Histoire de l'exploitation des mines en Toscane

par L. SIMONIN, ingénieur civil des mines

Publié dans Annales des Mines, 5ème série tome XIV, 1858

La Toscane a de tout temps, par la nature particulière de son sol, attiré l'attention du mineur.

Déjà, à l'époque des Étrusques, plus de mille ans avant l'ère chrétienne, les mines de fer, de plomb et de cuivre de cette partie de la péninsule étaient activement exploitées.

Sous les Romains, le sol de l'Italie, d'après une loi du sénat, dut être respecté, et Rome, pour les métaux dont elle manquait, s'adressa aux pays conquis, qui fournirent amplement aux besoins de la republique.

A la suite de l'invasion des Barbares, toute exploitation régulière des mines dut cesser sur presque toute l'étendue de l'empire, et le travail des métaux se borna souvent, dans cette période malheureuse, à refondre pour des usages grossiers une partie des objets d'arts qu'avaient produits en si grande abondance l'antiquité grecque et romaine.

Mais quand un peu de calme eut succédé au tumulte de l'invasion, quand l'Italie fut pacifiée, et que de nouvelles cités s'élevèrent sur les ruines qu'avait laissées le passage des hordes barbares, l'exploitation des mines fut reprise en Toscane, et les républiques italiennes de Lucques, Sienne, Volterra et Massa Marittima durent à cette exploitation une partie de leur puissance politique. Massa surtout s'éleva, par l'exploitation des mines et la fusion des minerais, au plus haut point de prosperite, et, durant près de deux siècles, cette petite république eut un code des mines régulier, et put rivaliser avec le pays classique de l'Allemagne pour la production des métaux.

Des événements politiques malheureux, et des circonstances économiques déplorables, que je citerai plus tard, amenèrent, vers la fin du XIV siècle, l'abandon successif de toutes les mines jusque-là exploitées.

On les a reprises depuis à diverses époques, notamment sous Cosme Ier de Médicis et ses successeurs. Récemment encore, en 1830, l'intelligente initiative d'un Français, M. Porte, est venue rappeler aux Toscans oublieux les souvenirs presque éteints du passé glorieux de leur industrie minérale. Diverses compagnies se sont aujourd'hui substituées à M. Porte : d'autres compagnies rivales se sont aussi formées pour l'exploitation des mines abandonnées ou de mines nouvelles; mais malheureusement, à part quelques exceptions, les mines de Toscane n'ont plus jeté cet éclat qui avait caractérisé leur exploitation à deux périodes différentes, la période étrusque et la période de moyen âge.

C'est de ces deux périodes que je vais m'occuper ici, essayant d'introduire dans la science une branche nouvelle, et que l'on pourrait appeler l'archéologie minérale.

Je vais tenter de rétablir, avec ce qui nous reste des travaux anciens, les méthodes d'exploitation suivies jadis en Toscane, et, sur les scories et les débris de fours encore existant en divers endroits, essayer de reconstituer les méthodes de fusion autrefois employées. En un mot je vais étudier quel a été l'état de l'exploitation des mines et de la métallurgie en Toscane 1° sous les Étrusques, 2° sous les républiques italiennes; de là deux divisions naturelles de ce mémoire qui vont être successivement développées.

PREMIÈRE FARTIE,
DE L'EXPLOITATION DES MINES ET DE LA MÉTALLURGIE EN TOSCANE SOUS LES ÉTRUSQUES.

On sait que les Étrusques, descendants des Pélasges, florissaient en Italie dès la plus haute antiquité , bien des siècles avant la fondation de Rome. Ils occupaient surtout la partie de la péninsule italique comprise entre la Tyrrhénienne d'une part, et d'autre part le fleuve Magra au Nord et le Tibre au sud. Cette région occupe toute la Toscane actuelle et une partie des États de l'Église.

L'Etrurie paraît avoir atteint son plus haut point de grandeur et de prospérité politiques entre les XI et VI siècles avant Jésus-Christ. Elle donna deux rois à Rome, Tarquin l'Ancien et Tarquin le Superbe, et enfin, après diverses luttes , semées de victoires et de défaites réciproques, elle fut entièrement soumise aux Romains dans le III siècle avant notre ère.

Je ne saurais fixer à quelle date peuvent remonter les divers travaux que je vais décrire; mais ces travaux indiquent par leur étendue dans certaines régions, notamment celle du Campigliais, une durée plusieurs fois séculaire; et, comme leur description interesse avant tout le mineur, je laisserai à l'archéologue le soin de marquer ensuite leur véritable date historique.

Aux temps dont je parle, c'est-à-dire entre les XI et VI siècles avant le Christ, la partie de L'Étrurie qui correspond au grand duché de Toscane actuel était des plus florissantes, et dans ces lieux existaient alors une foule de cités puissantes dont on retrouve encore aujourd'hui les ruines, attestant leur grandeur passée.

C'est, pour le cas seulement qui nous occupe, Populonia, que Strabon nous a décrite et que Virgile nomme dans l'Enéide. C'est Volterra, toujours à la même place, et dont l'antique enceinte de murs cyclopéens fait honte au peu d'étendue de la ville actuelle. C'est, vers le fleuve Magra, Luni, dont on ne voit plus les ruines; mais qui, à l'époque étrusque, faisait seule avec Populonia tout le commerce maritime de ces contrées. Enfin c'est Vetulonia, dont les antiquaires fixent l'ancien emplacement, soit dans la ville Massa Marittima, soit dans cette, région des Maremmes toscanes, vers les bords de la Cornia.

Nous n'avons aucune histoire originale de l'Étrurie, celle qu'avait écrite l'empereur Claude étant totalement perdue. Les historiens modernes qui nous ont parlé des Étrusques nous ont vanté surtout l'éclat et le luxe de l'ancienne Étrurie, et ne se sont généralement occupés que de ses institutions politiques et de l'étude de l'art. Quelques-uns ont parlé de commerce ; mais tous ont négligé de nous dire l'état de l'industrie à cette époque florissante. C'est ce vide que je vais essayer de combler pour ce qui regarde l'exploitation des mines et la métallurgie.

A défaut d'histoire écrite, les faits vont nous éclairer.

Dans le Campigliais, vers la ville actuelle de Campiglia, voisine de Populonia, des vides profonds ouverts dans le sol, des haldes immenses qui s'étendent devant des excavations encore béantes, enfin des amas accumulés de scories cuivreuses et plombifères datent de ces temps éloignés.

Populonia, c'est une véritable montagne de scories de fer, que l'on voit encore aujourd'hui vers le rivage et le long du rivage lui-même, sur une longueur de plus de 600 mètres et une hauteur moyenne de 2 mètres, un immense dépôt de ces scories, que viennent battre les eaux de la mer.

Ces restes d'une industrie passée témoignent par leur etendue de l'importance et de la durée d'anciens travaux sidérurgiques. On comprend que toutes ces ruines muettes nous éclairent sur des exploitations éteintes mieux que l'histoire et la tradition, mieux que tant d'objets d'arts en bronzes ou autres métaux qui proviennent de cette époque de luxe et de civilisation avancée.

Populonia, que Strabon et d'autres géographes de l'antiquité nous ont décrite ou citée, et qui est encore debout aujourd'hui au même endroit et avec le même nom; Populonia dont Virgile nous dit qu'elle fournit à Enée six cents jeunes guerriers, ce qui, tout en faisant la part des fictions poétiques, témoigne au moins de sa splendeur passée, Populonia paraît avoir été le centre de tous les travaux minéralurgiques de ces contrées pendant la domination étrusque. Elle fut détruite lors de la conquête romaine, d'autres disent sous la dictature de Sylla; et ravagée depuis par les Barbares, elle ne s'est plus relevée.

Mais sous la domination étrusque, Populonia était une ville très-peuplée, puissante par l'industrie et le commerce. Le périmètre de ses murs pélasgiques couvre une étendue considérable, et les restes d'objets d'arts qu'on a trouvés sous ses ruines attestent une civilisation très-développée. Populonia jouissait avec Volterra du droit de battre monnaie pour toute la confédération étrusque. Ses monnaies sont presque toutes à l'effigie de Vulcain, qui personnifie le travail des métaux dans le paganisme antique, et, pour mieux expliquer encore ce que la tête du dieu forgeron signifie: dans ce cas, les monnaies de Populonia portent pour armes le marteau, l'enclume et les tenailles. Enfin le mot lui-même de Populonia, en étrusque Pupluna, a, d'après les antiquaires, la même signification que le mot mines en français : Pupluna était donc, sous les Étrusques, la ville des mines et des métaux.

Avec les minerais de fer de l'île d'Elbe et du Campigliais, elle traitait aussi les minerais de plomb argentifère et les minerais de cuivre de ce district : ce qu'attestent suffisamment les tas amoncelés des diverses scories que le Gampigliais offre en si grande abondance.

Le mouvement des métaux a même dû être très-grand à Populonia, car c'était, comme on l'a vu, avec Luni au nord, le seul port de l'Étrurie.

Quant aux travaux des mines, les vides encore accessibles des anciennes excavations, et les haldes existantes annoncent, par leur étendue, des exploitations qui ont duré des siècles. Ces exploitations ont porté, comme on l'a dit sur des gites de fer, de cuivre et de plomb argentifère. Elles vont être successivement étudiées.

Les mines de fer de l'île d'Elbe ont été activement exploitées par les Étrusques, et l'on retrouve encore aujourd'hui dans l'île, sur l'immense dépôt ferrugineux de Rio, des déblais considérables provenant de fouilles que la tradition fait remonter jusqu'à la période étrusque.

La méthode d'exploitation employée était alors celle qu'on a toujours suivie à l'île d'Elbe jusqu'à ces derniers temps, une méthode à ciel ouvert et par grandes tailles, suffisamment décrite par son titre même. Il serait difficile de fixer au juste, parmi les divers outils retrouvés dans ces vides anciens, pics, marteaux, leviers, masses, etc., quels sont ceux qui remontent à l'époque reculée. Ces outils sont généralement très altérés par leur séjour prolongé sous terre ; ils sont même complètement oxydés, et leur forme primitive est difficile à rétablir exactement. Mais ces outils sont tous en fer, et je ne sache pas qu'on ait rencontré à l'île d'Elbe, comme dans d'autres mines très-anciennes, en Espagne par exemple, aucun outil en bronze.

L'existence de ces outils dans les vides produits par l'excavation à l'île d'Elbe avait donné lieu chez les anciens à une singulière croyance, qui s'est même propagée jusqu'à nos jours. On pensait que le minerai de l'île se reproduisait naturellement à mesure qu'on l'excavait; cette erreur n'a pu naître que parce qu'on aura retrouvé très-probablement d'anciens outils sous du minerai éboulé, ou au milieu de stalactites ferrugineuses qui se seront formées dans les vides anciens par l'effet de l'infiltration lente des eaux superficielles.

Les Étrusques fondirent quelque temps tout le minerai dans l'île même; de là, selon Diodore de Sicile, le nom d'Athalia que lui donnèrent les Grecs, c'est-à-dire l'île Brûlée, l'île des Feux. On retrouve d'ailleurs encore aujourd'hui des scories ferrugineuses en divers points de l'île, notamment vers Porto Longone. Mais, quand le bois vint à manquer, on transporta tout le minerai à Populonia, cité la plus voisine de l'île sur le continent, et dont la position maritime permettait la facile exportation du métal produit. Le minerai était fondu dans des fours que les Romains laissèrent allumés après la conquête de l'Étrurie. Ces fours marchaient du temps de Strabon, c'est-à-dire sous les règnes d'Auguste et de Tibère, et on les trouve même mentionnés dans le récit d'un voyageur des derniers temps de l'empire romain. C'est donc en tout une durée de plus de quatorze siècles d'un travail non interrompu.

Les fours en usage à Populonia devaient ressembler à ceux que divers pays, et notamment la Catalogne et la Corse, ont continué d'employer jusqu'à aujourd'hui. En un mot, ils devraient être du modèle des fours que nous appelons en France fours catalans. Ils étaient établis sur les hauteurs voisines du rivage et aussi sur les bords de la mer. Le choix des lieux indiquerait l'idée de servir, en partie, pour souffler les fours, des courants d'air naturels qui devaient venir en aide aux soufflets de l'époque, nécessairement très-incomplets. Je n'ai pu rencontrer les ruines d'aucun de ces fours; mais j'ai ça et là retrouvé les pierres dont ils étaient batis. C'est un grès siliceux calciné par la flamme et scorifié en plus d'un point.

Le minerai était probablement grillé, et ce grillage s'effectuait en tas. J'ai retrouvé un de ces tas encore intact et rencontré aussi, au voisinage des scories, le minerai cru qu'on traitait. C'était la première qualité de l'ile d'Elbe, c'est-à-dire du fer oligiste, à 60 et 65 p.100. On le fondait dans le foyer avec du bois ou du charbon de bois. On obtenait ainsi une loupe de fer pieux, dont on devait extraire par compression la scorie adhérente; l'on réchauffait ensuite cette loupe dans un deuxième foyer pour l'étirer en barres sous le marteau. On produisait de la sorte un fer doux ou aciéreux suivant les cas. Quant à la fonte, il ne saurait en etre quesstion chez les anciens. Quand l'opération était mal conduite, il se formait des loupes ferrugineuses dont on retrouve quelques-unes sur place. Les scories indiquent généralement une bonne allure ; elles sont bien fondues, boursouflées, de couleur noiratres et un peu luisantes à la surface. Leur texture est sensiblement cristalline. Elles sont pesantes et leur densité dépasse 3 ; elles agissent sur l'aiguille aimantée, font gelée avec les acides forts, ne présentent dans leur cavités aucun globule de fer métallique. Elles sont essentiellement composées de silice et de protoxyde de fer et se rapprochent de la formule BS².

Les matières terreuses sont la chaux, la magnésie et l'alumine dans la proportion de 8 à 10 p. 100, et la composition moyenne des scories est à très-peu près la suivante:

Silice50 p.100
Protoxyde de fer40
Chaux, magnésie, alumine8 à 10

Il est probable qu'on n'employait pas de fondants dans la fusion; mais on mêlait le minerai de l'île d'Elbe pour en corriger la gangue argileuse et calcaire avec celui de Monte-Valério, voisin de Populonia en terre ferme, et dont la gangue est essentiellement siliceuse. Ce minerai, qui est comme celui de l'île d'Elbe un peroxyde anhydre, est très-riche et contient souvent jusqu'à 65 p. 100 de fer. Il fait partie d'un immense dyke dirigé nord-sud comme les dépôts de l'île f d'Elbe et qui leur paraît contemporain.

Le dyke de Monte-Valerio a été exploité par les Étrusques surtout aux affleurements, et l'on retrouve sur la direction du gîte des excavations anciennes peu profondes communiquant entre elles par des cheminées très-étroites. En d'autres points, la méthode d'exploitation est différente. Aux Cento Camerelle (les cent chambres), c'est un ensemble de chambres intérieures se reliant par des galeries horizontales basses et serrées; au Campo allé Bûche (le champ des excavations), ce sont des puits verticaux peu profonds et très-voisins, avec quelques descenderies à larges ouvertures et s'ouvrant dans le sol comme d'immenses cavernes. Partout les déblais tirés de ces excavations, et encore épars à la surface, attestent la présence du minerai de fer, et sont là comme autant de témoins d'un des plus anciens travaux de mines connu.

En même temps que les mines de fer de l'île d'Elbe, les mines de cuivre de cette île étaient aussi exploitées, et peut-être même l'exploitation des mines de cuivre a-t-elle précédé à l'île d'Elbe, comme dans tant d'autres pays de l'antiquité, celle des mines de fer. Un passage d'Aristote annonce positivement le fait pour l'île d'Elbe. Quoi qu'il en soit, le minerai de cuivre était fondu dans l'Elbe même, et on retrouve aujourd'hui encore, entre Porto Ferrajo et Marciana, des scories de cuivre éparses ça et là vers le rivage. Elles datent de l'époque des Étrusques.

Peut-être aussi une partie du minerai a-t-elle été fondue à Populonia comme le minerai de fer, car on rencontre quelques scories cuivreuses mêlées aux scories de fer de Populonia. Quoi qu'il en soit, les mines de l'île d'Elbe ont été retrouvées de nos jours a Santa Lucia, Porto Ferrajo, et on veut les remettre en exploitation. Il n'y existe pas de travaux anciens apparents, et il probable que le gîte aura été exploité à ciel ouvert, et que, comme il arrive souvent pour les gîtes cuivreux, il y aura eu aux affleurements des accumulations très-riches de carbonates et oxydes de cuivre, et même de cuivre natif, métal que l'on retrouve encore aujourd'hui, avec les carbonates et les oxydes, à la mines de Santa Lucia.

Mais l'exploitation du cuivre par les Étrusques paraît surtout s'être concentrée dans le Campigliais. Là existe un immense dyke d'amphibole nadiée et d'iénite compacte, toutes deux cuprifères, et que l'on peut dire presque contemporaines; car si l'amphibole traverse l'iénite en quelques points, celle-ci coupe à son tour l'amphibole, ce qui indique des éruptions successives très-rapprochées, et que l'on doit par suite rattacher à la même époque géologique. Ce dyke amphibolique et iénitique recoupe le terrain des marbres blancs du Campigliais, terrain qui répond à l'étage du lias. Le dyke sillonne les flancs du Monte Calvi, dans une direction à peu près nord-sud, et deux autres dykes parallèles renfermant comme lui du minerai de cuivre et souvent de la blende, de l'oxyde de fer et de la galène en assez grande abondance, ont été aussi exploités. La pyrite de cuivre se trouve d'ordinaire en bandes sensiblement parallèles dans l'iénite, et en zones concentriques dans l'amphibole radiée. La galène et la blende sont très-irrégulièrement disséminées et forment un tock-werck; l'oxyde de fer est à l'état de dyke.

Les Étrusques ont fait sur les gîtes cuivreux du Campigliais des travaux considérables. A la Gran Cava, une immense ouverture conduit dans l'intérieur des excavations. Les yeux restent frappés de la grandeur des vides anciens. Le dyke cuivreux, qui a aux affleurements de 20 à 25 mètres de puissance, en acquiert jusqu'à 40 et 50 à la profondeur de 30 à 60 mètres, où sont descendus les Étrusques. Comme les roches qui composent le gîte métallifère et même celles qui lui servent de toit et de mur, qui sont les marbres blancs saccharoïdes dont j'ai parlé, comme toutes ces roches sont éminemment compactes et très-résistantes, les vides des Étrusques se sont jusqu'à aujourd'hui maintenus sans aucun éboulement intérieur. Ces vides communiquent généralement entre eux par des galeries très-étroites, quelque-fois inclinées et même verticales à la façon de cheminées.

Certains gradins qui existent encore dans les excavations anciennes semblent faire croire que le système d'exploitation suivi était une sorte de méthode par gradins droits, encore employé de nos jours pour des gîtes puissants. C'est au moins celle qu'on suit toujours à Campiglia.

Les ouvriers s'élevaient sur ces gradins et abattaient la roche avec des pointerolles à tête diamantée. On peut suivre encore aujourd'hui sur les parois des anciens vides la marque laissée par l'outil, et la trace encore toute fraîche ferait croire que le travail ne date que d'hier.

En aucun point, on ne rencontre des marques laissées par le pic; de sorte que la masse et un fleuret à main, ou la pointerolle, paraissent être les seuls outils qu'aient employés les Étrusques, et ces outils devaient être en fer très-aciéreux, pour mordre sur des roches aussi dures que l'amphibole et l'iénite compactes.

Le stérile, laissé dans les vides intérieurs, servait de remblai, et quelques-uns de ces remblais anciens, véritables murs en pierres sèches, ont été traversés pour les besoins de l'excavation moderne. Quelquefois la terre et les sables produits par l'abatage et rejetés au milieu du stérile, se sont si bien liés à lui, sans doute par l'effet du tassement, qu'il a fallu faire jouer la mine pour rompre l'adhérence de cette espèce de mortier.

Souvent, au milieu des remblais, on trouve des bois entièrement carbonisés, provenant d'étais qui soutenaient le toit des excavations étrusques.

D'autres fois aussi, au milieu des vides, des piliers laissés intacts, et toujours dans les parties pauvres, sont destinés à résister à la pression du terrain supérieur. Ces piliers sont ménagés de distance en distance et les modernes, quand ils ont voulu les abattre, les ont presque toujours trouvés très-peu riches de minerai. La moyenne teneur du minerai de Campiglia n'atteint pas du reste, aujourd'hui, plus de 4 à 5 p. 100 et ne paraît pas avoir dépassé ce chiffre chez les Etrusques.

Pour l'aérage des travaux, les Étrusques pratiquaient des cheminées verticales à la partie supérieure des grands vides qu'ils faisaient dans l'exploitation. Quelques-unes de ces cheminées, de forme ronde, étroite et tortueuse, ont une longueur qui étonne, et on en rencontre une qui vient déboucher au jour sur les flancs du Monte Calvi, et qui n'a pas moins de 100 mètres du développement : un homme peut à peine passer dans ce boyau étroit et profond.

Quelquefois l'exploitation, au lieu de se présenter avec cette irrégularité qu'on rencontre à la Gran Gava, et que du reste la nature du gîte excuse suffisamment, puisque c'est encore aujourd'hui avec cette allure que marche le travail; quelquefois, dis-je, l'exploitation prenait, chez les Étrusques une régularité presque classique. Divers plans ou niveaux communiquaient entre eux, et de l'un à l'autre des ouvertures verticales permettaient de sortir le minerai jusqu'au jour, par élévations successives, sans que ce mode de transport intérieur nécessitât ni trop de temps ni trop de dépenses.

Les Étrusques semblent n'avoir eu aucune idée de la continuation des gîtes minéraux en direction ou en profondeur. Quand ils ont perdu le gîte à l'intérieur, ils l'ont rarement retrouvé, et à la surface ils n'ont attaqué que les affleurements. En tous les points où les dikes métallifères du Campigliais, véritables roches éruptives, sont venus percer au jour, se trouve toujours l'ouverture d'une vaste descenderie, ou d'un de ces puits sinueux et étroits qui semblent caractériser le mode d'exploitation de ces temps primitifs.

Les deux dykes amphiboliques qui sillonnent le flanc occidental du Calvi ont surtout été explorés de cette façon, et l'on peut suivre encore aujourd'hui, sur deux trainées parallèles de déblais anciens, la direction de ces deux dykes, sur près de 3 à 4 kilomètres d'étendue. Grandes attaques à ciel ouvert, puits verticaux ou sinueux, descenderies à larges ouvertures, véritables cavernes toujours béantes, et jusqu'à des cheminées d'aérage communiquant avec les travaux intérieurs, et d'une profondeur qui va quelquefois à plus de 100 mètres, tout s'y retrouve comme aux premiers jours, toute la montagne est criblée d'ouvertures, et le géologue ou le touriste qui parcourent ces contrées demeurent frappés de stupéfaction s'ils se prennent à réfléchir au peu de moyens mécaniques qui venaient en aide à la force de l'homme en ces temps éloignés, et à l'esprit de patience dont ces premiers explorateurs de la richesse minérale de l'Italie ont dû faire preuve pour mener à bout leurs vastes entreprises, qui ont dû compter une durée de plusieurs siècles.

Les deux lignes de déblais dont il a été question sont à peine à 250 mètres de distance l'une de l'autre. Elles partent de la Gran Cava, où l'exploitation étrusque a été des plus actives, et aboutissent sur la ligne de faîte du Monte Calvi : l'une à la Buca del Colombo, puits immense ouvert dans les marbres et de plus de 100 metres de profondeur verticale; l'orifice est de forme elliptique, et a 12 mètres environ sur le grand axe et 5 mètres sur le petit. L'autre traînée de déblais se termine à la Buca del Serpente, en aval de la précédente et le puits vertical ouvert en ce point se divise après une vingtaine de mètres, en deux autres puits très-étroits, qui paraissent se rejoindre ensuite.

Au système de travaux dont je viens de parler se ratttache transversalement une autre ligne de puits, galeries, tailles à ciel ouvert, etc., qui part du sommet de l'Acqua Viva parallèle au Monte Calvi. Cette ligne de travaux suit un énorme dyke d'amphibole et d'oxyde de fer. Elle se perd dans la vallée, puis reparaît sur un contre-fort du Calvi, criblé de puits anciens et dénommé le Poggio alle fessure (la montagne des fentes). Enfin elle vient se joindre à la ligne de travaux précédemment décrits par la Buca dell' Aquila. Là l'amphibole et l'iénite disparaissent pour faire place à un dyke quartzeux, où l'on rencontre, outre la pyrite de cuivre, de la galène argentifère, du cuivre gris, du cuivre sulfuré et des carbonates de cuivre. Partout les travaux atteignent des proportions gigantesques et de très-grandes profondeurs.

A la Gherardesca, de l'autre côté du Monte Calvi, et sur le contre-fort dit le Buche al ferro, c'est-à-dire les mines de fer, l'exploitation étrusque paraît avoir porté sur un gîte de fer peroxyde, de cuivre carbonate et pyriteux et peut-être de galène argentifère. On rencontre encore dans les makis les ouvertures des grands vides par lesquels on pénétrait dans l'intérieur. Ce sont des puits irréguliers, sensiblement verticaux, à larges dimensions, et d'une profondeur de 50 à 80 mètres.

Après que les mines ont été abandonnées, et pendant que l'homme faisait trêve à son travail, la nature continuait lentement le sien. A la Gran Cava, sur certaines des parois, le carbonate de chaux, dissous par les eaux d'infiltration de la surface, ou les eaux des sources intérieures, s'est fixé en stalactites cristallines, dures comme le marbre dont elles proviennent. En d'autres points, la pyrite de cuivre, la blende, etc., décomposées par les agents atmosphériques, ont donné naissance à des minéraux particuliers, épigéniques, tels que des carbonates et silicates de cuivre ou de zinc, des hydrocarbonates de zinc, de cuivre et de chaux (buratite), des hydrosilicates d'alumine et de cuivre, etc... Ces minéraux ont été analysés par M. Delesse (Annales des Mines, 'e série, t. IX et X).

L'amphibole s'est aussi décomposée, et sur certains points elle est devenue tendre et friable, comme aussi l'iénite, dont le fer est souvent passé au maximum d'oxydation.

A la surface, et sur les haldes qui sont au devant des anciennes descenderies, haldes dont quelques-unes atteignent par leur étendue de gigantesques proportions comme peu de mines en offrent même de nos jours, on a retrouvé, mêlé aux gangues laissées là par les Etrusques, des particules métallifères, dont les collorations bien connues trahissent la présence du cuivre.

Ces déblais métallifères prouvent qu'un premier triage et cassage à la main s'opérait sur le carreau de la mine, et il est probable que ce triage était suivi d'un nouveau cassage plus soigné, et peut-être aussi d'un broyage et d'un lavage qu'on faisait subir aux minerais avant de les porter dans les fours. Partout, en effet, on retrouve les scories cuivreuses, traces de la fusion, le long des cours d'eau du pays, et ces cours d'eau n'étaient pas assez abondants pour faire mouvoir une soufflerie mécanique. L'époque dont je parle ne saurait comporter, du reste, des appareils de cette sorte et la force mécanique n'était guère empruntée alors qu'aux bras de l'homme.

En deux points, la fusion a été très-prolongée, et sur l'un de ces points, nommé encore aujourd'hui la Fucinaja (la forge), voisin de la Gran Cava, on retrouve une série de douze à quinze monticules de scories cuivreuses, disséminés de part et d'autre du ruisseau qui sillonne la vallée. Sur le second point, dit Valle Lunga, à la Gherardesca, on rencontre les amas de scories étages de la même façon. La quantité existante en place est d'environ 30.000 tonnes à la Fucinaja, et de 15,000 tonnes à la Gherardesca. Mais il est bien permis de supposer que la quantité primitive a été double au moins, et qu'une grande partie des scories a été emportée par les eaux pluviales. En effet, les divers dépôts gisent tous en talus de part et d'autre des versants des vallées de la Fucinaja et de la Gherardesca, et dans les pluies d'orage l'entraînement des eaux latérales descendant dans le thalweg a dû porter à la longue, vers le lit du ruisseau adjacent, une quantité énorme de scories. A Valle Lunga, comme à la Fucinaja, on retrouve de ces scories disséminées sur le parcours de l'eau sur plus de 2 kilomètres d'étendue.

On rencontre encore cà et là au milieu des scories en place, des débris des pierres réfractaires qui composaient les fourneaux. Elles ont été extraites de roches euritiques et ryacolitiques que l'on trouve dans le voisinage. Ces pierres étaient taillées en petit appareil. Elles sont parfois un peu vitrifiées sur les bords, mais se sont bien conduites au feu. La surface est légèrement rougie, et dans l'eurite les larges cristaux de feldspath orthose se détachent très-nettement sur la masse. Un certain nombre de fours devaient fonctionner à la fois sur le même ruisseau, et j'ai retrouvé l'emplacement de plus de vingt de ces fours à la Fucinaja. Le vent devait être fourni par des soufflets à main, les machines hydrauliques étant alors peu connues. Aucun des cours d'eau de la contrée ne paraît du reste, ainsi que je l'ai dit plus haut, avoir été assez abondant pour se preter à l'installation d'une soufflerie mécanique, qu'on ne pourrait non plus y établir aujourd'hui, vu le peu de volume de ces eaux en toute saison. Ces fours, dans tous les cas, à en juger par les ruines qui en restent, ont dû être très-bas, du genre des feux catalans, ou des feux comtois employés pour la fabrication du fer, ou encore du modèle des fours écossais en usage en Angleterre dans le traitement des minerais de plomb riche.

Le même fait d'amas de scories étagés le long d'un ruisseau, sur les deux rives, comme dans le Campigliais, se représente en Sardaigne, et la tradition en attribue l'origine à une colonie d'Étrusques. Seulement il ne s'agit plus cette fois de scories de plomb argentifère. Ce travail pourrait peut-être aussi provenir des Phéniciens, qui, à une époque très-reculée, ont possédé la Sardaigne, et qui étaient, comme on le sait, très-avancés dans les arts métallurgiques.

Les Etrusques ont dû apprendre la fusion des métaux des Phéniciens, qui l'enseignèrent aussi aux Carthaginois.

Les relations commerciales suivies répandaient ainsi, à défaut de livres, et entre les divers peuples de l'antiquité, la connaissance des arts industriels.

Les scories cuivreuses que l'on rencontre dans le Campigliais sont bien fondues, de couleur tirant sur le noir, bulleuses, mais nullement vitreuses, si ce n'est parfois sur les bords. Elles ressemblent à des scories de fer, et comme elles, elles attirent le barreau aimanté. Leur densité moyenne est de 2,80. Quelques-unes trahissent par des efflorescences verdatres la présence du cuivre. La quantité de ce métal utile qu'elles renferment va jusqu'à 1 1/2 à 2 p. 100 à la Fucinaja , mais ne dépasse pas 1/2 p. 100 à la Gherardesca. Elles contiennent beaucoup de fer, 30 à 32 p. 100, et généralement de 1/2 à 3 p. 100 de plomb, riche à 1 ou 1/2 millième d'argent, soit 2,5o à 5 grammes d'argent aux 100 kil. de scories. Ces scories ne sont bien attaquées que par les acides concentrés et si on les porphyrise soigneusement. La quantité de silice qu'elles renferment est de 50 p. 100 environ. Aux métaux ci-dessus rapportés, il faut joindre le zinc, qui se révèle souvent en grande quantité par des efflorescences blanchâtres, mais dont la proportion moyenne dans les scories ne dépasse guère 3 p. 100; enfin le cobalt et le manganèse, mais rarement, et à l'état de trace seulement. Le soufre n'existe pas d'ordinaire dans les scories à moins qu'elles ne contiennent en même temps quelques grains de mattes. Les matières terreuses sont la magnésie, la chaux et l'alumine, pour une proportion de 4 à 5 p. 100 environ. En somme, la composition moyenne des scories de Fucinaja est sensiblement la suivante :

Silice ..............................50000
Protoxyde de cuivre .................2,000
Protoxyde de fer ...................35,000
Protoxyde de plomb ..................4,000
Protoxyde d'argent. .................0,005
Prototoxyde de zinc .................3,500
Protoxyde de cobalt et de manganèse..traces 
Magnésie, chaux, alumine.............5,000
Soufre. .................. ..........traces
                                    -------
                                    99,505

La composition de ces scories s'explique d'elle-même quand on sait qu'elle proviennent d'un minerai dont la gangue est l'amphibole et l'iénite, mêlées quelquefois de quartz et d'oxyde de fer manganésifère, et que le minerai est la pyrite de cuivre unie à la blende , à la pyrite de fer et peut-être à un peu de galène. Mais la présence du plomb dans les scories paraît due plutôt à ce qu'on ajoutait à la fusion une certaine portion de ce métal, ainsi qu'on le verra plus loin.

Les scories de la Gherardesca ont à peu près la même composition que celles de la Fucinaja. Elles sont seulement beaucoup plus pauvres en cuivre, et ne renferment que des traces de zinc. La quantité de plomb contenue est aussi un peu inférieure et ne dépasse guère 2 p. 100. Proviennent-elles d'une fusion cuivreuse mieux conduite, ou sont-elles simplement le résultat d'une fusion plombeuse, c'est ce que je ne saurais décider, n'ayant pas retrouvé les affleurements certains du gîte que les Etrusques ont exploité à la Gherardesca.

Je ne dirai rien de quelques tas isolés de scories cuivreuses que l'on rencontre dans les makis , au lieu dit Biserno, entre le Monte-Calvi et la mer. Ils sont peu volumineux, et paraissent seulement provenir d'essais en grand faits sur place plutôt que de fusions régulières.

Parmi les scories de Fucinaja et la Gherardesca, on découvre quelquefois des mattes, qui se reconnaissent très-bien à leur structure argentine et unie, et à leur plus grande densité. Quelques échantillons ont donné jusqu'à 30 et 35 p. 100 de plomb, et 10 à 12 p. 100 de cuivre. Mais les mattes se présentent en très-petite quantité, surtout à cet état de richesse.

Les scories dénotent généralement une fusion très-bien entendue, et il est très-rare de rencontrer des loups; mais quelquefois on retrouve dans les scories du cuivre et du plomb métalliques,en très-petites portions, il est vrai.

Le combustible employé était le bois ou le charbon de bois provenant d'essences de chêne et de chataignier. On employait le bois en petits rondins, et l'on rencontre souvent dans les scories l'empreinte de ces rondins eux-mêmes, fossiles d'un ordre tout nouveau. Ces rondins pouvaient avoir de 3 à 4 centimètres de diamètre.

On a quelquefois retrouvé au milieu des scories des monnaies, des scarabées, et des débris d'amphore, particuliers aux Étrusques. On y rencontre aussi des morceaux de minerai de la grosseur du poing, tels qu'on les passait dans les fours. C'est le même minerai qu'aujourd'hui , même gangue, et la teneur ne semble pas plus élevée, 2 1/2 à 5 p. 100 au plus.

Les scories anciennes du Campigilais ont été récemment employées à Campiglia comme fondants pour des fours à cuivre. On s'en sert aussi avec beaucoup d'avantage, et depuis très-longtemps déjà, pour remblayer les routes du pays. Mais peut-être pourrait-on en tirer encore meilleur parti, en les retraitant sur les lieux, pour le plomb, l'argent et le cuivre qu'elles renferment.

D'après ce qu'on peut lire dans les auteurs de l'antiquité qui nous ont transmis quelques détails sur la fusion des métaux, notamment Pline, dans son Histoire naturelle, le traitement des minerais de cuivre chez les Romains , et partant chez les Étrusques, dont les Romains devaient avoir pris les procédés, consistait principalement en une fusion pour fonte crue au four à manche. Pline ne fait mention ni du grillage ni du raffinage.

Les minerais de cuivre, qu'on ne soumettait qu'à une préparation mécanique grossière, devaient sans doute presque toujours renfermer, au moment de la fusion, de la pyrite de fer, de la galène et de la blende. Le cuivre produit restait allié à la plus grande partie du plomb et du zinc et souvent de l'étain qui accompagnait parfois le minerai. Enfin le cuivre devait renfermer une certaine quantité de fer. Le résultat d'une première fusion était donc, outre les scories qui entraînaient avec elles la majeure partie du fer, et toutes les matières terreuses, le bronze ou airain, l'aes des Latins, que l'antiquité avait su plier à tant d'emplois divers, et que meme elle adopta, avant de connaître le fer, pour tous les usages auxquels celui-ci se substitua plus tard.

L'alliage ainsi obtenu dans une première fusion était souvent cassant, propablement à cause du soufre qu'il renfermait, et alors on procédait à une deuxième fonte; c'était une sorte d'affinage. Quelquefois, pour rendre la coulée plus facile , on mêlait au minerai 8 p. 100 de son poids en plomb métallique. On opérait dans des fours à manche, avec du bois et probablement aussi du charbon de bois, et le vent était lancé par des soufflets.

L'airain de Chypre et de Corinthe était surtout renommé chez les anciens, mais l'airain des Étrusques, à en juger par tous les objets d'art qu'ils nous ont laissés, ne le cédait en rien aux précédents. Les anciens paraissent avoir peu connu le cuivre rouge; mais ils ont connu le laiton, qu'ils nommaient comme nous cuivre jaune.

Les Étrusques ne se sont pas bornés à exploiter les mines de cuivre dans le Campigliais, ils y ont aussi exploité celles de plomb argentifère. Le minerai, fondu dans le four à manche, a dû être ensuite coupellé pour en extraire l'argent. Parmi les monnaies étrusques retrouvées à Populonia on rencontre en effet, avec des monnaies en cuivre en très-grande abondance, une certaine quantité de monnaies d'argent. Quant au plomb lui-même, bien qu'il en reste peu de traces parmi les objets étrusques retrouvés en Toscane, il est permis cependant de penser que les Étrusques l'ont employé à fondre des tuyaux, et pour la confection de ces glandes de plomb , qu'on lançait avec la fronde, et dont on a retrouvé une assez grande quantité dans le Campigliais. Enfin, le plomb a dû être employé comme fondant dans le traitement du minerai de cuivre. On a retrouvé à Populonia quelques monnaies d'or et beaucoup de bijoux de ce dernier métal. Cet or provenait sans doute du lavage de sables aurifères. Peut-être aussi le tirait-on de contrées lointaines avec lesquelles les Étrusques pouvaient être en relation commerciale. Le fait est qu'on ne connaît aujourd'hui en Toscane aucun gisement aurifère certain.

On a vu plus haut que la quantité de scories cuivreuses répandues dans tout le Campigliais est environ de 50.000 tonnes, et qu'elle a dû être double au moins chez les Étrusques, soit 100.000 tonnes. Je supposerai que cette quantité ne correspond qu'à une égale proportion de minerai traité. Cela donnerait une durée de deux siècles à l'exploitation étrusque en admettant une extraction annuelle de 5oo tonnes de minerai pour toutes les mines du Campigliais réunies, et la production utile n'a certainement pas dépassé ce chiffre. On se demandera peut-être comment, avec des roches si dures et si pauvrement métallifères, l'exploitation des anciens, qui n'avaient ni la poudre ni les moyens mécaniques que nous possédons, et qui étaient en même temps si peu avancés en connaissances techniques, comment cette exploitation, dis-je, a pu se soutenir avec profit. On a argué du travail des esclaves ; mais les esclaves coûtent d'achat et d'entretien; il faut compter aussi l'intérêt de l'argent employé à les acquérir, et dans les mines , la surveillance étant très-difficile, l'esclave et à plus forte raison le prisonnier de guerre , ou le condamné aux mines, produisent très-peu d'effet utile, et toujours moins que l'ouvrier libre. On a parlé aussi de concentrations métallifères sur la tête des dykes du Campigliais; mais les affleurements de ces dykes existent intacts en plus d'un point, et toujours ils se montrent avec les apparences de la plus grande pauvreté. A l'intérieur, quand on est entré dans les chantiers étrusques pour la première fois, on a trouvé le minerai tel qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire d'une très-faible teneur, et les déblais anciens ne permettent non plus aucun doute; si bien que j'incline à croire que la seule bonne raison qu'on puisse donner de l'exploitation avantageuse des Étrusques sur un gîte si difficile à l'attaque, et si pauvre de teneur, est l'emploi si étendu du bronze chez les anciens, et par suite le haut prix auquel ce metal devait être parvenu à une époque où le fer était moins travaillé et très-cher, beaucoup plus que le bronze, et où ce dernier métal, d'un travail en définitive facile, était appliqué à tous les usages de la vie civile et militaire: ustensiles domestiques, objets d'ornements, statues, monnaies, lances, casques , cuirasses, etc. Il existait à Arezzo, dans l'Étrurie, une importante manufacture de tous ces objets, qui continua de fabriquer sous la domination romaine. J'ajouterai que l'Étrurie était alors le grenier de l'Italie et que les Maremmes ne présentaient pas l'état de désolation qu'elles offrent aujourd'hui. L'ouvrier devait donc y vivre à très-bon compte, et par suite le prix de la journée de travail devait être très-modéré.

Les mines de Campigliais ne sont pas les seules que les Etrusques aient excavées, et diverses autres mines de la Toscane étaient aussi en exploitation régulière dès cette époque reculée. A Montieri, c'étaient des mines d'argent et de cuivre et les étymologistes voient même dans Montieri la corruption de deux mots latins, Mons aeris (la montagne du cuivre).

A Massa, c'étaient des mines de fer, de cuivre et de plomb argentifère. Il est probable que les monnaies et les bijoux de cuivre, d'argent et d'or de Vétulonia provenaient exclusivement des métaux retirés de ces mines.

A Rocca Tederighi, des mines de cuivre très-importantes ont été aussi exploitées par les Étrusques, et l'on veut que des auges en trachyte, que l'on rencontre encore éparses ça et là non loin de ces mines, aient servi au lavage des minerais. Dans tous les cas, des appareils rudimentaires , comme ceux dont il est question, ont dû nécessairement précéder les divers mécanismes de lavage et de préparation mécanique aujourd'hui si complets et si ingénieux.

A Monte Catini, près Volterra, les mines de cuivre, aujourd'hui si productives, ont été aussi exploitées par les Étrusques, et par là s'explique l'abondance des monnaies de cuivre de Volterra.

Enfin, dans le nord de la Toscane, les mines de plomb argentifère des Alpes Apuanes, aux lieux qu'on appelle aujourd'hui le Bottino et Val di Castello, près Seravezza, ont été excavées par les Étrusques, et peut-être la colonie qu'ils avaient établie à Lucques y avait-elle été importée dans ce but ; peut-être aussi le port de Luni, dont on retrouve les ruines non loin de l'embouchure du fleuve Magra, doit-il sa fondation à l'exploitation des mines d'argent de cette région métallifère.

Le nom même de Luni ou Luna (la lune) trahit celui de l'argent; car on sait que les anciens avaient dédié leurs sept métaux à chacune des sept planètes, et que la lune, qu'ils regardaient comme une planète, représentait l'argent, aussi dédié à Diane; le fer était Jupiter, le cuivre Vénus, etc. La cité de Luna avait d'ailleurs pour emblème un croissant, que l'on retrouve sur les monnaies antiques de cette ville, et je ne sais plus quel auteur latin, Stace, je crois, l'appelle quelque part Luna la métallifère (Luna metallifera). Partout, au voisinage des mines que nous venons de citer, on rencontre des scories provenant de la fusion; mais en aucun lieu les travaux métallurgiques ne paraissent avoir eu une durée aussi longue que dans le campigliais.

D'autre part, les travaux plus modernes, greffés sur les travaux anciens, ont fait disparaître, partout ailleurs que dans que dans le Campigliais, toute trace des ouvrages étrusques, et il n'est plus permis aujourd'hui, en vue surtout de l'étendue et de l'importance des travaux du moyen âge, à Montieri et Massa-Marittima par exemple, de faire ailleurs qu'à Campiglia, la part des deux époques étrusques et du moyen âge.

Et maintenant pour résumer ce que j'ai dit de la civilisation industrielle des Étrusques, sur laquelle il me paraît que les historiens ne se sont point assez étendus, je dirai qu'il me semble avoir suffisamment prouvé ce fait, à savoir que l'art des mines et de la métallurgie, qui a pris naissance avec les besoins des sociétés anciennes, était, dès le Xe siècle avant Jésus-Christ, c'est-à-dire quatre siècles avant la fondation de Rome, ardemment cultivé sur toute l'étendue de l'Etrurie, et que dès cette époque reculée, une nation intelligente et vouée aux arts avait exécuté dans plusieurs mines de la Toscane des travaux étendus, dont quelques-uns étonnent, par leur immensité, même les générations actuelles qui possèdent cependant la poudre, l'acier et les moyens mécaniques puissants.

J'ai montré aussi qu'à la même époque ce même peuple savait fondre les minerais de fer, de plomb et de cuivre, et que l'examen de scories provenant de la fusion ne dévoile à la chimie moderne qu'un travail parfaitement conduit. J'ajouterai enfin que les divers objets étrusques répandus avec tant d'abondance dans les différents musées de la péninsule, statues et vases de bronze, bijoux en or et en argent, monnaies, etc., tout indique que le peuple étrusque avait atteint, à une époque très-reculée, un degré de civilisation remarquable, et que s'il avait appris des Phéniciens l'art de traiter les minerais, il avait surpassé ce peuple dans l'art de fondre et de travailler les métaux pour en faire des objets de luxe et d'ornement.

A la même époque où Rome achevait la soumission de l'Etrurie, elle conquérait l'Espagne, et elle avait déjà fait de l'île de Sardaigne, qu'elle arrachait aux Carthaginois, une province de la république. L'Espagne et la Sardaigne étaient alors fameuses par le travail des mines et par les richesses qui en provenaient. Ces mines continuèrent d'être exploitées après la conquête, tandis que les mines de l'Étrurie furent entièrement délaissées. On ne s'expliquerait guère l'abandon de mines qui étaient pour ainsi dire aux portes de Rome, si une loi très-ancienne du sénat, loi que Pline rappelle souvent dans histoire naturelle, n'avait enjoint de respecter le sol italien.

Le sénat eut sans doute en vue de favoriser ainsi, dans la péninsule, les développements de l'agriculture, et de laisser intactes pour l'avenir les substances minérales que l'Italie renfermait dans son sein. Peut-être aussi voulait-il affaiblir, en les privant de cette source de richesse, les peuples italiens, trop rapprochés de Rome. Enfin, comme la politique extérieure de la république était essentiellement colonisatrice, défendre l'exploitation des mines sur le sol italien et la permettre sur le sol conquis à l'étranger, c'était appeler sur ce dernier point les éléments d'une nombreuse colonie venue de la métropole, et apportant dès lors, chez les peuples soumis, les idées, les moeurs et la langue de Rome. On a vu la même chose se passer en Espagne, où l'exploitation des mines fut prohibée à l'époque de la découverte du nouveau-monde. Quoi qu'il en soit du sénatus-consulte cité par Pline, et dont on n'a point retrouvé le texte, ce qui fait qu'on ne peut sûrement connaitre les raisons et les considérants qui ont guidé le sénat de Rome; ces raisons ne sont certes pas celles que donne Agricola dans son traité De veteribus et novis metallis, liv.I, où il dit que la défense d'exploiter les mines en Italie provenait de ce que le sénat de Rome avait reconnu que les dégâts produits par l'exploitation des mines sur le sol arabe n'étaient pas compensés par le profit qu'on retirait de la production de ces mines elles-mêmes.

Pline déplore le fait de l'abandon des mines d'Italie et il revient par trois fois, dans le mémorable ouvrage qu'il nous a laissé, sur l'ensemble de toutes les connaissances scientifiques de l'antiquité. Dans le livre III, chap. 24 de son Histoire naturelle, après avoir tracé le tableau général de l'Italie, il ajoute : « Par l'abondance de toutes sortes de mines, elle ne le cède à aucune autre contrée, mais l'exploitation en a été interdite par un ancien sénatus-consulte qui commande que l'on épargne l'Italie. »

Plus loin, livre XXIII, chap. 21, où il commence à traiter des métaux, Pline répète : « J'ai dit qu'un ancien sénatus-consulte voulait qu'on épargnât l'Italie sinon aucune terre ne serait plus riche de minerais ».

Et enfin, dans le dernier livre, au dernier chapitre presqu'en concluant, il est dit: «Pour l'exploitation des mines d'or, d'argent, de cuivre, de fer, tant qu'il fut permis de les excaver, l'Italie ne l'a cédé à aucun autre pays. »

J'ai cité in extenso ces divers passage du plus célèbre naturaliste de l'antiquité, pour prouver que les Romains, quoi qu'on ait pu dire sur la vue d'anciens travaux qu'on oubliait de rapporter aux Étrusques, leurs seuls auteurs, que les Romains, dis-je, n'ont jamais exploité les mines de la Péninsule italique.

Strabon, d'ailleurs, dit en propres termes, qu'en passant à Populonia, il y trouva des mines abandonnées, et Strabon visita Populonia vers l'an 27 du Christ, c'est-à-dire aux plus beaux temps du luxe, de la puissance et de la richesse romaines.

Mais les pays conquis ont, par contre, amplement payé à la république le tribut de leurs richesses minérales, entre autres l'Espagne et la Sardaigne déjà fouillées par les Phéniciens et les Carthaginois. La Grèce, la Macédoine, l'île de Chypre , qui a donné son nom au cuivre, et plus tard l'Asie Mineure, toutes contrées dont les mines remontent à l'antiquité la plus reculée, fournirent aussi à Rome, pendant plusieurs siècles, tous les métaux dont elle avait besoin.

Cet état dura jusqu'aux derniers temps de l'empire, où les mines des provinces furent même réglementées, et des officiers ou intendants des mines, procuratores metallorum, institués par ordonnance impériale.

Parmi les mines citées dans ce mémoire, celles de fer de l'île d'Elbe furent les seules qui demeurérent en exploitation en Italie , après la conquête de l'Etrurie. Les Romains , qui jusqu'alors n'avaient employé que le bronze, commencèrent à employer le fer, et l'on peut lire dans Tite-Live, déc. III, liv. VIII, qu'à l'époque de la deuxième guerre punique, Populonia fournit à Scipion l'Africain tout le fer dont il avait besoin pour son expédition contre Carthage. Cinquante ans plus tard , Virgile, dans son Enéide, citait l'île d'Elbe comme riche d'inépuisables mines de fer. Enfin, les mines de l'île d'Elbe furent exploitées sous l'empire romain jusqu'à la grande invasion des Barbares ; car un voyageur latin, Rutilus Numatianus, qui passa à Populonia vers le Ve siècle après le Christ, et nous a laissé de son voyage une pittoresque description, nous parle du travail du fer à Populonia, et de l'exploitation du minerai de l'île d'Elbe, et il cite cette île dans un vers calqué sur celui de Virgile.

Cette discussion sur l'état de l'exploitation des mines de Toscane pendant la période romaine, me servira de trait d'union entre la période étrusque et la période du moyen-âge. Pour les Barbares, ils eurent en Italie, aux premiers temps surtout de la conquête, bien autre chose à faire qu'à s'occuper d'exploitation des mines ou de métallurgie, et j'ai déjà dit comment ils entendaient la pratique de ce dernier art.

DEUXIÈME PARTIE.
DE L'EXPLOITATION DES MINES ET DE LA MÉTALLURGIE EN TOSCANE PENDANT LE MOYEN AGE.

Pendant le moyen âge, l'exploitation des mines se poursuivit en Toscane avec autant d'activité que sous les Étrusques, et les restes de tous les travaux de cette époque, comme ceux de la période étrusque, étonnent par leur étendue.

Massa-Marittima fut, au moyen âge, le centre principal de toutes les exploitations, comme Populonia l'avait été sous les Étrusques.

Ce n'est pas que d'autres localités n'aient aussi présenté alors un certain degré d'activité minérale; mais Massa, en attaquant à la fois tous les innombrables gîtes métallifères disséminés comme à l'envi dans les profondeurs de son sol, offrit un exemple qui n'avait pas eu de pareil, et ne devait pas se renouveler. Nulle part l'histoire ne fait mention d'un ensemble aussi imposant d'exploitations sumultanées. Les bouches encore ouvertes de toutes ces anciennes excavations, les tas de déblais qui en proviennent, et les amas de scories ça et là accumulés, excitent aujourd'hui encore l'étonnement du géologue et du mineur.

C'est entre l'an 1200 et l'an 1348 que je crois pouvoir fixer la période la plus florissante des travaux du moyen âge dans le Massetan, et bien que les mines de ce district aient été aussi excavées par les Étrusques, les derniers travaux, je veux dire ceux du moyen âge, ont effacé par leur étendue toute trace des excavations primitives.

L'année 1348 marque pour l'exploitation des mines de la Toscane une date fatale : ce fut à cette époque qu'une peste effrayante, celle qu'a décrite Boccace, vint désoler toute la Toscane. A un événement déjà si triste vinrent s'ajouter de malheureuses circonstances politiques et économiques. Les mineurs ne purent résister er à tant d'ennemis conjurés, et les travaux des mines furent alors partout abandonnés. Ils n'ont jamais été repris depuis d'une manière active et suivie.

Massa portait alors le nom de Massa aux mines, Messa metallorum, et elle n'est plus connue aujourd'hui que sous le nom de Massa Marittima ou Massa des Maremmes. Elle comptait près de 20.000 habitants dans ses murs, et résistait victorieusement aux attaques des républiques voisines de Volterra et Sienne. Elle fournissait des mineurs à divers souverains, et elle en adressait jusqu'à cent à la fois au duc de Calabre, qui en avait demandé ce nombre. Elle avait un hôtel des monnaies, et puissante par l'industrie du cuivre et du plomb, elle l'était aussi par son commerce, et envoyait les produits de ses usines métallurgiques jusque sur les marchés d'Allemagne.

Enfin Massa, réglementant son exploitation, aura la gloire d'avoir été le premier état pourvu d'un code de mines complet, et ce code, conservé manuscrit à la bibliothèque des Uffizj, à Florence, est une oeuvre des plus remarquables, non-seulement pour le temps où il a été écrit, mais encore pour l'époque actuelle. Ce code remonte à l'an 1200, et ne contient pas moins de 86 articles écrits dans le latin barbare de l'époque. Il suffirait à lui seul pour établir l'importance que les travaux des mines ont eu à Massa pendant le moyen âge, si d'autres preuves encore plus palpables ne venaient nous donner la mesure de l'immense activité industrielle que la république de Massa dut présenter à cette époque, et ces preuves sont celles qui rassortent d'une visite générale du terrain.

Aux abords de Massa, à 5 ou 6 kilomètres au plus de distance, tout aux alentours du mont sur lequel la ville est bâtie, on retrouve les traces des anciennes excavations. C'est par centaines qu'il faut compter les puits d'exploitation dans un même district, et sur des étendues de 10 à 15 hectares seulement. Ils sont si rapprochés que leurs haldes vont jusqu'à se confondre. La plupart des ouvertures, encore béantes, accusent des profondeurs qui varient entre 50 et 100 mètres, et quelquefois bien davantage.

Parfois on retrouve aussi les sables stériles provenant d'anciens lavages, et très-souvent des tas nombreux de scories, traces du traitement métallurgique.

La plupart des localités excavées au moyen âge ont reçu, dans les temps modernes, des noms qui rappellent les travaux dont elles furent témoins. C'est Serra bottini, la montagne des puits; il loppajo et lo schiumajo ou le tas des scories ; campo aile cave ou le champ des mines; Val pozzoja ou la vallée des puits, etc.....

Ces différentes localités ne seront pas décrites ici dans leurs détails : un tel sujet entraînerait trop loin. Mais on dira d'une manière générale quels furent au moyen âge , dans le district de Massa, les moyens d'exploitation employés, quels les procédés de fusion. Cette histoire du passé sera rétablie non-seulement par l'étude des lieux, mais encore par divers extraits de la loi sur les mines dont j'ai déjà parlé, et qui donne sur la partie technique de très-précieux détails, bien qu'elle soit plus intéressante encore au point de vue administratif.

Avant de commencer ce qui a trait à l'étude des mines anciennes de Massa, je vais jeter un coup d'oeil géologique rapide sur les différentes formations métallifères du Massetan.

Les formations métallifères du Massetan sont presque toutes encaissées dans le terrain que les géologues toscans ont successivement dénommé sous les noms de terrain étrurien et terrain d'Alberese. Ils rattachent aujourd'hui ces dépôts aux terrains nummulitique et crétacé supérieur des géologues français. Quoi qu'il en soit, cette formation est essentiellement composée de trois étages, qui sont en allant de haut en bas :

  1. Un étage de grès compactes et siliceux, dit macilio ;
  2. Un étage de calcaires cristallins, dit calcaires de l'alberese ou simplement alberese;
  3. Enfin un étage de schistes friables, mêlés de bancs calcaires peu épais, dit étage des galestri.

C'est surtout dans l'étage inférieur, celui des galestri, qui se trouvent renfermées la plupart des formations métallifères du Massetan. Quelques-unes traversent l'alberese; mais le macigno est généralement stérile.

Ces formations sont les suivantes :

  1. Une série de filons-couches quartzeux, dont un véritable dyke, a jusqu'à 12 mètres de puissance. A ceux ci viennent se rattacher un ensemble de filons peu inclinés, à gangue généralement quartzeuse, mais dont quelques-uns sont aussi à gangue amphibolique et d'oxyde de fer. La pyrite de cuivre est le minerai dominant ; mais on y retrouve aussi la pyrite de fer, quelquefois en très grande abondance, le cuivre gris, les cuivres oxydés, oxydulés et carbonates, et souvent aussi le sulfure de cuivre. Les filons quartzeux ont très-fortement modifié le terrain dans lequel ils sont encaissés. Nulle part l'action métamorphique due à des actions hydropyrogènes , n'est plus sensible. Les schistes nummulitiques sont passés l'état d'alunites ou de stéaschistes, le fer au maximum d'oxydation le calcaire à l'état de dolomies, etc. ;
  2. Un système de filons réguliers ou filons-fentes, à gangue siliceuse et calcaire, et taillant l'étage de l'alberese et des galestri dans une direction E. O. L'inclinaison de ces filons varie de 70 à 76° sur l'horizon et leur puissance de 0m,50 à 1 mètre. Ils renferment surtout de la galène argentifère. Mais ils contiennent aussi de la blende, de la pyrite de fer et de cuivre, et quelquefois du minerai d'antimoine.

    Cette formation et la précédente ont été principalement excavées par les anciens. La première à Pietra, l'Accesa, Capanne Vecchie, Serra Bottini, le Rocche et Cugnano, etc. La seconde à la Castellaccia, Poggio Montone, Prata, etc.

  3. Un immense dyke de fer peroxyde anhydre, surtout développée à Val d'Aspra et la Niccioletta, et qui semble se rattacher à ceux de Monte Valerio et de l'île d'Elbe. Les anciens l'ont exploité, mais seulement aux affleurements.
  4. Enfin un système de filons métallifères N.-0. -S.-E., contenus dans des grès désagrégés, des calcaires marneux et des dolomies caverneuses. Ces filons renferment de la pyrite de cuivre et de la galène, et ont été, comme le gîte précédent, principalement exploités par les anciens à Val d'Aspra et la Niccioletta, au Nord-Est de Massa, où ils se montrent surtout développés. C'est là jue devraient exister, à ce qu'on croit, les mines des Rocchette et de la Regina fameuses au moyen âge.

Les minerais de cuivre et de plomb argentifère étaient, on le voit, ceux surtout exploités à Massa pendant le moyen âge, aussi l'expression ars rameriae et argenteriae revient-elle pour ainsi dire à chaque article dans la loi sur les mines de Massa. La loi de Massa, ainsi que je l'ai dit, est tout entière écrite en latin et d'un latin parfois macaronique. Ars rameriae et argentériae, c'est proprement l'art d'excaver et de fondre les minerais de cuivre et d'argent. Rame veut dire cuivre en italien.

Les méthodes d'exploitation employées étaient différentes suivant les gîtes attaqués.

Dans les filons-couches quartzeux, on se bornait à creuser des puits verticaux très-rapprochés, et, à différents étages, on rentrait dans les couches métallifèrese l'on exploitait par grandes tailles avec remblais, ou par piliers et galeries.

Le minerai était monté par les puits par le moyen d'un tour sur lequel s'enroulait un câble en chanvre (canape).

C'était par le moyen de ce tour que s'effectuait aussi la remonte et la descente des ouvriers. A cet effet, sur chaque puits, ou au moins sur chaque mine, on devait tenir attachée au câble une courroie, ou une ample ceinture munie d'une boucle, de façon à ce que toute personne qui entrait par le puits pût, au moyen de cette ceinture, descendre et remonter plus sûrement.

Le voisinage des puits facilitait extrêmement l'aérage et le transport intérieur. En outre, comme il n'y avait pas d'eau dans les travaux, ou du moins que les travaux n'avaient pas encore atteint le niveau des eaux de la contrée, les galeries débouchant au jour devenaient par cela même complètement inutiles. Aussi, sur la formation métallifère dont nous parlons, ne rencontre-t-on à la surface l'ouverture d'aucune galerie de niveau ou d'écoulement, ni même d'aucune descenderie ancienne; mais parfois seulement l'entrée de quelque galerie de recherche, ouverte sur un affleurement.

Les puits ont un faible diamètre, 1 mètre à 1m,20 au plus; ils sont ronds, verticaux, et toujours creusés dans les plus strictes règles de l'art. Quelques-uns sont murailles ; mais plutôt pour résistera la poussée du terrain qu'à l'irruption des eaux, car tous sont parfaitement étanches.

Sur les haldes des puits on retrouve la trace des minerais excavés. Ce sont ordinairement des particules de galène généralement argentifères, des pyrites de cuivre que recouvrent des efflorescences de cuivres carbonates bleu et vert, de la pyrite de fer presque toujours complètement transformée en hydrate. La blende seule n'est pas décomposée, et son abondance en petits fragments sur certaines haldes indique que l'on se livrait à la bouche des puits d'extraction, à un cassage et un triage à la main très-soignés.

Sur les filons-fentes, les méthodes d'exploitation étaient différentes de la méthode sur les filons-couches.

Des galeries de recoupement ou à travers bancs, souvent très-prolongées indiquent que les mineurs de cette époque avaient des notions très-certaines sur l'étendue des gîtes métallifères en direction et en profondeur. On peut voir, Pl. VIII, fig. 5, les plan et coupes des travaux encore accessibles de l'ancienne mine des Rochette.

Le gîte est bien aménagé, et en étudiant ce plan, on ne trouve que très-peu de différences avec les systèmes d'exploitation en usage aujourd'hui. .

Je dois cette importante communication ainsi que beaucoup d'autres à l'obligeance de M. Rovis, habile directeur des mines dans le Massetan, et je suis heureux de l'occasion qui m'est offerte de le remercier ici publiquement.

Les galeries de recoupe servaient souvent de galeries de roulage ou plus exactement de sortie du minerai. Quelques-unes sont établies sur de grandes dimensions, 1 m,60 à 1 m,70 de large, sur 1m,80 à 2 mètres de haut. J'ai vu de ces galeries tracées avec une rectitude parfaite. Des parois nettes et bien dressées, une inclinaison convenablement ménagée pour l'écoulement des eaux dans un fossé latéral, partout la même direction et les mêmes dimensions, sont autant d'indices qui nous révèlent des mineurs très-expérimentés, et des directeurs de mines intelligents et attentifs. Il est vrai que les galeries d'exploitation sont loin d'être aussi soignées. Elles suivent les formes irrégulières du gîte, et leurs dimensions sont souvent très-restreintes.

Les instruments de précision étaient alors connus, le niveau (archipendolus), l'équerre d'arpenteur (isquadra ferrea), et même, ce qui va paraître surprenant pour l'époque, la boussole (calamita), dont le nom ne peut laisser de doutes, tous ces instruments étaient déjà d'un usage répandu dans les mines, et sont plusieurs fois cités dans les différents articles de la loi des mines massetane. On mesurait avec un cordeau, d'où le verbe cordeggiare, et la mesure se prenait horizontalement, ad planum.

L'unité de mesure était le bras, bracchium, peut-être le même que celui actuellement en usage en Toscane, et qui équivaut à 0 m,584. Il y avait aussi le pas, passus. Le pas valait 3 bras , et par conséquent 1 m,75 à peu près.

La méthode d'exploitation employée était, dans les filons fentes, celle par gradins droits ou renversés , méthode encore aujourd'hui suivie dans tous les pays de mines.

On remblayait avec le stérile, et les murs en pierre sèche ainsi construits sont encore parfaitement en état.

Mais quand le terrain était résistant, la méthode d'exploitation suivie n'avait pas cette régularité classique, surtout si le filon offrait en même temps quelque renflement inusité. Alors on enlevait la matière utile sur toute son épaisseur. On a retrouvé quelques-unes de ces anciennes chambres, vides immenses qui rappellent ceux des Étrusques.

On a dit que le minerai était tiré au jour par les puits verticaux; mais quelquefois on le remontait d'un étage à l'autre au moyen de puits intérieurs , à l'aide de cordes et de poulies, et on le sortait par des galeries de niveau supérieures; d'autres fois le transport se faisait horizontalement au moyen de poulies de renvoi, et l'on voit encore sur certains points l'usure produite sur la roche par le passage répété de la corde à laquelle étaient attachées les corbeilles.

L'outil généralement employé pour l'attaque de la roche était le pic. On a retrouvé dans les anciens travaux quelques-uns de ces outils, et leur forme , qu'on peut dire élégante, leur pointe aciérée bien dessinée , et leurs dimensions variables suivant la roche à attaquer, mais toujours très-bien calculées en vue de l'effet à produire et de la résistance nécessaire, tout indique, dans ces restes d'un âge passé, un degré d'avancement remarquable pour ce qui concerne les travaux de mines, et ce progrès n'a pu être atteint que par une longue série d'années de travaux. Sur certaines parois de galeries, la trace du pic est encore fraîche et vivante, et l'on dirait que le mineur vient à peine de quitter le chantier. Mais en d'autres points, des stalactites qui quelquefois ferment la marche du visiteur viennent l'avertir qu'un long temps s'est écoulé depuis l'abandon des travaux. J'ai fixé plus haut cette époque, depuis laquelle plus de cinq siècles ont déjà passé.

Jamais le mineur ne s'est rebuté devant la dureté de roche; des calcaires cristallins très-durs, des quartzites très-compactes ont été bravement attaqués par lui, grace au bon aciérage des outils et de l'excellente qualité du fer qui les composait. Ces roches, aujourd'hui même que nous sommes aidés de la poudre, seraient toujours classées parmi les roches les plus tenaces.

Aux pics dont j'ai fait mention devaient se joindre, comme outils accessoires, le levier, la masse et les coins, employés de toute antiquité dans les travaux de mines. Je ne crois pas cependant qu'on ait trouvé dans les mines anciennes de Massa d'autres outils que les pics dont j'ai parlé, ou autres analogues.

Quand la nature de la roche le permettait, on se servait aussi du feu. Comme dans les mines d'Allemagne, on allumait les bûchers de la mine le samedi, et le lundi matin, à la reprise des travaux, on trouvait la roche étonnée et facile alors à abattre. Ce système d'attaque a surtout été employé dans les roches quartzeuses , et en plusieurs points on retrouve encore aujourd'hui, sur les parois latérales et sur le ciel des galeries, la trace laissée par le feu.

En d'autres points, on rencontre aussi, et dans de petits vides latéraux de forme ovoïde et toujours voisins deux par deux, la trace laissée par la combustion des lampes. Je n'ai pu néanmoins déterminer, d'après la forme de ces vides, celle des lampes employées, et je ne sache pas qu'on ait trouvé aucune de ces lampes dans les vieux travaux. C'étaient sans doute des lampes en fer ou en terre, dans lesquelles on brûlait de l'huile d'olive de qualité inférieure.

Le transport intérieur s'effectuait à dos, et les porteurs étaient chargés d'un sac en peau de buffle, qu'ils se liaient autour du corps avec une courroie, et dans lequel on mettait le minerai. Ces porteurs, dont il est question dans la loi sur les mines, y sont appelés bolgainoli, de l'italien bolgia, poche ou besace. On a retrouvé dans les mines de la Castellaccia quelques-uns de ces sacs, et dans d'autres mines des débris de peaux en provenant.

Dans les galeries, quand il fallait résister à la pression du toit, on s'est servi de boisages encore en place. Un chapeau entaillé à mi-bois à ses deux extrémités, et reposant sur deux montants latéraux appuyés aux parois de la galerie, rappelle le mode de boisage encore usité aujourd'hui.

Les ouvriers travaillaient dans la mine par poste non interrompus, c'est-à-dire à deux postes, ad duas postas, et tous les travaux s'arrêtaient le dimanche.

Les ouvriers employés dans les mines étaient les picconerii ou piqueurs, les bolgainoli ou porteurs, et enfin les guerchi, nom qu'on donnait aux manoeuvres et à tous les ouvriers en général. Un maître mineur, magister foveae, était attaché à chaque mine.

Au-dessus de lui venaient le portitor et le recollector, c'est-à-dire le répartiteur et le receveur. C'était entre leurs mains que chaque actionnaire versait sa quote-part des dépenses totales. Il y avait aussi le scriptor ou commis qui tenait les livres, et ces livres faisaient foi en jusstice. Le scriptor, en entrant en fonctions, devait, du reste, prêter serment auprès du capitaine du peuple, chef de la république rnassétane. Il inscrivait au compte de chaque actionnaire les sommes payées par ce dernier au portitor ou au recollector, notait toutes les dépenses de la mine, le total hebdomadaire de l'extraction, faisait la part de chaque actionnaire, etc.

Quelquefois les ouvriers ont dû travailler à prix faits, et à tant le bras courant; car on retrouve dans quelques galeries des croix faites au pic sur les parois latérales, et d'autres fois, sur ces mêmes parois, des lignes tirées du toit au sol de la galerie, qui paraissent indiquer la trace d'un front de taille. Ces traces vont se succédant d'une manière assez régulière, comme il convient dans un travail à prix fait, sur une roche homogène et de résistance connue.

A des galeries de niveau viennent souvent se rattacher des descenderies intérieures, et sur le seuil de ces descenderies sont parfois ménagés des gradins pour la descente et la remonte.

La profondeur des travaux intérieurs est comprise entre 100 et 160 mètres, et atteint même quelquefois 200 mètres. Il y a toujours sur cette hauteur plusieurs étages qui ont été successivement exploités.

Les puits verticaux débouchant au jour ont des profondeurs qui varient de 30 à 50 mètres, et cette faible longueur explique comment on a eu si peu de peine à les rapprocher autant et à en creuser un aussi grand nombre. Dans le midi de l'Espagne, aux mines de la Sierra de Gador, la même méthode d'exploitation par puits rapprochés peu profonds et galeries intérieures irrégulières est employée, et M. Pernolet prouve que cette méthode offre plus d'économie que telle autre qui pourrait sembler plus classique. (Annales des mines, 4. série, t. X.)

J'ai cependant compté plusieurs puits dont la profondeur est comprise entre 100 et 125 mètres. Quelques puits sont toujours en parfait état de conservation; mais souvent des puits sont comblés même jusqu'à leur orifice, soit qu'ils ne représentent qu'un travail qui aura été peu avancé, soit qu'ils aient été en effet comblés par les exploitants, qu'un article de la loi forçait quelquefois à l'exécution de cette mesure. Aujourd'hui encore, dans certains districts de mines, des règlements de police obligent les exploitants à tenir fermé l'orifice des puits abandonnés.

Il a déjà été dit plusieurs fois que les ouvertures des puits comblés ou non sont très-nombreuses dans le Massétan. Je doute qu'en aucun autre pays les travaux anciens présentent une aussi grande abondance de puits de mines, rassemblés sur des espaces aussi limités. Ces puits, qui, dans tout le Massétan réuni, sont au moins au nombre de mille, se rencontrent par centaines dans certains districts, et leurs orifices y sont toujours très-rapprochés. La distance qu'ils laissent entre eux n'est souvent que de 16 à 20 mètres. Rapportés sur un plan à l'échelle de 1 à 5.000 et même de 1 à 2.500, ils donnent à l'ensemble du dessin plutôt l'aspect d'une carte astronomique que d'un plan de mines, et comme ils sont disposés par groupes, ils figurent très-bien ces amas d'étoiles que tout le monde a vus représentés sur les cartes qui nous donnent la projection du ciel.

Il est difficile de tirer de la disposition des groupes de puits dans le Massétan aucune indication géologique intérieure ou externe. Quelquefois cependant, quand les filons sont très-inclinés, les groupes de puits sont alignés sur les directions qu'ils jalonnent; mais, dans l'exploitation des filons-couches, les puits, toujours très-rapprochés, paraissent ne laisser d'un groupe à l'autre que l'intervalle naturel fixé par la limite du terrain stérile ou des différentes concessions.

J'ai dit plus haut que le minerai était soigneusement trié et cassé à la main sur place; une inspection rapide des haldes suffit à le prouver. Mais on a retrouvé aussi des traces de préparation mécanique plus soignée, et aux mines de la Niccioletta, on voit encore un monticule de sables stériles provenant de lavages du minerai. Comme les grains sont de dimensions assez faibles, c'est une preuve que le lavage était précédé d'un broyage mécanique.

On devait laver ainsi les minerais de cuivre et les minerais de plomb, car ces minerais renferment presque tous dans le Massétan des gangues métalliques, telles la blende et la pyrite de fer, dont il est toujours bon de se débarrasser pour la fusion

Au lieu dit l'Uccelliera, vers les anciennes mines de Cugnano, au nord-ouest de Massa, on rencontre les haldes d'un atelier de débourbage, triage et cassage. Une source d'eau voisine et un amas de minerai disséminé sous un champ limitrophe ne permettent aucun doute sur l'existence en ce lieu d'un ancien atelier de préparation mécanique, surtout quand on observe que les morceaux de minerai encore existant sont tous à peu près de même grosseur.

La fusion s'opérait dans des fours à manche, et j'ai retrouvé à la Marsigliana les ruines de deux de ces fours. J'ai même vu une tuyère par où passait l'oeil du soufflet. Elle est composée de deux feuilles de tôle très-bien ajustées, l'inférieure plate, la supérieure un peu convexe. La section transversale, assez large au commencement, va en se rétrécissant jusque vers l'oeil. C'est encore le modèle de tuyère employé aujourd'hui. A la Marsigliana, le champ voisin des fours porte le nom de campo alle gore, c'est-à-dire le champ des canaux, et l'on a retrouvé en place les aqueducs qui amenaient à l'usine de fusion les eaux de la Pecora, que l'on devait employer pour le service de la fonderie, et notamment des roues hydrauliques, qui mettaient en mouvement les soufflets des fours à manche.

Aux mines de Rocca Strada, exploitées en même temps que celles de Massa, un des fours à manche est encore debout. La section intérieure est carrée, et le four peut avoir 2m,80 à 5 mètres de hauteur sur 0 m,70 de largeur intérieure. Il est en briques réfractaires, et on voit encore sur la face de rustine l'ouverture de la tuyère. Souvent, au lieu de briques, on employait, et c'était même le cas général, des pierres réfractaires. On les tirait soit de Gavorrano, où se rencontrent des granites à grains fins, semés de paillettes noires de mica, soit de Rocca Tederighi, où l'on trouve des roches porphyriques et trachytiques très-résistantes au feu. Le granite de Gavorrano et les trachytes de Rocca Tederighi sont encore employés aujourd'hui aux fonderies de Massa pour la chemise intérieure des fours.

La fusion se faisait au bois et au charbon de bois tirés des forêts voisines, et la campagne durait toute line semaine. Chaque samedi matin on mettait hors le feu et on réparait le four.

On faisait au moins deux fondages, un pour cuivre brut, l'autre pour cuivre fin. Le métal obtenu ne devait contenir au plus que 2 1/2 p. 100 de matières étrangères ; plus tard, en 1310, la tolérance fut portée jusqu'à 3 1/2 p. 100.

Les ouvriers employés aux usines étaient le colator ou fondeur, l'affinator ou affineur, l'immissor ou chargeur et les aides appelés de divers noms : famuli, laboratores, guerchi. Les charbonniers, carbonajoli, apportaient le bois et le charbon aux usines. Un garde, guardia, était attaché à l'établissement, et le factor ou contre-maître exerçait la surveillance générale.

Le cuivre était coulé en pains ou en grenailles, in pannectolis vel exgranatum. On l'employait sur place à la confection de divers ustensiles et on en exportait aussi une grande quantité au dehors.

J'ai vu à Massa deux pains de cuivre retrouvés dans les scories de Cugnano. Ces pains ont à peu près 10 centimètres sur 1 1/2 à 2 centimètres d'épaisseur. Le métal est d'un beau rouge, d'un éclat soyeux dans la cassure fraîche. Il paraît très malléable, en un mot d'une excellente qualité et partant d'une grande pureté.

Deux essayeurs, nommés annuellement par la commune, devaient essayer le cuivre et les minerais. Ils étaient aussi chargés de déterminer la richesse des plombs en argent. Enfin ces mêmes essayeurs devaient être à la disposition des Massetans et des étrangers qui pouvaient avoir besoin de leur ministère.

Il est évident que tous les essais se faisaient par la voie sèche. Le cuivre et le plomb devaient être séparés de leurs minerais au moyen de fondants appropriés et par la fusion dans des creusets réfractaires. L'argent devait être dosé par coupellation. On sait que la voie sèche était la voie de prédilection des anciens docimasistes et des alchimistes.

La loi de Massa ne dit rien du traitement du plomb argentifère. On devait évidemment, dans une première fusion au four à manche, obtenir du plomb d'oeuvre, l'argent devait en être retiré par voie de coupellation. Les litharges, alors sans emploi, étaient sans doute révivifiées, et ce dernier cas est probable, car la loi de Massa rappelle plusieurs fois le plomb, et je n'ai jamais découvert de litharges au milieu des anciens tas de scories qui datent de cette époque.

Ces scories se rencontrent en une foule d'endroits, entre autres à l'Accesa, la Marsigliana et l'Arialla qui était la fonderie publique. A l'Accesa et la Marsigliana, la quantité existante n'est guère que de 1.500 à 2.000 tonnes; mais à l'Arialla, il y a 4 à 5.ooo tonnes apparentes, et, sous les champs voisins, une vingtaine de mille tonnes au moins, c'est-à-dire un dépôt de 0m,40 à 0m,50 de hauteur, disséminé sous le sol à une profondeur variable entre 1 mètre et 1m,5o sur plusieurs hectares d'étendue. Quelquefois deux dépôts successifs sont séparés par une couche de sable d'alluvion ou de terre végétale, comme si deux époques de fusion avaient dû se succéder à des intervalles très-éloignés.

Généralement les scories indiquent partout une très-bonne allure. Celles de cuivre sont seulement quelquefois semées d'efflorescences verdâtres, mais ne renferment guère que 1 à 2 p. 100 de cuivre et souvent des traces seulement de ce métal. La quantité de plomb contenue est de 2 à 2 1/2 p. 100; fer, 28 à 30 p. 100; silice, 35 à 40 p. 100. Le reste en chaux, alumine et magnésie. La composition, on le voit, est à peu près la même que celle des scories étrusques du Campigliais. Les scories massetanes ont du reste les mêmes apparences et présentent les mêmes propriétés physiques.

Comme les scories étrusques, elles sont toutes très-peu riches en argent ; elles en contiennent seulement de 30 à 50 grammes à la tonne, quelquefois, mais rarement, jusqu'à 100 grammes, et il n'y aurait pas avantage à les reprendre, à moins d'opérer sur les lieux mêmes ; mais les dépenses préalables nécessitées en pareille circonstance empêcheront toujours une opération de ce genre, qui ne pourrait s'exécuter avec quelque profit que dans le cas où toutes les scories seraient concentrées, comme celles des Étrusques à la Fucinaja et la Gherardesca, sur un seul et même point facilement accessible.

Les fonderies de Massa étaient disséminées de manière à desservir un certain ensemble minier. Il y avait aussi des sociétés de mines qui avaient leur fonderie propre, et enfin il existait, comme on l'a vu, une fonderie publique à l'Arialla, où chacun sans doute pouvait venir faire traiter son minerai à façon. Cette fonderie était située presqu'aux portes de Massa, et l'on avait pris des précautions pour la mettre à l'abri d'un coup de main en ces temps de luttes si vives. A l'Accesa, le voisinage du lac avait sans doute été choisi pour la préparation mécanique. Peut-être aussi employait-on l'eau à faire mouvoir des trompes ou des roues hydrauliques conduisant des soufflets, comme à l'usine de la Marsigliana et à celle établie sur le ruisseau de Noni, voisin de l'Accesa. A Noni, l'on a retrouvé, comme à la Marsigliana, les traces du canal d'arrivée et de fuite des eaux. Quoi qu'il en soit, tous ces établissements devaient être construits avec la plus grande simplicité possible ; car c'est à peine si l'on peut retrouver quelques ruines. Il est vrai que les pays dont je parle ont été depuis bien souvent dévastés.

II est curieux que les ruines de toutes les fonderies toscanes se retrouvent soit au moyen âge, soit chez les Étrusques, au bord des cours d'eau, plutôt que vers les forêts, comme dans d'autres localités. On s'était décidé en Toscane au choix de semblables emplacements, sans doute pour jouir du double avantage de porter toujours les minerais à la descente et d'avoir une force motrice gratuite pour le mouvement des soufflets. Quant au bois et au charbon de bois, il est probable qu'on devait l'avoir presque partout sous la main, car ces contrées sont encore aujourd'hui très-boisées et produisent presque tout le charbon végétal que fournit la Toscane. De nos jours, où la machine à vapeur est au service des industriels et où l'on trouve à peu près partout des routes en bon état, les conditions économiques de l'établissement des usines sont un peu changées en Toscane, et il conviendra toujours mieux aux fondeurs de ce pays, à moins de cas particuliers, d'aller s'établir à proximité des combustibles.

Les Allemands, qui ont joué jusqu'à ces derniers temps le rôle des Phéniciens dans l'antiquité, celui de former les autres peuples de l'Europe aux procédés pratiques des mines et de la métallurgie, paraissent avoir été les maîtres des premiers mineurs et fondeurs de Massa. Le fait s'explique très-bien de lui-même, Car on sait que l'empereur d'Allemagne a longtemps gardé une grande prépondérance sur l'Italie du nord et du centre. Il n'y aurait rien d'étonnant aussi que la grande comtesse Mathilde, qui possédait le marquisat de Toscane dans la deuxième moitié du XIe siècle, ait appelé des mineurs allemands dans ce pays, car elle épousa successivement deux princes d'Allemagne. On a dit enfin que la Toscane, occupée après la chute de l'empire romain par les Goths, puis par les Lombards, dut frapper les yeux de ces peuples barbares par les ruines de ses mines anciennement excavées. Les barbares d'ailleurs sortaient presque tous des forêts de la Germanie, où, s'il faut en croire Tacite, les mines étaient en exploitation dès la plus haute antiquité. De là l'idée naturelle aux barbares de reprendre les mines toscanes. Aussi quelques personnes font-elles remonter la reprise des mines de l'Étrurie immédiatement après le calme qui suivit l'invasion , c'est-à-dire vers le IXe ou Xe siècle, et de fait nous voyons déjà, en 896, le marquis Adalbert de Toscane faire donation des mines d'argent de Montieri à l'évêque de Volterra.

Quoi qu'il en soit, et pour couper court à cette digression historique, le passage des mineurs allemands en Toscane a laissé des traces jusque dans certains termes qui reviennent souvent dans la loi des mines de Massa, termes dont l'origine teutonique se trahit nettement. f

Le treuil pour les mines est appelé, dans le latin larbare de la loi de Massa, guindo ou anneguindo, de l'allemand winde. (On sait que le w des langues d'origine saxonne se change en gu dans les langues romanes.) î...

Les ouvriers, dans la loi de Massa, sont appelés du nom générique de guerchi de l'allemand werk, ouvrage ;

Coffarus, de Kupfer, remplace souvent le mot rame pour indiquer le cuivre ;

Scittum de Schütt (monceau), indique un tas de minerai;

Arialla de Erzhalle est le magasin, le dépôt des minerais; c'est le nom qu'on donnait à la fonderie publique;

Arzefa de Erzhefen est la scorie, l'écume impure qui surnage dans la fusion du minerai. Le mot loppa est souvent aussi employé dans ce cas, et il est passé avec la même signification dans l'italien actuel, qui ne connaît guère le mot scoria, tiré cependant du latin. Ce mot oppa a peut-être aussi formé le mot loup des métallurgistes français, et notre vieux mot loppe pour indiquer les scories.

Revenant aux mots tirés de l'allemand, on voit que l'analogie est frappante, et il est inutile de continuer ici une pareille liste.

Les mines de Massa n'ont pas été les seules exploitées pendant le moyen-âge, mais elles ont été de beaucoup les plus étendues et les plus importantes.

Après elles, il faut citer :

1° Les mines d'argent de Montieri, qui firent, vers le milieu du xne siècle, la fortune de la république de Sienne. Elles passèrent ensuite aux mains des évêques de Volterra qui les avaient même possédées en principe. Ces évêques battirent monnaie avec l'argent qui provenait de ces mines. Ils s'enrichirent tous dans cette exploitation, tout en payant la dîme, comme vassaux, aux empereurs d'Allemagne. Les mines de Montieri furent abandonnées vers 1548, année de la fameuse peste; mais elles avaient été jusque-là toujours exploitées avec grand avantage, et aux faits déjà cités on peut ajouter que des compagnies de marchands ou de banquiers de Sienne, qui les avaient quelquefois prises à ferme, y avaient en peu d'années réalisé d'importants bénéfices. L'argent de Montieri était tellement apprécié dans le commerce que, des 1169, les ventes et achats se faisaient en Toscane en marcs boni argenti ad marcum Montieri, et en 1195 en marcs lealis argenti ad pondus de Monteli. (Pagaini, della decima, moneta o mercatura dei Fiorentini.)

Les mines de Montieri sont celles sur lesquelles il reste le plus de documents écrits, mais il n'est pas besoin de recourir aux archives du Grand-Duché pour s'assurer de leur importance. Il suffit de parcourir sur la montagne à laquelle est adossé le village de Montieri , un ensemble de travaux anciens, puits verticaux ou galeries, dont les haldes, aujourd'hui couvertes par la terre végétale, recèlent des échantillons de galène, cuivre gris et pyrites argentifères, tous très-riches.

Il suffit encore d'examiner, aux abords du village, cet amas immense de scories sur lequel une partie des maisons est bâtie, et dans lequel il faut enfoncer des pilotis pour les fondations, sans espoir quelquefois d'en trouver la limite, tant sa hauteur est considérable.

La formation de Montieri paraît se rattacher à la formation quartzeuse du Massetan, comme aussi les formations voisines de Boccheggiano, de Gerfalco et Poggio-Muti, sur lesquelles des travaux importants ont été exécutés à la même époque, mais moins étendus cependant que ceux de Montieri.

2° Dans le Campigliais, les travaux étrusques n'ont pas été repris au moyen âge, mais la formation cuivro-quartzeuse du Massetan paraît y avoir été attaquée entre Suveretto et Gampiglia.

3° A Rocca Strada, une série de filons cuivreux traversant des terrains argilo-calcaires ont été exploités. Il y a sur la montagne de Poggio Bottino une trentaine de puits verticaux et de descenderies souvent très-étroites, mais régulièrement percées. Sur les haldes, on trouve quelques parcelles de minerais, et au bas de la montagne, sur le bord d'un ruisseau qui sillonne la vallée, on voit les restes d'une fonderie de cuivre, où se trouve encore debout ce four à manche dont j'ai déjà parlé, et à côté les ruines d'un ancien lavage, plus deux tas de scories d'un millier de tonnes environ. Un énorme chêne, plus que séculaire, qui a poussé au milieu de ces ruines, indique que ces établissements sont depuis bien longtemps abandonnés. Les travaux de Rocca Strada remontent en effet à l'an 1300 ;

4° Au-dessus de la Rocca Strada, à Rocca Tederighi, sur un gîte cuivreux de contact, analogue à celui de Monte Catini, et déposé entre les serpentines d'une part et les gabbri de l'autre, on a fait des travaux peu étendus, mais bien conduits. On y rencontre encore une série de puits verticaux qui, ouverts en amont de l'affleurement du filon, allaient rejoindre celui ci en profondeur. On a retrouvé sur les haldes beaucoup de minerai.

5° A Batignano et Montorsajo, entre Rocca Strada et Grosseto, on a exploité la prolongation des filons quartzeux du Massetan, et on retrouve dans ce district beaucoup de puits anciens déjà en exploitation dès 1147. Le minerai extrait était la pyrite de cuivre et le plomb argentifère.

6° Enfin, pour ne citer que les mines principales, les travaux des Étrusques furent repris au moyen âge dans les Alpes Apuanes, et l'exploitation des mines de plomb argentifère du val di Castello et de Seravezza reçut, dès l'an 1200, un très-grand développement. La république de Lucques qui exploita un moment ces mines, notamment dans le district de l'Argentiera et de Galena, avait un hôtel des monnaies. D'autres exploitants de ces gîtes, les barons de Vallecchia et de Corvaja, s'en disputèrent la propriété. De là des luttes sanglantes, et l'on trouve encore aujourd'hui à l'Argentiera les ruines d'une forteresse qui servait à la garde et à la défense des travaux. Eu 1348, la république de Pise exerçait le droit régulier sur les mines de ce pays, qui durent être abandonnées vers la fin du XIVe siècle.

Les travaux anciens sont presque tous très-élevés au Bottino et à l'Argentiera, et les filons n'ont pas été excavés très-profondément aux flancs de la montagne qu'ils recoupent. Les attaques ont été faites par galeries.

Je dois ajouter ici que cette formation, complètement différente de celles examinées jusqu'à présent, est déposée dans les schistes triassiques, et que les filons de galène et de cuivre gris argentifère ont une direction nord-est - sud-ouest.

Partout, dans les divers districts que je viens de citer, on rencontre les traces de traitements métallurgiques contemporains aux travaux des mines, non-seulement à Montieri et Rocca Strada, où j'ai déjà parlé de scories et de fours existant, mais encore à Boccheggiano, Gerfalco, Poggio Muti, Campiglia, Rocca Tederighi, l'Argentiera et Gallena. Et si quelquefois on ne trouve pas des tas de scories en rapport avec le développement des travaux exécutés, et partant de l'extraction produite, c'est que l'entraînement des eaux a souvent emporté et disséminé au loin, et même complétement dispersé ou recouvert de terre, les tas de scories qui datent de cette époque.

Si l'on veut bien résumer tout ce qui a été dit dans la deuxième partie de cette notice, on verra qu'il résulte de ce qu'on vient de lire que, pendant le moyen âge, durant une période de trois siècles au moins, l'exploitation des mines a présenté en Toscane une activité peut-être sans exemple, et que, développée dans plusieurs localités à la fois, elle a cependant offert le plus grand ensemble de travaux souterrains et métallurgiques au voisinage de la ville de Massa Marittima.

Quelles furent les causes de la cessation d'un état de choses si prospères, et comment des mines jusque-là si ardemment excavées purent-elles être abandonnées sans retour? Le sujet serait long à traiter, et je sortirais du cadre que je me suis imposé dans cette notice, si je voulais développer le fait en détail. Je me bornerais donc à rappeler brièvement les événements principaux qui amenèrent, vers le début du XIVème siècle, l'abandon successif de toutes les mines de Toscane. Parmi les événements politiques, je citerai en premier lieu les guerres intestines. Ainsi Massa succombe enfin, vers 1346, sous les coups répétés de la république de Sienne, et avec la chute de la liberté, qui entraine l'exil volontaire ou forcé des plus riches familles du pays, périt aussi l'industrie massetane. Les copurses d'aventuriers ravageant les campagnes, et offrant aux ouvriers mineurs qui viennent se mettre à la solde des condottieri un gain plus élevé et une occupation plus attrayante ; les pestes et la famine, faisant irruption coup sur coup et se remplaçant comme à l'envi, tout concourt à dépeupler les cités et les champs.

Des circonstances économiques fâcheuses viennent se joindre aux événements déja si malheureux que je viens de citer. Un abaissement considérable se fait sentir dans les prix des métaux, probablement par la cessation des croisades, et par suite de l'extension que prennent alors les mines allemandes. L'argent subit presque subitement une baisse énorme, et l'évêque de Volterra, qui percevait à Montieri une redevance d'une corbeille de minerai sur quatre doit se contenter désormais d'une sur huit. En 1355, il ne peut plus payer la dîme à l'empereur d'Allemagne parce que, dit-il, depuis plusieurs années les mines ne produisent plus, sans doute depuis 1348, époque de la peste. Et l'empereur Charles IV le libère de la dîme et reconnaît les justes raisons qui ont rendu les mines improductives : les guerres et les pestes qui ont désolé ces contrées, et les courses d'aventuriers voisins qui ont occupé le pays.

Il faut ajouter le taux élevé de l'intérêt de l'argent, qui se prêtait à Florence et à Sienne à 25 % et même à 30 %. Il faut ajouter aussi le haut prix de la main d'oeuvre, par suite de l'enrôlement des condottieri et du dépeuplement des villes. Les Bardi, et avec eux les plus riches banquiers de Florence, les Scali, les Peruzzi, les Acciajuoli, etc., faisaient vers les années 1330-1350, une faillite successive de près de 100 millions de notre monnaie actuelle !

Dans la période des temps modernes, et à l'époque actuelle, je dirai que les mines de Massa, remises en activité en 1830, après plus de cinq siècles d'abandon, par un Français, dont j'ai déjà cité le nom, M. Porte, qui avait accompagné en Toscane la princesse Elisa, sont depuis passées en d'autres mains, mais n'ont plus retrouvé les jours prospères du moyen âge, et cela, pour des raisons toutes particulières que je me dispenserai de faire connaître ici.

Les mines de Montieri, et celles de Monte Catini et même de Boccheggiano, furent reprises, mais sans succès, vers la deuxième moitié du XVIe siècle, par Cosme I de Médicis, et par ses fils les grands-ducs François et Ferdinand. M. Porte reprit aussi Monte Catini, Rocca Tederighi et Montieri, et ne fut pas d'abord plus heureux que sur les mines de Massa. Mais des mains de M. Porte, Monte Catini est passé, en 1837, aux mains d'une société que sa bonne étoile a conduit sur des amas cuivreux d'une pureté , d'un volume et d'une richesse exceptionnelles, et depuis cette époque le nom de Monte Catini est devenu à juste titre classique dans l'histoire des mines de cuivre.

Rocca Tederighi et Campiglia, en ce moment très-faiblement exploitées avec Monte Valerio, pourraient bien renaître un jour aux grandeurs du passé. Rocca Strada n'a jamais été reprise. Quant aux mines des Alpes Apuanes, elles ont été reprises, mais sans succès, vers la deuxieme moitié du XVIe siècle, par Cosme I de Médicis et ses fils, puis abandonnées de nouveau, et enfin réexploitées de nos jours. A côté du Val di Castello encore malheureux, il y a les mines du Bottino dont les actions, depuis peu de temps, ont quadruplé de valeur, par suite des bénéfices considérables réalisés par l'exploitation.

Il est curieux que Monte Catini et le Bottino, peu connus autrefois, donnent aujourd'hui de si fructueux résultats, et que Massa, Campiglia et Montieri, qui ont marqué des époques si belles, soient toujours en état de souffrance. Mais ces mines elles-mêmes, comme les autres mines de la Toscane que j'ai citées plus haut, Rocca Tederighi, Rocca Strada, Val di Castello, etc., n'attendent que des capitaux suffisants, et le moment favorable, pour reprendre l'activité et l'éclat, qu'elles ont su conserver à deux périodes diverses, et que quelques mines bien dirigées viennent de nouveau d'acquérir.

Je ne dirai rien des mines de l'île d'Elbe, en ce moment si activement exploitées, comme elles l'ont été d'ailleurs de tout temps. Ces mines ont toujours joui, depuis que le fer est connu, du rare privilège de pouvoir être excavées à ciel ouvert, et de fournir du minerai très-riche et très-pur à tous les peuples qui en ont eu besoin. Outre le minerai exporté au dehors, une certaine partie est traitée en Toscane dans les hauts-fourneaux de Follonica, Cecina et Valpiana.

Je ne saurais terminer ce Mémoire, sans renvoyer le lecteur aux excellentes études que M. Caillaux vient de publier sur la Toscane, dans le Bulletin de la société de l'industrie minérale. On y trouvera la description géologique des différentes mines que j'ai citées dans cette notice, et de plus le détail de tous les travaux qui y ont été entrepris dans ces vingt dernières années.