Jacques Jean Marie CHAPELON (1884-1973)

Né le 21 février 1884 à Paris. Fils de Jean-Baptiste CHAPELLON, commissaire de police, et de Marie Henriette LAPEYRE, institutrice. Marié à Clémentine Jeanine BERGER le 13/7/1912 ; marié en deuxièmes noces à Simone RUER. Décédé le 18 mars 1973.
Le registre matricule de l'Ecole polytechnique orthographie CHAPELLON avec 2 "L" tout en mentionnant que son nom d'usage comporte un seul "L". La base LEONORE de la Légion d'honneur l'orthographie avec 2 "L". Le registre matricule de l'Ecole des mines le note avec un seul "L", et il en va de même des bulletins de notes aux Mines : http://www.annales.org/archives/images/n1/chapelon.jpg

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1905 ; entré classé 80ème, sorti classé 5ème sur 168 élèves) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines (termine sa carrière comme ing. général). Docteur ès sciences.

Fonctions occupées dans l'enseignement de l'Ecole polytechnique :


D'après La Jaune et la Rouge, juin 1973 :

Résumé : Mathématicien, élève de Georges Humbert, Camille Jordan, Émile Picard et de Jacques Hadamard, il fera pratiquement toute sa carrière dans l'enseignement : à la faculté des sciences de Lille (professeur d'analyse supérieure et de calcul des probabilités), à l'université de Toronto et à l'École polytechnique. Il enseigna pratiquement toute la mathématique (mécanique, géométrie, supérieure, etc.), mais a surtout consacré son enseignement à l'analyse. Président de la Société mathématique de France en 1944. Il parraina avec d'autres grands intellectuels tels Langevin, Joliot-Curie, Koechlin, Wallon la revue du rationalisme moderne, "La Pensée".


Jacques CHAPELON nous a quitté à 89 ans, laissant un incomparable souvenir de mathématicien, de professeur et de citoyen.

Ses travaux, publiés dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences, dans le Journal de l'Ecole Polytechnique, dans le Bulletin de la Société Mathématique de France dont il fut le Président en 1944, dans Biometrica, etc., ont porté ainsi que sa thèse sur « la Théorie des nombres », sur « le Calcul des probabilités» et sur «le Repérage par le son».

On peut redire au Professeur CHAPELON les paroles qu'il adressa à Jacques HADAMARD dont il devait occuper de 1937 à 1954 la Chaire à l'Ecole Polytechnique :

« Vous avez, eu une influence profonde et heureuse sur la jeunesse polytechnicienne par l'exemple de rigueur et d'indépendance dans la pensée que vous lui donniez et sans lesquelles il n'y a pas d'esprit véritablement scientifique.

« Par vos cours et vos conférences à l'Etranger (Canada, etc.), et aussi par le charme de votre personnalité, vous avez fait mieux connaître et aimer la France. »

CHAPELON fut l'Elève de Georges HUMBERT, de Camille JORDAN, d'Emile PICARD, par la fréquentation de son séminaire, de Jacques HADAMARD. Il devait faire à peu près toute sa carrière dans l'Enseignement : à la Faculté des Sciences de Lille, à l'Université de TORONTO et à l'Ecole Polytechnique.

Profonde fut son influence sur ses élèves car il sut modeler son triple enseignement sur les modes de pensée et l'adapter aux objectifs recherchés par ces auditoires si différents.

L'Ecole Polytechnique a pour vocation essentielle de faire des hommes de synthèse, allant très rapidement à l'essentiel de disciplines et d'activités différentes pour en faire des recompositions en vue de la décision et de l'action.

L'Université a pour mission de former des hommes tournés vers l'analyse et vers la recherche patiente et novatrice. « L'Enseignement français », note Jacques CHAPELON, « est d'une haute tenue philosophique, mais laisse peut-être un peu croire à ses élèves que l'on peut construire une représentation adéquate du monde en partant de quelques grands principes abstraits d'une vérité immuable et éternelle ».

Il y a là, indique-t-il un héritage de la science grecque et de la scholastique du Moyen Age.

Par ailleurs CHAPELON, qui enseigna longtemps, en anglais, au Canada, note dans l'enseignement britannique, « le caractère beaucoup plus concret, mais qui tend peut-être trop à laisser croire aux élèves que l'on peut atteindre le réel en se confiant à l'heureuse chance des constatations empiriques ». Il peut en résulter une excessive méfiance à l'égard de la puissance créatrice de l'esprit...

Cette double expérience franco-anglaise devait être pour CHAPELON très enrichissante, car il avait remarqué combien « le travail de création » (analyse, abstraction et recomposition pour la création de l'objet scientifique) était souvent masqué en France par un mode d'exposition très dépouillé et réduit à un exposé strictement logique ».

Il y a là un reproche souvent fait à la mathématique moderne, ajouté à celui d'éloigner les élèves du concret. CHAPELON invite à voir qu'il s'adresse moins au fond de la science qu'au mode d'exposition.

Jacques CHAPELON a enseigné à peu près toute la mathématique (mécanique, géométrie supérieure, etc.), mais a surtout consacré son enseignement à l'Analyse, dont il souligne le rôle fondamental dans toutes les autres branches.

Il dit toutefois : « L'Analyse émiette la réalité mathématique en fragments qui devraient rester intimement liés pour servir à des travaux mathématiques ultérieurs ou à d'autres sciences ou pour l'exercice de la future profession. De simples déductions logiques à partir d'axiomes dogmatiques non abstraits de la réalité concrète, ne peuvent pas aboutir, sinon par hasard, à la compréhension de la nature ou à sa transformation par la volonté humaine. » « Même dans le domaine de l'Analyse », dit-il, c'est l'impact de la réalité extérieure qui est la source de tout progrès et non l'activité arbitraire de l'esprit travaillant dans le domaine de la logique pure », car « le principe de toute méthode scientifique — observation et expérimentation — ne joue pas en mathématique un rôle moindre que dans les autres».

« Il ne faut pas cultiver l'abstraction comme une fin en soi — tout en ne se refusant pas aux spéculations les plus abstraites » (car elles ouvrent le champ immense aux recherches sur le Possible dont le réel est un cas particulier d'ailleurs infiniment peu probable) — « si elles doivent fournir un instrument permettant de maîtriser la réalité et d'agir sur elle », car « la science est avant tout une activité » et « les jeunes gens ne doivent pas seulement faire des techniciens avertis mais des hommes d'action ».

Il aimait aussi montrer pourquoi au miracle de la science grecque avait succédé une léthargie scientifique de tant de siècles. Attachés à la géométrie comme à la beauté et à la perfection de ses formes, ne s'étant que peu aventurés dans l'arithmétique (dont le nom même évoquait la disharmonie), où l'infiniment petit et l'infiniment grand ne leur inspiraient que méfiance et où les incommensurables leur étaient inconnus, ils avaient abouti avec PARMENIDE et PLATON à une science fixe immuable et éternelle, dans leur vue de la nature et dans leur pensée. Ils avaient osé incorporer à la pensée mathématique de riches éléments dialectiques ».

CHAPELON voulait que l'on dominât son cours. Il assortissait celui-ci d'une abondante bibliographie se référant aux travaux de tous les pays d'Europe, d'Amérique et d'Asie, notamment de l'U.R.S.S., de la Chine, de la Pologne, de la Hongrie, avec lesquels il maintenait des contacts étroits.

L'ouverture de son esprit scientifique était telle qu'il allait jusqu'à plonger la mathématique dans le milieu social. Dans son article apporté aux « Grands courants de la pensée mathématique », François LE LIONNAIS dit que CHAPELON a ainsi ouvert une voie nouvelle et féconde pour des études ultérieures.

De son enseignement comme de son rayonnement humain, tous ses élèves et ceux qui l'ont approché conservent une empreinte ineffaçable, car l'objectif qu'il recherchait était essentiellement de « donner en vue de l'action le goût de la pensée claire et cohérente et l'aversion des idées confuses et de l'absurde » et, on peut ajouter, l'amour de la vérité et l'horreur du faux.

Il y a un autre aspect de la personnalité de ce grand professeur. On ne peut le passer sous silence sous peine de mutiler son souvenir.

Ses options politiques ont pu parfois étonner dans le milieu dans lequel il a eu à vivre. Toutefois, jamais ceux qui partageaient le moins ses positions, n'ont pu ne pas les respecter à cause de la foi qui le guidait et de la sincérité désintéressée de cet homme tout de rigueur éthique comme de dévouement.

Ces options ont eu deux sources : la guerre de 1914 et ses très difficiles débuts.

Il fit toute la première guerre sur le front, comme capitaine d'artillerie et rendit d'éminents services dans la mise au point du repérage et du réglage du tir par le son. Pendant la seconde Guerre mondiale, il fut un efficace résistant au sein du Front National Universitaire.

Quant à ses débuts dans la vie, ils furent très durs. Jacques CHAPELON était le fils d'un médecin qu'il perdit quand il était très jeune. Il resta seul et sans ressources avec sa mère, dont il avait hérité l'intelligence et la ténacité. Il eut singulièrement l'occasion d'en faire preuve pour pouvoir poursuivre ses études pour sa vocation d'enseignant et de savant.

Ses études secondaires furent hachées. Les soucis matériels l'amenèrent à perdre deux ans en se dirigeant vers les Arts et Métiers, tout en travaillant. Il dut préparer seul son baccalauréat de Math. Elém. Un heureux accessit en Mathématiques au lycée de Nancy lui donna une demi-bourse qui l'amena en Spéciales à Saint-Louis. Il voulait entrer à l'Ecole Normale Supérieure, mais renonça à s'y présenter ayant été reçu, à la limite d'âge supérieure, à l'Ecole Polytechnique. Ses soucis matériels étaient résolus. Il put travailler enfin tranquille. Il sortit de l'X avec le n" 5 et entra dans le corps des Mines, où il devait plus tard devenir Ingénieur général.

Son activité d'Ingénieur s'exerça dans le contrôle des chemins de fer à Grenoble. Il se fit remarquer par la rigueur et l'équité de ses rapports dans les enquêtes sur les accidents. Riche de son expérience humaine dans ses débuts difficiles, jamais il ne consentit à modifier ses conclusions pour ne faire retomber les responsabilités que sur les « lampistes ».

Mais, pour rappeler le mot de TCHEKOV, si l'ingénierie était son épouse, la Mathématique était sa bien-aimée. CHAPELON revint avec ténacité à sa vocation : Licencié es sciences dès l'Ecole des Mines, Docteur es sciences en 1914, il se dirigea définitivement vers l'enseignement, c'est-à-dire vers la formation des hommes.

La générosité naturelle de CHAPELON se traduisait par la simplicité de son accueil, par les conseils qu'il prodiguait à ses élèves les plus modeestes et par une action politique discrète mais courageuse, au mépris de ses intérêts les plus immédiats.

Sa probité intellectuelle l'avait conduit à s'élever contre les mensonges qui avaient cours au sujet des débuts si douloureux de l'Union Soviétique. Il l'avait visitée en 1934 pour le Centenaire de l'Académie des Sciences, en mission du ministère de l'Education nationale.

Il faisait partie de cette phalange de Grands Intellectuels qui — avec Paul LANGEVIN, Charles KOECHLIN, H. WALLON, Jacques HADAMARD et Frédéric JOLIOT-CURIE — parrainaient la Revue du Rationalisme Moderne, La Pensée.

Telle fut la vie de l'homme qui vient de disparaître. Et pendant que les flammes dévoraient son corps, dans le silence écrasant de ce Columbarium — où, pour ne déranger personne, il n'avait voulu ni musique, ni même un mot d'adieu — ceux qui l'ont aimé sentaient indestructible sa pensée les dominer, et murmuraient les mots que lui-même avait adressés à Jacques HADAMARD : « Chez vous, cher CHAPELON, la conscience sociale était au niveau de la conscience scientifique. Vous possédiez les plus belles qualités de l'Homme. »


Laurent Schwartz présente Chapelon dans ses mémoires comme un professeur dont les cours étaient "clairs et très appréciés" mais qui n'avait aucune renommée scientifique contrairement aux deux autres professeurs de maths de l'Ecole polytechnique à la même époque, Paul Lévy, qui parlait à voix trop basse "si bien que les avions en papier sillonnaient la salle" et Gaston Julia, qui "n'avait presque plus de voix".


Mis sur le web par R. M..