Ancien élève de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1946). Ingénieur civil des mines
MINES Revue des Ingénieurs, mars 1993 :
Il y a déjà quelques mois qu'Henry de BOUVIER nous a quittés. Mais il avait la pudeur des héros et se racontait peu. La quête aux souvenirs fut longue, mais combien riche d'émotions, car sa personnalité a profondément marqué ceux qui avaient le privilège de son amitié.
Henry de BOUVIER est né en 1925, dans une famille lorraine riche de traditions religieuses et civiques. Au printemps 1944, il abandonna ses études et s'engagea dans le SAS (Spécial Air Service) britannique. Il ne fut effectivement mobilisé qu'en septembre 1944 à l'approche des Alliés de la Lorraine. Revêtu de l'uniforme anglais, sous les ordres d'un capitaine et d'un sergent britanniques, il fut affecté à un commando opérant derrière les lignes allemandes et reculant avec les troupes nazies. Sa mission était d'attaquer les convois ennemis et de désorganiser leurs liaisons. Une puissante radio à manivelle le reliait à l'Etat-Major allié. Des jeeps munies de bazookas et de mitrailleuses étaient leurs seules armes. Le commando se repliait dans la forêt vosgienne après chaque attaque.
La stabilisation du front à l'automne 44 rendant l'action des SAS de plus en plus précaire, ils se virent en permanence traqués par les allemands. Devant franchir les lignes du front pour rejoindre l'Etat-Major allié, le capitaine britannique avec BOUVIER comme guide, tous deux habillés en civil furent malheureusement arrêtés par la Wehrmacht. Le Capitaine fut immédiatement fusillé (militaire combattant en civil) et BOUVIER remis à la Gestapo. Interrogé sous la torture au camp de Struthof, il fut condamné à mort puis miraculeusement épargné, car son dossier avait été égaré lors de son transfert à Haslach, commando d'extermination dépendant de DACHAU. Il y fut affecté à la construction d'une usine souterraine, et son travail consista en particulier à porter des sacs de ciment depuis l'entrée du tunnel jusqu'à l'endroit où l'on coulait le béton. Une occupation importante pendant les périodes d'arrêt du travail consistait à repriser ses chaussettes (il n'a plus de chaussures) pour éviter que ses pieds ne gèlent.
Surpris un jour par un gardien alors qu'il ramassait un vieux papier, il est accusé d'espionnage, roué de coups, privé de nourriture pendant trois jours et condamné à ne plus voir le jour, qu'il ne reverra que quatre mois pi us tard, alors que, à bout de forces, il est désigné pour la chambre à gaz. Car les chambres à gaz nazies n'ont pas seulement servi à exterminer les juifs, tziganes et autres « sous-hommes ». C'était aussi le moyen habituel de faire disparaître tout humain encombrant. Il n'y a plus de camion pour le transporter, et le lendemain le camp est libéré par les Alliés.
La vaillante conduite d'Henry de BOUVIER au combat lui valut alors la croix de guerre et la médaille militaire - dont il fut l'un des plus jeunes titulaires.
Rentré à Nancy juste avant que l'on vint annoncer sa disparition à sa famille, il trouve la force de reprendre ses études et il est reçu à l'Ecole des Mines en 1946. Il arrive à l'Ecole à la rentrée, où il est très rapidement choisi comme délégué de promotion. Comment expliquer cette confiance à l'homme discret qui se racontait rarement, et dont la plupart d'entre nous ignoraient le terrible passé ? Comment l'expliquer sinon en reprenant à peu près la belle formule de MONTAIGNE : « parce que c'était lui, parce que c'était nous »
A la sortie de l'Ecole, il obtient une bourse du Rotary-Club, qui veut aider autant le jeune ingénieur que le Français glorieux, ce qui lui permet d'aller passer un an au Massachussetts Institute of Technology.
Il en revient avec un diplôme de Master of Sciences, et il entre au Centre de Recherches de Pont à Mousson. Il y reste 3 ans, puis est nommé Adjoint au Directeur Général. La suite de sa carrière se poursuit au sein du groupe où il exercera successivement des responsabilités de direction dans diverses filiales : Compagnie des Tubes de Normandie, HADIR à Luxembourg, SIDELOR, SACILOR, etc. postes où il put montrer l'ensemble de ses qualités humaines. Celles-ci lui valurent une fin de carrière moins heureuse : chargé de la gestion administrative des Cadres, il eut en outre la tâche de procéder à divers licenciements, et il souffrit beaucoup moralement d'avoir à remplir cette pénible obligation.
Son besoin de servir s'exprima, en dehors de ses activités professionnelles par les responsabilités qu'il accepta à l'USIC (Union Sociale des Ingénieurs Catholiques). Puis, une fois à la retraite, à l'ICAA (organisme créé pour gérer les conditions de retraite des ingénieurs en cessation anticipée d'activité).
En 1954, il avait épousé Jeanne-Marie de ROZIERES, et ce couple exemplaire a alors construit une famille de sept enfants.
On ne saurait être entièrement fidèle à la mémoire d'Henry de BOUVIER si l'on ne rappelait pas que sa foi chrétienne a été son secours dans les moments de souffrance, et son guide dans les périodes d'action. Il a fait honneur à notre Ecole et à la France. Puisse son exemple lui survivre.
J. GRAVICHE (P 1946)
G. LIPIETZ (P 1942)
J.-M. AUDOLLENT (P 1945)
Ce texte a été rédigé grâce aux confidences qu'avaient recueillies ses rédacteurs aux cours de conversations avec Henry de BOUVIER, grâce aussi aux souvenirs qu'ont bien voulu évoquer des membres de sa famille, M. Roger MARTIN, des collègues de travail. Qu'ils soient tous remerciés de leur aide. Certaines précisions sont extraites d'un article qu'Henry de BOUVIER avait écrit pour le livre : « Ingénieurs au combat ».