l'histoire de la sidérurgie moderne.

En second lieu, la métallurgie lorraine dispose, à proximité, de réserves importantes de houille dans le bassin mosellan et dans celui de la Sarre. Mais à l'armistice, la croyance régnait que ces charbons étaient complètement impropres à la fabrication du coke métallurgique. Il y avait à cela plusieurs raisons; tout d'abord les métallurgistes de la Ruhr, propriétaires des usines lorraines — à l'exception bien entendu du groupe de Wendel — veillaient à empêcher un développement excessif de ce bassin et le fisc prussien exploitait ses mines de la Sarre avec une modération dont on aperçut plus tard le caractère intentionné. Il se désintéressa en particulier de la cokéfaction, et le coke qu'il livrait était défectueux sous tous les rapports. Les fourneaux lorrains furent construits pour utiliser les cokes de la Ruhr; et pourtant, les industriels de la Sarre, eux, faisaient leur coke avec les charbons du bassin et l'utilisaient dans leurs fourneaux, mais ceux-ci avaient des profils adaptés à la qualité du coke.

Depuis l'armistice, de nombreuses cokeries ont été construites en Lorraine, près des usines, utilisant les charbons lorrains ou sarrois par des mélanges ou des procédés de distillation spéciaux, et la question a été très étudiée. Il semble certain qu'on peut arriver à alimenter les usines en faisant un large emploi des charbons indigènes.

Pour l'eau, enfin, les usines lorraines se distribuent soit dans la vallée même de la Moselle, soit dans les vallées de ses affluents, la Fentsch et l'Orne, et sont ainsi alimentées en eau d'une façon satisfaisante.

La métallurgie lorraine dispose donc des ressources naturelles nécessaires. Quelle était à l'armistice la situation des usines? Les regroupements de mines et d'usines, consécutifs à la liquidation, avaient à faire face aux difficultés suivantes : un approvisionnement en combustible dépendant étroitement des réparations, donc de la bonne volonté allemande, qui ne devait pas se montrer constante, au point que la France devait occuper la Ruhr pour l'assurer.

Un personnel ouvrier comportant une minorité d'autochtones, et un très grand nombre d'ouvriers de toutes nationalités : main-d'œuvre peu spécialisée, très instable, à faible rendement et que la diversité des langues rendait plus difficile encore à éduquer.

Un personnel employé en grande majorité allemand, expulsé ou disparu après l'armistice, et dont le remplacement s'avérait difficile, notre pays ayant subi les pertes que vous savez.

Un matériel surmené et vieilli par les années de guerre, des machines restées avec un entretien insuffisant et usées par l'emploi d'huiles de très mauvaise qualité.

Des courants commerciaux à créer de toutes pièces : les usines lorraines apportaient à la France un élément productif qui, avec la reconstitution des usines sinistrées, devait doubler la capacité de production française et poser ainsi d'impérieux problèmes : le développement de la capacité d'absorption du marché français et la recherche de marchés d'exportation. A ce point de vue, les usines lorraines n'étaient pas très favorisées par suite de l'éloignement des ports de mer; elles avaient un important handicap de transport sur leurs collègues belges et luxembourgeois, travaillant les mêmes marchés.

Et puis, des affaires très compartimentées, avec de nombreuses directions indépendantes les unes des autres, et qui ne répondaient pas à nos conceptions françaises de simplicité et d'économie. C'est ainsi qu'on pouvait trouver dans trois mines de fer relevant de la même usine, trois écartements de voie différents, trois types de wagonnets et des approvisionnements constitués sans aucune liaison.

La tâche était donc considérable : on peut l'estimer comme très avancée aujourd'hui; dans le domaine technique, les usines lorraines modernisées, adaptées aux besoins nouveaux, n'ont pas vieilli et sont comparables aux usines reconstruites de toutes pièces après la guerre.

Dans toutes les usines, des services thermiques, composés de spécialistes et disposant des instruments de mesure les plus perfectionnés passent au crible de l'analyse toutes les opérations, mesurant tout ce qui peut être mesuré et assurent la meilleure utilisation des calories. Les résultats obtenus dans cette voie sont déjà remarquables et dans cette période de crise où on a dû réduire les productions à des taux très bas, on a presque toujours pu assurer l'équilibre thermique en consommant seulement le coke du haut-fourneau. Celui-ci s'est révélé, d'autre part, un appareil d'une souplesse et d'une complaisance insoupçonnées jusqu'ici.

Je me permets à ce sujet, mes chers Camarades, de recommander à ceux d'entre vous que ces questions thermiques intéressent, un Cercle d'études récemment créé par l'initiative de notre camarade Emilio Damour et qui tiendra une séance d'études le 20 décembre prochain, dans la salle des Ingénieurs civils, sous la présidence de M. Charles de Fréminville.

Les organisations commerciales, appuyées sur des ententes et des comptoirs, ont permis aux usines de traverser la crise, particulièrement dure, dans des conditions en somme pas trop mauvaises.

Les mines de fer, réorganisées en vue d'une exploitation plus rationnelle et plus économique, évoluent enfin vers une technique nouvelle qui a déjà fait ses preuves. Jusqu'ici, l'idée dominante avait été de reculer le plus possible l'ère des dépilages, génératrice de coups d'eau et de gros mouvements de terrains, et de procéder à un quadrillage intensif du gisement par de larges traçages; les idées modernes conduisent à des traçages plus restreints, ménageant beaucoup mieux les toits, et suivis presque immédiatement de dépilages systématiques avec foudroyage dirigé. Alors que la première méthode conduisait à abandonner souvent jusqu'à 30 % du gisement, la nouvelle conduit à des abandons qui ne dépassent pas 3 à 5 % et à une exploitation au moins aussi économique.

Enfin, dans le domaine social, l'action de l'ingénieur français s'est largement exercée; habitué par son tempérament et par sa formation à voir dans ses ouvriers bien moins des machines inconscientes que des hommes dont il a intérêt à développer l'initiative et l'intelligence, il a continué la tâche qu'il avait assumée comme officier pendant la guerre. Il s'est fait estimer — et aimer — de son personnel, et il a su en tirer le meilleur parti.

En dépit de notre tendance trop constante à nous dénigrer, il y a là un élément très réconfortant qui nous encourage à avoir foi en nous-mêmes et en l'avenir de notre pays.

Un triple ban, répété avec entrain prouve à la personnalité qu'est le camarade CHARBAUT, combien son discours est apprécié.


Légion d'honneur.


Extrait des Cahiers de François de WENDEL :

Le 30 avril 1939, à propos du déjeuner des anciens élèves des mines de Paris, organisé par Charbaut à Knutange : Contrairement à ce que j'espérais, Charbaut ne nous a pas fait visiter son usine. Il s'est contenté de nous promener dans ses oeuvres sociales ...