COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 27 novembre 1991)
En 1890 se sont produits simultanément deux événements importants pour l'histoire des Sciences de la Terre : le lancement des Annales de Géographie, Première revue française se donnant un objet scientifique dans les divers aspects de cette discipline, et, aux Etats-Unis, la publication par W.M. Davis, de sa théorie du "cycle géographique" rebaptisée ultérieurement "cycle d'érosion".
La pénéplaine est, dans cette théorie, l'aboutissement inéluctable du cycle. Le géologue Emmanuel. de Margerie s'enthousiasma immédiatement pour les conceptions davisiennes. Il fut l'un des fondateurs des Annales de Géographie et resta jusqu'à la fin de sa vie l'un des membres de son comité directeur. Son prestige, acquis grâce à ses propres recherches antérieures, entre autres celles que, tout jeune, il a consacrées aux formes de relief du Jura sous l'égide du Général de la Noë, a été décisif pour la diffusion des idées davisiennes en France. Hélas, celles-ci se sont révélées comme ayant eu des effets négatifs fort graves, non seulement pour la géomorphologie mais pour l'ensemble des Sciences de la Terre.
Comme l'une des orientations du COFRHIGEO consiste à analyser les erreurs du passé pour améliorer notre approche méthodologique actuelle, je me suis attaché à dégager l'histoire des concepts de pénéplaine et de surface d'érosion, puis d'aplanissement en France, au cours des cent dernières années. Les Annales de Géographie m'ont fourni, surtout pour la période antérieure à 1960, la plus grande partie de ma documentation.
Certes, W.M. Davis a bien proclamé que la clé de la géomorphologie consistait dans le triptyque "Structure, stage, process" et il est fort possible que ce soit la raison de l'adhésion d'E. de Margerie au davisianisme. En effet, son travail de jeunesse sur les formes de relief du Jura répondait parfaitement au premier terme de cette trilogie. Le livre de de la Noë et de Margerie qui en traite est une véritable "première mondiale" : aucun travail semblable n'avait été fait, ni même tenté jusqu'alors sur quelque type de relief structural que ce soit. Il est à l'origine de l'adoption, en géomorphologie, du vocabulaire désignant les formes des plis de couverture amples et autochtones : mont, val, combe, cluse, etc. Malheureusement, W.M. Davis a surtout, même exclusivement, disserté sur les "stages" : jeunesse, maturité, vieillesse, au détriment de la "structure" et, plus encore, des "process", des processus, complètement oubliés. C'est cela qui a provoqué un appauvrissement.
Se contenter de définir une forme de relief en l'étiquettant "jeune", "mûre" ou "sénile" est facile... Cela ne demande aucune véritable recherche, aucune observation approfondie et minutieuse. Ce fut, certainement, une des principales raisons du succès.
Mais ce fut, plus certainement encore, la cause d'un grave appauvrissement de la "morphologie" comme on l'appelait alors. Nous avons vu ce qu'il en fut des formes structurales. Quant aux processus, il nous faut nous souvenir que le fondateur de la géologie moderne, Sir Charles Lyell, dans les éditions successives de son traité, dès les années 1830, avait indiqué fort clairement le principe de l'actualism : le passé ne doit pas être reconstruit en ne faisant appel qu'à l'imagination, en adoptant des théories, en l'occurrence les affirmations bibliques, dont on ne peut établir les fondements par des faits. Il faut des données réelles ("actual"), ce que nous observons aujourd'hui, pour reconstituer l'histoire géologique. Lyell lui-même s'était livré à l'observation de pierres tombales datées, pour comparer les effets de la météorisation en fonction du temps et des roches. Tout cela est lâché par dessus bord, comme un lest devenu inutile, par le davisianisme. On plane bien plus haut et qu'un relief soit "jeune", "mûr" ou "vieux" suffit. Il a ipso facto, sa place dans l'évolution géologique de la surface terrestre. C'est facile... bien facile... mais cela ne mène à rien ! Ou, plutôt, si : cela mène à l'isolement de la discipline.
Une telle conception est à l'opposé des méthodes scientifiques. Elle ressort de la tautologie et du verbalisme. Un relief est "jeune" parce que les pentes y sont fortes, les vallées, étroites, encaissées, avec un profil longitudinal tendu, un profil transversal en V ... et c'est parce que les formes présentent ces caractères que le relief est "jeune". C'est un cercle vicieux... rien de plus. Toute observation véritable, tout raisonnement cartésien est dédaigné.
Ainsi appauvrie, la "morphologie" s'enferme sur elle-même, s'isole de la géologie qui, aux environs de 1900, fait un effort considérable pour mieux comprendre la "Face de la Terre" (Das Antlitz der Erde, de Suess).
Vingt ans plus tard, cet isolement se poursuivra et, cette fois, il se manifestera, de plus, vis-à-vis de la sédimentologie, alors en plein développement. C'est, en effet, en 1923 que W. Penck, décédé peu après, a proposé le concept de "sédiments corrélatifs", c'est-à-dire de dépôts dont l'origine est étroitement dépendante de la morphogenèse et dont l'étude fournit les moyens de reconstituer les étapes de l'évolution des formes de relief. Nous verrons plus loin comment ce concept a été retrouvé et utilisé par A. Cholley. Qu'il ait été "réinventé" atteste l'isolement de la géomorphologie française et témoigne du retard qui en est résulté.
Illustrons ces idées générales au moyen de quelques exemples démonstratifs.
Ces échantillons se placent dans le cadre d'une autre approche particulière, spécifique de la géographie française : les monographies régionales. Son chef de file est P. Vidal de la Blache, normalien et, comme tel, devenu professeur à l'Ecole Normale Supérieure et, simultanément, à la Sorbonne (Faculté des Lettres). Ayant écrit un "Tableau de la Géographie de la France" en introduction à l'Histoire de France d'E. Lavisse, autre normalien, son aîné, il s'est attaché à montrer la persistance des "pays", depuis le pagus gallo-romain, à travers le Moyen-Age puis les baillages de la monarchie, jusqu'à l'époque contemporaine. Les mémoires d'étudiants et même les thèses préparées sous sa direction comportent immanquablement, rituellement pourrait-on dire, une discussion des limites de ces pays, de leurs rapports avec le milieu naturel, invariable, à la différence des contingences historiques.
La partie géomorphologique de ces travaux associe, ou, plus souvent, hélas, se limite à juxtaposer un inventaire géologique, description plus ou moins heureuse de la carte au 1/80 000, qui couvre alors toute la France, et des inventaires de "niveaux d'érosion" ou de pénéplaines nécessairement étagées. De liaison entre les deux, point ... Les "tartines" sont juxtaposées et, bien souvent, leur "géographe"-auteur s'est borné à recopier des lignes entières de la notice de la carte géologique, à l'époque préoccupé avant tout des données stratigraphiques. Ils avaient ainsi satisfait aux exigences des deux premiers termes de la trilogie : "structure" et "stage". Mais peut-on appeler cela de la "morphologie" ? Dans le meilleur des cas, aux abords de la Première Guerre Mondiale, cela se limite à la physiographie, dernier produit élaboré, aux Etats-Unis, à partir du Davisianisme.
Au début du siècle, le gros de la troupe des auteurs des Annales de Géographie n'en est pas encore là et se contente de "décrire" l'"orographie", la "topographie", voire le "relief en des termes si vagues que cela est totalement inutile. Certaines cartes, par exemple, n'indiquent même pas d'altitude : cas extrêmes, mais suffisamment nombreux pour qu'on ne les considère pas comme des "queues de courbes". Ils sont, hélas, représentatifs !
Ces approches ont persisté tardivement. Bien que modérément davisien, E. de Martonne, gendre puis successeur à la Sorbonne de Vidal de la Blache, se limite, dans sa monographie du Massif du Bihar, en Roumanie (Ann. de Géogr., XXX, 1921, p.313-340) de la juxtaposition de données géologiques et d'un inventaire de "niveaux". J. Dresch, autre normalien et élève d'E. de Martonne, dans un article sur le Rif, tiré de son Diplôme d'Etudes Supérieures, fait de même, à l'instigation du maître, comme tout étudiant n'ayant pas encore forgé sa propre personnalité (Ann. de Géogr., XXXIX, 1930). Il en est de même de P. Birot, dont le Diplôme portait sur la bordure du Massif Armoricain (Ann. de Géogr., XXXIX, 1930, p.133-146). On y trouve une demi-page compilée des cartes géologiques, puis quelques lignes de physiographie avant de longs développements sur les pénéplaines et les cycles d'érosion. Et ces deux auteurs sont devenus des maîtres reconnus de la géomorphologie française... Lorsqu'on lit les articles de personnages qui ne furent jamais aussi éminents, il y a lieu de s'attendre à pire. Les exemples, hélas, ne manquent pas... Un certain M. Piroutet, qui n'appartient pas à la tribu normalienne, ni même à la Faculté des Lettres, puisqu'il a éprouvé le besoin de se déclarer "docteur es-sciences" (Ann. de Géogr., XXVII, 1918, p. 102-114) se livre à la publication d'une douzaine de pages qui se limitent à la description des cartes géologiques de la Nouvelle Calédonie, où il est probable qu'il n'a pas mis les pieds. A l'époque, cela n'avait rien de scandaleux. Un professeur à la Sorbonne avait opéré de même pour la préparation de sa thèse, qui lui valut une cooptation sans la moindre difficulté, dans une chaire de géographie "coloniale". Les Annales de Géographie offrent leur hospitalité à des travaux qui étaient du ressort de la Société Géologique de France, mais qu'elle aurait probablement refusés du fait de leur absence de valeur scientifique ! Triste bilan...
Tout d'abord, soulignons que la "pays-manie" vidalienne allait à rencontre de la loi scientifique qui exige que l'on aille du particulier au général : en faisant de la monographie une fin en soi, elle empêchait toute généralisation. C'est encore un autre aspect des blocages et de l'isolement de la discipline.
E. de Martonne, encore débutant à l'époque, remarque (Ann. de Géogr., IX, 1900, p. 10-16), dans le cadre d'une note sur les cirques glaciaires : "J'ai constaté, en outre, que la principale cause des dissentiments était que l'on était loin de s'entendre sur ce qu'il convient proprement d'entendre par le mot cirque. Nulle part on ne trouve de définition rigoureuse et strictement topographique ; souvent on s'aperçoit que la définition donnée cache déjà une idée préconçue sur la genèse de la forme du relief définie" (p. 11). Payant de sa personne, de Martonne a levé lui-même deux cirques du massif roumain du Parîngû au 1/10.000, avec des courbes équidistantes de 5 m. Il peut ainsi définir le cirque comme "une dépression formant comme un niche sur le flanc d'une montagne, généralement au voisinage de la crête, et présentant un fond plat ou en pente faible, dominé de tous côtés par des escarpements qui s'abaissent en convergeant vers le débouché de la cuvette ainsi formée" (p. 11). On remarquera qu'influencé par Davis, de Martonne ne fait aucune place aux processus dans sa définition. Aujourd'hui, on y introduirait obligatoirement une référence aux glaciers.
Le Commandant O. Barré, à la même époque, s'est avéré, à mon avis, être un grand, un très grand géomorphologue, mais... il n'était ni gendre, ni normalien, ni universitaire, de sorte qu'il est resté commandant dans le génie et fut rapidement oublié. Citons ces lignes de lui, qui méritent d'être méditées et admirées : "Certaines régions de la France sont un peu traitées en déshéritées dans les descriptions géographiques. Ce sont particulièrement celles dont le caractère complexe ne permet pas de distinguer du premier coup d'oeil la structure. Faute d'y voir clair, le géographe n'y regarde guère et traite en quelques lignes d'un vague souvent voulu, des surfaces considérables dont les équivalents, en d'autres endroits, ont la bonne fortune de se voir minutieusement décrites... étude destinée à mettre bien en lumière les divisions rationnelles qu'il convient d'introduire dans une description pédagogique... La méthode historique donne d'excellents résultats... la géographie... peut tirer un grand parti de ce que l'on sait aujourd'hui en histoire morphogénique" (Ann. de Géogr., X, 1900, p.27-67, citation p.27). Revenons un peu sur cette citation, car les termes utilisés n'ont plus le même sens de nos jours : par "pédagogique", le Cdt Barré signifie "qui puisse être facilement comprise", par "méthode historique", il indique qu'il faut reconstituer les étapes de l'évolution du relief, comme on établit une succession géologique. La critique du Cdt Barré rejoint et amplifie celle de de Martonne, mais ses propositions méthodologiques ont une toute autre portée : elles débouchent, au vocabulaire près, sur la géomorphologie moderne.
Comme il fallait s'y attendre (les "prévisions" sont toujours meilleures a posteriori...), ces précurseurs de l'innovation se sont manifestés sur des thèmes qui n'entraient guère dans le champ davisien : formes glaciaires et évolution des reliefs structuraux. Il a fallu beaucoup plus de temps, comme nous l'avons montré plus haut, pour qu'une rénovation se produise au coeur même de la théorie davisienne dont les stades de jeunesse, de maturité et de vieillesse sont le résultat de 1'"érosion normale", c'est-à-dire, de l'action du ruissellement, qui caractérise les climats tempérés. Selon Davis, c'est au cours de la phase de maturité que cette "érosion normale" dégage les formes structurales. Lors de la jeunesse, l'"érosion" n'est pas assez intense pour bien le faire. Ensuite, lors de la sénilité, elle l'est trop peu. Tous les éléments de la théorie s'enchaînent entre eux : le paquet est bien ficelé, hermétiquement clos. Autrement dit, la théorie est fermée ; aucun élément nouveau ne peut y être introduit sans qu'elle risque de se désintégrer. C'est pourquoi elle s'est maintenue si longtemps et a si efficacement isolé ses adeptes des autres orientations et des autres disciplines. Nous retrouvons-là ce que j'ai exposé au début de cette communication.
La niveau-manie gagne même une tribu géologique, celle du Général de Lamothe et de Charles Depéret, qui partagent leurs écrits entre la Société Géologique de France et les Annales de Géographie. Il s'agissait de retrouver, le long de tous les cours d'eau, des niveaux de terrasses situés exactement à la même altitude relative depuis leur cours le plus en amont jusqu'à l'embouchure. Bizarrement, ces altitudes relatives étaient déterminées en fonction du niveau des eaux en étiage. Or, ce n'est pas lors des basses eaux que les rivières transportent des alluvions et les abandonnent pour édifier une plaine alluviale ensuite incisée en terrasse : c'est lors des crues. Le Colonel Romieux, discipliné, écrit ainsi (Ann. de Géogr., XXII, 1923, p.l-11, à la p. 11 en conclusion) : "La série du Lot viendrait à l'appui des conclusions formulées sur les oscillations rythmées des niveaux de la mer pendant le post-Pliocène ; chacune d'elles aurait présenté une amplitude uniforme, non seulement dans la Méditerranée et la Manche, mais aussi dans le Golfe de Gascogne". Tout commentaire serait superflu : de si belles fleurs se fanent vite si on les coupe...
Emmanuel de Martonne n'est d'ailleurs pas en reste : dans une étude du delta du Var (Ann. de Géogr., XXXII, 1923, p.313-338), ne va-t'il pas jusqu'à trouver une série de niveaux étages entaillés dans cette accumulation, puis à les relier par des constructions purement graphiques aux moraines terminales du haut bassin ? Depuis lors, les recherches ont montré, d'une part, que ces moraines n'étaient pas aussi faciles à trouver que ne le pensait de Martonne, et, d'autre part, que le matériel de ce delta était découpé en compartiments par des failles, qui n'ont pas toujours cessé de jouer. Ces vues d'E. de Martonne rejoignaient une théorie lancée peu auparavant par H. Baulig (Ann. de Géogr., XXX, 1921, p. 132-154), la théorie eustatique, proche d'ailleurs des positions du Général de Lamothe. Les terrasses résultent des variations du niveau général des océans. Cependant, il n'y a pas accord sur l'insertion de ces variations dans la dynamique générale du Globe. Initialement, H. Baulig, s'appuyant sur les publications américaines qu'il suivait soigneusement, admet que les glaciations se sont traduites par un abaissement général du niveau océanique qui s'est, au contraire, relevé (transgressions) lorsque la glace a fondu. Les nappes alluviales se seraient donc édifiées pendant les interglaciaires et auraient été entaillées en terrasses pendant les périodes glaciaires. C'est la théorie glacio-eustatique. Dès 1906 de Martonne (Ann. de Géogr., XV, 1906, p.213-236 & 299-328), dans une longue monographie consacrée à la Bretagne, estimait que les rias résultaient de l'invasion d'anciennes vallées par la mer, ce qui implique une transgression récente.
C'est en 1927 que H. Baulig fournit la forme la plus élaborée de la théorie glacio-eustatique (Ann. de Géogr., XXXVI, 1927, p.499-508) à propos de la Crau : celle-ci est un ancien cône de déjection de la Durance plongeant sous le delta du Rhône et sous la mer. Il s'oppose ainsi à de Lamothe et à Depéret, car, selon lui, aux périodes glaciaires, la régression marine provoqua un creusement à l'aval, tandis qu'il se produit un remblaiement à l'amont. Les divers profils de terrasses ne peuvent donc être à une altitude relative constante tout le long d'un même cours d'eau : "Si cette interprétation est admise, elle conduit nécessairement à modifier la chronologie des temps quaternaires proposée par Mr. Depéret" (p.507).
Les choses, depuis lors, se sont avérées plus variées et plus complexes. Mais H. Baulig lui-même ne s'est pas contenté de ce glacio-eustatisme. Il affirme bientôt l'existence de "hauts niveaux d'érosion eustatiques dans le Bassin de Paris" (Ann. de Géogr., XXXVII, 1928, p.289-305 & 385-406). D'altitude constante, ils s'établiraient à 380 puis 280, 170, 140 et 100 m. Seul le dernier serait quaternaire et pourrait donc être glacio-eustatique. Chaque fois, la mer avait stationné suffisamment longtemps pour que s'élabore une large plaine de niveau de base. Malheureusement, ces plaines n'avaient pas laissé la moindre dépôt qui atteste leur existence et permette d'identifier leur origine... Mais ce ne sont que des arguments théoriques que de Martonne lui a opposés : "cette conclusion doit être regardée en face. Elle surprend et ne manquera pas de provoquer des réactions assez vives" (p. 125). Et, plus loin : "les plus résolus partisans de l'eustatisme hésiteront sans doute à s'avancer aussi loin", car il aurait fallu, pour cela, "la formation soudaine de fosses océaniques dont le volume serait égal aux trois-quarts de celui de l'Océan Atlantique" (p. 129), et "on reste confondu devant de telles exigences de la théorie eustatique. Comment imaginer les mécanismes de tels bouleversements, dont rien, dans les données certaines de la tectonique ne permet de prévoir l'analogue" (Ann. de Géogr., XXXVIII, 1929, p. 113-132). Ces citations, relativement longues, se justifient car elles montrent que de Martonne ne s'oppose à Baulig que sur le plan théorique. Il montre ce que requiert un raisonnement, il n'invoque aucun fait. Il ignore le concept de "dépôts corrélatifs" de W. Penck, alors qu'il pratique fort bien l'allemand. L'esprit théorique de Davis est profondément enraciné en lui. Or il règne largement, à cette époque, sur la géomorphologie française. Il n'y a guère que le fief alpin de R. Blanchard qui lui échappe.
La rupture avec le davisianisme et ses sous-produits me semble consommée lorsque :
Identifier l'existence de climats passés différents du climat actuel revient à nier l'omnipotence de 1'"érosion normale" et, par conséquent à mettre en question tout le "cycle d'érosion", bref, à rejeter, dans son ensemble, le davisianisme. Dans un milieu géographique fortement hiérarchisé, caractérisé par le féodalisme népotique des "caciques", l'entreprise était périlleuse et pouvait se solder par une mise à l'écart du mécréant. La "guerre sainte" n'est pas un privilège de certains musulmans.. J'en sais quelque chose pour avoir mis en question les conceptions eustatiques de H. Baulig... L'une de ces manifestations hérétiques les plus anciennes (c'est, du moins, la plus ancienne que j'aie relevée), est celle de Mme Debesse-Arviset (Ann. de Géogr., XXXVII, 1928, p.428-451) qui, dans un article tiré de son D.E.S., écrit, à propos du Châtillonnais : "les eaux coulaient au fond de ces vallons à une époque relativement récente..." puis, à propos de la grève qui les tapisse : "il ne s'agit donc pas d'alluvions fluviatiles, ce ne sont pas cependant des éboulis, et il est bien certain qu'actuellement ces dépôts ne se forment plus... nous avons affaire au produit d'un ruissellement intermittent, à un moment où la végétation était très réduite et où les vallons, aujourd'hui secs, pouvaient rouler beaucoup d'eau" (p.434). Depuis lors, il a été reconnu que ces vallons en berceau étaient d'origine périglaciaire, ce que l'auteur n'a pas osé affirmer bien que des travaux étrangers sur le périglaciaire, aient été déjà signalés dans les Annales de Géographie (chroniques de M. Zimmermann). Dans l'article de Mme Debesse-Arviset, apparaissent les idées suivantes :
b)-Leur identification comme telles résulte de la combinaison des caractéristiques du matériel (formation corrélative), de la forme et de la dynamique actuelle.
c)-La végétation est signalée comme élément du raisonnement, c'est une ouverture remarquable en direction de la géomorphologie climatique moderne : sur les croquis de Davis, jamais n'apparaît le moindre brin d'herbe. Or le bougre savait dessiner... Cette absence est donc révélatrice d'une conception.
d)-Le "ruissellement" est encore invoqué, d'une manière quelque peu exagérée : c'est un relent davisien.
Aucun de ces précurseurs n'était, à l'époque, un géomorphologue établi, reconnu. Non-docteurs, l'un et l'autre n'étaient que des débutants. Mme Debresse-Arviset n'a plus rien publié depuis, se consacrant à une carrière d'enseignante dans les écoles normales primaires ; P. George est devenu un maître... en géographie humaine.
D'autres précurseurs, à la même époque, ont mis en évidence des changements climatiques dans les régions chaudes : le Capitaine Y. Urvoy, curieusement resté bloqué au même grade pendant toute sa carrière scientifique, comme le Commandant Barré, officier méhariste, montre (Ann. de Géogr., XLIV, 1935) qu'entre le fleuve Niger et le lac Tchad, ont alterné deux périodes humides, de creusement des vallées, d'efficacité décroissante, et deux périodes sèches d'ensablement éolien, dont l'actuelle. Aux abords du Lac Kivu, en Afrique orientale, H. Scaetta (Ann. de Géogr., XLVI, 1937, p. 164-171) reconstruit les glaciers quaternaires et, à partir de leurs moraines et des dépôts périglaciaires (le terme est de moi, J.T.), montre que "La direction de l'alizé du SE, vraisemblablement même celle de l'alizé du NE n'avaient pas varié depuis la fin du Tertiaire... Ce qui peut avoir changé... c'est seulement la moyenne des températures" (p. 168-169). Il montre ensuite les effets de cet abaissement, la descente en altitude de l'étage soumis aux alternances gel/dégel et de la végétation montagnarde correspondante. C'est la première fois qu'une vision aussi "globale" d'un domaine morphoclimatique est exprimée. Elle a frappé A. Cholley, qui, en 1938/9, dans ses cours, nous citait abondamment Scaetta. H. Baulig (Ann. de Géogr., XLIV, 1935, p.561-573), dans une revue bibliographique de publications américaines, genre où il excellait, a montré que les glaciations, notamment la dernière, étaient un "phénomène nord-atlantique", l'abaissement des températures ayant été maximum sur l'Atlantique Nord, faible en Russie et dans l'Ouest des Etats-Unis, moindre, aussi, aux latitudes intertropicales. Un excellent explorateur scientifique, administrateur colonial, J.-M. Hubert (Ann. de Géogr., LVIII, 1949, p. 17-34) met en évidence, à partir de l'Oued Guir (Sud-Algérien et Marocain), l'inanité du concept de parallélisme des terrasses : "leur altitude relative, souvent importante... est très variable... on se trouve conduit à admettre une explication en rapport avec les variations climatiques..." (p.18) : en effet, l'Oued Guir étant endoréique, il ne peut être influencé par les oscillations du niveau des océans. Devançant les méthodes actuelles, sa description des matériaux lui fait invoquer des écoulements "semi-fluides" (laves torrentielles, J.T.) : "grande hétérométrie, des blocs de 50-100 kg [sans] la disposition imbriquée habituelle à un dépôt fluviatile normal : ils sont dressés, leur axe étant vertical ou incliné à 45°, les orientations divergentes semblant se reproduire périodiquement..." (p.20). Quelques années seulement plus tard, A. Cailleux et J. Tricart publiaient leur petit ouvrage sur l'étude des sables et galets, où les techniques de mesure des dispositions, de la morphométrie, de la granulométrie sont mises à la disposition des chercheurs. La page finale du davisianisme était tournée... L'isolement de la géomorphologie, notamment vis-à-vis des sciences géologiques, avait cessé.
L'intégration croissante des observations de diverses natures nous a progressivement fait aborder ce thème : un plan trop rigide ne peut être qu'artificiel... Aux abords de la Seconde Guerre Mondiale et au cours des années qui l'ont suivie, de fortes divergences sont apparues, comme c'est toujours le cas lors des périodes de changement rapide : il en est des positions scientifiques comme des fossiles...
Même si on prend quelque distance vis-à-vis de W.M. Davis, l'existence d'aplanissements n'en est pas moins une réalité objective. Il est donc légitime de les étudier. Je vais donc montrer quelle est, à leur sujet, l'évolution des conceptions et des approches chez les géomorphologues.
A. Guilcher,qui appartient à la "nouvelle génération", celle des chercheurs ayant soutenu leur thèse après la guerre, a consacré (Ann. de Géogr., LVIII, 1949, p.97-112) un article à la "surface posthercynienne en Europe occidentale". Il contient de minutieuses descriptions du modelé et des matériaux fossilisant les aplanissements dans le Sud de l'Angleterre, la France, le SW de l'Allemagne. A côté d'aplanissements très élaborés dans les roches tendres, schistes en particulier, persistent des reliefs résiduels de quartzites ; d'anciennes cuvettes ont été matelassées, notamment par le Permien : "II y a évidemment toutes sortes de termes possibles entre la conservation des reliefs posthercyniens et leur destruction totale" (p. 112). Lors de l'Excursion Interuniversitaire en Bretagne, codirigée avec A. Meynier (Ann. de Géogr., LVIII, 1949, p. 1-16), il rappelle qu'en moins d'un siècle, trois conceptions différentes du relief armoricain ont été exposées : pour de Martonne, pénéplanation puis sculpture d'un relief appalachien ; pour R. Musset, des surfaces d'érosion étagées ; pour A. Guilcher, enfin, des mouvements de blocs et des déformations, en partie au moins très récents, ont fait que "L'élaboration appalachienne se fit au détriment de l'une quelconque de ces surfaces" (p.6).
P. Birot, par contre, de la même génération, reste un théoricien, quelque peu imperméable à l'observation. Il imagine d'abord, puis va chercher, sur le terrain, les arguments propres à appuyer son schéma. S'il ne les trouve pas, immédiatement, une autre conception théorique est échafaudée. Il en donne la démonstration lors de l'Excursion interuniversitaire qu'il dirigea dans la Forêt Noire (Ann. de Géogr., LIX, 1950, p. 161-178) : "l'énorme extension des surfaces d'érosion prétriasique et prépermienne : ces dernières ne sont représentées que dans les sections septentrionale et méridionale. C'est cette surface fondamentale qui forme les marches d'escalier, comprises entre 400 et 1100 m dans la Forêt Noire septentrionale" (p. 161/2). Depuis leur exhumation, il ne se serait pas passé grand'chose... bien que nous soyons sur la bordure d'un rift actif ! De plus, comme A. Guilcher venait de le montrer, parler de "surface" prépermienne est pour le moins aventuré car le Permien qui a rempli des cuvettes sur des épaisseurs extrêmement inégales, manque souvent et fossilise ailleurs des reliefs assez vigoureux, comme mes levés géomorphologiques détaillés du bassin de Saint-Dié l'ont mis en évidence. La forme d'esprit de P. Birot reste celle de W.M. Davis. Il ne s'en écarte que par une plus grande agilité dans l'élaboration de schémas théoriques et une promptitude non moins grande à en changer, mais sans partir d'observations de terrain, sans "coller" au terrain... comme Davis lui-même.
H. Baulig a consacré un long article aux "surfaces d'aplanissement" (Ann. de Géogr., LXI, 1952, p. 161-183 & 245-262) dans lequel il rappelle les conceptions du "maître Davis" : toute pénéplaine est tapissée de formations d'altération mélangées d'alluvions et de dépôts lacustres (produits de l'"érosion normale") ; le réseau hydrographique s'organise par captures successives, avec des branches courtes dans les roches dures, et longues dans les roches tendres : "Cette adaptation a ... d'autant plus de chances de se produire que la structure est plus différenciée, le pendage plus fort, la dissection plus rapide et plus profonde. Si elle n'est pas achevée au cours d'un premier cycle, elle pourra se parfaire au cours d'un deuxième et d'un troisième" (p. 167). Comme Davis postule un niveau de base fixe pendant tout le cycle, on ne trouve pas de pénéplaines actuelles. Quant aux aplanissements, "on peut se demander s'ils sont bien des pénéplaines au sens de Davis" (p.170). Les "cycles tectoniques" de Stille lui fournissent une porte de sortie fort commode : les pénéplaines s'élaborent entre deux d'entre eux... Point n'est besoin de souligner l'identité d'approche avec P. Birot.
L'approche d'A. Cholley est, par contre, radicalement opposée. Examinons-la maintenant.
Ancien normalien primaire, combattant de la première guerre mondiale, A. Cholley a eu une carrière assez tardive. Il a soutenu sa thèse pendant la grande crise puis a été professeur de géographie régionale à la Sorbonne. Ce n'est qu'en 1945 qu'il a succédé à de Martonne dans la chaire de géographie physique. Je fus alors son assistant après avoir été son élève. L'écriture d'A. Cholley était fort difficile à lire, constrastant avec son art de l'enseignement oral. Ayant été l'un des rares à la déchiffrer, je dois craindre que ma carrière scientifique n'ait résulté de cette aptitude... A. Cholley a fort peu publié, mais il a eu beaucoup d'élèves géomorphologues, qui ont soutenu leurs thèses au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Ils sont aujourd'hui à la retraite après avoir appliqué à beaucoup de régions de France l'approche de leur maître. Il est donc d'une importance capitale de l'exposer pour comprendre l'histoire de la spécialité dans notre pays.
Son premier article porte sur le Jura méridional et l'Ile Crémieu (Ann. de Géogr., XLI, 1932, p.561-582) : "un soubassement hercynien proche de la surface... détermine dans une structure sédimentaire peu épaisse, un système de dislocations faillées plutôt que plissées et des compartiments plus ou moins basculés" (p.561). "Les lacunes observées dans la sédimentation et le faciès des dépôts semblent prouver une alternance de périodes d'érosion et de périodes de sédimentation, due à des mouvements répétés qui se soldent finalement au profit d'un affaissement généralisé. Partout où se sont manifestées les régressions et les transgressions, nous pouvons arriver à repérer des plans d'érosion et à les dater... on les trouvera de préférence dans les zones bordières et sur les voûtes anticlinales en voie de soulèvement, où l'alternance des régimes lacustres, marins et fluviatiles a été le mieux marquée" (p.562). Faisons ressortir les nouveautés :
- Le recours systématique aux formations corrélatives : leurs faciès permettent d'identifier les conditions de leur mise en place, qui sont aussi celles de la morphogenèse.
- Les notions, classiques en géologie, de transgression et de régression sont mises à profit pour dater les étapes successives de la morphogenèse.
Il est de tradition, au plan international, d'attribuer à J. Bûdel la paternité du concept des "générations de formes". En fait, il est déjà exprimé dans cet article d'A. Cholley, une vingtaine d'années auparavant.
On retrouve les mêmes idées dans l'article consacré à la Bourgogne méridionale (Ann. de Géogr., XLIV, 1935, p.574-594) : "Les bassins ainsi constitués ont été, à plusieurs reprises, le siège d'une sédimentation plus ou moins abondante, alimentée par l'érosion qui s'attaquait aux bordures soulevées et déformées. L'évolution de la région est donc en rapport avec les vagues d'érosion parties des cuvettes. Comment se sont-elles adaptées aux conditions diverses de la structure ? Quel a été leur développement ? telles sont les questions qu'il nous faut analyser et résoudre" (p.577). Malgré quelques relents terminologiques davisiens ("érosion"), l'approche est celle de la géomorphologie moderne.
Mais l'article principal a été publié pendant la guerre.
A propos des "Surfaces d'érosion et la morphologie de la Région Parisienne" (Ann. de Géogr., LII, 1943, p.1-19, 81-97 & 181-189), A. Cholley écrit : "La question qui prend ici le plus d'importance n'est pas de savoir si la surface est plus ou moins structurale, mais bien dans quelles conditions d'érosion et de climat son dégagement s'est effectué. Se limiter à la seule reconnaissance des rapports du relief avec la structure, c'est se borner à une constatation de bien peu de valeur au point de vue génétique ; ce qui importe, c'est de savoir à quelle époque, au cours de quelle manifestation de l'érosion ou à quelle phase d'érosion a correspondu sa mise en place" (p.2) et d'insister : les "expressions géologiques" font oublier qu'aucune de ces formations n'est homogène : calcaires et meulières sont divers, dissemblables. "Cette conformité étonnante du réseau hydrographique aux accidents de la structure rend difficilement admissible l'hypothèse de l'antériorité de ce réseau par rapport aux déformations tectoniques... aucune trace de capture [ne] suggérant l'idée d'une évolution capable de réaliser une telle évolution. Elle est donc initiale : c'est-à-dire que l'établissement du réseau est contemporain des déformations" (p.3). L'interférence permanente entre déformations tectoniques et évolution du relief est on ne peut plus clairement affirmée, comme le fera, dans les années suivantes, J. Bourcart. "Dans le Sénonnais et le Pays d'Othe, on relève des blocs de grès du Sparnacien, des blocs de grès de Fontainebleau et enfin des argiles rouges avec des poches de sables granitiques, des conglomérats provenant du remaniement de l'argile à silex et des concrétions ferrugineuses. Il est donc vraisemblable que, par ce plan, passe une des surfaces polygéniques les plus complexes du Bassin Parisien, puisque ses éléments peuvent être rapportés soit à l'Eocène, soit à l'infra-Oligocène, soit au Miocène" (p.85). En bordure d'une mer épicontinentale, "la multiplicité des transgressions et régressions marines qui affectent de telles régions crée des conditions excellentes pour une élaboration de la pénéplaine" (p.86). Remplaçons "érosion", scorie davisienne, par "morphogenèse" et nous serons fort à l'aise pour comparer ce texte et les travaux cités plus haut, de H. Baulig à A. Guilcher. Malheureusement ces diverses publications ont ignoré, volontairement ou non, l'article magistral d'A. Cholley. Les paléoclimats sont évoqués : "Ce système d'érosion dépend essentiellement du climat, qui donne la prépondérance à tel ou tel groupe de facteurs : érosion fluviale, ruissellement, désagrégation mécanique, décomposition chimique, érosion éolienne etc. Le climat tropical avec de fortes températures moyennes et l'alternance d'une saison de forte humidité et d'une saison aride, donne à l'érosion une énergie bien supérieure à celle des systèmes d'érosion réalisés dans la zone tempérée" (p.86).
Autre notion nouvelle proposée et définie ici : celle de "système d'érosion". Remplaçons "érosion" par "morphogénique", comme je l'ai proposé, et nous avons achevé la révolution de la pensée. L'approche systémique est introduite en géomorphologie, huit ans seulement après l'avoir été par l'anglais Tansley en écologie, bien avant von Bertalanffy (1969) et les géographes anglais qui lui ont emboîté le pas. Voilà qui mérite d'être rappelé. Grâce à cette approche nouvelle, A. Cholley a pu démontrer l'installation du réseau hydrographique en fonction des déformations tectoniques postérieures à l'Oligocène et l'existence de deux "générations d'accidents, de directions différentes : anciens (éocènes) et postérieurs. S'y ajoutent des mouvements de bascule et des déformations d'ensemble (régions de soulèvement et de subsidence)" (p.91). Bien fini, l'isolement de la géomorphologie vis-à-vis des sciences géologiques !
Ces articles régionaux ont préparé le dernier grand article d'A. Cholley, que je considère comme son testament scientifique : "Morphologie structurale et morphologie climatique" (Ann. de Géogr., LIX, 1950, p.321-335). Le problème est ainsi posé : "On doit convenir cependant que la structure est parfois impuissante, même dans le domaine de l'érosion normale, à tout expliquer" (p.322). Après avoir mis en évidence le facteur climatique en comparant le modelé de mêmes roches sous divers climats, il conclut : "De toute évidence, le facteur décisif est bien le climat. Et l'on comprend bien le succès obtenu par l'expression de morphologie climatique. Elle marque, en quelque sorte, la réaction contre l'attitude de la majeure partie des géographes qui ont fait de la structure le principe de toute morphologie. Cependant, ceux qui se sont servis de cette expression ont le plus souvent négligé d'en préciser le sens. Aussi a-t-elle jeté la confusion dans certains esprits... Dans le cas, par exemple, du modelé désertique ou du relief glaciaire, elle attribue à un agent particulier, le glacier ou l'érosion dite aride (ce qui est une abstraction fâcheuse), le façonnement du relief. Mais nous savons que ces agents ne sont pas les seuls en action : bien d'autres processus collaborent avec les glaciers à l'oeuvre qu'ils réalisent ; quant à l'érosion désertique, elle exprime, à côté de l'érosion mécanique et chimique, l'action du ruissellement en nappe, celle des oueds, enfin, celle du vent. En réalité, il n'y a pas deux morphologies, il n'y en a qu'une et sa genèse est liée à l'action des facteurs d'érosion imposés par le climat... Etant donné la structure de l'atmosphère et la nature des climats, comment pourrait-il en être autrement ? A-ton jamais vu un élément du climat agir à l'état isolé à la surface du globe ? C'est donc une conception plus conforme à la réalité d'envisager l'action de complexes ou de combinaisons de facteurs, que l'on devrait appeler des systèmes d'érosion, parce qu'ils sont capables de mettre en place une morphologie dont tous les éléments se tiennent, sont systématiquement solidaires les uns des autres" (p.325).
La conclusion, à laquelle je n'ajouterai rien, car tout commentaire serait superflu et outrecuidant : "Toute morphologie dérive d'un système d'érosion mis en place par le climat et qui s'exerce sur des terrains et des reliefs divers dûs à la structure et à la tectonique".