Le texte suivant, de R. Schlich, a été publié dans le rapport d'observations sismologiques sur la sismicité de la France, 1987-1988, publié par l'Université Louis Pasteur (Strasbourg 1).
A tous ceux qui ont connu Jean-Pierre Rothé
C'est avec une très grande tristesse que nous avons appris le décès de monsieur Jean-Pierre Rothé, professeur honoraire à l'Université Louis Pasteur, ancien directeur de l'Institut de Physique du Globe de Strasbourg, survenu le 6 mars 1991 à Montpellier, où il résidait depuis son départ à la retraite.
Jean-Pierre Rothé est né le 16 novembre 1906 à Nancy. Son père Edmond Rothé, professeur à la Faculté des Sciences de Nancy, appartenait à une famille purement alsacienne qui opta pour la France en 1870. Sa mère Marguerite Tilly, fille d'un artiste graveur, était lorraine originaire de Toul et de Saint-Dié. Jean-Pierre Rothé était l'aîné de trois enfants. Il fit ses premières classes au lycée Poincaré à Nancy. La guerre venue, Nancy fut bombardée et évacuée et la famille Rothé s'installa à Paris en 1915. Jean-Pierre Rothé entra au lycée Henri IV où il fit de brillantes études et obtint la médaille «des premiers trois fois de suite». En 1919, son père étant nommé professeur à l'Université de Strasbourg pour y créer un enseignement de physique du globe, il poursuivit ses études secondaires au lycée Fustel de Coulanges.
D'abord étudiant à la Faculté des Sciences de Strasbourg, Jean-Pierre Rothé termina ses études supérieures à Paris où il soutint en 1937, devant un jury présidé par Charles Maurain, une thèse de doctorat es sciences intitulée «Contribution à l'étude des anomalies du champ magnétique terrestre». Dans son mémoire, Jean-Pierre Rothé analyse et interprète diverses anomalies magnétiques créées par des gisements de roches éruptives ou des accidents géologiques en terrain sedimentaire et aborde l'étude de l'anomalie magnétique du bassin de Paris. Son deuxième sujet de thèse intéresse la structure géologique et la morphologie du Groenland au voisinage du Scoresby Sund.
Nommé assistant en 1928 à la Faculté des Sciences de Strasbourg, Jean-Pierre Rothé a participé, dans le cadre de la deuxième Année Polaire Internationale (1932-1933), à une expédition scientifique au Groenland, à Scoresby Sund. Sous les ordres du lieutenant de vaisseau Yann Harbert et de Max Douguet, futur amiral, il fut chargé de l'étude du magnétisme terrestre, des courants telluriques et des études géologiques. C'est à Jean-Pierre Rothé et à ses camarades Alexandre Dauvillier (études des aurores polaires, du champ électrique et de l'ionisation de l'air) et Paul Tchernia (biologie et océanographie) que l'on doit le premier hivernage français dans l'Arctique.
En fait, l'œuvre scientifique de Jean-Pierre Rothé concerne surtout la sismologie qui, au fil des années, devint le sujet essentiel de ses études et de son travail. A la mort de son père en 1942, Jean-Pierre Rothé fut chargé, à titre intérimaire et à l'initiative du bureau du Comité National Français de Géodésie et Géophysique, des fonctions de secrétaire général de l'Association Internationale de Séismologie et de directeur du Bureau Central International de Séismologie (BCIS), alors transféré à Clermont-Ferrand. Nommé professeur en 1945 à la Faculté des Sciences de Strasbourg et directeur de l'Institut de Physique du Globe de cette même université, il était confirmé dans ses fonctions de secrétaire général et de directeur du BCIS au cours de l'assemblée générale de l'Association Internationale de Séismologie d'Oslo en 1948. C'est avec le Dr Stoneley, alors président, qu'il entreprit la lourde tâche de réorganiser l'association qui devint en 1951, lors de l'assemblée générale de Bruxelles, l'Association Internationale de Sismologie et de Physique de l'Intérieur de la Terre, élargissant ainsi considérablement le domaine de compétence de l'association. Jean-Pierre Rothé a assumé ces responsabilités internationales pendant plus de trente ans, jusqu'en 1975, rassemblant une imposante documentation largement utilisée par la communauté scientifique française et internationale. Au cours de cette même période il assuma, en tant que directeur de l'Institut de Physique du Globe de Strasbourg, la direction du Bureau Central Sismologique Français. Les données sismologiques systématiquement recueillies et minutieusement analysées ont permis à Jean-Pierre Rothé, avant même l'avènement de la tectonique des plaques, de démontrer l'excellente coïncidence des épicentres de tremblements de terre sous-marins avec l'axe médian des dorsales médio-océaniques. Il établit ainsi, dès 1954, dans un article paru dans les comptes rendus de la Royal Astronomical Society de Londres, la continuité du système de dorsales sud-atlantique et sud-ouest-indien. La même année il établissait, pour un séisme du sud de l'Espagne, la possibilité d'un foyer situé à grande profondeur (600 km), résultat qui jusqu'alors caractérisait essentiellement les séismes du pourtour du Pacifique. Enfin, il fut l'un des premiers sismologues à demander avec force la prise en compte du risque sismique pour les grands ouvrages et constructions publics et, à ce titre, a assumé auprès de l'UNESCO des fonctions d'expert international.
Jean-Pierre Rothé n'a pas seulement été un homme de sciences. Il aimait et pratiquait le sport. Excellent skieur, il s'occupa du ski club alpin du Bas-Rhin dont il fut longtemps président. Il fut décoré de la médaille de la jeunesse et des sports. Enfin, il faut rappeler que Jean-Pierre Rothé était profondément attaché à sa patrie. En 1944, il fit partie du maquis de Haute-Lozère, puis de la brigade du Languedoc comme officier de transmission. Il participa aux combats du Mont Mouchet et de Chaudes Aiguës. Il était Chevalier de la Légion d'Honneur.
Nous garderons tous de cet homme de sciences, de ce professeur, de ce collègue estimé, un souvenir ému et reconnaissant.
Strasbourg, le 15 mai 1991
R. SCHLICH
Directeur de l'Institut de Physique du Globe
Directeur du Bureau Central Sismologique Français