COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 22 novembre 1989)
La publication du premier tome de l'Histoire de la Géologie de François Ellenberger mérite d'être saluée comme un événement car il s'agit, après plus d'un siècle, du premier ouvrage de langue française dont l'ambition soit de retracer de façon critique les principales phases du développement des Sciences de la Terre. Saluons également l'initiative courageuse d'un éditeur qui n'a pas hésité à publier dans la "Petite collection d'Histoire des Sciences" une série de volumes consacrés à l'histoire des sciences exactes et naturelles.
Le grand mérite de l'auteur est d'avoir pratiqué un authentique retour aux sources car, comme il l'écrit lui-même dans l'Introduction, "tout mettre en oeuvre pour se procurer une copie exacte des textes originaux est le devoir premier de l'historien d'une science". Cela lui a permis de débusquer certains textes oubliés et de rectifier nombre d'erreurs historiographiques répercutées sans contrôle par les auteurs successifs, parfois pendant des périodes fort étendues.
Au nombre des textes ainsi tirés de l'oubli, on se réjouira de pouvoir enfin lire des extraits des "Histoires" de Polybe (2ème siècle avant notre ère), à travers lesquels on peut accéder aux idées de Straton de Lampsaque sur le comblement prévisible de la mer d'Azov et de la Mer Noire, qui anticipent de manière remarquable sur les conceptions uniformitaristes du début du 19ème siècle. Il en sera de même pour le texte arabe rédigé au dixième siècle par les Frères de la Pureté (Ihwân al-Safâ) de Bassorah, texte dans lequel est évoqué de façon fort convaincante le cycle érosion-sédimentation et ses conséquences sur l'évolution géodynamique du globe.
Par ailleurs, on ne manquera pas de remarquer avec étonnement les conceptions originales de Jean Buridan, Recteur de l'Université de Paris, qui, au 14ème siècle, n'hésitait pas à envisager un déplacement continu des terres et des mers dont la conséquence était d'impliquer une histoire terrestre longue de plusieurs millions d'années, en totale contradiction avec la chronologie biblique.
L'Histoire de la Géologie de F. ELLENBERGER apparaît ainsi comme un ouvrage indispensable pour tous ceux qui, historiens des Sciences, Géologues ou Pédagogues, souhaitent mieux connaître l'histoire des Sciences de la terre, d'autant plus que son auteur, géologue éminent, a porté sur celle-ci un regard neuf, ce qui lui a permis de définir une logique de l'erreur qui prend en compte le contexte idéologique de la période considérée.
On remarquera au passage la place privilégiée qui est réservée à l'oeuvre de Sténon : l'auteur propose en effet une traduction nouvelle du célèbre Prodomus qu'il n'hésite pas à considérer comme "le grand texte fondateur de la science géologique". Cette traduction est complétée par des commentaires critiques qui en soulignent les aspects novateurs, l'auteur n'hésitant pas à confronter les interprétations de Sténon aux connaissances actuelles relatives à la géologie de la Toscane.
On appréciera enfin l'innovation que constitue la comparaison sous forme de tableau des idées de divers auteurs plus ou moins contemporains (notamment pp. 108-109). Enfin, l'index des matières, fort bien conçu, facilite une lecture thématique de l'ouvrage.
En conclusion, il nous reste à exprimer le voeu que le second volume de cette oeuvre absolument indispensable soit prochainement disponible en librairie.